Commémoraison de tous les fidèles défunts
Lundi 2 novembre 2020
Le souvenir des trépassés est très agréable à Dieu
Monsieur le Supérieur,
Messieurs les chanoines,
Messieurs les abbés,
Mes sœurs,
Mes bien chers frères,
« Placebo Domino in regione vivorum. Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants »1.
Un des sentiments les plus beaux et les plus nobles que puisse ressentir l’âme humaine, c’est l’assurance de plaire à Dieu. Sur ce point, comme sur tous les autres, Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu nous donner l’exemple. La pensée qui était la plus chère à son cœur, le principe d’action qui lui était toujours présent, était de plaire à son Père : « Quæ placita sunt ei facio semper ; je fais toujours ce qui lui est agréable »2. Il ne voulait que plaire à ce Père bien-aimé ; et il mettait son bonheur à adhérer aux aimables dispositions de la divine Providence : elles lui étaient agréables parce qu’elles étaient agréables au Roi de l’univers. Considérant l’économie de la religion, l’action de la Sainte Trinité dans le monde, il s’écriait dans un indicible ravissement : « Ita, Pater, quoniam sic fuit placitum ante te ; Oui, mon Père, il vous a plu que cela fût ainsi ».3 Ô Père, combien ces merveilles me sont délicieuses ! Elles me plaisent parce qu’elles vous plaisent à vous-même ! Mon souverain bonheur est de vous être agréable, en me conformant à vos désirs. Je veux n’avoir de pensées que pour vous plaire ; je ne veux parler et agir que pour vous plaire : vous plaire est mon bonheur et ma vie ! Quæ placita sunt ei facio semper ; je fais toujours ce qui lui est agréable »4!
Voilà le programme abrégé et complet de la vie chrétienne : plaire toujours à Dieu, toujours se conformer à sa sainte volonté.
Or l’un des moyens les plus excellents et des plus méritoires de réaliser ce beau programme, c’est le souvenir chrétien et efficace de nos chers défunts. Réfléchissons pendant ce mois de novembre dédié aux morts sur cette première excellence de ce souvenir béni. Par lui, dans un sens très touchant d’accommodation, nous réaliserons cette parole du Psalmiste, que j’ai citée à l’instant : « Placebo Domino in regione vivorum. Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants »5.
Oui, ce souvenir est très agréable à Dieu :
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premièrement parce qu’il rend nos sentiments semblables à ses sentiments ;
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deuxièmement parce qu’il fait de nous des coadjuteurs de Dieudans une œuvre qu’il a éminemment à cœur ;
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troisièmement parce qu’il nous fait pratiquer la vertu la plus belle, celle qu’il nous recommande avec instance : la charité.
– I –
Ce cher souvenir des trépassés est très agréable au Seigneur d’abord parce qu’il rend nos sentiments conformes aux sentiments de Dieu.Dieu en effet aime les âmes du purgatoire beaucoup plus que nous pourrions le dire. Cette dévotion établit entre nous et lui une magnifique ressemblance, qui lui plaît souverainement.
Oui, Dieu aime les trépassés. Les défunts, en effet, sont ses créatures ; ils sont morts dans sa grâce ; et, à ce titre, ils lui sont plus chers que toutes les splendeurs du firmament et toutes les magnificences de la terre. Il voit en eux son image, que dis-je ? sa nature dans la grâce sanctifiante, les vertus surnaturelles et les dons du Saint-Esprit dont ils sont enrichis. Pour lui, notre Père, ce sont des enfants bien-aimés. Voilà pourquoi se souvenir d’eux, c’est entrer pleinement dans ses intentions. Souvenir d’autant plus cher que trop souvent, hélas ! les trépassés sont trop vite oubliés. Combien elle est vraie la parole de l’Imitation de Jésus-Christ : « À peine aurez-vous disparu aux regards des humains, que vous serez oubliés ! »
Or, par le fait que nous pensons à eux, nous témoignons que nous avons du cœur, et que nous partageons les sentiments de notre Seigneur et Maître. Ah ! si Jésus, notre Sauveur, dit que ce qu’on aura fait au dernier des siens ne sera pas sans récompense parce que c’est à lui qu’on l’aura fait, à plus forte raison si nous n’oublions pas ceux qui ont quitté la terre, ceux qu’il a rappelés à lui, et que sa justice fait passer par les expiations du purgatoire avant de les introduire dans le séjour des joies éternelles, nous serons agréables à son cœur infiniment bon et, si j’ose le dire, il nous en témoignera sa reconnaissance.
Je ne m’étonne pas que saint Augustin ait dit cette parole consolante : « Il est peu d’exercices d’un ordre plus sublime, il est peu d’œuvres plus pieuses et plus en rapport avec le désir de Dieu que d’offrir l’adorable sacrifice, de répandre des prières ardentes, de faire d’abondantes aumônes en faveur de ceux qui souffrent dans le purgatoire. »
Pour saint Épiphane, l’un des premiers Pères de l’Église d’Orient, le souvenir des défunts est absolument digne de louange et d’admiration.
Tous les saints ont les mêmes louanges pour ceux qui aiment les âmes souffrantes que Dieu aime tant lui-même. Cet amour suppose une grande bonté ; il transfigure celui qui en est embrasé ; il lui redonne la splendeur qui rayonnait avec tant d’éclat dans l’âme d’Adam avant sa chute ; il fait comprendre cette belle parole de Bossuet, parole à méditer sans cesse : « Quand Dieu créa le cœur de l’homme, il y mit d’abord la bonté. »
C’est ainsi que le souvenir des trépassés rend nos cœurs semblables au cœur du souverain Maître de l’univers et nous fait aimer ce qu’il aime.
– II –
Ce souvenir, de plus, fait de nous des coadjuteurs de Dieu pour le bien des âmes,et c’est là sa seconde gloire. À part les enfants qui meurent ornés des charmes de la grâce du baptême, à part les martyrs qui sortent de cette vie totalement purifiés dans leur sang répandu pour la religion, à très peu d’exceptions près, les défunts ont des souillures à expier et des satisfactions à offrir à l’infinie justice. Rien de souillé, dit l’Esprit-Saint, ne peut entrer dans les célestes demeures. Il faut que les trépassés payent jusqu’à la dernière obole les dettes que leurs fautes leur ont fait contracter.
Sans doute la bonté de Dieu les appelle à lui, pour faire leur bonheur et combler les vides laissés dans le ciel par les anges prévaricateurs. Mais l’infinie justice s’y oppose jusqu’à complète expiation.
Or les saintes âmes ne peuvent rien pour elles-mêmes. Elles ne sont plus dans le temps du mérite. Il faut que la sentence divine s’exécute à leur égard pleinement et complètement. Mais le Seigneur, qui est tout miséricordieux, a trouvé moyen de mettre d’accord ses perfections et, tout en donnant satisfaction à son infinie justice, il a su donner libre cours à son infinie bonté par la communion des saints. Quel admirable et adorable mystère !
Oui, en vertu de la communion des saints, nous pouvons très efficacement venir en aide aux âmes du purgatoire ; nous pouvons leur appliquer les mérites surabondants de la Rédemption, nous pouvons les soulager, payer leurs dettes et les introduire dans la Jérusalem céleste.
Dans ces conditions, il est impossible d’exprimer la joie que nous apportons au Cœur de Jésus, en nous souvenant pieusement des trépassés, en priant pour eux, en expiant pour eux, en nous faisant les agents de leur parfaite sanctification.
Soyons persuadés qu’en agissant ainsi nous ferons tant de plaisir à son Cœur si aimant que nous aurons une part très spéciale aux admirables promesses qu’il a promulguées en faveur de ceux qui lui rendent amour pour amour, en faveur de ceux qui l’aiment dans ses membres d’élite, dans les fidèles défunts : « Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires dans leur état. Je mettrai la paix dans leur famille. Je les consolerai dans leurs peines. Je serai leur refuge assuré pendant leur vie et surtout au moment de leur mort. Je répandrai d’abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises. Je convertirai les pécheurs ; je donnerai la ferveur aux tièdes et aux fervents une sainteté de plus en plus grande ; à ceux qui ont le zèle de l’apostolat, un succès incroyable. Tous ceux qui m’aiment, particulièrement par la dévotion aux trépassés, auront leur nom inscrit dans mon Cœur, et il n’en sera jamais effacé. » Oui, oui, en nous faisant les co-rédempteurs des défunts, nous plaisons à Notre-Seigneur. « Placebo Domino in regione vivorum ; Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants »6!
– III –
Le souvenir des trépassés est en outre très agréable à Dieu parce qu’il fait pratiquer son précepte de choix : la charité.Dieu veut que nous nous aimions les uns les autres, et cela d’un amour surnaturel, désintéressé et efficace : « Debemus alterutrum diligere ; nous devons nous aimer les uns les autres »7. Si nous entendons sa voix, si nous sommes charitables à l’égard des défunts, nous lui sommes agréables, à lui qui nous a aimés le premier, à lui qui nous a aimés gratuitement et s’ingénie à multiplier les moyens de nous faire du bien. En venant au secours de ceux qui, dans leur corps, sont morts à la terre et, dans leur âme, vivent devant Dieu, nous sommes les vrais enfants du Père céleste. Nous pratiquons excellemment la belle parole de saint Paul : « Il y a trois vertus qui sont très chères à Dieu : la foi, l’espérance et la charité, mais la charité est la plus noble, la plus grande, la plus méritoire et la plus sublime : major autem charitas. »
« Quand j’aurais, ajoute le même apôtre, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je pénétrerais, par une intelligence extraordinaire, tous les mystères, quand j’expliquerais toutes les prophéties, quand je parlerais le langage des anges, quand je distribuerais aux pauvres toute ma fortune par une commisération humaine, quand je me, soumettrais aux plus terribles mortifications, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien, je ressemblerais à un airain sonore et à une cymbale retentissante. » Aux yeux des hommes je puis jouir d’une certaine réputation : devant Dieu je suis un pur néant. Mais si je suis dévoué aux trépassés ; si je me souviens d’eux pour les soulager et les délivrer, je plais délicieusement au Dieu d’amour. Je pratique le grand précepte du Sauveur : « Hoc est præceptum meum ut diligatis invicem »8. Je porte la marque céleste qui me fait reconnaître pour son véritable disciple : « In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad invicem »9
Que dirais-je encore ? Par le souvenir pieux et dévoué des trépassés, nous sommes les vivantes images du Sauveur ; nous prenons les sentiments du divin Rédempteur.
Pourquoi est-il né ? « Pour nous et notre salut ; propter nos et nostram salutem ».
Pourquoi a-t-il souffert tant de tribulations et finalement les horreurs de la mort la plus douloureuse sur la croix ? « Pour nous et notre salut ; propter nos et nostram salutem ».
Pourquoi a-t-il fondé son Église, institué ses sacrements, et surtout l’adorable Eucharistie ? « Pour nous et notre salut ; propter nos et nostram salutem »,pour nous ouvrir les portes du ciel : « O salutaris Hostia quæ cœli pandis ostium ! »
En nous souvenant de nos frères défunts, en travaillant par la prière et la pénitence à les introduire dans le paradis, comment ne serions-nous pas agréables à Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque nous travaillons à son œuvre ? Quel bonheur et quel honneur de pouvoir ainsi plaire à Dieu, en pratiquant la vertu qu’il chérit par-dessus tout, la charité, qui nous donne une admirable ressemblance avec son Fils, en qui il met toutes ses complaisances ? « Placebo Domino in regione vivorum. »
Souvenons-nous du malade, du paralytique guéri par Notre-Seigneur à la piscine de Bethsaïda. Il y avait longtemps qu’il souffrait. Il venait chaque année à cette piscine pour y être descendu au moment où cette onde miraculeuse était mise en mouvement par l’ange des guérisons. Mais personne ne lui rendait cet office, et d’autres descendaient avant lui ; il était délaissé : « hominem non habeo ; je n’ai personne pour m’aider. »10Heureusement pour ce malheureux paralytique, Jésus, le charitable Samaritain vint à passer et lui dit : « Prends ton grabat et va dans ta maison ! » Le cœur du Sauveur avait été touché par la douleur du pauvre délaissé, et il fit pour lui un de ses plus beaux miracles.
Imitons, selon notre pouvoir, la conduite de Notre-Seigneur : ayons un souvenir fraternel pour nos frères souffrants dans le purgatoire.
Souvenons-nous, devant Dieu, de nos parents, de nos frères, de nos amis et de nos ennemis aussi qui ont quitté la terre, afin de les introduire dans le séjour du bonheur.
Souvenons-nous des défunts, afin de leur procurer, au plus tôt, « le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix ».
Souvenons-nous de nos bienfaiteurs, de nos prêtres, des prêtres qui nous ont baptisé, des prêtres qui nous ont absous – on ne prie pas assez pour les prêtres, ils sont souvent les plus abandonnés au Purgatoire ! – afin de leur rendre au centuple, par la grâce de Dieu, ce qu’ils ont fait pour nous.
Souvenons-nous, en un mot, de tous les trépassés, sans exception, parce qu’ils sont nos frères en Jésus-Christ. Soyons remplis d’un zèle inlassable pour les défunts ; et ainsi, soyons-en sûrs, nous serons très agréables au Dieu très bon et très miséricordieux : « Placebo Domino in regione vivorum. »
Ainsi soit-il.