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Sermon de Mgr le Prieur Général
pour le dimanche de Pâques 2013
Monsieur le Supérieur,
Monseigneur,
Messieurs les chanoines,
Ma Révérende Mère,
Messieurs les abbés,
Mes sœurs,
Chers fidèles,
C'était une précaution bien vaine que celle de placer des gardes près du tombeau où gisait, inanimé, le corps du Christ. S'il ne devait pas ressusciter, à quoi bon ? Et s'il devait ressusciter, Celui qui échappait à la mort, serait-Il retenu par des gardes ?
Mais cette précaution rassurait les princes des prêtres, comme maintenant encore se contentent de mauvaises raisons ceux qui persécutent l'Église de Dieu, et de vains prétextes ceux qui n'accomplissent pas leurs devoirs envers l’Église, c'est-à-dire envers le « Christ répandu et communiqué » (Bossuet) aujourd’hui.
Efforçons-nous de retrouver quelles furent, au jour de Pâques les impressions de ceux qui ont eu un rôle dans la Passion. Il y a là une étude qui nous instruira ; car elle nous montrera que ceux qui, comme Pilate, s'imaginent être habiles en abandonnant la cause sacrée de la vérité et de la justice, se créent à eux-mêmes les lendemains les plus cruels ; que ceux qui, comme les princes des prêtres, persécutent la religion et ses fidèles, sont voués aux défaites les plus humiliantes ; que ceux, enfin qui, comme les amis de Jésus, savent souffrir avec lui, se préparent un avenir de victoire et de bonheur.
Pilate, le soir du Vendredi Saint, était rentré dans son palais avec un sentiment profond de tranquillité. Il en avait donc enfin fini avec cette histoire ennuyeuse du prophète galiléen qui était venu, tout d'un coup, troubler sa quiétude.
Sans doute il avait été frappé, et sans doute aussi, il était resté convaincu de l'innocence de cet homme. Sa dignité dans les chaînes, le calme souverain de ses réponses, son regard assuré l'avaient impressionné vivement. Il avait bien vu que les princes des prêtres ne le poursuivaient que par envie. L'avertissement que sa femme lui avait fait parvenir ne l'avait pas moins bouleversé.
Aussi avait-il essayé de Le sauver. Il avait proclamé que Jésus n'était pas coupable. Il avait mis en parallèle avec Lui un misérable afin que la comparaison Lui fût salutaire. Il L'avait même fait flageller pour émouvoir la populace. Rien de tout cela n'avait pu désarmer les Juifs, qui l'avaient menacé de la colère de César ; alors seulement il avait cédé, et du moment qu'il s'était lavé les mains et que le peuple avait accepté la responsabilité du crime, lui, Pilate, n'avait vraiment rien à se reprocher.
Sans doute, un innocent avait péri. Mais c'était un homme de rien, et puisque sa place n’était plus en danger, qu’y avait-il de mieux ?
Or, tandis que Pilate se répète ces choses ; et achève de tranquilliser sa peu scrupuleuse conscience, voici qu'il, entend du bruit dans le vestibule de son palais. Ce sont des pas précipités et des exclamations de surprise. Qu’y a-t-il donc encore !
Ce sont les soldats qui avaient été postés près du tombeau. Ils sont introduits près de Pilate et lui rapportent que, au petit jour, une apparition vêtue de blanc est descendue du ciel et qu'elle a roulé l'énorme pierre placée à l’entrée du sépulcre. Renversés, à demi-morts de frayeur, ils ont vu le Galiléen plein de vie sortir du caveau. Quand ils ont pu se relever, Il avait disparu.
Pilate, en entendant ce récit, sent renaître toutes ses craintes. Tout l'échafaudage de sa politique s'écroule. Il a cru faire un acte de prudence en se mettant du côté des plus forts. C'est ainsi qu'il a toujours fait jusqu'ici, et voici que, pour la première fois, son calcul se trouve en défaut. Si cet homme est vraiment ressuscité comme les gardes le racontent, et le gouverneur n'a aucune raison de mettre en doute leur récit, cela va faire un bruit considérable. Pilate prévoit que sa lâcheté, loin de le servir, va être pour lui la cause de mille complications. Peut-être va-t-il perdre sa place. Il a voulu assurer son repos, et il se trouve qu'il l'a compromis à tout jamais.
L'histoire ne devait que trop confirmer les sinistres pressentiments de Pilate. Disgracié et envoyé en exil, il a laissé une mémoire avilie : son nom reste perpétuellement accolé à son forfait, et quand les chrétiens récitent leur Credo, c'est pour répéter après ces mots qui leur rappellent la mort ignominieuse du Sauveur : crucifixus est, ceux-ci qui flétrissent le juge indigne par lequel Il fut livré aux bourreaux : sub Pontio Pilato !
Puisse cette leçon terrible nous instruire ! Quand il faut choisir entre Dieu et les hommes, entre Dieu et l’esprit du monde, n'hésitons jamais ! La meilleure politique est de nous ranger du côté de Dieu ; c'est la seule qui puisse nous assurer, même ici-bas, une tranquillité et un bonheur durable.
La consternation et la rage furent encore plus grandes chez les ennemis du Sauveur, chez ces princes des prêtres qui, deux fois criminels, et parce qu'ils avaient poursuivi de leur haine implacable le Fils de Dieu, et parce que leur sacerdoce leur faisait un devoir d'être les premiers à Le servir, n'avaient reculé devant rien pour assouvir leur vengeance et avaient découragé par leurs menaces les velléités miséricordieuses du timide Pilate. Ils croyaient pourtant bien avoir triomphé du prophète galiléen, puisqu'ils l'avaient fait périr d'une mort ignominieuse et que, pour éviter le danger peu probable d'une supercherie, ils avaient fait sceller et garder son tombeau. Et voilà qu'ils apprennent que le sépulcre est vide !
Dès que les premières rumeurs de la résurrection leur parviennent, Caïphe et Anne sont affolés. Ils convoquent le Sanhédrin pour aviser aux mesures les plus promptes, et leur souci le plus pressant est de faire comparaître devant eux les soldats qui avaient gardé le tombeau.
Ceux-ci refirent le récit qu'avait déjà entendu le gouverneur.
- « Soyez francs, dit Caïphe. Avouez que les disciples de Jésus vous ont corrompus à prix d'or.
- Ce n'est pas vrai. Personne n'est venu.
- Alors, c'est que vous dormiez, tandis qu'on est venu enlever le corps.
- Ce n’est pas vrai ; nous aurions bien entendu le bruit que faisait la pierre alors qu'on la roulait.
- Avouez que vous dormiez, et vous ne serez pas punis.
- Nous ne dormions pas.
- Écoutez : si vous dites que vous dormiez, vous serez largement récompensés. »
C'est ainsi qu'ils espéraient, les insensés, arrêter le bruit du miracle. Mais est-ce que l’on arrête le vent qui passe ? La foule ne tarde pas à relever les contradictions qui fourmillaient dans le récit des soldats. Et d'ailleurs, s'ils s'étaient endormis, contrairement à leur devoir à leur consigne, pourquoi les récompensait-on, au lieu de les punir ?
Et puis, le Christ ressuscité ne se contentait pas d'être sorti de son tombeau, Il se montrait, déjà des femmes l'avaient vu, déjà Il était apparu à Pierre ; Il allait continuer à se faire voir, et ainsi chaque instant qui s'écoulait détruisait la fable de son enlèvement et démontrait la fourberie des princes des prêtres.
Bien plus, toutes les précautions qu'ils avaient prises pour empêcher que le corps du Sauveur fût ravi : les scellés et les gardes, se retournaient contre eux en rendant plus éclatant encore le miracle de la résurrection. C'était la défaite la plus complète, dans la honte la plus ignominieuse.
Anne et Caïphe continueront cependant à lutter pour écraser l'Évangile, car c'est un des, châtiments qui menacent les ennemis de Dieu : que rien ne les éclaire et que leur haine redouble à mesure qu'elle est vaincue. L'histoire se tait sur la fin de ces deux hommes ; mais pour peu qu'ils aient vécu encore quelques années, ils auront pu voir les progrès rapides des disciples du Christ, ils auront assisté à la glorification de Celui qu'Ils avaient crucifié, et enfin ils auront vu emmener en captivité ce peuple qu'ils avaient abusé, détruire cette Jérusalem sur laquelle ils avaient étendu leur puissance malfaisante, et brûler ce temple dont ils avaient été les indignes serviteurs.
Et c'est ainsi que seront vaincus tous ceux qui dans la suite des siècles, tous ceux qui maintenant encore, veulent faire la guerre à Dieu et à son Église. Ne nous laissons pas intimider par leurs succès et par leurs moyens d'action. Les uns et les autres, comme il arriva pour Anne et pour Caïphe, ne dureront que tant qu'ils serviront les desseins de Dieu. Les uns et les autres, quand l'heure sera venue, seront brisés comme du verre ; les persécuteurs ne peuvent s'attendre qu'à deux choses : faire une fin misérable et laisser un nom maudit.
Portons maintenant nos regards sur le petit groupe des amis de Jésus. Autant les princes des prêtres étaient triomphants en descendant du Calvaire, autant ceux-là, étaient abattus. C'était dans leur âme et dans leur cœur un chaos douloureux où se heurtaient tous leurs souvenirs de douleur et de deuil. L'arrestation dans le jardin des Oliviers, les divers interrogatoires, la nuit sinistre, la flagellation, la montée du Calvaire, l'agonie sur la croix, les derniers frémissements et les derniers cris de la victime, la descente de croix, la sépulture revenaient tour à tour dans leur mémoire, C'était, dans le lieu où ils s'étaient retirés, un silence de mort que troublait seul le bruit des sanglots.
Sans doute, le Maître avait bien dit qu’Il ressusciterait et qu'après Son supplice Il attirerait tout à Lui. Mais ces prophéties, qui y pensait, et, en dehors de la Vierge Marie, qui y croyait ?
La seule chose à laquelle ils songeaient et dans laquelle se confinaient leurs espérances, c'était qu'ils pourraient lui rendre les derniers devoirs : embaumer le corps vénérable de Jésus.
Et puis, est-ce qu'ils n'avaient pas à se reprocher d'avoir encore attristé les derniers moments de leur Maître bien-aimé, les apôtres en L'abandonnant, Pierre en Le reniant trois fois ?
Qu'elles aillent donc, les quelques femmes qui veulent porter au sépulcre des parfums avec leurs larmes ! Leur faiblesse désarmera peut-être la sévérité des gardes. Ensuite, quand ce dernier devoir aura été rempli, tout sera fini !
Mais, les voici qui reviennent en toute hâte, transfigurées par la joie. Le tombeau est ouvert, le Christ n'y est plus, un ange leur a dit que Jésus est ressuscité !
- « Ce sont des visionnaires ! La douleur les égare ! » disent les uns.
- « Allons ! » s'écrie Pierre… Et il part avec Jean, et ils constatent de leurs yeux la vérité de ce que les femmes ont dit, et Pierre voit le sauveur !
Alors une immense allégresse s'empare de leurs cœurs. Ils pressentent que Jésus se montrera, aussi à eux. Où sont maintenant les souvenirs douloureux qui tout à l'heure emplissaient leurs âmes ? Il n'y a plus de place que pour la vie, pour l'espérant et pour l'amour ! Alleluia !
Car, si le Christ est ressuscité, c'est donc qu’Il est vraiment le Fils de Dieu ; c’est donc que son œuvre, loin d'être terminée, va prendre un nouvel essor ; c'est donc qu'Il est vainqueur monde, de l'enfer et de la mort !
Et alors, qu'elle sera belle la part de ceux qui ont cru en Lui et qui ont souffert avec Lui ! La lumière éclatante qui s'échappe de la Croix n’illumine pas seulement Celui qui vient d'y expirer, mais encore tous ceux qui ont consolé Son agonie par leur fidélité. La terre, en se prosternant devant le sommet sacré, le Calvaire, les y apercevra pour les glorifier et les bénir !
Vous savez, mes très chers frères, que toutes ces espérances ; que toutes ces joies ont été encore au-dessous de la réalité. Ce que vous ne savez, encore, mais que le mystère d'aujourd'hui vous enseigne, c'est qu'il en sera toujours ainsi pour ceux qui, fidèles au Christ malgré tout, iront le suivre jusqu'au bout.
Et maintenant, mes chers amis, quel sort choisissez-vous ?
Ce serait vous faire injure que de vous supposer un instant la pensée de vous ranger parmi les ennemis de Jésus. Que d'autres, aveuglés par la haine ou affolés par l'orgueil, Le persécutant dans son Église, qu'ils aillent à la défaite irrémédiable en ce monde et au châtiment encore plus irrémédiable dans l'autre ! Mais vous, vous ne partagerez jamais leur crime et leur insanité !
Mais n'avez-vous jamais été tentés d'imiter l’habileté douteuse de Pilate ? En effet, vous savez bien que le Christ c’est l’Église et que l’Église c’est le Christ. Mais n’est-ce pas avec des yeux trop humains que vous regardez l’Église ? avec les mêmes yeux effrayés des disciples qui virent la Passion et la Crucifixion, et qui préférèrent se cacher, se terrer ? L’Église n’est-elle pas aujourd’hui, comme son Seigneur, persécutée, flagellée, couronnée d’épines ? Ne veut-on pas la porter à la mort ? Et dans cette cohorte de persécuteurs, nombreux sont les grands prêtres, les princes du Temple, de l’Église qui l’attaquent de toute part. Benoît XVI, et auparavant le Cardinal Ratzinger, a bien souvent décrié cette terrible réalité.
Alors comme Pilate, nous pourrions avoir la tentation de nous accommoder de cette triste situation, laisser le Christ aller à la mort, laisser l’Église le suivre dans le tombeau. Et comme Pilate, mille raisons viennent à notre esprit pour nous suggérer que pour notre bien, il serait mieux d’assister à cette tragédie sans se compromettre.
Mais nous sommes les disciples du Ressuscité. Nous savons qu’Il est sorti du tombeau vainqueur de Ses ennemis. Il en sera de même pour Son Église. Soyons des disciples courageux ! Ponce Pilate n’est pas notre modèle ni notre Saint Patron ! Embrassons la croix du Christ, celle du Vendredi Saint ; elle se transformera dans nos bras mêmes en croix glorieuse. Restons tous, frères très chers, prêtres, séminaristes, sœurs, fidèles, restons bien au poste de l’amour et de la fidélité, et c'est, comme dit saint Paul, « ce qui nous donne une ferme confiance pour vous, sachant que si vous avez part aux souffrances du Christ, vous aurez aussi à part à ses consolations. » (2 Cor 1,7)
Ainsi soit-il.