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Sermon de M. l’abbé Vincent Thomas pour la Fête-Dieu,

Gricigliano, le 22 mai 2008. 

 

            Monsieur le Supérieur,

            Messieurs les Abbés,

            Révérende Mère,

            Très Chères Sœurs,

            Mes biens chers frères,

Quia per incarnati Verbi mysterium, nova mentis nostrae oculis lux tuae claritatis infulsit : ut dum visibiliter Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium amorem rapiamur.

            Ces paroles de la préface, que nous entendrons bientôt, nous transportent au temps de Noël. Pourtant, Notre Seigneur n’a-t-il pas déjà souffert sa Passion, n’est-Il pas ressuscité et monté au Ciel ? Ne règne-t-il pas maintenant sans fin à droite du Père ?

            Mais ce n’est pas pour quelques années fugitives – celles de sa vie terrestres – que Dieu le Père a envoyé son Fils parmi nous. C’est pour y demeurer jusqu’au terme de l’histoire humaine. La très Sainte Eucharistie est une extension de l’incarnation ; elle est son prolongement à travers les siècles.

            L’histoire sainte, depuis la création du monde jusqu’à Notre-Seigneur Jésus-Christ, préparait l’incarnation. Toute l’histoire du monde, depuis Notre Seigneur Jésus-Christ jusqu’à la fin des temps, ne prend son sens que par rapport à l’incarnation. La très Sainte Trinité regarde la terre de l’incarnation comme le centre du monde. Le Christ y demeure toujours présent au milieu des siens pour y achever par son Eglise son œuvre rédemptrice. Le mystère de l’incarnation, dans son extension temporelle, recèle la plus sublime réalité de l’univers, et donc la raison suprême du gouvernement du monde.

            A la vue de la création Dieu songe toujours à son Fils. Il ne voit le monde qu’à travers son Fils. Ainsi l’incarnation du Verbe, autrefois comme aujourd’hui, domine et explique le plan divin. Jésus est « l’alpha et l’omega »[1] de toutes choses ; Il est « le médiateur unique entre les hommes et Dieu. »[2] Il était donc nécessaire que, dans sa providence, Dieu préparât un moyen de nous relier personnellement à notre Sauveur : c’est l’économie des sacrements. C’est particulièrement la très Sainte Eucharistie, qui est la mise à notre portée de tous les bienfaits de l’incarnation rédemptrice.

Présence réelle

  • Présence rendue directement par les paroles de la transsubstantiation et présence rendue par le même moyen indirectement.

Devant le voile de l’hostie, les sens ne distinguent rien ; la raison est dépassée par le mystère. Mais la Foi nous garantit l’infaillible certitude de la révélation divine. Les paroles de Notre-Seigneur sont claires : « ceci est mon corps ; ceci est mon sang ». L’Eglise nous prescrit de les entendre à la lettre, et non comme de purs symboles ; au contraire, de croire de tout notre cœur que « le corps, le sang, l’âme et la divinité du Verbe incarné sont bien là dans leur réalité et la vérité de leur substance », en vertu de la toute puissance de Dieu, selon les termes même du Concile de Trente[3].

Après le miracle de la transsubstantiation, le Christ tout entier est présent avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. Les paroles de la consécration mettent directement son corps et son sang sur l’autel sous la forme de victime. Mais elles amènent, par voie de concomitance, c’est-à-dire en accompagnant le corps et le sang de Notre-Seigneur, toute la réalité du mystère de Jésus, tel qu’il est en ce moment dans les splendeurs de la gloire ; « le Christ ressuscité ne meurt plus », dit saint Paul[4]. C’est donc le Christ glorieux et vivant éternellement qui est rendu présent.

A son corps demeure par conséquent inséparablement attachée son âme, et en raison de l’union hypostatique, tous deux sont à jamais unis à la personne du Verbe, lequel nous amène le Père et le Saint-Esprit dans l’indivisible unité de la Sainte Trinité.

Tout le mystère du Verbe incarné est contenu dans la sainte hostie avec les charmes ineffables de son humanité et l’infinie grandeur de sa divinité, mais l’une et l’autre voilées, comme le chante le poète :

In cruce latebat sola deitas,

At hic latet simul et humanitas.[5]

  • Identité du Christ eucharistique avec le Christ du Ciel

Le Christ eucharistique s’identifie avec le Christ de l’histoire et de l’éternité. Il n’y a pas deux Christs, mais un seul. Nous possédons, dans l’hostie, le Christ de tous les mystères de la rédemption : le Christ du Thabor et de Gethsémani, le Christ en croix et ressuscité d’entre les morts, le Christ assis à la droite du Père. Ce n’est pas un autre Christ que possède l’Eglise de la terre et que les bienheureux contemplent dans le Ciel : une seule Eglise, un seul Christ. Non alius sed aliter. Non pas un autre, mais le même sous un mode différent. Cette identité du Christ historique avec le Christ de l’Eucharistie et de l’éternité est exprimée par les accents de l’Ave Verum :

« Je vous salue corps véritable né de la Vierge Marie,

Vrai corps broyé dans la Passion, immolé sur la Croix,

Dont le côté entr’ouvert a laissé s’échapper de l’eau et du sang.

Soyez notre récompense savoureuse à l’heure décisive de notre mort. »

Cette merveilleuse présence du Christ au milieu de nous devrait bouleverser notre vie. Nous n’avons rien à envier aux Apôtres et aux disciples de Jésus, qui cheminaient avec Lui en Judée et en Galilée. Il est encore là parmi nous : en chaque ville et en chaque village où se trouve un tabernacle, ici même dans cette chapelle, nous le possédons autant qu’eux.

  • Présence dans l’Eucharistie du corps du Christ

Nos mains de prêtres et nos lèvres de communiants peuvent toucher l’humanité du Christ : sa chair meurtrie sur la Croix, ses nerfs et ses os broyés, sa tête autrefois couronnée d’épines, tout ce corps enfin que le Verbe incarné offrit sur le Calvaire en expiation de nos péchés. Saint Jean Chrysostome, avec un puissant réalisme, pressait les fidèles de venir communier au cœur même du Christ : « venez vous abreuver à la blessure de mon côté. »[6]

Dans la sainte hostie, le Crucifié est là qui nous attend, et le même sang rédempteur coule sur les générations qui passent.

  • Présence dans l’Eucharistie de l’âme du Christ

      Sous les espèces eucharistiques, l’âme du Christ est présente. Toutes ses facultés humaines y gardent la même activité que dans la gloire. Tous les sentiments du Verbe incarné s’y déploient dans l’intimité du Père, en union avec son Eglise militante, triomphante et souffrante. La vie de Jésus dans l’Eucharistie : c’est sa vie du Ciel, en pleine clarté béatifique, dans un amour et une adoration sans fin.

            L’âme du Christ, chef d’œuvre de la création, demeure au milieu de nous avec son intelligence illuminée des clartés du Verbe, dans l’éblouissante vision de la Sainte Trinité et de tout l’univers qu’elle a créé.

            Rien n’échappe à ce regard compréhensif du Christ : ni le monde des purs esprits, ni la création matérielle, ni le plus imperceptible mouvement des âmes au Ciel, sur la terre et jusque dans les enfers. Il connaît le passé, le présent et l’avenir, dans la lumière du Verbe, sous le mode immuable de l’éternité. Il ne conjecture pas comme nous : il voit. Sa science bienheureuse égale en extension celle de la Sainte Trinité. Il illumine les anges et les archanges, tous à son service dans le gouvernement du monde.

            Sa vie dans l’Eucharistie est une vie d’amour. Du cœur du Christ monte sans cesse vers le Père les ardeurs d’une charité infinie. Toute la vie intime de l’âme sacerdotale du Verbe incarné : adoration, prière, action de grâce, expiation, est inspirée par cette dilection sans limite. La très Sainte Trinité trouve dans le Christ de l’hostie une gloire sans mesure et sans fin.[7]

  • Présence dans l’Eucharistie du Verbe

        Sous la petite hostie, le Verbe éternel est aussi présent, dans la puissance souveraine de sa divinité, avec sa personnalité incréée ; lui qui est « l’image du Dieu invisible, la splendeur de la gloire divine, la figure de sa substance, lumière de lumière, premier né de toute créature principe et fin de toute chose »[8], « lui par qui tout a été créé »[9] : les choses visibles et invisibles, les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances ; Lui « en qui et par qui toutes choses subsistent »[10] et qui est « l’alpha et l’oméga de tout être »[11], nous l’adorons dans la sainte Eucharistie.

            Une personne divine, égale en puissance, en sagesse, en miséricorde, aux autres personnes de la Trinité, une telle personne divine reste perpétuellement avec nous comme l’un des nôtres, sans cesser d’être le Dieu de l’univers.

« Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont point connu. »[12] Et, à nous, directement cette fois notre Seigneur semble nous reprocher doucement : « en vérité, en vérité, il y a quelqu’un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. »[13] Emportés par nos affaires et par le tourbillon de la vie, nous ne songeons peut-être pas assez que, tout près de nous, à côté de chez nous, habite le Dieu rédempteur.

  • Présence dans l’Eucharistie de toute la très Sainte Trinité

       Enfin, le Verbe n’est jamais seul : le Père et l’Esprit Saint demeurent toujours avec Lui dans une « circuminsession » éternelle. Une mutuelle présence garde les trois personnes divines l’une dans l’autre, sans que rien ne puisse venir séparer leur indivisible essence. Le Père repose dans le Fils et le Fils dans le Père, et de cette union dans l’amour du Père et du Fils procède l’Esprit Saint. Le Père, le Fils et le Saint Esprit communient ensemble à une même divinité :

« Ne croyez vous pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? »[14]

C’est que « mon Père et moi, nous sommes un. »[15]

       Tout est commun dans la Trinité : lumière, amour, béatitude sans fin dans une même vie à trois. Là où se cache le Verbe, le Père et l’Esprit Saint demeurent avec Lui. Toute la vie de la Trinité est dans la sainte hostie.

Le Christ, dans la très Sainte Eucharistie, nous sauve.

Cette présence continuelle de Jésus au milieu de son Eglise militante, jusqu’à la consommation des siècles, est notre salut. Elle perpétue tous les bienfaits de l’incarnation rédemptrice sur nos âmes, et ce dans la mesure où nous nous montrons empressés à les recueillir.

            Et c’est avant tout et principalement sur la présence réelle de Celui qui est « le pain de vie » que nous devons envisager les effets de l’Eucharistie, avec sa personnalité divine et sans cesse agissante de Rédempteur. Le Christ apporte aujourd’hui au communiant la vie de la grâce qu’Il a communiquée jadis au monde par sa venue visible, et Il réalise à tout moment en chaque homme qui se présente à la sainte table les effets que sa Passion a produits autrefois :

« qui manducat Me, vivet propter Me »[16].

      Le Verbe s’est fait homme à Noël pour pouvoir diviniser tous les hommes. Il se fait chair eucharistique aujourd’hui pour me rendre semblable à Lui.

      L’Eucharistie est ainsi l’application de l’incarnation rédemptrice à notre âme ; elle est la venue personnelle du Christ en notre vie.[17]

      C’est à nous, aujourd’hui, pourvu que nous ayons la foi, que le Christ, de l’hostie sainte, nous interpelle : « vous qui êtes fatigués et qui pliez sous le fardeau de la vie, venez tous à Moi ».[18] Et Notre-Seigneur ne repoussera personne : « si quelqu’un veut s’approcher de Moi, Je ne le chasserai pas au dehors »[19]. Le Christ de Tibériade se lèverait encore, si nous Le priions, pour apaiser la tempête de notre âme. Au contact du Christ de l’hostie, comme autrefois lorsque les foules de Palestine touchaient simplement la frange de ses vêtements, « une force toute-puissante et rédemptrice - la même – s’échapperait encore de Lui et viendrait nous guérir de nos langueurs et de nos infirmités »[20]. La même cause produirait le même effet. [21]

      Dans la Sainte Eucharistie, le Christ, source de vie, adresse, comme jadis à ses contemporains, à toutes les générations le même grand appel : « si quelqu’un a soif, qu’il vienne à Moi et qu’il boive. »[22] Une seule condition est requise : avoir soif de Lui.

      Les autres sacrements apportent à ceux qui les reçoivent une grâce déterminée ; la très Sainte Eucharistie est « est la source universelle des grâces de la rédemption »[23] jusqu’à la fin des siècles. C’est pourquoi saint Thomas l’appelle « le bien commun de l’Eglise »[24].

      Chacun, s’il le veut, y recueille avec surabondance toutes les grâces dont il a besoin, quelles que soient les circonstances de sa propre existence ; la sainte Eglise, elle, reste assurée d’y puiser une force victorieuse pour toutes les situations de sa vie militante, même aux jours de la lutte avec l’Antéchrist.

      L’effet principal de l’Eucharistie consiste à provoquer dans l’âme des actes fervents d’amour envers le Christ ; et comme la propriété de l’amour est de transformer celui qui aime en son bien-aimé, la Sainte Eucharistie, sacrement c’est-à-dire signe de notre amitié avec le Christ en même temps que mystère qui l’accomplit et la consomme, la Sainte Eucharistie nous transforme en Lui.

      Le Christ vient en chacun de nous avec son amour personnel, efficace, créateur et rédempteur. Il nous demande de pouvoir vivre en nous pour nous sauver de l’intérieur, parce qu’il nous aime.

      C’est pour que l’amitié qui nous lie à Lui soit possible – car le propre de deux amis est de vivre ensemble – qu’Il a institué la Sainte Eucharistie. Ami tout-puissant, Il suscite à chaque adoration, à chaque communion une réponse à son amour. L’Eucharistie est l’aliment de cette vie d’intimité. Elle élimine progressivement en nous les attaches au péché qui déplaît au divin Ami et nous identifie aux sentiments qui L’attachent à son Père. La communion est le moment suprême de notre configuration au Christ. C’est dans la très Sainte Eucharistie que se consomme, ici-bas, notre union à Dieu


 


[1] Apocalypse, XXII, 13.

[2] I Timothée, II, 5.

[3] Session 13, surtout Denzinger-Schönmetzer n°1640.

[4] Romains, VI, 9.

[5] « Sur la Croix seule la divinité était cachée ; ici (en ce sacrement de l’Eucharistie), il en est de même de son humanité. » Adoro Te de saint Thomas d’Aquin.

[6] 9ème homélie sur la pénitence.

[7] R. P. Philipon, Les sacrements dans la vie chrétienne, ch. 3.

[8] Colossiens, I, 15-16.

[9] Apocalypse, XXII, 13.

[10] Colossiens, I, 17-20.

[11] Apocalypse, XXII, 13.

[12] Jean, I, 26.

[13] Jean, I, 11.

[14] Jean, XIV, 11.

[15] Jean, X, 30.

[16] Jean, VI, 58. Cf. Somme théologique, IIIa, q. 79, a. 1.

[17] Léon XIII, encyclique Mirae caritatis sur l’Eucharistie (28 mai 1902).

[18] Matthieu, XI, 28.

[19] Jean, VI, 37.

[20] Luc, VIII, 46.

[21] Cf. Catéchisme du Concile de Trente, 2ème partie, ch. 20 § 1. Revue Itinéraires n° 136, page 234.

[22] Jean, VII, 37.

[23] Catéchisme du Concile de Trente, 2ème partie, ch. 20 § 1. Revue Itinéraires n° 136, page 230.

[24] Somme théologique, IIIa, q. 65, a. 3 ad 1um.