ICRSP

Demander la célébration de Saintes Messes Faire un don
pour nous soutenir

Sermon prononcé par Mgr Gilles Wach,
Prieur Général de l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre,
 lors des Vœux des sœurs Adoratrices du Cœur Royal de Jésus-Christ Souverain Prêtre,
en la fête de saint Michel Archange le 29 septembre 2010 ;
Eglise de San Michele e Gaetano de Florence.

 

Gratia Dei sum id quod sum.
C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que suis. 
Ainsi s’exprime saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens.

 

Monsieur le Supérieur,

Messieurs les chanoines,

Ma Révérende Mère,

Messieurs les abbés,

Mes sœurs,

Mes bien chers frères,

 

La Providence divine est bonne de permettre que les vœux que vous allez prononcer, très chères sœurs, aient pour merveilleux cadre cette église des saints Michel et Gaëtan, en ce jour même de la solennité du Prince de la Milice céleste.

Notre grand saint Patron, François de Sales, exhortait déjà ses religieuses et ses fidèles lors de la fête de l’Archange saint Michel à nourrir une grande dévotion au glorieux archange.

« Notre Seigneur veut et désire que nous honorions les Anges, particulièrement le glorieux saint Michel dont nous célébrons aujourd'hui la fête; car il a donné ce Prince de la milice céleste pour spécial protecteur à son Église. Nous avons tous le grand devoir de chérir, servir et honorer ces Esprits angéliques, et vu qu'ils sont si désireux de notre bien et ne dédaignent pas de nous assister, puisqu'il n'y a créature, pour petite, vile et abjecte, fidèle ou infidèle, qu’elle soit qui n'ait son Ange pour la garder et la solliciter continuellement au bien. Ils présentent nos oraisons à la divine Bonté pour les faire exaucer(Tob., XII, 12; Apoc., VIII, 3, 4.) »

Quels sont donc, mes biens chers frères et mes très chères sœurs, nos supplications en ce jour solennel, que saint Michel ne manquera pas de présenter devant le trône de Dieu ?

Eh bien c’est d’être fidèle à la grâce que Dieu vous a faite, très chères sœurs, d’être appelées à Le servir plus intimement chez les Adoratrices du Cœur Royal de Jésus-Christ Souverain Prêtre.

Saint François de Sales nous enseigne par ses merveilleuses maximes. Écoutons celle-ci : « Soyez bien ce que vous êtes ! » Soyez donc bien des adoratrices du Cœur Royal de Jésus-Christ Souverain Prêtre. C’est sa divine volonté, c’est la grâce qu’il vous a faite. Oui la grande grâce !

Mais voyez-vous la grâce reste mystérieuse, comme Dieu Lui-même. Notre deuxième saint Patron, saint Thomas d’Aquin, nous apprend que la grâce est une participation à la nature divine, et là où est la grâce, Dieu se trouve tout entier.

Sachez, frères très chers, que tous les hommes reçoivent la grâce de Dieu, que tous sont appelés à Le connaître, à L’aimer et à Le servir.

Ce qui nous impressionne, chrétiens (avouons-le), c’est la gratuité de la grâce. Nous n’y avons aucun droit. Mais Dieu est amour (Deus Caritas est, comme nous l’a si bien exposé notre pape Benoît XVI dans sa première encyclique). Et Dieu ne se meut que par l’amour.

La grâce est donc le fruit de l’amour divin.

La grâce est gratuite : Dieu seul peut la donner. Et toute l’histoire de l’humanité rachetée est une manifestation de la surabondance de la grâce de Dieu pour réparer les ravages du péché dans la création. De grandes grâces nous sont conférées au baptême puis a la confirmation et à chaque fois que nous recevons dans de bonnes dispositions la sainte communion ou le pardon de nos péchés.

Une des variétés les plus admirables de la grâce, c’est la grâce de la vocation, la vocation religieuse, la consécration, l’adaptation de toute notre vie au service de Dieu. Plus la grâce est élevée, plus elle est gratuite, moins la créature ne saurait y prétendre. En sorte que si vous trouvez déjà la gratuité dans la grâce sanctifiante, vous la trouverez bien plus dans la vocation.

Notez encore ceci : cet Époux céleste, qui veut vous placer si près de Lui, ce n’est pas vous qui l’avez choisi. Les forces de l’homme ne suffisent pas pour faire embrasser un état de vie si contraire aux penchants de la nature, un état de vie si différent de celui des simples fidèles, un état de vie si élevé. Il y faut une grâce spéciale et un choix tout particulier de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Non vosme elegistis, sed ego elegi vos. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis. » (Jo., xv, 16)

Votre vocation vient de l’amour très particulier de Dieu. Et oui mes chères sœurs, rappelez-vous : Dieu ne peut être déterminé que par l’amour.

Là où Dieu répand des libéralités plus hautes, plus abondantes, plus choisies, évidemment il y a plus d’amour.

Chères sœurs, vous avez la vocation parce que Dieu vous a aimées ; vous avez une vocation très distinguée parce que Dieu vous a aimées davantage.

Pour vous la donner, il faut que Dieu de toute éternité vous ait aimé d’un amour que Lui seul peut dire. Pourquoi m’a-t-il tant aimé ? Pourquoi moi au lieu d’une autre ? Il a ses raisons, mais Lui seul les connaît. Il y a dans le monde des personnes bien plus élevées en qualités naturelles et surnaturelles, alors pourquoi ?

La raison qu’Il nous révèle, c’est son amour.

Quant à vous très chères sœurs, vous avez donc été séduites et conquises par l’amour de Dieu. Et comment allez-vous donc répondre à cette si grande charité divine ? Eh bien en rendant amour pour amour.

Notre maître saint François de Sales de nous rappeler dans l’Introduction à la Vie dévote que pour acquérir l’amour divin, il nous faut vivre pleinement de la charité divine. Oui dit-il, c’est « la seule charité [qui] nous met en perfection ; mais l’obéissance, la chasteté et la pauvreté sont les trois grands moyens pour l’acquérir. L’obéissance consacre notre cœur, la chasteté notre corps, et la pauvreté nos moyens à l’amour et service de Dieu : ce sont les trois branches de la croix spirituelle, toutes trois néanmoins fondées sur la quatrième, qui est l’humilité ».

C’est en effet un des plus nécessaires moyens pour arriver aux cimes de la charité : « Jamais l’on ne parviendra à la hauteur de la perfection de l’amour de Dieu, affirme encore notre saint, qu’on ne soit profondément abaissé par l’humilité ».

Oh que oui, très chères sœurs, mes bien chers frères, l’humilité est le courage de la vérité appliqué à soi-même dans toute sa rigueur et ses conséquences. Quelle est en effet la vérité par rapport à l’homme ? C’est que de nous-mêmes nous ne sommes rien, puisque tout notre être et toutes nos facultés viennent de Dieu, qui peut d’ailleurs nous les retirer quand bon lui semble.

« La sainte humilité, nous dit saint François de Sales, n’est autre chose qu’une volontaire profession et reconnaissance de notre vileté et abjection qui est en nous-mêmes sans que nous y pensions. Je ne dis pas une connaissance mais une reconnaissance et profession cordiale et volontaire, parce que plusieurs connaissent qu’ils ne sont rien mais ne le veulent pas reconnaître, ni avouer, ni professer. L’humilité fait une juste estime de ce qui est de nous, en nous, comme la magnanimité de ce qui est de Dieu en nous. »

L’enseignement de notre cher saint patron est très clair sur la perfection chrétienne, au sujet de la charité qu’il nous faut acquérir, à laquelle tous, chrétiens, religieuses et prêtres, sommes appelés.

L’humilité est tellement liée à la charité que le degré de celle-ci correspond au degré de celle-là, car « la charité, dit le saint docteur, est une humilité montante, et l’humilité une charité descendante ».

Restons si vous le voulez bien avec notre cher François de Sales et écoutons ce qu’il vous dirait, à vous gens du monde, avec son humour si délicat et si précis : « Qu’appelez-vous grand esprit… et petit esprit ? Il n’y a point de grand esprit que celui de Dieu, qui est si bon qu’il habite volontiers dans les petits esprits ; il aime les esprits des petits enfants, et en dispose en son gré, mieux que des vieux esprits. »

Et à nous, hommes d’Église ou religieuses consacrées, que dirait-il ? Relisons pour cela quelques lignes de son testament. « Je vous donne donc et vous lègue l’humilité, la pierre de touche de la vraie dévotion, qui discerne l’hypocrisie d’avec la piété, la mère des vertus, celle qui toujours travaille à la réformation de sa vie, au règlement de ses actions et qui a toujours pour compagne la charité. Oh ! qu’il est aisé, ô âmes dévotes, d’avoir les autres vertus ! Qu’il est facile de croire, d’espérer et d’être charitable ! Mais quand il faut épouser l’humilité chrétienne, pardonner à ses ennemis, se rabaisser en dérogeant à l’honneur de sa condition, mortifier son esprit, oh ! que la nature pâtit, qu’elle souffre d’efforts ! Que ses mouvements naturels reçoivent de contraintes ! Quelle violence il fait à soi-même, quand il faut que sa grandeur se raccourcisse, que sa raison succombe sous la rigueur de sa justice !... Elle n’appartient qu’à celles qui, confites en l’amour de Dieu, détruites par la mortification, ont oublié le monde, ne sont point idolâtres de leur être, mais au contraire le foulent aux pieds par austérité. »

Eh oui, nous devons tous comprendre que « pour recevoir la grâce de Dieu en nos cœurs, il les faut avoir vides de notre propre gloire. »

 

Gratia Dei sum id quod sum. C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que suis.

Vous serez donc, mes sœurs, des professes. Vous allez prononcer vos vœux, et par là mourir au monde.

Votre vie doit être une mort continuelle, et plus on meurt à soi-même, plus on commence à vivre pour Dieu. Il faut que notre vie propre, trop souvent égoïste, renfermée sur elle-même, diminue pour laisser la place à la vie du Christ qui doit grandir en nous. Saint Jean-Baptiste disait en parlant du Christ : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ». Il le faut mes sœurs, jusqu’à ce que vous puissiez dire comme saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ Jésus qui vit en moi ».

Ce sont là le contraire des maximes du monde, du style « je veux vivre ma vie, j’ai le droit de vivre ma vie comme je l’entends ». Cet attachement à leur vie propre, à leur volonté propre, est le chemin du tourment et de la perte. Que de tourmentés, de psycho-dépendants de tout poil, de blessés et de perdus dans notre pauvre monde ! L’oubli total de soi est le secret du bonheur et de la paix, en même temps que de la sainteté et du salut. Jamais une âme ne sera heureuse et dans la paix tant qu’elle sera attachée à elle-même et trouvera dans cet attachement une source continuelle de soucis, d’inquiétudes, de troubles.

Le bonheur et la paix ne peuvent commencer qu’à partir du moment où l’âme s’est décidée à s’oublier complètement elle-même pour se donner entièrement à Dieu ou au prochain, à ne plus jamais penser à elle pour ne penser qu’à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Écoutons sainte Thérèse de l’Enfant Jésus nous confier : « La charité entra dans mon cœur avec le besoin de m’oublier toujours, et depuis lors je fus heureuse ».

Mes bien chères sœurs, je vais recevoir vos vœux. Chers fidèles, vous allez prier avec ferveur pour celles qui veulent croître dans l’amour de Dieu, pour qu’elles soient fidèles et persévérantes !

Si l’humilité, comme nous l’avons dit, est le fondement nécessaire de votre perfection chrétienne, que vous voulez acquérir dans la vie religieuse par les vœux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté que vous allez prononcer devant tous, laissez-moi vous livrer un secret qui vous aidera, et à vous aussi, chers fidèles. Il peut être utile pour ne point désespérer de voir votre avancement spirituel si lent : le secret, c’est la vertu de patience. « Il faut souffrir avec patience le retardement de notre perfection », confiait saint François de Sales dans ses Entretiens.

Notre-Seigneur lui-même nous recommande : « Possédez vos âmes par votre patience ».

« La patience est toujours maîtresse, elle triomphe toujours, elle n’est jamais vaincue car elle ne se laisse pas posséder par la colère », écrit justement sainte Catherine de Sienne.

La patience a, dans la vie religieuse et dans la vie chrétienne tout court, une place essentielle, qui a été merveilleusement marquée par saint Cyprien dans son admirable opuscule sur la patience, d’où je tire ma conclusion :

« C’est la patience qui calme la colère, enchaîne la langue, gouverne l’esprit, garde la paix, règle la discipline, brise l’impétuosité des passions, comprime les emportements de l’orgueil, éteint l’incendie de la haine, contient la tyrannie des grands, ranime l’indigence du pauvre, protège la bienheureuse pureté de la vierge, la laborieuse chasteté de la veuve, la tendresse sans partage des époux. Elle inspire l’humilité dans le bonheur, le courage dans l’adversité, la douceur au milieu des injustices et des affronts. Elle nous apprend à pardonner sans délais à ceux qui ont mal fait ; si nous avons commis une faute, à en inspirer longtemps et instamment le pardon. Les tentations, elle en triomphe ; les persécutions, elle les endure ; les souffrances et le martyre, elle les couronne. »

Que saint Michel nous protège tous !

 

Ainsi-soit-il.