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Sermon de M. le chanoine Lefèvre,
Vice-Recteur du Séminaire,
pour la fête de l’Annonciation

Gricigliano, le 25 mars 2011

 

M. le Supérieur

Chers chanoines

Ma Révérende Mère

Bien chers séminaristes

Mes bien chères sœurs,

 

Ce récit que nous venons d’entendre, nous le connaissons bien. Pourtant, nous n’aurons jamais fini d’en épuiser toutes les richesses. Pendant toute notre vie, à chaque fois qu’il revient sous nos yeux, si nous savons bien prier la Vierge et le Saint-Esprit, ce texte peut encore et toujours nous dévoiler des merveilles ignorées de nous. Sa richesse est abyssale, derrière chaque mot, c’est l’amour infini de Dieu qui se dévoile à nous peu à peu.

 

Demandons à la Vierge Immaculée de nous obtenir des grâces d’intelligence pour mieux contempler et savourer ces merveilles spirituelles.

 

Premier point de méditation :

«  Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth. »

Ici, c’est saint Bernard que je voudrais citer pour commencer. Il écrit : « Je ne pense pas qu’il soit ici question d’un de ces anges de moindre dignité qui viennent souvent sur la terre y remplir des missions ordinaires. En effet, ce n’est pas ce que signifie son nom ».[1]

D’ailleurs, il ne vient pas, comme c’est l’habitude, sur l’ordre d’un esprit plus grand que lui, mais il est envoyé de Dieu même, directement. L’archange Gabriel ne reçoit pas sa mission d’un ange supérieur, il la reçoit directement de Dieu.

Saint Bernard ajoute : « Nous ne devons pas croire qu’avant de communiquer son dessein à la Vierge, Dieu en fit part à d’autres esprits bienheureux. » L’archange Gabriel fut donc seul trouvé digne parmi tous les anges de cette mission qu’il a reçue.

 

D’ailleurs le nom qu’il a reçu n’est pas sans rapport avec le message dont il est chargé. En effet, à quel ange convenait-il mieux d’annoncer la venue du Christ qui est la « Vertu de Dieu »[2], qu’à celui qui a l’honneur de s’appeler la force de Dieu Virtus en latin peut désigner aussi bien la force que la vertu.

 

En poursuivant la pensée de saint Bernard, je pense qu’il fallait un ange qui fut la force de Dieu pour que la Vierge puisse mieux devenir la Femme forte fidèle jusqu’au pied de la croix.

Après avoir dit son fiat, Notre-Dame devenait la Mère d’un messie souffrant.

Elle devait être fortifiée par l’ange pour pouvoir dire chaque jour son fiatcourageux.

 

2ème point de méditation :

Aimons à considérer comment parmi tous les anges, la Sainte Trinité n’en choisit qu’un seul pour cette mission solennelle. Après l’appel de son nom, il est beau de voir en esprit le vol gracieux de cet ange de lumière. Il parcourt les espaces célestes, sa vitesse est prodigieuse. Il vient devant le trône de Dieu. Il se prosterne. Il fait, avec ses grandes ailes, des mouvements très gracieux et magnifiques. Comme les Séraphins décrits par le prophète Isaïe au chap. VIème :

Devant la majesté divine,  ils se couvrent la face avec leurs ailes et il s’écrient : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur, Dieu des armées! toute la terre est pleine de votre gloire. »[3]

 

Très humblement, il attend l’ordre divin pour se faire une joie de l’exécuter promptement. Les autres anges assistent à cette scène inattendue. Ils se sont rassemblés autour du trône de Dieu pour mieux voir. Ils comprennent l’importance de l’événement, assurément. Avec une crainte révérentielle extrême ; ils attendent eux aussi ce que Dieu va demander à cet illustre Archange…

Entendent-ils l’ordre donné ? (Je vous laisse discuter ce point mes amis….)

 

3ème point de méditation :

Aussitôt l’ordre donné, l’ange Gabriel reprend son envol majestueux. A partir du 7ème ciel, il parcourt de nouveau tous les autres ciels. Il parcourt les terres, les mers, les montagnes, les déserts… Après un long voyage, rapide comme l’éclair, l’archange arrive en terre d’Orient. Il survole la Palestine, et descend tout droit sur une petite bourgade. Nazareth : c’est le nom de ce petit village.

Dans Nazareth, l’archange s’approche d’une petite maison très humble, celle d’un charpentier. Devant la maison, l’ange s’arrête un instant, il reprend son souffle. (Il a fait un long vol !)

Il arrange ses ailes. (Il répète une dernière fois son texte !). Puis doucement, il approche de la porte et entre dans la chambre. Que voit-il ?

 

4ème point de méditation :

Ô merveille !

L’ange voit alors une vierge totalement merveilleuse de beauté et de pureté. Saint Alphonse de Ligori cite les dires d’une sainte religieuse, sainte Elisabeth, affirmant que lorsque l’ange entra dans la demeure, la Vierge priait et soupirait après la venue du Rédempteur. Elle suppliait Dieu d’envoyer le Messie Sauveur. La sainte Vierge méditait et priait avec une sainte ardeur dans un recueillement et un silence absolu. Il faut contempler cette prière de Marie dans sa chambre :

Silence absolue, aucun mouvement, aucune distraction, un entretien fervent et très amoureux avec Dieu. La sainte Vierge est ici notre modèle de prière.

En ce jour, le Bon Dieu vient récompenser cette ferveur dans ses oraisons.

 

5ème point de méditation :

L’archange Gabriel prononce son message de la part de Dieu : « Salut, pleine de grâce ! Le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. »

 

En prononçant ses paroles, il fait une magnifique révérence devant la Vierge la reconnaissant comme sa Reine, Regina angelorum. Ce tableau est saisissant de beauté. Un ange merveilleusement beau devant la plus belle des créatures. Jamais la terre n’aura vu en ce jour tant de merveilles : un représentant de la Cour céleste ; un ambassadeur parmi les plus éminents de la Cour du Ciel, vient se prosterner humblement devant une petite vierge de 16 ans.

 

Dans sa Somme théologique (3a pars), le docteur angélique demande : « Qui devait lui faire cette annonce ? » [4] (3a, q. 30, article 2) Il convenait que le mystère de l'Incarnation divine fût annoncé à la Mère de Dieu par un ange, et cela pour trois raisons.

1) Afin d'observer en cela aussi l'ordonnance divine selon laquelle les mystères divins parviennent aux hommes par l'intermédiaire des anges.

 

2) Cela convenait à la régénération du genre humain qui devait être accomplie par le Christ. Aussi Bède le vénérable dit-il : "Il convenait, pour commencer la restauration de l'humanité, que Dieu envoie un ange à la Vierge qui devait être consacrée par l'enfantement de Dieu. Car la première cause de la perdition de l'humanité fut l'envoi à la femme, par le diable, du serpent qui devait la tromper par un esprit d'orgueil."

 

3) Cela convenait à la virginité de la Mère de Dieu.

Aussi Saint Jérôme dit-il : "Il est bien qu'un ange soit envoyé à la Vierge, parce que la virginité a toujours été apparentée aux anges. Certes, vivre hors de la chair quand on est dans la chair, ce n'est pas une vie terrestre, mais céleste."

 

6ème point de méditation :

Après que l’ange eut prononcé son message divin, la Vierge Marie est aussitôt dans un grand trouble. Ses paroles élogieuses jettent un trouble profond dans le cœur d’une servante qui se sait pauvre et sans mérite, indépendamment de Dieu.

 

Ce trouble est encore une merveille. La Vierge est très belle en ce trouble. Ce trouble de Marie manifeste une humilité tout à fait exquise. Les louanges, Marie ne veut les entendre que pour Dieu, l’auteur premier de tous nos mérites. « Non nobis, Domine, non nobis, sed Nomini tuo da gloriam. » Ps 115, 1.

 

La Vierge est troublée quand la gloire et l’honneur sont donnés à un autre que Dieu. Notre-Dame en son humilité se voit comme un néant devant Dieu. Elle sait qu’elle n’est ce qu’elle est que par la bonté divine.

 

Il faut que l’ange intervienne pour chasser ce trouble profond. « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous concevrez, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. »

 

A l'annonce faite par l'Ange, Marie répond : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? »

 

Saint Augustin affirme ici [5] : « Marie n'aurait certainement pas fait cette réponse si elle n'avait pas antérieurement consacré à Dieu sa virginité. »

 

Saint Ambroise nous dit :  « Marie se rend aux paroles de l’ange, elle ne doute nullement de leur accomplissement, elle n’est inquiète que de la manière dont elles s’accompliront. Elle avait lu dans les prophètes : Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, elle croit donc à l’accomplissement de cette prophétie ; mais elle n’avait pas lu comment elle s’accomplirait, car Dieu ne l’avait pas révélé même au premier des prophètes ; ce n’était pas à un homme, mais à un ange, qu’il était réservé de faire connaître un si grand mystère. »

 

Saint Grégoire de Nysse souligne :[6] « Considérez encore les paroles de cette Vierge si pure. L’ange lui prédit qu’elle enfantera, elle s’attache à sa virginité, la conservation de sa chasteté est à ses yeux d’un plus grand prix que l’apparition miraculeuse de l’ange. »

 

 Saint Jean Chrysostome enfin remarque :[7] « Ne semble-t-il pas lui dire : Ne cherchez pas les lois de la nature, là où la nature est dépassée par la sublimité des choses que je vous annonce ? Vous dites: « Comment cela se fera-t-il, parce que je ne connais point d’homme ? » Et c’est justement parce que vous êtes demeurée vierge vis-à-vis de votre époux, que ce mystère doit s’accomplir en vous ; car si vous étiez une épouse ordinaire, Vous n’en auriez pas été jugée digne ; non pas, sans doute, que le mariage soit une chose profane aux yeux de Dieu, mais parce que la virginité lui est supérieure. Il convenait, en effet, que le Seigneur de tous les hommes eût avec nous, dans sa naissance, des rapports de conformité, comme aussi des traits de dissemblance. Il naît du sein d’une femme, et en cela il nous est semblable; mais il naît en dehors des lois des conceptions ordinaires, et par là il nous est supérieur. »

 

L'ange lui répondit : « L'Esprit-Saint viendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » « Et voici qu'Elisabeth, votre parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et ce mois-ci est le sixième pour elle que l'on appelait stérile, car rien ne sera impossible pour Dieu. » Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur : qu'il me soit fait selon votre parole ! » Et l'ange la quitta.

 

Ici, je vous cite saint François de Sales[8] :

« Ô que cette jeune fillette Notre-Dame aima souverainement le divin Epoux ! Aussi en fut‑elle souverainement aimée, car à même temps qu’elle se donna à lui et lui consacra son cœur, lorsqu’elle prononça ces paroles :Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait comme vous dîtes, voilà que soudain il descendit dans ses chastes entrailles et se rendit fils de celle qui se nommait sa servante.

Or, je sais bien que nul ne peut jamais parvenir à un si haut degré de perfection que de dédier aussi absolument son amour à Dieu et à la suite de sa divine volonté comme fit Notre-Dame ; mais pourtant nous ne devons pas laisser de le désirer, et commencer le plus tôt et le plus parfaitement possible selon notre capacité, qui est incomparablement moindre que celle de cette sainte Vierge. Elle est cette unique fillette qui a plus excellemment aimé le divin Epoux que jamais nulle créature n’a fait ni fera ; car elle commença à l’aimer dès l’instant de sa conception glorieuse aux entrailles de la bonne sainte Anne, se donnant à Dieu et lui dédiant son amour dès qu’elle commença d’être. 

 

Voyez, de grâce, comme cette divine Amante exprime délicatement ses amours : « Qu’il me donne un baiser. » (Cantique des cantiques), c’est-à-dire : Que ce Verbe qui est la Parole du Père, sortant de sa bouche, vienne s’unir à moi par l’entremise du Saint-Esprit, qui est le soupir éternel de l’amour du Père envers son Fils et du Fils réciproquement envers son Père. Mais quand ce divin baiser fut donné à cette Epouse incomparable ? Au même instant qu’elle répondit à l’Ange cette parole tant désirée : Qu’il me soit fait comme vous dîtes. Ô consentement digne de grande réjouissance pour les hommes, d’autant que c’est le commencement de leur bonheur éternel. »

En demandant un baiser, Notre-Dame demande l’amour de son Dieu. Alors Dieu vient en son sein avec tout son Amour et lui dit à chaque instant des paroles amoureuses. Dans l’entretien sur la générosité, notre saint docteur se sert de cette réponse de Notre Dame pour nous exhorter à la générosité.

 

« Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole » (Luc., I, 38) ;  en ce qu’elle dit qu’elle est servante du Seigneur, elle fait un acte d’humilité le plus grand qu’il se pût jamais faire, d’autant qu’elle oppose aux louanges que l’Ange lui donne, qu’elle sera Mère de Dieu, que l’enfant qui sortira de ses entrailles sera appelé le Fils du Très-Haut (Luc., I, 32), dignité plus grande que l’on eût pu jamais imaginer, elle oppose, dis-je, à toutes ces louanges et grandeurs, sa bassesse et son indignité, disant qu’elle est servante du Seigneur.

Mais prenez garde que dès qu’elle a rendu le devoir à l’humilité, tout incontinent elle fait une pratique de générosité très excellente, disant : « qu’il me soit fait selon votre parole ».

Il est vrai, voulait-elle dire, que je ne suis nullement capable de cette grâce, eu égard à ce que je suis de moi-même, mais en tant que ce qui est de bon en moi est de Dieu et que ce que vous me dites est sa très sainte volonté, je crois qu’il se peut et qu’il se fera; et partant, sans aucun doute, elle dit : « Qu’il me soit fait selon votre parole ».

 

         Après l’acte de confiance, nous devons immédiatement faire l’acte de générosité. (..) La générosité fait que l’âme dit hardiment et sans rien craindre : « Non, je ne serai plus infidèle à Dieu ; parce qu’elle ne sent en son cœur nulle volonté de l’être, partant elle entreprend sans rien craindre tout ce qu’elle sait qui la peut rendre plus agréable à Dieu, sans exception d’aucune chose ; entreprenant tout, elle croit de pouvoir tout, non d’elle-même, mais en Dieu auquel elle jette toute sa confiance, et pour lequel elle fait et entreprend tout ce qu’on lui commande ou conseille. »

 

Prions aujourd’hui Notre Mère d’affermir en nous toutes les vertus, la vertu de pureté, la vertu de Foi, d’Espérance et de charité ; la vertu de générosité pour accepter de servir Dieu avec détermination et persévérance, pour la gloire de Dieu et de son Epouse l’Eglise, pour le salut des âmes.

 

Ainsi soit-il.


[1] 1ère Homélie de saint Bernard sur ces paroles de l’Evangile : Missus est Angelus Gabriel.

[2] I Corinthiens I, 24 : « ipsis autem vocatis Iudaeis atque Graecis Christum Dei virtutem et Dei sapientiam »

I Corinthiens I, 23-24 : « nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, vertu de Dieu et sagesse de Dieu. »

[3] « Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus exercituum plena est omnis terra gloria eius. »

[4] Respondeo dicendum quod conveniens fuit matri Dei annuntiari per Angelum divinae incarnationis mysterium, propter tria. Primo quidem, ut in hoc etiam servaretur divina ordinatio, secundum quam mediantibus Angelis divina ad homines perveniunt. Unde dicit Dionysius, IV cap. Cael. Hier., quod divinum Iesu benignitatis mysterium Angeli primum edocti sunt, postea per ipsos ad nos cognitionis gratia transivit. Sic igitur divinissimus Gabriel Zachariam quidem docebat prophetam esse futurum ex ipso, Mariam autem, quomodo in ipsa fieret thearchicum ineffabilis Dei formationis mysterium. Secundo, hoc fuit conveniens reparationi humanae, quae futura erat per Christum. Unde Beda dicit, in homilia, aptum humanae restaurationis principium ut Angelus a Deo mitteretur ad virginem partu consecrandam divino, quia prima perditionis humanae fuit causa cum serpens a Diabolo mittebatur ad mulierem spiritu superbiae decipiendam. Tertio, quia hoc congruebat virginitati matris Dei. Unde Hieronymus dicit in sermone assumptionis, bene Angelus ad virginem mittitur, quia semper est Angelis cognata virginitas. Profecto in carne praeter carnem vivere non terrena vita est, sed caelestis.

[5] In libro De sancta virginitate.

[6] Disc. sur la Nativ. du Seigneur

[7] hom. 49 sur la Genèse.

[8] Sermon pour la fête de l'Annonciation, 25 mars 1621, Tome X, page 41