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Sermon pour le 17e dimanche après la Pentecôte.
Rentrée du Séminaire, le 19 septembre 2010.

 

Mgr,

M. le Vice-Recteur,

M. le chanoine,

Révérende Mère,

Chers séminaristes,

T. C. Sœurs,

M. B. C. frères,

 

"Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est là le premier et le plus grand commandement." (Math., XXII-38.)

 

         Telle fut la réponse de Notre-Seigneur à la question du pharisien lui demandant pour le tenter : « Maître quel est le plus grand commandement de la Loi ? » Les pharisiens avaient certes lu les recommandations du Deutéronome sur l’amour de Dieu et sur l’amour du prochain ; mais ils les regardaient plutôt comme des principes abstraits que comme des commandements impératifs. Ce qui les intéressait surtout c’était de savoir quelle était, des six cent treize prescriptions de la loi, la plus importante et la plus fondamentale.

 

         La réponse de Notre-Seigneur était d’une autre sphère et son intelligence humaine, éclairée aux clartés de sa nature divine, avait d’autres horizons que ceux de formalismes étroits et périmés. Il avait déjà, en plusieurs circonstances, opposé les splendides profondeurs de la Nouvelle Alliance aux étroitesses mesquines du pharisaïsme ; mais ici, il quitte même le domaine des lois nouvelles pour proclamer celle qui les explique, les coordonne, les domine toutes, et parfois les remplace parce qu’elle est l’âme de toutes les autres.

 

         « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » Telle fut la réponse, qui laisse loin derrière elle, dans les bas-fonds nébuleux de l’humanité, toutes les réponses qui nient l’existence de la Divinité ou qui ont fait de Dieu une abstraction morte, une équation algébrique, un tyran aussi et même un gendarme. Les plus nobles esprits ont répété : « Tu craindras Dieu », mais qui donc aurait osé dire : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu.

 

Il faudrait avoir le cœur de notre saint patron saint François de Sales pour parler de ce haut sujet. Efforçons-nous du moins, d’explorer les premiers contreforts de cette montagne sainte sur laquelle la Très Sainte Vierge a établi sa demeure, et demandons-lui la grâce de comprendre quelque chose à ces merveilles divines.

 

Les mots les plus simples seront les meilleurs pour exprimer ces réalités. Rien n’égalera les mots du Deutéronome que Notre-Seigneur répète et commente : « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est Seigneur unique. Tu aimeras donc le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée, et de toute ta force. Tel est le grand et premier commandement. »

 

Essayant de pénétrer toute la portée de ces mots, il semble que nous aurons bien compris pratiquement ce qu’est l’amour de Dieu, si nous disons simplement qu’il doit envahir toutes nos pensées et toutes nos énergies.

 

A Dieu tout notre cœur, c’est-à-dire la tendresse profonde, la direction secrète qui nous fait orienter notre vie vers un bien que nous considérons comme notre dernière fin. Ce qui ne veut pas dire, comme beaucoup de chrétiens se l’imaginent, que pour aimer Dieu il faut sentir qu’on l’aime. Le mot tendresse prend ici un sens à la fois plus profond et plus vraiment humain : la tendresse c’est le frémissement de l’âme qui donne et non de l’âme qui reçoit : c’est la joie de donner. C’est plus encore, l’orientation voulue vers le bien ; c’est dans l’ordre moral, la pensée au service de l’action. Toutes nos pensées ne devraient-elles pas converger à mieux comprendre l’amour de Dieu pour nous, afin d’orienter vers lui notre réponse d’amour ?

 

Tout est œuvre d’amour : depuis la création la plus humble en apparence, jusqu’à la contemplation la plus élevée réservée à Notre-Dame.

 

Dieu aime : c’est là son action, son plaisir, son aliment divin et son repos ineffablement doux. Il aime, Il veut aimer. Il faut qu’il aime encore. Dieu est amour ! Il donne l’amour sans compter ; Il le verse avec une splendide abondance sur la création tout entière ; rien n’échappe à ce divin déluge qui veut tout engloutir.

 

Mais de quel déluge va-t-il submerger les âmes créées, rachetées, justifiées, faites pour la glorification ; déluge, oui ; vraiment déluge d’amour : « Les grandes eaux n’ont pu éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergerons pas » ; ni les eaux de l’iniquité, ni les fleuves de boue qui inondent le monde. Rien ne peut contre l’amour divin qui poursuit une âme. Il l’attend, il la guette, il patiente, il sollicite, il pardonne, il enrichit, puis il pardonne encore lorsque l’âme toujours distraite ou méprisante est au seuil de l’éternité, il surgit dans une dernière pensée qui peut devenir la suprême caresse de la miséricorde.

Devant une telle prodigalité d’effective tendresse, qui multiplie les actes beaucoup plus que les affirmations, serait-il logique que nos esprit fussent distraits et nos cœurs insensibles ?

 

Puisque Dieu en effet nous a tant aimés, nous devons l’aimer à notre tour, et puisqu’Il nous aime pratiquement, nous devons L’aimer pratiquement et ne pas nous contenter d’aspirations vagues et stériles. Ce sont toutes nos forces qui doivent servir par amour, toutes nos énergies naturelles et surnaturelles, toutes nos actions, expressions de nos pensées.

 

Et parce que l’amour est exigeant, nous ne devrions pas nous arrêter, du berceau à la tombe, en cette réponse concrète d’un amour qui devrait toujours plaire davantage et grandir à mesure qu’il se sent plus aimé. Cependant nous sommes des pauvres ; et si nous parlons de nos énergies c’est pour dire qu’elles doivent s’abandonner à la grâce, et que cet abandon lui-même est aidé par la grâce.

 

C’est Dieu qui commence. Il a prévenu l’âme par le saint Baptême, et lorsque la raison a secoué ses torpeurs, il se propose déjà à cet esprit tout neuf qui sent naître en lui les bons désirs. L’enfant s’est fié à Dieu par la foi infuse qui manifeste ses premiers actes. Et voilà que Dieu à son tour, comme s’exprime saint Augustin, va se fier à l’enfant et se livrer à lui par une visite intime, au jour béni de la première communion.

 

A cette grâce, l’enfant aidé d’une autre grâce, va répondre par l’effort du progrès. Dans sa pureté désintéressée l’enfant sait bien qu’il doit et qu’il peut aimer Dieu, ce Dieu incarné, petit comme lui. Ce Jésus fait partie de la famille, et chaque soir préside (ou hélas, devrait présider) invisible et présent, à la prière du foyer.

 

A ce désir qui devient un commencement de réalisation, Dieu va donner la grâce de la persévérance.

Et la lutte d’amour continue dans les âmes fidèles : entre chaque âme et son Dieu. L’homme, malgré ses misères et même parfois ses défaillances vite réparées, se sent presque affermi dans l’état de grâce. « Fuir le péché dit saint Thomas d’Aquin, c’est le premier degré de la charité. » Ce n’est que le premier pas en ce voyage que l’amour soutient, inspire, oriente et entraîne. Si Dieu voit l’âme toujours fidèle malgré les fatigues et les surprises de la route, il la fera monter de degré en degré. Et parce que Dieu est jaloux de voir encore et toujours monter cette âme fidèle, il l’entraînera par des grâces successives vers les sommets de l’abnégation, de l’héroïsme et de l’immolation.

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » : les saints, attentifs à la grâce qui les sollicite à toujours plus de générosité, toutes leurs énergies tendues vers l’amour, sont enfin morts d’amour.

 

« Je n’ai jamais donné au bon Dieu que de l’amour, disait sainte Thérèse de Lisieux, Il me rendra de l’amour. » heureux échange, sublime confiance, merveilleuse attente d’une âme généreuse, exemple réconfortant pour nos faiblesses qui doivent savoir que si nous donnons une once d’amour nous recueillerons au ciel « une mesure pleine, entassée, surabondante, débordante. »

 

Et vous chers séminaristes, combien cette perspective doit vous entraînés, vous pousser, vous enthousiasmer même !

En effet, en ce début d’année du Séminaire, la divine liturgie, providentiellement nous ramène à l’essentiel : "Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est là le premier et le plus grand commandement."

C’est ce que vous devrez enseigner un jour aux fidèles, chers séminaristes, si le Bon Dieu vous en fait la grâce ; mais d’abord, c’est ce que vous devez vous efforcer de vivre tous les jours au séminaire.

Avec la grâce de Dieu, vous serez prêtres un jour, vous deviendrez d'autres Christ Alter Christus, vous aurez ontologiquement le caractère sacerdotal.

 

N'est-il donc pas de la plus grande importance que vous appreniez, tout au long de ces sept années de séminaire, à vivre continuellement unis à Celui qui agira par vous à l'Autel lors de la célébration du Saint Sacrifice de la Messe ? Qui pardonnera les péchés par votre bouche ? Qui donnera la vie divine au baptême en effaçant le péché originel toujours par votre action ? Qui portera la Bonne Parole de l'Evangile toujours par vos lèvres ? En un mot vous serez, malgré les faiblesses de la nature blessée par le péché originel, d'autres Christ au service de la Sainte Eglise pour l'édification de son Corps Mystique.

 

         Tout chrétien est appelé à cette vie d'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais le prêtre, et le futur prêtre, à un degré suréminent et unique.

Connaître, aimer, agir, c'est toute la vie de l'âme, de l'être spirituel, de Dieu même. Dieu vit de se connaître, de s'aimer, d'être, de se sentir la perfection absolue, illimitée ! En nous créant intelligents et libres, en nous élevant à l'ordre surnaturel, il a voulu nous donner part à cette joie, à cette gloire, à cette vie. Pour nous, connaître Dieu, aimer Dieu, agir librement selon Dieu, c'est-à-dire nous conformer à Dieu, vivre de Dieu et en Dieu, selon notre pouvoir, voilà la vie chrétienne normale, glorieuse, bienheureuse dès ici-bas, l'unique chemin du ciel.

         Dans l'ordre actuel de la Providence, connaître, aimer, reproduire Dieu, c'est pratiquement connaître, aimer, suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ. Connaître la vérité, ce sera connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ et par Lui et en Lui connaître Dieu même.

         Aimer, imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ et du même coup la Perfection divine, ce sera faire la vérité dans l'amour, dans la charité : Veritatem facientes in caritate selon la belle devise de notre cher Institut. Avancer toujours dans la connaissance, l'amour et l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ ce sera précisément croître en tout, à propos de tout, malgré tout et au moyen de tout, en Celui qui est notre Chef, Notre-Seigneur Jésus-Christ.

         Cette connaissance devra être non superficielle, mais profonde, intime ; intime quant au divin objet lui-même; intime quant à moi-même. Nous devons pénétrer de Notre-Seigneur Jésus-Christ toutes nos puissances naturelles, intelligence, imagination, cœur ; le faire peu à peu descendre dans toutes les habitudes de nos souvenirs, de notre pensée ; l'y établir à demeure, l'y naturaliser, l'y faire habiter, selon la forte expression de Saint Paul :« Que le Christ habite par la foi dans vos cœurs » (Ephés., III, 17).

 

         Le séminaire est une école où l’on apprend, si nous savons être fidèles à la grâce de Dieu, à réaliser cette union avec Notre-Seigneur. En scrutant parfaitement sa doctrine, dans l’ensemble comme dans le détail ; en méditant son saint Evangile pour saisir, respirer tout son esprit, tout son caractère, toute son âme ; en revivant tous ses états, humbles, souffrants, glorieux ; en le voyant tel qu'Il est, au Tabernacle et au Ciel ; en ayant à l'esprit tous ses titres, tous ses rôles, toutes ses relations ; relations avec son Père, avec nous ; toutes ses influences bienfaisantes et vivifiantes de Sauveur, de Médiateur, d'Ami. Enfin, en approfondissant son action sur le monde, les âmes, l'histoire de l'Eglise, celle des Saints. Mais combien restera-t-elle incomplète et courte notre science de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Ne méritons-nous pas aussi ce reproche qu'il faisait à ses apôtres : « Il y a si longtemps que vous êtes avec moi et vous ne me connaissez pas encore ! » (Jean, XIV, 9.)

 

         Le séminaire est là pour parfaire cette connaissance trop superficielle du Divin Maître, par la prière et par l'étude méditée des grandes vérités philosophiques et théologiques. En effet, on ne l'étudie jamais si bien que par la prière et à genoux ; et ne faut-il pas qu'il s'empare de notre âme tout entière, lui qui doit animer et informer toute notre vie ?

 

         Ces trois mots : Connaître, aimer, suivre Notre-Seigneur, résument les fonctions et les devoirs du séminariste. Ces fonctions sont solidaires, l'une appelle l'autre, elles ont entre elles une si étroite liaison qu'elles réagissent l'une sur l'autre. La connaissance précède, engendre l'amour et la fidélité; inversement la fidélité avive l'amour et la connaissance.

 

         La spiritualité propre de l’Institut a pour fondement trois saints patrons : saint Benoît, saint Thomas d’Aquin et saint François de Sales. Le séminaire devra donc inculquer aux séminaristes l’amour des saints patrons de l’Institut notamment par une étude approfondie de leurs écrits. Ils devront apprendre à toujours mieux connaître et aimer cet esprit propre selon ce que dit saint François de Sales :

Avoir l’amour de la fin de notre Institut, savez vous ce que c’est ? C’est être exact à l’observance des moyens de parvenir à cette fin, qui sont nos Règles et Constitutions, et être pointilleux à faire tout ce qui en dépend et qui sert à les observer plus parfaitement : c’est avoir l’esprit de notre Institut. Mais remarquez qu’il faut que cette exacte et pointilleuse observance soit entreprise en simplicité de cœur, je veux dire qu’il ne faut pas vouloir aller au-delà, par des prétentions de faire plus qu’il ne nous est marqué dedans nos Règles ; car ce n’est pas par la multiplicité des choses que nous faisons que nous parvenons à la perfection, mais c’est par la perfection et pureté d’intention avec laquelle nous les faisons. Il faut donc regarder quelle est la fin de notre Institut et l’intention du fondateur, et nous arrêter aux moyens qui sont marqués pour y correspondre. »

 

Cette Règle, dont parle saint François de Sales, sera pour les séminaristes, d’abord le Règlement du Séminaire et le Directoire ; ils doivent les lire et relire souvent. Ce seront aussi les indications et directives des supérieurs, et finalement ce sera la vie de tous les jours et la conduite suave du Divin Maître qui se manifestera à travers ces moyens.

 

Par l’exemple et l’intercession de saint Benoît, les séminaristes s’unissent chaque jour davantage au pied de l’autel pour mieux vivre de l’essence du sacerdoce en suivant la doctrine du Pontifical romain : « Agnoscite quod agitis ; imitamini quod tractatis - Considérez l’action que vous faites, imitez le sacrifice que vous offrez. »

 

Sous la conduite de saint Thomas d’Aquin, les séminaristes affermisse leur Foi par une meilleure pénétration des mystères de Dieu, travaillant pour une meilleure unité de pensée et de contemplation.

 

Que Notre-Dame, l’Immaculée Conception, Patronne de notre cher Institut vous accompagne tout au long de ces années, qu’Elle vous guide et vous protège, notre Saint-Père le pape Benoît XVI, glorieusement régnant nous le rappelle : « Durant le temps du séminaire, dans la conscience du jeune séminariste, se produit une maturation particulièrement significative : il ne voit plus l’Eglise « de l’extérieur », comme sa « maison », parce que c’est la maison du Christ, où habite « Marie sa mère ». Et c’est justement la Mère qui lui montre Jésus, son Fils, qui lui présente dan ses bras. Marie lui enseigne à le contempler avec les yeux du cœur et à vivre de lui. A tout moment de la vie du séminaire, on peut faire l’expérience de cette présence aimante de la Vierge, qui introduit chacun à la rencontre du Christ, dans le silence de la méditation, dans la prière et dans la vie fraternelle. »

                                                                  Ainsi soit-il.