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Sermon de Mgr Wach pour la fête du Christ-Roi, le 28 octobre

 

La royauté du Christ

 

Monsieur le Supérieur,

Messieurs les chanoines,

Ma très Révérende Mère,

Messieurs les abbés,

Mes bien chères sœurs

Mes bien chers frères,

 

La fête du Christ-Roi, que nous célébrons aujourd'hui, est certes d'institution récente, mais le titre et la qualité de roi que cette fête entend souligner sont, au contraire, des prérogatives qui ont appartenu de tout temps au Christ. Voyons ce matin la nature de cette royauté et les motifs, toujours plus opportuns, de cette fête, dans un monde, et cela se voit d’une façon criante aujourd’hui, qui a toujours plus besoin de la douce et bienfaisante royauté du Christ Jésus Notre-Seigneur.

 

I

Comparaissant devant Pilate, après avoir été condamné par le Sanhédrin, Jésus tint à dissiper un malentendu que ses ennemis avaient soigneusement entretenu, pensant bien y trouver une base solide d'accusation et un motif inéluctable de condamnation, en affirmant le caractère surnaturel de sa royauté. Pilate insiste : « Tu es donc roi ? » Jésus répond : « Tu l'as dit, je suis roi »[1].

Ce n'était pas la première fois que le Christ faisait allusion à sa royauté. Devant l'incrédulité persistante des Juifs, refusant de reconnaître en Lui le Messie, Il avait déjà établi son universelle royauté : « Toutes choses m'ont été livrées par mon Père »[2]. Si le Christ délègue des pouvoirs aux apôtres et à leurs successeurs, c'est que, dit-Il, « tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre »[3]. Enfin, lorsqu'Il annonça le jugement dernier, Il n'hésita pas à se désigner sous le titre de roi : « alors, le Roi dira à ceux qui sont à sa droite… »

L'Ancien Testament avait déjà tracé le portrait du Roi à venir : « Le Seigneur a dit : Tu es mon Fils (…) je te donnerai les nations pour héritage[4] » « Son règne sera aussi durable que le soleil et s'étendra à toutes les générations[5] (…) de l'océan jusqu'à l'océan et des rives du fleuve jusqu'aux confins de la terre »[6]. « Tous les rois de la terre l'adoreront et toutes les nations seront soumises à son empire… ; Il jugera toutes les nations ».

Après David et Isaïe, c'est Daniel qui prédit « Je vis s'avancer le Fils de l'homme ; et il vint en la présence de l'Ancien des jours, qui lui donna la puissance, l'honneur et la royauté. Tous les peuples, toutes les tribus et toutes les langues lui obéiront[7]… Son règne est un règne éternel, et tous les rois lui devront service et obéissance[8]. »

 

Cette royauté universelle et éternelle appartient au Christ à des titres divers.

Comme Dieu, égal au Père et au Saint-Esprit, Il a tout pouvoir au ciel et sur la terre. Saint Jean le rappelle dans le prologue de son évangile : « Tout a été été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui »[9]. Jésus-Christ dira un jour aux Juifs : « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement »[10]. Et saint Paul précisera dans l'épître aux Colossiens : « c'est en Lui que toutes choses ont été créées, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles… ; tout a été créé par Lui »[11].

Le Père est le principe sans principe qui communique au Verbe son activité divine ; mais l'activité créatrice du Verbe n'est pas celle d'un instrument, ni d'un lieutenant qui interviendrait comme cause secondaire ; elle est égale à celle du Père dans une étroite et indivisible coopération. Toute créature est donc soumise à l'empire du Verbe, parce qu'elle tient de Lui son être et son existence.

Le Verbe Incarné, l'Homme-Dieu, possède la suprême royauté parce qu'en Lui la nature divine et la nature humaine sont si intimement unies qu'elles ne font qu'une seule personne qui conserve toutes ses prérogatives divines.

À ce droit de nature s'ajoute celui de conquête. En versant son sang et en livrant sa vie pour tous, l'Homme-Dieu est devenu le chef de l'humanité rachetée : « Quam acquisivit sanguine suo »[12]. Si l'on veut préciser la raison et le sens de cette royauté universelle, il faut rappeler le dogme de l'incorporation au Christ. Pour parler comme saint Paul, nous avons été greffés sur le Christ ; toute vie surnaturelle procède de Lui et cette vie, c'est à tous qu'Il est venu l'apporter. Il est la tête, nous sommes les membres de ce corps mystique ; et si tous les hommes ne deviennent pas en fait des membres vivants du corps du Christ, il n’en reste pas moins vrai que tous sont appelés à le devenir, que le Christ, mort pour tous, a le droit strict de les incorporer tous.

Ainsi, en vertu de la création, de l’incarnation, de la rédemption et de l’incorporation, le Christ est bien le Roi de l’humanité entière.

 

II

Voyons maintenant quelle est la nature de cette royauté ou, si vous le voulez, comment elle doit s'exercer.

La royauté du Christ est avant tout une royauté spirituelle, c'est-à-dire qu'elle doit s'exercer sur l'esprit, sur le cœur et sur la volonté de l'homme.

 

Le Christ est lumière et vérité, Il est l'unique lumière et l'unique vérité. Il est venu parmi les ténèbres pour apporter la lumière ; Il est venu parmi les erreurs engendrées par les intelligences auxquelles le péché originel a fait perdre la rectitude originelle, pour apporter la vérité. Le règne de la lumière et de la vérité ne se conçoit, d'un côté, que comme une diffusion et une pénétration universelles, de l'autre, que comme une acceptation totale. Le Christ régnera donc en communiquant à tous les hommes la lumière de la vérité et en obtenant d'eux l'adhésion parfaite et totale à sa parole.

 

Le Christ est amour, Il est l'unique amour. Toute Sa vie a été la révélation de cet amour, révélation dont le point culminant est au Calvaire. Il Lui a plu d'ailleurs de le rappeler à Paray-le-Monial en montrant son cœur, principe et symbole de son amour : « Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes » Le règne de l'amour ne se comprend que par le don total de soi et par la correspondance effective et totale à cet amour chez ceux qui en reçoivent la manifestation et les bienfaits. Le Christ régnera en donnant à tous les hommes son amour et en recevant de chacun d'eux amour pour amour.

 

Le Christ est la voie, Il est l'unique voie. Chef de l'humanité rachetée, Il montre à tous le chemin du salut, Il est le chemin du salut, parce que le salut n'est possible qu'en passant par Lui (n'a-t-Il pas dit encore : « Je suis la porte » ?), c'est-à-dire en reproduisant le modèle de perfection qu'Il présente et en utilisant les grâces qu'Il a méritées et qu'Il distribue. La voie ne peut remplir sa mission qu'en conduisant au but. Le Christ régnera donc en conduisant tous les hommes à Dieu par la foi et par l'amour, à condition que chacun se laisse conduire par Lui en obéissant docilement à ses commandements.

 

Adhésion des intelligences, des cœurs et des volontés par la foi, par l'amour et par l'obéissance, telle est la condition nécessaire de la royauté spirituelle du Christ sur les individus.

Mais le Christ ne saurait se contenter de régner sur les individus ; Il a le droit de régner aussi sur les sociétés. Si les sociétés temporelles ont pour fin de favoriser le bien-être des hommes ici-bas, elles ne peuvent oublier que cette fin n'est qu'une fin secondaire, subordonnée à une fin principale, le salut éternel de leurs membres. Leur devoir leur commande de ne jamais entraver la poursuite de cette fin, bien plus, de l'aider dans la mesure de leurs moyens. À ce titre, elles ne sauraient mettre le Christ de côté. Soustraire les sociétés civiles à l'autorité de l'Homme-Dieu, c'est limiter cette autorité. Or, la royauté du Christ ne comporte aucune limite, ni dans le temps, ni dans l'espace. Les doctrines laïcistes qui veulent ignorer Jésus-Christ et qui, par le fait même Le combattent, apparaissent donc comme la négation d'un droit essentiel du Christ et comme l'œuvre diabolique des temps modernes.

 

Je préviens tout de suite un malentendu possible. On accuse l'Église de vouloir s'ingérer dans le gouvernement temporel des États, de dicter ses lois, comme tout dernièrement encore, lorsqu’elle s’oppose à des lois contre-nature et contre la raison : c'est ce que l'on nomme le cléricalisme. En droit, le Christ qui possède tout pouvoir aurait pu s'attribuer le gouvernement temporel des États et le confier à son Église. En fait, Il ne l'a pas voulu et Il l'a proclamé nettement : « Rendez à César ce qui est à César »[13]. D’autres religions ne font pas cette distinction entre le spirituel et le temporel. Souvent, chez eux le temporel applique un fidéisme aveugle !

Lorsque les foules ont voulu proclamer le Christ, roi temporel, Il s'est dérobé ; et l'accusation portée contre Lui par le Sanhédrin devant Pilate a été reconnue fausse par celui-ci : « Je ne vois en cet homme aucun motif de condamnation »[14].

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »[15]. Mais il faut obéir à César à condition que César ne commande rien de contraire aux lois de Dieu. Sinon, l’autorité de César cesserait en se séparant de celle de Dieu qui en est le fondement, et il faudrait répondre avec les apôtres : « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »[16].

 

L’Église n’a pas de pouvoir direct sur les choses temporelles, elle respecte l’indépendance des gouvernements, mais elle a un pouvoir indirect sur les choses temporelles dans la mesure même où elles sont en relation avec les spirituelles et en raison de cette relation. Que l’organisation de la vie terrestre nuise à la vie spirituelle, à l’orientation des âmes vers la vie éternelle, provoque le péché, l’Église a le droit d’intervenir et de condamner au nom de ce pouvoir indirect, qui n’est que la conséquence de la supériorité absolue de son pouvoir spirituel et de la subordination totale de tout le temporel au spirituel.

 

Il y eut un temps où les rois et les gouvernants se considéraient comme les serviteurs du Christ, et suivaient les conseils maternels de l’Église.

Une organisation du monde où toutes les sociétés et toutes les grandeurs humaines sont soumises au Christ et reconnaissent sa royauté, c’est la chrétienté qui est bien plus que la civilisation. La civilisation est une plénitude d’ordre naturel ; la chrétienté, c’est la nature humaine transfigurée par l’incorporation au Christ.

Il ne faudrait pourtant pas confondre la chrétienté avec le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, il est dans ce monde, à l’intérieur des âmes, sans être du monde. La chrétienté était de ce monde, imparfaite et périssable comme lui, mais en soumettant ce monde au royaume de Dieu, elle le rendait habitable et lui donnait quelque chose de la paix du Christ, qui est l’effet de son règne : « christianiser c’est humaniser » disait saint Augustin. Ainsi, les sociétés y gagnaient la vraie paix, la vraie liberté, la véritable indépendance, tandis qu’en voulant être neutre et indépendante à l’égard de Dieu, elles deviennent esclaves du péché et n’échappent au joug si doux du Christ qui gouverne par l’amour, que pour rentrer sous le règne si dur de Lucifer, qui gouverne par le fer, par le sang, par le feu. Toute l’histoire du monde moderne en est la sanglante illustration.

 

III

 

Ces conséquences malheureuses d'une politique qui ignore Jésus-Christ et son Église mettent en lumière l'opportunité de l'institution de la fête du Christ- Roi. Cette fête, vous le voyez bien, ne fait pas double emploi, comme certains réformistes l'ont dit, avec la fête du Sacré-Cœur. Celle-ci exalte l'amour du Christ pour les hommes ; celle-là entend proclamer ses droits à l'universelle royauté sur les individus et sur les sociétés.

 

Le laïcisme ambiant affirme que la religion est une affaire d'ordre purement privé dont les pouvoirs publics n'ont pas à s'occuper. C’est le contraire de ce que nous a enseigné à plusieurs reprises le Pape Benoît XVI.

La fête du Christ Roi rappelle aux hommes qu'ils ne peuvent se passer du surnaturel, et aux sociétés que ce surnaturel est personnifié par le Christ. Le laïcisme englobe toutes les religions dans le même indifférentisme dédaigneux ; la fête du Christ-Roi proclame les droits de l'unique Roi.

Vous comprenez maintenant, chers amis, la portée très spéciale de cette fête. Elle vise à redonner aux individus une idée plus juste des prérogatives royales du Christ sur les âmes ; mais elle tend aussi à faire pénétrer dans les sociétés l'idée de la royauté sociale du Sauveur.

D’ailleurs, ne nous y trompons pas, si les pouvoirs en place font fi de la douce religion du Christ et de tout l’héritage chrétien de l’Europe, ce n’est que pour mieux instituer une nouvelle religion avec ses dogmes, sa morale (si l’on peut dire) et même sa liturgie grotesque, je vous l’avoue, comme les manifestations au Panthéon ou à la Bastille, sans parler de la Gay-Pride en guise de procession !

 

Puissions-nous, nous qui sommes membres d’un Institut qui s’enorgueillit de porter le nom du Christ-Roi, œuvrer à répandre partout, et d’abord en nous et ainsi autour de nous, la royauté d’amour, de lumière et de vérité, avec le secours de la reine du Ciel pour que « Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat »[17].

Ainsi soit-il

 


[1] Jn. 18, 37.

[2] Mt. 11, 27.

[3] Mt. 28, 18.

[4] Ps. 2, 7-8.

[5] Ps. 71, 5

[6] Ps. 71, 8

[7] Daniel 7, 13-14.

[8] Daniel 7, 27.

[9] Jn. 1, 3.

[10] Jn. 5, 19.

[11] Col. 1, 16.

[12] Actes 20, 29.

[13] Mt. 22, 21.

[14] Lc. 23, 14.

[15] Mt. 22, 21.

[16] Actes 5, 29

[17] Acclamations carolingiennes