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Saint François de Sales 2007
 


Monsieur le Supérieur,
Chers Messieurs les abbés,
Ma Révérende Mère,
Chers séminaristes,
Très chères sœurs,
Mes biens chers frères,
« Bienheureux les doux, car ils possèderont la terre. »
Cette béatitude de l'Evangile vient tout naturellement à la mémoire lorsqu’on évoque Saint François de Sales.
S. François de Sales est, et n’en doutons point mes très chers frères, le saint de la douceur. 
Bossuet, qui .prononça son panégyrique en la fête des Saints Innocents, pouvait débuter par ces mots : « Laissons un spectacle de cruauté pour arrêter notre vue sur l'image de la douceur. »
Puisque le culte des saints doit nous porter à imiter leurs vertus, en cette fête de S. François de Sales arrêtons-nous surtout à ce trait le plus saillant de sa physionomie. 
Nous l'écouterons nous dire comme S. Paul : « Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ », du Christ qui a proclamé : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ».
A son école nous sera rappelée une double leçon : le prix et la récompense de la douceur.

I. - Le prix de la douceur
Elle s'achète au prix fort, plus élevé peut-être que beaucoup d'autres vertus. Car son exercice est quotidien. Elle est la monnaie courante de la charité.
Sans doute ceux-là exagèrent-ils un peu qui croient et qui disent que notre cher Saint fut par nature un homme violent comme il devint par vertu un héros de douceur.
Ni dans son milieu, ni dans son tempérament, ni dans sa vie, rien ne justifie qu’on put penser de lui qu’il fut de nature violente. Il avait certainement –pourrait-on dire - du caractère.
Il avait également, comme tout homme, fils d’Adam que nous sommes tous, un amour-propre à mortifier.
Rappelez-vous qu’il était de grande naissance et qu’il pouvait vivre aisément sans que rien ou presque ne fasse opposition à ses désirs ou volontés.
Il préféra, sans la connaître, la devise des Martelli : Sola virtus, vera nobilitas.
Il eut donc à se faire violence pour atteindre cette maîtrise de lui-même et cette aménité vis-à-vis d'autrui que comporte la vertu de douceur.
On pourrait en relever plus d'une preuve, non seulement dans sa vie d'enfant et d'étudiant, c'est-à-dire à la période de formation, mais encore plus tard, dans son ministère de prêtre et d'évêque.
Mais je préfère vous citer ce matin, plutôt que des anecdotes, un texte de notre saint docteur que vous avez tous déjà lu dans l’Introduction à la Vie dévote :
« Le saint chrême, duquel par tradition apostolique on use en l’Eglise de Dieu pour les confirmations et bénédictions, est composé d’huile d’olive mêlée avec le baume, qui représente entre autres choses les deux chères et bien aimées vertus qui reluisaient en la sacrée personne de Notre-Seigneur, lesquelles il nous a singulièrement recommandées, comme si par icelles notre cœur devait être spécialement consacré à son service et appliqué à son imitation:
« Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur ».
L’humilité nous perfectionne envers Dieu, et la douceur envers le prochain. Le baume (qui, comme j’ai dit ci-dessus, prend toujours le dessous parmi toutes les liqueurs) représente l’humilité, et l’huile d’olive, qui prend toujours le dessus, représente la douceur et débonnaireté, laquelle surmonte toutes choses et excelle entre les vertus comme étant la fleur de la charité laquelle, selon saint Bernard, est en sa perfection quand non seulement elle est patiente, mais quand outre cela elle est douce et débonnaire.
Mais prenez garde, Philothée, que ce chrême mystique composé de douceur et d’humilité soit dedans votre cœur; car c’est un des grands artifices de l’ennemi de faire que plusieurs s’amusent aux paroles et contenances extérieures de ces deux vertus, qui n’examinant pas bien leurs affections intérieures, pensent être humbles et doux et ne le sont néanmoins nullement en effet ; ce que l’on reconnaît parce que, nonobstant leur cérémonieuse douceur et humilité, à la moindre parole qu’on leur dit de travers, à la moindre petite injure qu’ils reçoivent, ils s’élèvent avec une arrogance nonpareille.
On dit que ceux qui ont pris le préventif que l’on appelle communément la grâce de saint Paul, n’enflent point étant mordus et piqués de la vipère, pourvu que la grâce soit de la fine ; de même, quand l’humilité et la douceur sont bonnes et vraies, elles nous garantissent de l’enflure et ardeur que les injures ont accoutumé de provoquer en nos cœurs.
Que si étant piqués et mordus par les médisants et ennemis nous devenons fiers, enflés et dépités, c’est signe que nos humilités et douleurs ne sont pas véritables et franches, mais artificieuses et apparentes. »

Que cela est vrai ! Et chez nous, jusque dans notre zèle le plus louable se mêlent parfois des mouvements de nature. Et il est bien mal aisé de faire le partage de la grâce et de la nature.
Aussi bien nous avons ses propres aveux et ceux de ses confidents. Ste Jeanne de Chantal, sa fille spirituelle de prédilection dont il devait faire la première supérieure de l'Ordre de la Visitation, a raconté qu'il lui dit une fois : « qu'il avait été attentif trois années pour acquérir cette sainte vertu ».
Et encore devait-il parler d'une attention plus soutenue, d'un effort plus tendu, d'une surveillance de tous les instants.
En fait il s'y appliqua bien plus longtemps, puisqu'il fit un autre jour la confidence qu'il avait eu bien de la peine à l'acquérir en l'espace de vingt ans.
Et les plus heureuses natures savent d'expérience ce qu'il faut de « patience et de longueur de temps », pour acquérir cette aménité de parole, de geste, de cœur en toute circonstance et envers tout le monde, surtout dans une vie remplie comme fut celle de l'évêque de Genève. 
Dans de telles conditions, c'est plutôt l’impatience et même la colère qui dominerait chez d’autres. En effet, c’est à tout instant qu’il faut être attentif à nos paroles, à nos gestes, à nos réactions ; que d’abnégation, que de renoncements à soi. Ce n’est que dans l’examen de conscience que l’on peut un à un faire reculer les pointes de notre tempérament désordonné, de notre égoïsme pour laisser triompher la suavité du Christ Jésus.
En effet, pensons aux personnes que nous allons rencontrer, aux actes que nous allons poser - ils sont souvent les mêmes dans le quotidien - et préparons-nous à y correspondre avec douceur. Cela s’apprend tous les jours.
Voyez-vous, chers amis, il n’y a pas de « baguette magique » pour faire de nous des doux en un instant. Il nous faut souvent regarder la croix, la croix où notre Jésus est crucifié, et accepter de l’aimer comme il nous a aimés.
Oh, que oui ! Il faut les motifs surnaturels, la volonté de plaire à Dieu et d'imiter Notre-Seigneur, le secours demandé de la grâce pour en arriver à ce chef-d'œuvre de douceur qu'a réalisé un S. François de Sales.

II. - La récompense de la douceur
Long et courageux effort mais qui trouve dès ici-bas sa récompense.
L'homme de douceur trouva cette récompense d'abord en lui-même par la domination de son naturel et la pleine maîtrise de sa sensibilité.
Cette douceur que l'orgueil du surhomme nietzschéen estime une faiblesse ou, comme ses disciples disaient, une vertu passive, est en réalité une force ; la plénitude de la force, a écrit un théologien.
Aussi bien toute vertu, le mot l'indique, est une force.
On le vit bien en cette occasion tragique pour notre saint, quand le duc de Nemours vint mettre le siège devant Annecy. La population qui craignait pour son évêque le fit prévenir et lui conseilla la fuite.
- « Non, mes enfants, je ne me séparerai pas de vous et, s'il le faut, je souffrirai avec vous. Je serai toujours à mon devoir, Dieu aidant. Si on sonne Vêpres, j'irai ; si j'ai des dépêches à faire, je les ferai ; si on prend la ville d'assaut, je suis entre les mains de la Providence. »
Sa douceur lui permettait d'illustrer ainsi de son exemple l'enseignement qu'il donnait : « Il ne faut jamais perdre le calme, quoi qu'il arrive, puisque c'est Dieu qui fait tout, et qu'il ne fait rien que pour notre bien. Notre-Seigneur met notre confiance à l'épreuve, mais il ne manque jamais à ceux qui s'abandonnent à sa providence. »
L'homme de douceur trouve aussi cette récompense en dehors de lui par la conquête irrésistible des volontés et des cœurs, même réticents et rebelles de prime abord. C'est la promesse faite par N.-S. à ceux qui sont doux : « Bienheureux les doux, car ils possèderont la terre », c'est-à-dire les cœurs.
François de Sales exprimera cette béatitude dans une formule souvent citée : « On prend plus de mouches avec du miel qu'avec du vinaigre. »
Sa douceur lui gagna son père. Longtemps M. de Boisy s'opposa à la vocation de son fils. Non ! ce fils ne pouvait sacrifier le bel avenir qui l'attendait dans le monde. II essaya donc de circonvenir sa jeunesse et son ambition par l'offre d'un beau mariage et la perspective des hautes fonctions de sénateur. Devant le calme et la douceur que François opposait à ses objections et à ses délais, vaincu, M. de Boisy finit par céder.
Sa douceur lui gagna sa population du Chablais. Population difficile. Le calvinisme avait dressé une barrière entre elle et l’Eglise. 
S'il ne put réussir à convertir Théodore de Bèze, successeur de Calvin, prisonnier de son passé et de ses amis, à qui l’on empêcha de rencontrer une dernière fois notre saint – ce qui à mon humble avis aurait converti ce vieil homme – s’il ne put le convertir, disais-je, que d'autres hérétiques notables et que d'âmes égarées il ramena dans le bercail de l'Eglise !
Sa douceur lui gagne encore aujourd'hui les esprits et les cœurs. Il n’est plus dans ce monde, mais de son éternité il parle encore, à travers ses admirables ouvrages que sont l'Introduction à la vie dévote et le Traité de l'amour de Dieu. Du premier on a dit qu'il était le plus beau livre sorti de la main des hommes, après l'Imitation de Jésus-Christ. 
Ecoutons-le encore :
« La charité sincère peut tout, l'emporte sur tout, elle ne finira pas, elle n'agit pas précipitamment. 
C'est par la charité qu'il faut ébranler les murs de Genève, par la charité qu'il faut l'envahir, par la charité qu'il faut la recouvrer.
Je ne vous propose ni le fer, ni cette poudre dont l'odeur et la saveur rappellent la fournaise infernale […]. Que notre camp soit le camp du Dieu dont les trompettes font entendre, avec des accents pleins de douceur : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées.
Il faut renverser les murs de Genève par des prières ardentes, et livrer l'assaut par la charité fraternelle. C'est par cette charité que doivent frapper nos têtes de ligne.
En avant donc et courage, excellents frères, tout cède à la charité ; l'amour est fort comme la mort, et à celui qui aime, rien n'est difficile. »

Il lui arrivait qu'on lui fasse grief de sa mansuétude. Ce jour par exemple qu'on l'avait prié de faire la leçon à un jeune homme qui ne le méritait que trop et qu'il traita avec beaucoup de douceur :
« Que voulez-vous, répliqua-t-il pour se justifier, j'ai fait ce que j'ai pu pour m'armer d'une colère qui ne pèche point ; j'ai pris mon cœur à deux mains et je n'ai pas eu la force de le lui jeter à la tête. Et puis, je craignais d'épancher en un quart-d'heure ce peu de liqueur de mansuétude que je tâche depuis vingt-deux ans de recueillir, comme une rosée, dans le vase de mon cœur. »
Il en savait trop l'efficacité pour lui et pour son apostolat. C'était son arme. Il ne voulait pas s'en dessaisir.
« Ce saint et illustre patriarche Joseph, écrivait encore notre docteur de l’Amour divin, renvoyant ses frères d’Egypte en la maison de son père, leur donna ce seul avis : « Ne vous courroucez point en chemin. » Je vous en dis de même, Philothée - et à nous tous ce matin - cette misérable vie n’est qu’un acheminement à la bienheureuse ; ne nous courrouçons donc point en chemin les uns avec les autres, marchons avec la troupe de nos frères et compagnons doucement, paisiblement et amiablement. Mais je vous dis nettement et sans exception, ne vous courroucez point du tout, s’il est possible, et ne recevez aucun prétexte quel qu’il soit pour ouvrir la porte de votre cœur au courroux ; car saint Jacques dit tout court et sans réserve, que « l’ire de l’homme n’opère point la justice de Dieu » ».
« Croyez-moi, Philothée, comme les remontrances d'un père faites doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que les colères et courroux ; ainsi, quand notre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remontrances douces et tranquilles, ayant plus de compassion de lui que de passion contre lui, l'encourageant à l'amendement, la repentance qu'il en concevra entrera bien plus avant et le pénètrera mieux que ne le ferait une repentance dépiteuse, coléreuse et violente. »


* * *

Fêtons aujourd'hui notre Saint Patron par cette sublime liturgie catholique romaine. Les saints ont droit à notre culte et à nos invocations.
Mais n'oublions pas qu'ils ont droit plus encore à l'imitation de leurs vertus.
Alors nous, membres de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, disciples de S. François de Sales, essayons de faire passer dans notre vie un peu de cette douceur qui fut la vertu dominante de notre saint Patron et qui est comme la fleur exquise de la charité.
Vertu difficile, à cause de son exercice continuel et répété, même aux natures les mieux douées et aux tempéraments les plus placides.
Vertu difficile, mais vertu largement récompensée, même ici-bas, puisqu'elle nous donne de régner sur les cœurs, sur le nôtre et sur celui de ceux avec qui nous avons à vivre ou à traiter.
Et nous ferons par là en même temps œuvre d'apostolat, si nécessaire à l'heure actuelle, où la haine semble l’emporter sur l’amour. Nous serons vraiment les disciples de notre Maître doux et humble de cœur et les enfants de Dieu qui ressemblent à leur Père et qui le font connaître et aimer.
Un autre saint, S. Vincent de Paul, ne disait-il pas : « Qu'êtes-vous donc, ô mon Dieu, puisque Monseigneur de Genève est si bon ! »

Ainsi soit-il !