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Sermon du T. R. P. Abbé du Barroux
lors de la Messe Pontificale du 17 novembre 2010 à Gricigliano

 

 

Monseigneur,

Messieurs les Chanoines, chers séminaristes, Chères Sœurs,

 

Voici presque trois ans que Dom Gérard nous a quittés. Comme vous l'avez rappelé sur le très beau memento que vous avez eu la bonté d'imprimer, Benoît XVI avait saluer celui dont « toute la vie fut tournée vers le Seigneur ». Il le fut en réalité, ne touchant la terre que pour rebondir vers le ciel. André Charlier a dit à peu près la même chose de lui en admirant dès son jeune âge sa capacité à aller toujours à l'essentiel. Mais il n'oubliait pas les moyens ordinaires par lesquels on va à Dieu et qui nous ont été transmis par la tradition et nos anciens.

Vous m'avez invité, Monseigneur, en l'honneur de son passage, il y a 20 ans, alors que l'Institut faisait ses premiers pas. Il paraît qu'à cette époque vous subissiez toute une série de difficultés de tout genre, série très étrange, et que vous aviez demandé à Dom Gérard de bénir ces lieux, ce qu'il fit. Et la grâce de Dieu, par le sacramental, fut efficace. Et comme Dom Gérard savait que le fleuve du spirituel campe dans le lit du naturel, selon l'expression de Charles Péguy, il n'oublia pas de vous faire don d'un matériel qui vous manquait cruellement alors : la literie. Chose prosaïque, certes, mais indispensable à la nature et traitée de façon très précise par la très sainte Règle de saint Benoît.

Permettez-moi de faire comme Dom Gérard, de rebondir sur le matelas pour évoquer ce qui fut au cœur de la pensée et de la sollicitude de Dom Gérard : la vie intérieure. La vie intérieure trouve dans le sommeil comme une icône.

 

Il est vrai qu'il existe un mauvais sommeil qui nous menace tous.

La vie intérieure n'a rien a voir avec le sommeil d'Holopherne. Celui-ci n'est qu'une suite grossière de l'intempérance. La vie intérieure ne peut jaillir des orgies charnelles et spirituelles. Dom Gérard nous a toujours mis en garde contre l'avidité moderne des nouveautés servies par de pseudo-théologiens et autres archéologues de la vie chrétienne. On sait ce qu'il arriva à Holopherne : une tête tranchée ; on sait ce qui arrive à l'Occident : une apostasie silencieuse.

La vie intérieure n'a rien à voir non plus avec la fuite des responsabilités stigmatisée par le prophète Isaïe : « Nos gardiens sont tous aveugles, ils rêvent, restent couchés, ils aiment dormir. » Dom Gérard a su de façon audacieuse rappeler à ces « gardiens » leur devoir.

La vie intérieure, enfin, n'a rien à voir avec le sommeil de Pierre, Jacques et Jean, à Gethsémani, pris par la tristesse et succombant à une sorte de désespoir. La fondation de Bédoin ne fut pas un acte désespéré mais au contraire, un grand acte d'espérance.

 

Il existe un autre sommeil, bon celui-là, qui donne une douce et profonde lumière à la vie intérieure.

Le sommeil d'Adam, tout d'abord, envoyé par Yahvé, pour créer Ève. La vie intérieure est une vie où la primauté de la grâce prend toute sa dimension. C'est Dieu qui agit et non pas l'homme. Quand Dieu veut faire des merveilles dans une âme, il le fait dans le silence, dans le calme, à l'intérieur. Et l'âme doit se faire toute docile, malléable, à l'écoute. Elle se remet tout entière entre les mains de Dieu. C'est ce qui s'est passé sur la Croix, de façon plus admirable encore. Le Fils de l'homme s'est endormi pour donner naissance à l'Église.

Le sommeil de Samuel qui dormait dans le Temple. La vie intérieure est toute intimité avec Dieu, presque familière. L'âme qui habite avec Dieu et Dieu qui demeure en l'âme. Mais Dom Gérard aurait vu dans ce sommeil, la vie intérieure nourrie par la grande liturgie de l'Église. Il aimait cette maîtresse d'oraison qu'est la liturgie, qui par ses gestes solennels, sacrés, immuables, tout pleins du sens de Dieu et des hommes, petit à petit donne aux âmes comme une seconde nature.

Le sommeil de Jacob qui prend une des pierres du lieu et la met sous sa tête pour dormir. Et Dieu de lui dire : « La terre sur laquelle tu dors, je te la donne à toi et à tes descendants. » La vie intérieure se reçoit de Dieu. Elle ne se fabrique pas, comme la foi ne se fabrique pas ni la liturgie.

Enfin le sommeil de Joseph, époux de Marie, icône sublime de la vie intérieure, faite d'écoute silencieuse et recueillie de la Parole de Dieu dans une foi toute simple, toute pure. Comparée à Zacharie qui doute de la parole de l'ange qui lui parle dans le Temple sacré, au sommet de la ville éternelle, entouré de tout le peuple en prière, la foi de Joseph, en pleine inaction, perdu dans ce petit village inconnu, seul dans sa maison troglodyte est un modèle pour tous ceux qui veulent entrer vraiment dans la vie intérieure.

 

Mais la vie intérieure, je le répète, ne peut pas être et ne sera jamais une fuite du réel mais une puissante source d'inspiration et de mission.

Tel le sommeil de Samson qui dormit jusqu'au milieu de la nuit et se levant, saisit les battants des portes de la ville et les fracassa. La vie intérieure, lorsqu'elle est vraie, jaillit en combat pour le Christ et son Église.

La vie intérieure est source de force et de stabilité et de calme, tel notre Seigneur Jésus dormant dans la barque malmenée par la tempête. Dom Gérard était admirable de calme et de sérénité surtout dans la tempête et malgré les grandes épreuves qui n'ont jamais manqué, il se réveillait tous les matins comme neuf et prêt à mener tous les combats.

Le psaume 149, que nous chantons tous les matins à Laudes, parle des saints qui se réjouissent dans leur lit. Verset étonnant. C'est la joie du saint qui a accueilli la grâce de Dieu dans une vie de foi, de prière, de recueillement et de méditation qui chante la gloire de Dieu « exaltationes Dei in gutture eorum » et se réjouit profondément car il sait que Dieu l'envoie face aux nations et que Dieu veille sur lui « ad faciendam vindictam in nationibus ». Il se réjouit car la vie intérieure est un foyer ardent de charité chrétienne.

 

Il reste un dernier sommeil dont il me faut parler. C'est celui du repos des âmes

« Requiem aeternam dona eis Domine. » La vie intérieure est un repos, une plénitude, une fruition de Dieu, une participation, dès ici-bas, à la plénitude de la vie trinitaire, au repos de Dieu.

Je revois encore Dom Gérard revenant tranquillement de matines, tout perdu en Dieu, avec cette sobre ébriété de l’Esprit dont parle saint Ambroise, savourant la présence de Dieu. Cela donnait envie vraiment de le suivre.