ICRSP

LETTRE APOSTOLIQUE JEAN-PAUL II, INTER MUNERA ACADEMIARUM, 1999

 

1. Parmi les tâches confiées aux Académies qui ont été fondées par les Pontifes romains au cours des siècles, la première place revient à la recherche en philosophie et en théologie.

Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio (DC 1998, n. 2191, p. 901-942. NDLR), j'ai attribué une grande importance au dialogue entre la théologie et la philosophie, et j'ai dit clairement combien j'apprécie la pensée de saint Thomas d'Aquin, reconnaissant sa perpétuelle nouveauté (cf. n. 43-44).

A juste titre, saint Thomas peut être appelé « Apôtre de la vérité » (n. 44). En effet, l'intuition du Docteur angélique consiste en la certitude qu'il existe une harmonie fondamentale entre la foi et la raison (cf. n. 43): « Il est donc nécessaire que la raison du croyant ait une connaissance naturelle, vraie et cohérente, des choses créées du monde et de l'homme, qui sont aussi l'objet de la révélation divine; plus encore, la raison doit être en mesure d'articuler cette connaissance de manière conceptuelle et sous forme d'argumentation » (n. 66).

2. A l'aube du troisième millénaire, bien des conditions culturelles ont changé. On perçoit des approfondissements très importants dans le domaine de l'anthropologie, mais surtout des changements substantiels dans la manière même de comprendre la condition de l'homme devant Dieu, devant les autres hommes et la création tout entière. Le défi le plus grand de notre époque vient avant tout d'une séparation croissante entre la foi et la raison, entre l’Evangile et la culture. Les études consacrées à cet immense domaine se multiplient chaque jour dans le contexte de la nouvelle évangélisation. En effet, l'annonce du salut rencontre de nombreux obstacles qui découlent de concepts erronés et d'un grave manque de formation adéquate.

3. Un siècle après la promulgation de la Lettre encyclique Aeterni Patris de mon prédécesseur Léon XIII, qui marqua le début d'un nouveau développement dans le renouveau des études philosophiques et théologiques, ainsi que dans les rapports entre la foi et la raison, j'entends donner une nouvelle impulsion aux Académies pontificales qui travaillent dans ce domaine, en tenant compte de la pensée et des orientations actuelles, ainsi que des besoins pastoraux de l'Eglise.

Aussi, reconnaissant l'oeuvre accomplie depuis des siècles par les membres de l'Académie théologique romaine et de l'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin et de Religion catholique, j'ai décidé de renouveler les statuts - joints à cette Lettre apostolique - de ces Académies pontificales, afin qu'elles puissent exercer leur action dans les domaines philosophique et théologique avec une plus grande efficacité, pour venir en aide à la mission pastorale du Successeur de Pierre et de l'Eglise universelle.

4. L'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin.

« Doctor Humanitatis » [Docteur de l'Humanité] est le nom que l'on donne à saint Thomas d'Aquin parce qu'il fut toujours prêt à accueillir les valeurs de toutes les cultures (Allocution aux participants au VIIIe Congrès thomiste international, 13 septembre 1980: Insegnamenti, III, 2 [1980] 609). Dans les conditions culturelles de notre temps, il semble vraiment opportun de développer toujours davantage cette partie de la doctrine thomiste qui traite de l'humanité, car ses affirmations sur la dignité de la personne humaine et l'usage de sa raison, en parfaite harmonie avec la foi, font de saint Thomas un maître pour notre temps. Les hommes, surtout dans le monde d'aujourd'hui, sont préoccupés par cette question: qu'est-ce que l'homme ? En employant cette appellation de « Doctor Humanitatis », je me tiens dans le sillage du Concile Vatican Il, qui a traité de l'usage de la doctrine de l'Aquinate dans la formation philosophique et théologique des prêtres (Décret Optatam totius, 16), comme aussi de l'approfondissement, dans les Universités, de l'harmonie et de la concorde entre la foi et la raison (Déclaration Gravissimum educationis, 10).

Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio, j'ai voulu rappeler l'enthousiasme de mon Prédécesseur Léon XIII quand il promulgua son Encyclique qui commençait par ces mots: « Aeterni Patris » (4 août 1879:ASS 11 [1878-1879] 97-115): « Ce grand Pontife a repris et développé l'enseignement du Concile Vatican I sur les rapports entre la foi et la raison, montrant que la pensée philosophique est une contribution fondamentale pour la foi et la science théologique. À plus d'un siècle de distance, de nombreux éléments contenus dans ce texte n'ont rien perdu de leur intérêt du point de vue tant pratique que pédagogique ; le premier entre tous est relatif à l'incomparable valeur de la philosophie de saint Thomas. Proposer à nouveau la pensée du Docteur Angélique apparaissait au Pape Léon XIII comme la meilleure voie pour retrouver un usage de la philosophie conforme aux exigences de la foi » (Fides et ratio, 57). Cette Lettre vraiment mémorable avait pour titre: « Epistula encyclica de Philosophia christiana ad mentem sancti Thomae Aquinatis Doctoris Angelici in scholis catholicis instauranda ».

Pour que les exhortations de cette Encyclique soient mises en pratique, le même Léon XIII créa l'Académie romaine Saint Thomas d'Aquin (Lettre apostolique Iampridem ad. Em.mum Card. Antoninum De Luca, 15 octobre 1879). L'année suivante, se réjouissant du début des travaux, il écrivit aux cardinaux chargés de la nouvelle Académie (Lettre apostolique du 21 novembre 1880). Quinze ans plus tard, il approuva ses statuts et établit des normes supplémentaires (Bref apostolique Quod iam inde, 11 mai 1895). Par la Lettre apostolique In praecipuis laudibus, du 23 janvier 1904, saint Pie X confirma les privilèges et le règlement de l'Académie. Les statuts furent amendés et complétés par les approbations des Pontifes romains Benoît XV (11 février 1916) et Pie XI qui, le 10 janvier 1934, incorpora à cette Académie l'Académie pontificale de Religion catholique qui, dans des circonstances alors bien différentes, avait été fondée en 1801 par le Très Révérend Giovanni Fortunato Zamboni. Il m'est agréable de rappeler ici les noms d'Achille Ratti (1882) et de Jean-Baptiste Montini (1922) qui, alors étaient jeunes prêtres, conquirent en cette Académie pontificale Saint Thomas le grade de docteur en philosophie thomiste, et qui furent ensuite appelés au souverain pontificat, prenant respectivement les noms de Pie XI et de Paul VI.

Pour que se réalisent de fait les souhaits formulés dans ma Lettre encyclique, il m'a semblé qu'il était opportun de renouveler les statuts de l'Académie pontificale Saint Thomas, pour en faire un instrument efficace pour l’Eglise et pour toute l'humanité. Dans les circonstances culturelles actuelles, décrites ci-dessus, il semble souhaitable, et même nécessaire, que cette Académie soit comme un « forum » central et international pour mieux étudier, et avec plus de soin, la doctrine de saint Thomas, de sorte que le réalisme métaphysique de l'« actus essendi », qui imprègne toute la philosophie et la théologie du Docteur Angélique, puisse entrer en dialogue avec les multiples impulsions de la recherche actuelle et de la doctrine.

Aussi, en pleine connaissance de cause et après mûre délibération, dans la plénitude de mon pouvoir apostolique, en vertu de cette Lettre, j'approuve in perpetuum les statuts de l'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin, légitimement élaborés et une nouvelle fois révisés, et je leur confère la force de l'approbation apostolique.

5. L'Académie pontificale de Théologie.

Maîtresse de vérité, l'Eglise a toujours cultivé l'étude de la théologie et a fait en sorte que les clercs et les fidèles, spécialement ceux qui sont appelés au service de la théologie, soient vraiment instruits. Au début du XVIIIe siècle, sous les auspices de mon Prédécesseur Clément XI, l'Académie théologique fut fondée dans la ville de Rome, pour qu'elle soit le siège des disciplines sacrées et nourrisse les nobles esprits, et que, comme une source, elle produise des fruits abondants pour la cause catholique. Par Lettre du 23 avril 1718, Clément XI institua donc canoniquement un lieu d'études et le combla de privilèges. Un autre de mes Prédécesseurs, Benoît XIII, qui, alors qu'il était cardinal, « summa cum animi ... iucunditate » [avec une immense joie] (cf. Lettre apostolique du 6 mai 1726), fréquentait les réunions et les exercices de cette Académie, s'interrogea sur « la splendeur et la dignité que cette Académie apporterait non seulement à la Ville Mère de Rome mais au monde chrétien tout entier, si on la dotait de forces nouvelles et encore plus valables, dont le travail serait davantage encouragé, de sorte qu'elle puisse continuellement progresser » (cf. ibid.). Aussi, non seulement approuva-t-il l'Académie que Clément XI avait fondée, mais il la combla de sa bienveillance et de ses largesses. Reconnaissant, donc, les fruits satisfaisants et très abondants, produits par l'Académie théologique, Clément XIV continua à veiller sur elle avec autant de largesses et de bienveillance. Mon Prédécesseur Grégoire XVI, lui aussi, fit sien cet engagement et l'améliora, et, le 26 octobre 1838, il approuva de son autorité apostolique les statuts sagement élaborés. Il m'a semblé qu'il était maintenant nécessaire de réviser ces lois, de sorte qu'elles soient plus adaptées à ce qu'exige notre époque. La mission principale de la théologie consiste aujourd'hui à promouvoir le dialogue entre la Révélation et la doctrine de la foi, et à en fournir une compréhension toujours plus profonde. Accueillant favorablement les souhaits qui m'ont été adressés pour que j'approuve ces nouvelles lois et les partageant, je veux que cet illustre lieu d'études croisse en qualité et, pour cela, j'approuve, en vertu de cette Lettre, et cela in perpetuum, les statuts de l'Académie pontificale de Théologie, légitimement élaborés et une nouvelle fois révisés, et je leur confère la force de l'approbation apostolique.

6. J'ordonne que tout ce que j'ai décrété dans cette Lettre, donnée motu proprio [de notre propre initiative], ait une valeur stable et durable, nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, auprès de Saint Pierre, le 28 janvier, mémoire de saint Thomas d'Aquin, de l'an 1999, XXI° année de mon pontificat.