Article du dictionnaire de Théologie catholique sur St Joseph
La théologie de saint Joseph se résume dans l'étude des prérogatives de ce saint. Nous étudierons celles-ci dans l'ordre suivant I.) Mission de saint Joseph. II.) Sa sainteté suréminente. III.) Le patronage sur l'Église. IV.) Le culte de saint Joseph.
I - MISSION DE SAINT JOSEPH.
Le plan de la rédemption des hommes ne comportait pas une révélation soudaine du mystère de l'incarnation. Toutefois la naissance du Verbe, mis au monde par une vierge mère, n'aurait pas manqué d'attirer l'attention et de susciter l'étonnement, si Dieu n'en avait pas, avant tout, marqué expressément le caractère profondément moral. Il aurait pu pourvoir à cette nécessité par des voies extraordinaires. Mais « il convient à son infinie sagesse d'employer les moyens les plus simples et les plus suaves avant d'en venir aux coups de force; et c'était là tout particulièrement ce que demandait l'ordre de ses desseins sur son Fils... En révélant la virginité de Marie, il aurait manifesté prématurément la grandeur de Jésus. Que fallait-il donc pour atteindre à la fois cette triple fin : l'obscurité pour Jésus, une réputation sans tache pour sa mère et une assistance dévouée pour l'un et pour l'autre ? Le voile d'un pur et saint mariage, l'union d'un époux vierge avec une mère vierge ». D.Terrien, La Mère de Dieu, Paris, 1902, t. II, p. 182-183. Le ministère de saint Joseph nous apparaît donc nécessaire à l'endroit du mystère même de l'incarnation, en ce qu'il fut requis pour permettre au Christ de naître et de mener une vie tout d'abord cachée, selon les desseins de la Providence, sans que fussent blessées l'honnêteté et la décence. Couvrir par son mariage avec la Vierge la virginité féconde de la Mère de Dieu, l'enfance du Sauveur, le secret du mystère de l'incarnation, tel est le triple objet de la mission de saint Joseph.
1) Mission par rapport à la virginité de Marie.
Le premier objet de la mission de saint Joseph a été de préserver la virginité de Marie en contractant avec la future mère de Dieu un mariage véritable. Qu'il y ait eu, entre Marie et le juste Joseph, un véritable mariage, le texte évangélique l'affirme si nettement qu'il n'est pas possible de le révoquer en doute. Cf. Matth, I, 18; Luc, I , 27; II, 5. Saint Thomas relève les convenances de ce mariage : aucun soupçon ne devait effleurer, si légèrement que ce fût, l'honneur du fils et celui de la mère; si jamais cet honneur était en cause, Joseph, le témoin le plus autorisé, le moins suspect, serait là pour en attester l'intégrité; enfin Jésus et Marie trouvaient en Joseph aide à leur faiblesse. Sum. theol., IIIa, q. XXIX, a. 2. Le voeu de virginité n'a pas été, en Marie, comme aussi sans doute en Joseph, un obstacle à la validité et même à la licéité de leur mariage. Cf : St Augustin, De cons. Evang., 1. II, c. I, P. L., t. XXXIV, col. 1071-1072; Benoît XIV, Delle feste di Gesù Cristo e della beata vergine Maria, Venise, 1792, p. 212-215. Les théologiens l'expliquent en enseignant que l'usage du mariage n'est pas de l'intégrité première et n'entre pas directement dans l'objet du contrat. Cf. Billot, De sacramentis, t. II, th. XXXV. Ce fut précisément le caractère céleste du mariage de saint Joseph et de la sainte Vierge d'avoir eu pour objet le don mutuel de leur corps pour en garder la virginité. Et néanmoins, le bien propre du mariage, y compris l'enfant, fruit de l'union de l'homme et de la femme, n'a pas fait défaut à ce mariage sans exemple. Après avoir montré l'existence du contrat et de l'amour conjugal le plus ardent quoique le plus pur dans le mariage de Joseph et de Marie, Bossuet, s'exprime ainsi : « Ce béni enfant est sorti, en quelque manière, de l'union virginale de ces deux époux... N'avons-nous pas dit que c'est la virginité de Marie qui a attiré Jésus-Christ du ciel ?... Ne peut-on pas dire que c'est sa pureté qui la rend féconde ? Que si c'est sa pureté qui la rend féconde, je ne craindrai plus d'assurer que Joseph a sa part à ce grand miracle. Car si cette pureté angélique est le bien de la divine Marie, elle est le dépôt du juste Joseph. » Premier panégyrique de Saint-Joseph, 1er point.
Et c'est en connaissance de cause que Joseph a couvert ainsi aux yeux des hommes, par un saint et honorable mariage, la virginité de son épouse et sa maternité divine. Le texte même de saint Matthieu semble indiquer, en effet, que Joseph n'a conclu son mariage avec la Vierge qu'après que se fût manifestée la grossesse de sa fiancée. Voir sur ce point Fillion, Vie de N.-S. Jésus-Christ, Paris, 1922, t. I, p. 256-264 et M.-J. Lagrange, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 8 sq. Les fiançailles juives, au temps de saint Joseph, comportaient déjà un véritable droit du « mari » sur sa fiancée, bien que le mariage ne fût tout à fait conclu que lorsque la fiancée venait définitivement s'installer au domicile de l'époux. Cette coutume explique parfaitement le sens de Matth., I, 18. Les versets suivants ne nous permettent pas de conclure que Joseph ait soupçonné Marie de faute. Sans doute, Joseph n'est pas encore averti du mystère de l'incarnation, mais, connaissant la pureté de Marie, il soupçonne le surnaturel et, quel que soit le calcul qui préside à sa détermination, il prend la résolution très ferme de ne pas la renvoyer publiquement, mais de se retirer, laissant à Dieu le soin d'arranger l'affaire. Cette interprétation n'est pas l'interprétation ordinaire, mais c'est la seule qui tienne exactement compte du « cum esset justus ». Sur cette interprétation, voir Lagrange, op. cit., p. 13-14. Sur les autres interprétations du doute de saint Joseph, voir Ch. Pesch, De Verbo incarnato, p. 611.
2) Mission par rapport à l'enfant Jésus.
L'enfance de Jésus fut le second dépôt confié à la fidélité de Joseph. Mais à quel titre Jésus lui fut-il confié ? Il faut se souvenir que l'éducation de l'enfant est la fin très spéciale du mariage. Or, dans le mariage de saint Joseph et de la sainte Vierge, l'enfant Jésus fut le fruit de l'union virginale des deux chastes époux, non seulement parce qu'il fut le fruit de la virginité de Marie qui était le dépôt et le bien de saint Joseph, mais encore parce que l'union de Joseph et de Marie était, dans les desseins de Dieu, ordonnée à l'éducation de l'Homme-Dieu. Ce n'est pas assez dire que saint Joseph fut le père « putatif », ou le père « adoptif », ou le père « nourricier » de l'enfant Jésus. Ces appellations, que nous trouvons sans doute sous la plume de plusieurs Pères de l'Église, ne répondent en réalité qu'à une vérité incomplète. Tout ce qui appartient au père, hormis l'acte propre du mariage, appartint à Joseph par rapport à l'enfant Jésus. C'est la doctrine de saint Jean Chrysostome, In Matth., homél. IV, n. 6, P. G., t. LVII, col. 47, magnifiquement développée par Bossuet, Panégyrique cité, 2° point. Le développement de Bossuet se trouve déjà en raccourci dans saint Thomas d'Aquin, expliquant comment, par une disposition spéciale de la Providence, le bien du mariage entre Joseph et Marie fut vraiment l'enfant Jésus: « L'enfant n'est pas appelé le bien du mariage seulement en tant que, par le mariage, il est mis au monde, mais encore en tant que le mariage est spécialement ordonné à sa naissance et à son éducation. Ainsi Jésus fut le fruit du mariage de Joseph et de Marie, non de la première façon, mais de la seconde. Et cependant, un enfant né d'adultère, et même un enfant adopté, ne saurait être appelé le fruit du mariage de ses parents (supposés ou adoptifs), car, en ce cas, ce mariage n'est pas ordonné par la nature à l'éducation de ces enfants, tandis que le mariage de Joseph et de Marie fut ordonné par Dieu tout spécialement à la naissance et à l'éducation de Jésus. » In IV Sent., l. IV, dist. XXX, q. II, a. 2, ad 4um. Cf. Terrien, La Mère de Dieu, t. II, p. 187-188, note.
Comme la paternité de Joseph est une exception et, partant, échappe à toute classification possible, il est malaisé de lui donner un nom qui lui convienne parfaitement; il est plus facile, affirme le cardinal Billot, De Verbo incarnato, p. 422, de dire de quel nom il ne convient pas de désigner cette paternité. Corneille de La Pierre nommait Joseph « père par droit de mariage », patrem matrimonialem. Le nom propre, exprimant adéquatement le lien unissant Joseph à Jésus, nous échappe. La liturgie l'appelle une vice-paternité. Préface propre de S. Joseph.
3) Mission par rapport au mystère de l'incarnation.
Le mystère de l'incarnation devait être tenu secret pendant la vie cachée de Jésus. Cependant, pour la protection de la virginité de Marie et pour l'éducation de l'enfant divin, il fallait que ce secret fût confié à l'homme choisi par Dieu pour devenir l'époux de Marie et exercer les droits comme les devoirs de la paternité vis-à-vis de Jésus. La vocation de Joseph, à l'encontre de celle des apôtres qui sont des lumières pour faire voir Jésus, est d'être un voile pour le couvrir. Cf. Bossuet, op. cit., 3e point. Joseph fut ce voile même à l'égard du démon, selon l'opinion curieuse de saint Ignace martyr, mentionnée, sinon reprise, par saint Jérôme, ut partus ejus celaretur diabolo dum eum putat non de virgine, sed de uxore generatum. In Matth., c. i, P. L., t. XXVI, col. 24. Sur cette curiosité exégétique, voir S. Thomas, Sum. theol., IIIa, q. XXIX, a. 1, ad 3um; In Matthaeum, c. i; Suarez, In IIIa p. Sum. theol., q. XXIX, a. 1, n. 2, Opera, éd. Vivès, t. XIX, p. 111; Ami du Clergé, 1921, p. 535-537.
Parce que le Christ, Homme-Dieu, ne devait mener une vie cachée que pour un temps, il convenait que Joseph, ministre et compagnon de cette vie cachée, dépositaire du secret dans lequel était renfermé le mystère de l'incarnation du Fils de Dieu, disparût de la scène de ce monde avant que la parole du ciel ne révélât au fils de Zacharie dans le désert la présence du Messie promis et annoncé. Aussi, dans l'obscurité même qui avait entouré sa vie, Joseph, continuant jusqu'au bout sa mission sublime, rendit sans doute son âme à Dieu avant que Jésus se manifestât aux hommes comme l'Homme-Dieu. Ainsi, le voile qui couvrait le mystère de l'incarnation étant enlevé, les hommes peu à peu purent s'habituer à concevoir le Christ sans père selon la chair.
II - SAINTETÉ SURÉMINENTE.
Le principe fondamental qui doit ici diriger les déductions du théologien est celui-là même qu'expose saint Thomas à propos de l'abondance de grâces dont fut remplie l'âme de Jésus-Christ et celle de sa mère. « Lorsque Dieu choisit par lui-même quelqu'une de ses créatures pour une fonction spéciale, il la dispose d'avance et la prépare à remplir dignement le ministère auquel il la destine. » Sum. theol., IIIa, q. XXVII, a. 4. « A chacun Dieu donne la grâce suivant l'élection qu'il a faite de lui. Et parce que le Christ, en tant qu'il est homme, avait été prédestiné pour être le Fils de Dieu, sanctificateur du monde, il eut en propre une plénitude de grâces assez grande pour enrichir tous les hommes... Mais la bienheureuse vierge Marie a obtenu une grande plénitude de grâce parce que nulle autre créature n'a été voisine comme elle de l'auteur de la grâce. Car elle reçut en même temps celui qui est plein de grâce et, par son enfantement, elle fit couler en quelque sorte la grâce sur l'humanité tout entière. » Loc. cit.,ad 1um.
Et l'élection faite par Dieu ne saurait porter à faux, lorsqu'elle est absolue. Ceux que Dieu élit pour une dignité, il les fait propres à la remplir. Cf. II Cor., III, 6, et le commentaire de S. Thomas, lect. II. Jamais les choix de Dieu, soit dans l'ordre de la nature, soit dans celui de la grâce, ne peuvent tromper ses prévisions ni ses espérances. Cf. Terrien, op. cil., t. I, p. 259-260.
De ce principe général, on doit déduire l'abondance de grâces dont fut enrichie l'âme de saint Joseph, et, si l’on peut dire, sa prééminence sur les autres saints, hormis la sainte Vierge. Nous préciserons ensuite quelques points relatifs à cette prééminence.
1) Surabondance de grâces et de perfection dans l'âme de Joseph.
La grâce sanctifiante, nous destinant à l'union surnaturelle avec Dieu, est d'autant plus abondante en une âme que cette âme doit être plus intimement unie à Dieu dans l'ordre surnaturel. Or Joseph, tant à l'égard du Verbe incarné qu'à l'égard de la Mère de Dieu, a reçu une mission très particulière, qu'aucun autre homme n'a reçue. Dans l'intimité de la sainte Famille, le droit d'époux, le droit de père, le droit de gardien vigilant et fidèle établissait, entre saint Joseph et Dieu, une relation si étroite, qu'on n'en peut trouver de semblable chez les autres saints, et qu'elle place Joseph, dans l'ordre de l'union avec Dieu, immédiatement après la vierge Marie. Quelle devait donc être la grâce préparée et conférée par Dieu à l'homme élu entre tous, chargé de conduire et de protéger le Verbe, fait homme pour le salut des hommes, à l'homme élu entre tous pour être l'époux, gardien vigilant de la virginité de Marie, dans l'amour même le plus ardent de la vertu! « Joseph fut l'époux de Marie; il fut réputé le père de Jésus-Christ. De là ont découlé sa dignité, sa faveur, sa sainteté, sa gloire. Certes, la dignité de mère de Dieu est si haute qu'il ne peut être créé rien au-dessus. Mais, toutefois, comme Joseph a été uni à la bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n'est pas douteux qu'il n'ait approché plus que personne de cette dignité suréminente par laquelle la mère de Dieu surpasse de si haut toutes les natures créées. » Léon XIII, Encyclique Quanquam pluries, 5 août 1889. Voir le développement de ces pensées dans saint François de Sales, Entretiens spirituels, XIX, édit. d'Annecy, t. VI, p. 360; 355-366.
A ces raisons solides s'ajoute une indication tirée du rôle joué par saint Joseph par rapport à l'incarnation. Durant la vie cachée de Jésus, Joseph en fut le gardien plein de foi et de discrétion. A ce rôle, désormais fini, a fait place un rôle non moins glorieux, celui de protecteur de l'Église, de cette Église qui continue ici-bas le mystère de l'incarnation. Or, si Jésus-Christ, comme chef de l'Église, doit avoir la plénitude de grâce qui convient au chef, plénitude dont « nous avons tous reçu » ; si la sainte Vierge, en tant que Mère des hommes, a dû posséder une grâce plus parfaite que celle des autres créatures, parce qu'elle devait en quelque sorte faire couler la grâce sur l'humanité tout entière, ne pouvons-nous pas également affirmer que le rôle de protecteur de l'Église constitue, pour saint Joseph, un titre à une surabondance exceptionnelle de grâces ?
2) Prééminence de saint Joseph par rapport à tout autre saint
C'est la conclusion de ce qui précède. Saint Joseph, après Marie, a été la créature la plus unie à Jésus, et cette union provenait d'une mission exceptionnelle, qui n'a été confiée à aucun autre saint, et qui se rapportait au mystère même de l'Auteur de la grâce. Mais la prééminence de saint Joseph pose quelques difficultés qu'il importe de résoudre. Disons immédiatement que la place assignée par la liturgie au nom de saint Joseph après celui de saint Jean-Baptiste n'implique aucune infériorité en saint Joseph au point de vue de la sainteté. Voir sur ce point Analecta juris pontificii, XXe série, 1881, col. 824-843.
a) Saint Joseph et saint Jean-Baptiste.
La difficulté vient du texte de Matthieu, XI, 11. Si Jean a été proclamé par Jésus lui-même « le plus grand de ceux qui sont nés d'une femme » n'est-il pas, par là même, le plus grand des saints ? Ainsi l'ont pensé saint Cyrille d'Alexandrie, Thesaurus, P. G., t. LXXV, col. 157; saint Jean Chrysostome, In Matth., homil. XXXVII. n. 2, P. G., t. CII, col. 421; saint Augustin, Contra adversarium legis et prophetarum, 1. II ,c. v, n. 20, P. L., t. XLII, col. 650; et parmi les exégètes catholiques, dans leurs commentaires sur le premier évangile, Denys le Chartreux, Maldonat, Jansénius, Jean de Sylveira, Barradas, Tirin, etc. Mais une telle exégèse est en dehors du sens que présente le texte. La phrase qui suit l'indique clairement. Jésus, ayant fait l'éloge du Précurseur, auquel, en tant que Précurseur, aucun autre homme ne saurait être comparé, ajoute, en jetant un regard sur le royaume à venir, que « même les membres inférieurs de son Église, même les plus petits d'entre les chrétiens l'emportent sur saint Jean-Baptiste, quelle que soit d'ailleurs la grandeur du Précurseur. » Fillion, Évangile selon S. Matthieu, p. 222. Cf. Évangile selon S. Luc, p. 157. C'est donc en tant que dernier représentant de l'Ancienne Loi, dont il est le dernier prophète, que Jean est proclamé le plus grand des hommes; sa valeur personnelle, sa sainteté, ses vertus individuelles sont hors de cause : avec la plupart des commentateurs, il faut reconnaître qu'ici Jésus-Christ ne parle de Jean-Baptiste qu'en fonction de sa mission prophétique, qui clôt l'Ancien et annonce le Nouveau. Cf. Van Steenkiste, Commentarius in Evangelium secundum Matthaeum; Lagrange, Évangile .selon S. Matthieu, p. 222; Knabenbauer, Evangelium secundum Matthaeum, t. I, p. 429-431. On trouvera dans ce dernier auteur les déclarations faites en ce sens par Albert le Grand, saint Thomas, Tolet, etc. Sur le texte parallèle de Luc., VII, 28, voir Lagrange, Évangile selon S. Luc, p. 221. Cf. Billot, De Ecclesia, Prato, 1909, p. 74, et surtout D. Buzy, Saint Jean-Baptiste, Paris, 1922, part. III, c. 3.
b) Saint Joseph et les apôtres.
Une difficulté, qui en fait n'existe pas, a été imaginée en partant de deux textes de saint Paul, Rom., VIII, 23; Eph., I, 8, et surtout du commentaire qu'en a fait saint Thomas. Sur Rom., VIII, 23, celui-ci reprend l'argumentation par laquelle on prouve la surabondance de grâces en l'âme de saint Joseph, pour démontrer qu'après la Vierge, les apôtres ont obtenu de Dieu la plus grande sainteté. Leur fonction, en effet, les place immédiatement après Marie. Epist. ad Romanos, c. VIII, lect. V, édit. de Parme, t. XIII, p. 83. Et sur Eph., I, 8, saint Thomas écrit « que les apôtres ont reçu une grâce plus abondante que tous les autres saints, après le Christ et la Vierge-Mère »; et il dénonce « la témérité, pour ne pas dire l'erreur, de ceux qui ont la présomption de comparer d'autres saints aux apôtres, dans l'ordre de la grâce comme dans l'ordre de la gloire. » Id., p. 448.
Il est incontestable qu'au Moyen Age, le culte de Joseph était à peu près inexistant; on ne pensait guère à l'humble et modeste saint, rien d'extraordinaire à ce que l'Ange de l'École n'ait pas pris garde à la haute mission qui lui fut départie, mission qui devait justifier sa prééminence, même à l'égard des apôtres. D'ailleurs, dans l'exposition du texte de l'Épître aux Romains, il dit : Spiritum sanctum et tempore prius et ceteris abundantius apostoli habuerunt; et, dans l'Épître aux Éphésiens, s'il confesse qu' « il est téméraire de comparer d'autres saints aux apôtres, il fait précéder cette conclusion du texte emprunté à l'Épître aux Romains, avec la glose : tempore prius et ceteris abundantius. Il ne s'agirait donc pas de la comparaison des apôtres avec un saint venu avant eux.
Mais, à ne considérer que l'argumentation de saint Thomas, et en laissant de côté sa conclusion un peu absolue, on arrive facilement à déduire la prééminence de saint Joseph, même sur les apôtres. La mission de saint Joseph, étant d'un ordre plus relevé que celle des apôtres, exigeait, en vertu du principe de saint Thomas, une plus grande surabondance de grâces. « Certains offices, écrit Suarez, relèvent de l'ordre même de la grâce sanctifiante, et, dans ce genre, les apôtres tiennent le degré le plus élevé : aussi ont-ils eu besoin de plus de secours gratuits que les autres, surtout en ce qui concerne les dons gratuitement donnés et la sagesse. Mais il y a d'autres offices qui confinent à l'ordre de l'union hypostatique, en soi plus parfait, ainsi qu'on le voit clairement de la maternité divine en la bienheureuse vierge Marie, et c'est à cet ordre d'office qu'appartient le ministère de saint Joseph. » Sans vouloir tirer de conclusion absolue, le grand théologien « estime qu'il n'est ni téméraire, ni impie, mais au contraire que c'est opinion pieuse et vraisemblable de considérer saint Joseph comme le premier des saints en grâce et en béatitude. » In Sum. S. Thomae, IIIa, q. XXIX, disp. VIII, sect. 1; Opera, édit. Vivès, t. XIX, p. 125. On voudra bien remarquer la modération louable avec laquelle s'exprime Suarez.
La doctrine de la prééminence de saint Joseph avait été antérieurement professée par Gerson, Sermo in nativitatem virginis Mariae, IVa consideratio, dans Vivès (card.), Summa Josephina, Rome, 1907, p. 173; par saint Bernardin de Sienne, Sermo I de S. Joseph, c. 3, Opera, Lyon, 1650, t. IV, p. 254. A partir du XVIe siècle elle devient beaucoup plus courante; elle est admise par sainte Thérèse, saint François de Sales, plus tard par saint Alphonse de Liguori, etc. « Certes, pouvons-nous conclure avec Léon XIII, la dignité de Mère de Dieu est si haute qu'il ne peut être créé rien au-dessus. Mais, toutefois, comme Joseph a été uni à la bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n'est pas douteux qu'il ait approché, plus que personne, de cette dignité suréminente par laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les natures créées. » Encycl. Quanquam pluries. A prendre ces derniers mots dans leur sens plein, il faudrait conclure à la prééminence de saint Joseph non seulement sur tous les saints, mais encore sur les anges. Mais il va de soi qu'on ne saurait interpréter cette simple assertion d'un document pontifical autrement que comme une indication, et qu'il convient de montrer, en ce domaine, qui échappe à toutes nos prises, la plus grande prudence.
3) Précisions relatives à la prééminence de saint Joseph.
La thèse de la prééminence de saint Joseph se présente donc avec des garanties de probabilité théologique. On peut même affirmer qu'elle tend à devenir de plus en plus la doctrine communément reçue dans l'Église. Mais cette prééminence même soulève un certain nombre de problèmes subsidiaires que les théologiens s'efforcent de pénétrer. C'est, dit-on, en raison de sa mission à l'égard de Jésus que Joseph a dû recevoir de Dieu cette surabondance de grâce qui lui assure la prééminence par rapport aux autres saints. Mais n'est-ce pas une raison analogue, quoique plus pressante, - la maternité divine, - qui amène l'Église à concevoir pour la sainte Vierge toute une série de privilèges, dont plusieurs sont définis comme de foi divine et catholique : immaculée conception, virginité parfaite, impeccabilité, mort immédiatement corrigée par une résurrection et une assomption glorieuse, culte spécial ? Si donc il faut affirmer avec Léon XIII que Joseph, en devenant l'époux de la Vierge, est devenu « un participant de sa sublime dignité », ne peut-on pas se demander dans quelle mesure il a pu participer aux privilèges de son admirable épouse ? Ici encore le théologien averti devra se mettre en garde contre l'abus de la raison raisonnante et ne jamais perdre de vue les grandes règles qui président aux déductions théologiques.
a) Privilège par rapport au péché origine
Il ne peut être question, bien que certains l'aient insinué, d'immaculée conception, ce privilège ayant été accordé uniquement à Marie. Mais saint Joseph aurait-il obtenu un privilège de sanctification, dès le sein de sa mère, comme l'a obtenu Jean-Baptiste ? - L'affirmative a été proposée par Gerson, Sermo de Nativitate Virginis Mariae ; Isidore Isolani, Summa de donis S. Joseph, part. I, c. IX, édit. du P. Berthier, O. P., Rome, 1887; par Bernardin de Busto, franciscain, Mariale..., Strasbourg, 1496, part. IV, serm. 12; par S. Alphonse de Liguori, Sermone di S. Giuseppe, 2e point, Discorsi morali, Naples, 1841, p. 223; et accueillie avec faveur par_ le P. Jean de Carthagène, Homiliae catholicae de sacris arcanis Deiparae et Divi Josephi, Naples, 1869, t. III, p. 311; et P. Morales, S. J., In caput I Matthaei, De Christo, sanctissima virgine Maria et S. Joseph, Paris, 1869, t. I, p. 214. - Suarez, que saint Alphonse cite comme ayant repris et défendu l'opinion de Gerson, a, au contraire, malgré sa grande dévotion envers saint Joseph, refusé de souscrire à la thèse du chancelier de l'Université de Paris. Benoît XIV se range à cet avis négatif : la sanctification de saint Joseph dans le sein de sa mère ne paraît pas, à ces deux maîtres de la science ecclésiastique, pouvoir être démontrée par des raisons sérieuses. Bien que de nos jours des auteurs estimables, Mgr Sauvé, le P. Tesnière, en particulier, aient cru pouvoir reprendre l'opinion de Gerson, il ne semble pas qu'on doive accorder la moindre probabilité à cette opinion. Saint Thomas fournit une raison qui justifie amplement cette attitude. La sanctification d'un homme dès le sein de sa mère est une faveur exceptionnelle qui n'est accordée par Dieu qu'en raison d'une utilité commune. Cf. Som. theol., IIIa, q. XXVII, a. 6. Or l'office qu'avait à remplir saint Joseph n'exigeait une sainteté éminente qu'au moment où le saint patriarche devint le fiancé de Marie. De plus, ni l'Écriture ni les Pères ne font la moindre allusion à ce privilège de saint Joseph. Aussi doit-on se rallier sans hésitation à la conclusion de Suarez : « Je pense qu'il ne faut ni admettre ni affirmer certains privilèges que plusieurs attribuent à ce grand saint, par exemple le privilège de la sanctification dans le sein maternel. De telles affirmations, qui sont en dehors des règles générales de l'Écriture, ne sauraient être accueillies que si on les appuie sur de bonnes raisons et sur la grande autorité de l'Église et des Pères. » De mysteriis vite Christi, disp. VIII, sect. 2, n. 6-8. Or, nous l'avons vu, ni les bonnes raisons ni l'autorité de l'Église et des Pères ne sont là pour appuyer l'opinion de la sanctification de saint Joseph avant sa naissance. Il manque donc à cette opinion ce que Benoît XIV appelle firmum et stabile in sacra theologia fundamentum. De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, Padoue, 1743, 1. IV, part. II, c. xx, a. 31, p. 135.
Quoi qu'il en soit, la sanctification de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère ne crée pas pour autant au Précurseur une prééminence de sainteté ou de dignité par rapport à saint Joseph. Il ne s'ensuit pas que saint Joseph n'ait pas reçu dès le moment où il fut sanctifié, à quelque date qu'il faille placer cet instant, une grâce plus abondante que qui que ce soit, à part la sainte Vierge.
b) Impeccance et impeccabilité.
Sur la signification de ces mots, voir t. VII, col. 1265. Affirmer de saint Joseph comme de Marie l'impeccabilité absolue, c'est-à-dire l'impossibilité morale de pécher, serait à coup sûr excessif. Mais peut-on affirmer que, vu l'abondance de grâces dont son âme fut inondée dès sa sanctification, saint Joseph posséda l'impeccance de fait ? Peut-on dire, tout au moins avec une sérieuse probabilité (la certitude est impossible en pareille matière), que le foyer de la concupiscence a été, chez saint Joseph, lié au point de lui permettre d'éviter en fait tout péché, même simplement véniel et de propos semi-délibéré ?
Les avis sont partagés à ce sujet. Le R. P. Lépicier défend avec beaucoup de conviction la thèse de l'impeccance, en la fondant sur la pureté parfaite qu'exigeait la mission de saint Joseph. De sancto .Joseph, part. III, a. 2. Voir également IMPECCABILITÉ, col. 1274. Notre piété envers saint Joseph ne nous oblige pas, semble-t-il, à affirmer cette thèse sans restriction. En effet, la mission de saint Joseph exigeait l'impeccance, mais seulement dans le temps même où cette mission lui fut confiée. Or ce temps n'est pas toto vitae mortalis decursu. Il est possible, d'ailleurs, que Dieu ait accordé toto vitae mortalis decursu cet insigne privilège à celui qui devait lui servir de père ici-bas ; mais l'existence en saint Joseph d'une prérogative aussi absolue, aussi complète, est indémontrable. Or une opinion, même simplement probable, doit s'appuyer sur une démonstration véritable. Et même, à l'encontre de cette thèse, on peut apporter un argument de grande valeur. Le concile de Trente a défini que l'homme justifié ne peut pas éviter au cours de son existence entière le péché, tout au moins le péché véniel, sans un privilège spécial de Dieu. Sess. VI, can. 23. Ce privilège spécial fut certainement concédé à Marie, comme suite de l'immaculée conception. A-t-il été concédé à d'autres créatures, en vertu d'une dérogation aux lois ordinaires de la Providence ? Qui pourrait l'affirmer ? L'attitude qui s'impose au théologien catholique semble bien être celle que propose le cardinal Billot. « Pour éviter, dit-il, dans l'ordre actuel de la Providence, au cours de toute la vie, les péchés véniels, même semi-délibérés, il faudrait un secours tout à fait extraordinaire de Dieu, qui n'a jamais été concédé à aucun homme conçu dans le péché, à moins d'un privilège très spécial dont il n'est pas possible de constater l'existence. » De gratia, Prato, 1912, p. 106. Tout en reconnaissant la possibilité d'un privilège aussi exceptionnel, il faut donc reconnaître aussi que la concession de ce privilège ne peut être l'objet d'une démonstration théologique. Tout ce que l'on est en droit d'affirmer, c'est que saint Joseph, en raison de sa mission, fut confirmé en grâce dès l'instant de son mariage avec la sainte Vierge.
Ne serait-il pas plus exact de dire simplement que saint Joseph, constitué en grâce d'une manière suréminente (ce qui n'implique pas nécessairement l'impeccance perpétuelle), n'a cessé d'augmenter en son âme, dès l'âge de raison, le trésor surnaturel de grâces que Dieu y avait déposé ? Le nom de Joseph signifie cet accroissement, cf. Gen., xxx, 24, et saint Bernard a tiré de ce nom une délicate argumentation : Conjice ex proprio vocabulo, quod augmentum non dubitas interpretari, quis et qualis homo fuerit iste homo Joseph. Homil. Il super « Missus est », Opera, Venise, 1568, t. I, p. 11. En Joseph, comme en Marie, quoique dans un degré inférieur, se trouvent réunies d'une manière excellente les trois conditions du mérite et du progrès de la vie surnaturelle : oeuvres en soi bonnes et susceptibles d'être rapportées à Dieu (peut-on trouver oeuvre plus excellente que la triple mission de Joseph ,par rapport à la virginité de Marie, à l'enfance de Jésus, et au mystère de l'incarnation); charité suréminente dirigeant ces oeuvres vers Dieu, fin surnaturelle (quel amour de Dieu en celui qui a tenu en ses bras l'enfant Jésus. Cf. Bernardin de Sienne, Sermo de S. Joseph, a. 2, c. 2, Opera, t. IV, p. 254); liberté plus grande que chez les autres hommes, d'autant plus grande que saint Joseph avançait chaque jour de plus en plus dans la perfection. De cet accroissement continuel de vie surnaturelle en Joseph, on ne saurait jamais assez exprimer de louanges. Il faudrait exalter sa foi profonde, sa confiante espérance, son amour sans cesse grandissant au contact de Celui qui, dans sa compagnie, manifestait de plus en plus aux hommes « la grâce et la sagesse qui étaient en lui. » Il faudrait rappeler la prudence et la force du vigilant gardien chargé d'arracher l'enfant et sa mère aux embûches de leurs pires ennemis; la justice de l'homme parfait que l'Écriture dépeint d'un mot : justus, la tempérance de cet artisan humble et laborieux. On pourrait ainsi passer en revue toutes les vertus et les attribuer à saint Joseph dans un degré suréminent : on resterait certainement dans les limites de la vérité. Pour donner à saint Joseph une auréole digne de lui, de la sublime mission dont il fut revêtu, point n'est nécessaire de lui accorder la science infuse surnaturelle ou la vision béatifique que certains auteurs, dans l'empressement d'une dévotion indiscrète, ont cru pouvoir attribuer au chef de la sainte Famille. Le considérer comme un martyr est une exagération manifeste. En faire le corédempteur du genre humain, au sens propre du mot, serait friser l'erreur et le blasphème. Cf. Lépicier, Tractatus de S. Joseph, p. 208. Tous ces titres n'ajouteraient rien à la sainteté de saint Joseph, mais sembleraient plutôt en contradiction avec sa mission terrestre, toute d'humilité et de silence, dont le cadre devait être et rester uniquement la vie cachée du Sauveur.
4) Virginité
Là où, sans crainte d'exagération, on peut exalter la grandeur de saint Joseph, c'est au sujet de sa virginité. Chaste, il l'a été d'une façon admirable, durant son mariage avec Marie. Sa mission l'exigeait impérieusement. « Pureté, s'écrie Bossuet, voici ton triomphe. Ils se donnent réciproquement leur virginité, et sur cette virginité, ils se cèdent un droit mutuel..., de se la garder l'un à l'autre. » Op. cil., 1er point. Mais Joseph était-il vierge lorsqu'il accepta Marie comme épouse ? L'opinion d'un mariage antérieur de saint Joseph, recueillie dans l'apocryphe Protévangile de Jacques, a eu, dans les premiers siècles de l'Église, quelques partisans parmi les Pères de l'Église. Aujourd'hui, elle est complètement abandonnée. L'éminente sainteté de Joseph, la sublimité de sa mission, exigent de lui un amour de la chasteté poussé jusqu'à la virginité complète et perpétuelle. En fait, d'ailleurs, l'hypothèse d'un premier mariage de Joseph d'où seraient issus les « frères du Seigneur » se heurte à des difficultés telles que l'on peut conclure à son impossibilité. Voir JÉSUS-CHRIST, col. 1167.
5) Privilèges dans la mort.
La mort de saint Joseph fut une mort privilégiée : comme celle de la sainte Vierge, elle fut, dit saint François de Sales une mort « d'amour ». Cf. Traité de l'amour de Dieu, l. VII, c. XIII. C'est donc à juste titre que saint Joseph est invoqué comme patron de la bonne mort. Douce et suave comme celle de la Vierge, la mort de saint Joseph a semblé appeler un complément qui unirait davantage encore le patriarche à sa glorieuse épouse, par le triomphe d'une résurrection anticipée. On lit dans Matth., XXVII, 52-53, que beaucoup de corps de saints ressuscitèrent après la résurrection du Seigneur et se manifestèrent dans la ville de Jérusalem. Saint Thomas avait d'abord pensé que ces résurrections avaient été définitives et absolues. In IV Sent., 1. IV, dist. XLII, q. I, a. 3; In Matthaeum, ad hune locum, edit. de Parme, t. x, p. 210. Plus tard les raisons apportées en sens inverse par saint Augustin lui ont semblé beaucoup plus solides. Sum. theol., IIIa, q. LIII, a. 3, ad 2um. Quoi qu'il en soit, tablant sur la première hypothèse, certains ont admis que Joseph aurait figuré parmi ces premiers ressuscités, et serait ainsi entré au paradis en corps et en âme. Ainsi fait Suarez, In Som. S. Thomae, 111a, q. XXIX, disp. VIII, sect. II, édit. Vivès, t. XIX, p. 128, et saint François de Sales, Entretien XIX, édit. d'Annecy, t. VI, p. 363. La théologie ne dispose d'aucun moyen pour contrôler la valeur de ces hypothèses superposées.
III - PATRONAGE DE SAINT JOSEPH SUR L'ÉGLISE UNIVERSELLE.
Dans l'encyclique Quanquam pluries, Léon XIII trouve dans la mission de saint Joseph à l'égard de la sainte Famille « les raisons et les motifs spéciaux pour lesquels saint Joseph est nommément le patron de l'Église, et qui font que l'Église espère beaucoup, en retour, de sa protection et de son patronage. » En effet, « la divine maison que Joseph gouverna comme avec l'autorité du père, contenait les prémices de l'Église naissante. De même que la très sainte Vierge est la Mère de Jésus-Christ, elle est la Mère de tous les chrétiens. Jésus-Christ est aussi comme le premier-né des chrétiens, qui, par l'adoption et la rédemption, sont ses frères. Telles sont les raisons pour lesquelles le bienheureux patriarche regarde comme lui étant particulièrement confiée la multitude des chrétiens qui compose l'Église, sur laquelle, parce qu'il est l'époux de Marie et le père de Jésus-Christ, il possède comme une autorité paternelle... Cette mission providentielle dévolue à Joseph a eu son type dans l'Ancien Testament en cet autre Joseph, fils de Jacob, appelé par le roi des Égyptiens « le Sauveur du monde ». «De même, dit Léon XIII, que le premier fit réussir et prospérer les intérêts domestiques de son maître et bientôt rendit de merveilleux services à tout le royaume, de même le second, destiné à être le gardien de la religion chrétienne, doit être regardé comme le protecteur et le défenseur de l'Église, qui est vraiment la maison du Seigneur et le royaume de Dieu sur la terre. »
L'objet de ce patronage est évidemment, avant tout, d'ordre spirituel; mais parce que le patronage de saint Joseph continue sa mission de chef de la sainte Famille, il faut conclure que ce patronage concerne aussi bien l'ordre temporel que l'ordre spirituel. Sainte Thérèse l'affirme expressément. Voir Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même, Oeuvres, édit. Migne, Paris, 1840, t. I, p. 156.
Le patronage de saint Joseph étant universel, « les hommes de toutes conditions et de tous pays » trouveront en ce grand saint un modèle et un protecteur. Léon XIII le rappelle aux pères de famille; aux époux, aux personnages nobles de naissance; aux riches; aux prolétaires; aux ouvriers, aux personnes de condition médiocre, etc. Cf. encyclique citée, édit. de la Bonne Presse, t. II.
Il n'y a pas lieu de se demander pourquoi l'Église a attendu si longtemps avant de proclamer le patronage de saint Joseph, et même de rendre un culte public et solennel à ce saint. Rechercher les raisons pour lesquelles l'antiquité et le haut Moyen Age ont à peu près entièrement ignoré saint Joseph entraînerait dans une étude historique qui est à peine amorcée. Les théologiens en découvrent des raisons providentielles que l'on trouvera exposées dans Billot, De Verbo incarnato, p. 422 et surtout dans Dom Beda Plaine, O. S. B., De cultu S. Joseph tarde ostenso ejusque hodiernis mirabilibus incrementis, dans Studien und Mittheilungen, 1898, t. XIX.
IV - CONCLUSION : LE CULTE DE SAINT JOSEPH.
La sublimité de la triple mission de saint Joseph; la prééminence de sainteté qui en est la conséquence; le patronage universel de ce grand saint sur l'Église, ne seraient-ils pas des raisons suffisantes pour accorder à saint Joseph un culte spécial, distinct du culte rendu aux autres saints ?
Certains auteurs l'ont pensé et déclarent que le culte de saint Joseph, l'emportant sur le culte des autres saints, doit être appelé du nom de culte de protodulie. Toutefois, parce qu'il ne s'agit que d'une différence de degré et non d'espèce, l'Église s'est, jusqu'ici, refusée à sanctionner cette expression qui semblerait impliquer une coopération intrinsèque de saint Joseph à l’incarnation.