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Pèlerinage à Ars le 17 avril 2010
Sermon de Mgr Gilles Wach, Prieur Général
La liturgie de la semaine pascale nous fait chanter à tous les offices : « Haec dies quam fecit Dominus ! Voici le jour que fit le Seigneur, jour d’allégresse et jour de joie ! » La journée que nous avons la grâce de vivre, en suivant les directives de notre Saint-Père le Pape Benoît XVI, déclarant cette année « Année sacerdotale » sous le patronage de saint Jean-Marie Vianney, est avant tout, pour chacun d’entre nous, une occasion exceptionnelle de rendre grâce à Dieu pour le don à l’Eglise et au monde du saint Curé d’Ars.
Le Curé d’Ars, que l’Eglise nous fait rencontrer aujourd’hui, est là, comme il y a presque deux siècles, à dire à chacun d’entre nous, prêtres, religieuses, séminaristes et fidèles : "Je te montrerai le chemin du Ciel." Le Ciel, c’est la Maison du Père, la vraie patrie à laquelle nous aspirons et appartenons déjà par le baptême. Le Ciel, où nous serons un jour, si nous prenons le bon chemin.
Ce pèlerinage est pour nous le moyen de suivre le Curé d’Ars sur ce chemin qui mène au Ciel. C’est le chemin de l’Amour de Dieu. « Le seul bonheur que nous ayons sur terre, disait-il, c’est d’aimer Dieu et de savoir que Dieu nous aime. »
Lorsque l’évêque de Belley, son évêque, envoya Jean-Marie Vianney à Ars, il lui fit cette monition : « Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous y en mettrez. » Le tout jeune curé d’Ars fut dès l’origine de son ministère bien conscient que sa mission était de répandre l’Amour de Dieu dans les âmes qui lui étaient confiées. Il savait que son sacerdoce lui avait été conféré pour continuer l’œuvre de la Rédemption sur la terre. Il savait qu’il était, comme prêtre, dispensateur des grâces divines, c’est pourquoi il affirmait : « Le sacerdoce c’est l’Amour du Cœur de Jésus. »
Au cours de ses études avec son curé, le cher Monsieur Ballay, il avait souvent lu des extraits choisis des Pères de l’Eglise et particulièrement ce texte de saint Grégoire de Nazianze qu’il chercha à s’appliquer toute sa vie : « Il faut commencer par se purifier avant de purifier les autres ; il faut être instruit pour pouvoir instruire ; il faut devenir lumière pour éclairer, s’approcher de Dieu pour en rapprocher les autres, être sanctifié pour sanctifier, conduire par la main et conseiller avec intelligence. Je sais de qui nous sommes les ministres, à quel niveau nous nous trouvons et quel est Celui vers lequel nous nous dirigeons.
« Je connais la hauteur de Dieu et la faiblesse de l’homme, mais aussi sa force. Qui est donc le prêtre ?
« Il est le défenseur de la vérité, il se dresse avec les anges, il glorifie avec les archanges, il fait monter sur l’autel d’en-haut les victimes des sacrifices, il partage le sacerdoce du Christ, il remodèle la créature, il rétablit en elle l’image de Dieu, il la recrée pour le monde d’en-haut, et, pour dire ce qu’il y a de plus grand, il est divinisé et il divinise. »
On a affirmé, souvent facilement, que Jean-Marie Vianney était un ignorant. Il est surtout vrai qu’il se plaisait à le répéter volontiers à cause de certains échecs humiliants qu’il avait subis au séminaire de Lyon. "Debilissimus" avait-on écrit en note sur le registre de la maison, et on le renvoya chez son curé pour revoir ses études. Et c’est son cher curé d’Ecully qui l’instruisit et le porta ainsi jusqu’au sacerdoce.
Jean-Marie Vianney s’appliqua à faire son devoir de séminariste, il étudia la théologie, le latin, avec peine et beaucoup de courage. Il eut beaucoup de mal mais il passa avec succès ses examens, il subit des échecs mais il persévéra. Il était très docile à son Maître. Une voix intérieure le soutenait : « Lorsque j’étudiais, dit-il, j’étais accablé de chagrin, je ne savais plus que faire, alors il me fut dit comme si l’on m’eut parlé à l’oreille : va, sois tranquille, tu seras prêtre. » Ecoutons encore le témoignage d’un de ses confrères séminaristes : « Je l’ai connu au grand séminaire, j’ai eu le bonheur de recevoir l’ordination du sous-diaconat avec lui. Après la cérémonie, il était d’usage de s’en retourner en procession de l’église primatiale de Lyon au grand séminaire. Je me trouvai à côté de lui ; je fus frappé de l’ardeur et de la piété avec lesquelles il chantait le cantique d’action de grâces et surtout je remarquai que sa figure paraissait toute rayonnante. Quand on chanta le verset du Benedictus : Et tu, puer, propheta altissimi vocaberis : praeibis ante faciem Domini parare vias ejus, Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses chemins, je jetai mes regards sur M. Vianney et je lui en fis intérieurement l’application en me disant : il a moins de science que beaucoup d’autres mais il fera de plus grandes choses dans le ministère. »
Voyez-vous, frères très chers, sans nul doute il fut choisi, il fut élu de Dieu, mais chacun d’entre nous n’est-il pas choisi et élu de Dieu ? N’a-t-il pas une mission à accomplir ? Alors pourquoi est-il devenu le saint Curé d’Ars ? Et bien, parce qu’il fit ce que Dieu attendait de lui, et cela dans sa plénitude, il fit le curé à Ars. La sainteté de notre saint Curé, consiste dans l’application parfaite de son devoir d’état : d’être bien ce que l’on est. Et ce qu’il a été, par mission de l’Eglise, ce fut d’être le Christ dans ce petit village de campagne. Il accomplit héroïquement tous les devoirs qui incombaient à sa charge de curé. Célébration de la sainte Messe, présence au confessionnal, prédication, visite des malades, catéchisme, aide aux pauvres, et tout cela avec un zèle brûlant de l’amour de Dieu et du prochain puisé dans le Cœur transpercé du Christ.
Son époque fut troublée : révolutions, persécutions, extension de l’athéisme. L’Eglise également connut des bouleversements et des querelles intestines. Alors que fit Jean-Marie Vianney ? Ce que l’Eglise, par la voix de son évêque, lui demanda : le curé à Ars. C’est pourquoi le Pape Benoît XVI peut le donner aujourd’hui comme patron de tous les prêtres. Le Pape ne s’y est pas trompé en le déclarant ainsi, car pour favoriser l’élan des prêtres vers la perfection spirituelle, dont dépend surtout l’efficacité de leur ministère, il leur faut un saint patron qui leur indique le chemin de la sainteté sacerdotale, qui n’est autre qu’accomplir en tout la sainte Volonté de Dieu. C’est donc une belle leçon à contempler et à imiter pour nous prêtres, et pour vous aussi chers fidèles.
Le saint Curé d’Ars méditait souvent et commentait à ses fidèles la plus grande et la plus belle prière des chrétiens : le Notre-Père. Il me semble qu’il nous invite aujourd’hui, pèlerins d’Ars que nous sommes, à réciter avec plus de ferveur et de compréhension ces divines paroles adressées à notre Père des cieux : que Votre Nom soit sanctifié ; que Votre règne arrive ; que Votre Volonté soit faite.
Le Curé d’Ars avait pris à la lettre l’avertissement du Seigneur : « Si quelqu’un ne se renonce pas lui-même, il ne peut être mon disciple. » Cette sentence de Jésus revenait sans cesse dans son enseignement : « Nous n’avons en propre que notre volonté, c’est la seule chose que nous puissions tirer de notre fond pour en faire hommage au Bon Dieu. Aussi assure-t-on qu’un seul acte de renoncement à la volonté Lui est plus agréable que trente jours de jeûne. » On trouve encore ceci dans ses sermons : « J’ai connu de belles âmes dans le monde qui n’avaient point de volonté propre, qui étaient tout à fait mortes à elles-mêmes, c’est là ce qui fait les saints. Il n’y a que le premier pas qui compte dans cette voie de l’abnégation. Une fois qu’on y est rentré, ça va tout seul, et quand on a cette vertu, on a tout. Voyez, disait-il encore à ses paroissiens, ce bon petit saint Maur, qui était si puissant auprès du Bon Dieu et si cher à son supérieur Saint Benoît par sa simplicité et son obéissance. Les autres religieux en étaient jaloux : le supérieur leur dit : « Je vais vous montrer pourquoi j’estime tant ce cher petit frère. » Il alla frapper à toutes les cellules ; tous avaient quelque chose à terminer avant d’ouvrir. Il n’y eu que Saint Maur qui était à copier l’Ecriture Sainte, qui laissa sur le champ son travail pour répondre son supérieur. » Dans le même sermon, il citait saint Louis de Gonzague, demandant souvent à ses supérieurs des permissions qu’il pensait ne pas obtenir, afin d’avoir l’occasion de se renoncer. Il citait encore ce religieux qui avait toujours quelque chose à finir lorsque la cloche sonnait ; la Sainte Vierge lui apparut un jour et lui dit : « Sache que tu serais bien plus agréable à Dieu si tu renonçais à ta volonté. »
Il commentait aussi l’Evangile de saint Jean dans le récit de la guérison de l’aveugle-né : « Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais si quelqu’un fait la Volonté de Dieu, celui-là Dieu l’exauce. »
Il en était bien convaincu et les nombreux miracles que Dieu a opérés à travers lui venaient de sa totale soumission à la Volonté de Dieu. Le Pape Benoît XVI dans sa Lettre aux Prêtres à l’occasion de l’Année sacerdotale, souligne ce trait de sainteté du Curé d’Ars : « On sait combien, dit le Pape, il était tourmenté par la pensée de son incapacité pour le ministère paroissial et par son désir de fuir pour pleurer dans la solitude sur sa pauvre vie. L’obéissance seule, et sa passion pour les âmes, réussissaient à le convaincre à rester à son poste. Il montrait à ses fidèles, comme à lui-même, qu’il n’y a pas deux bonnes manières de servir Notre-Seigneur ; il n’y en a qu’une, c’est de servir comme il veut être servi. »
Il n’avait pas cru bon, dans ces temps difficiles, de se mêler aux querelles des gens du monde dont l’agitation aurait pu l’entrainer à faire autre chose que le curé à Ars. Ces bien-pensants, ces faux dévots, auraient trouvé de bonnes raisons pour le détourner de son devoir en le persuadant qu’il serait plus utile ailleurs que dans ce petit village d’Ars.
Dieu, par la voix de l’Eglise, voulut qu’il se sanctifie à Ars, et par ce don de soi, par cet esprit de pénitence et d’abnégation, il devint saint et sanctifia de nombreuses âmes. Qui ne se souvient de sa répartie à son évêque : « Si vous voulez convertir votre diocèse, il faut faire des saints de vos curés. » Et pour illustrer mes dires, en voici une preuve infaillible. Le diable était son pire ennemi, car ce dernier savait ce qu’il avait à craindre d’un tel prêtre. Sa foi et son amour de Dieu l’auraient porté jusqu’au martyre s’il l’eut fallu. Sans doute le diable avait-il entendu un de ses premiers sermons : « Si un pasteur ne veut pas se damner, avait-il dit, il faut qu’il foule au pied le respect humain et la crainte d’être méprisé ou haï de ses paroissiens, et serait-il sûr d’être mis à mort après être descendu de la chaire, cela ne doit pas l’arrêter. » Le diable le tourmenta et, pendant des nuits entières, il manifesta ses fureurs, impuissantes certes, mais fort bruyantes dans le presbytère et dans la chambre même du saint Curé.
Frères très chers, alors que le diable et ses légions semblent particulièrement déchaînés aujourd’hui contre l’Eglise, le Pape et les prêtres, suivons l’exemple de Monsieur Vianney qui était sa terreur, car humblement, modestement, soutenu par une ascèse pleine d’amour de Dieu, il accomplit à sa place son devoir d’état.
Ne donnons pas, ne donnons jamais, prise au diable par un esprit d’indépendance orgueilleuse qui veut déranger les plans de Dieu. A chacun d’entre nous, Dieu a assigné une charge, une mission, qui lui est propre. Demandons-lui la grâce de l’accomplir héroïquement.
Notre religion, voyez-vous mes chers amis, est la religion de l’Incarnation. C’est le mystère d’un Dieu fait homme, qui rachète l’humanité par son obéissance et la conduit au sein du Père. A chaque messe, chers frères prêtres, à chaque communion, chers fidèles, d’un regard embrassez d’avance toute votre journée, acceptez l’ensemble de vos devoirs, dites au Seigneur : « Vous m’avez aimé, ô Jésus, et vous vous êtes livré pour moi - Dilexit me et tradidit semetipsum pro me » ; moi aussi, « je livre tout et je me livre tout entier pour vous. »
Avec l’aide de Marie, qui n’a cessé d’être priée et invoquée par notre Saint Curé, répétons sans cesse notre Fiat, un Fiat d’amour qui fait de nous prêtres ou baptisés, d’autres Christ visibles dans un monde loin de Dieu. Que l’on puisse dire de nous, comme s’écriait magnifiquement un simple vigneron du Mâconnais en s’éloignant d’Ars : « J’ai vu Dieu dans un homme ! »
Ainsi soit-il.