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Sermon de Mgr le Prieur Général pour le Jeudi Saint

 

Monsieur le Supérieur,

Messieurs les abbés,

Ma Révérende Mère,

Chers séminaristes,

Très chères sœurs,

Mes bien chers frères,

Saint Vincent de Paul donna un jour ce conseil à ses filles, nobles âmes qui voulaient se dépenser toutes au soulagement des misères humaines, mais qui sentaient leur faiblesse en face d’une si héroïque entreprise:

« Mes filles, vous voulez la charité, eh bien ! Mangez la charité ! » C’est une parole d’une simplicité un peu brutale, mais combien profonde et féconde!

Celui qui communiera souvent, - naturellement, il est toujours sous-entendu qu’il aura les dispositions de foi, de pureté et d’amour requises,- celui-là aimera Dieu et son prochain. C’est infaillible.

« L’homme, écrit Saint François de Sales, est la perfection de l’univers; l’esprit est la perfection de l’homme; l’amour, celle de l’esprit; et la charité, celle de l’amour. » Cette perfection de l’amour, c’est l’Eucharistie, qui nous y élève.

Voyez-vous, chers prêtres, chers séminaristes, chères sœurs et chers fidèles, c’est une vérité incontestable, et je veux vous le montrer, pour que vous en soyez persuadés comme je le suis, et surtout pour que vous en fassiez l’expérience.

Ceux qui communient, qui communient bien, ont la charité ; ils aiment Dieu… ce Dieu que, de commandement, nous devons aimer de tout notre esprit, de tout notre cœur, de toutes nos forces et par-dessus toutes choses.

Ils l’aiment avec Notre Seigneur qui vit en eux, et qui s’empare de leurs facultés pour les offrir à son Père ; Ils l’aiment à sa divine manière, devenus ses membres et remplis, avec lui, de sève surnaturelle.

Il en est vraiment ainsi, quand on va au fond des choses.

De fait, vous qui recevez Jésus dans l’Hostie, comment n’aimeriez-vous pas Dieu ?

A qui devez-vous de connaître votre Sauveur, sinon à Dieu ?

Qui a donné licence au Verbe de s’incarner, sinon Dieu ?

Qui vous donne le pain qui lui sert de voile dans son Sacrement, sinon Dieu ?

Qui vous admet à l’honneur de sa table et de son union, sinon Dieu ?…

Et vous n’aimeriez pas Dieu ?

Dès là que vous communiez, vous l’aimez, car vous ne pouvez oublier que c’est à lui que vous devez toutes ces bénédictions.

Je sais : vous vous trouvez bien tièdes ; cet amour, vous ne le sentez pas assez vivre, frémir en vous.

Peu importe ce que vous ressentez ; vous êtes allés à Jésus-Christ ; vous aimez Dieu en lui, avec lui, par lui.

Quand vous avez reçu Jésus-Hostie, vous êtes d’autres lui-même et, comme il est tout à Dieu, vous aussi vous êtes tout à Dieu.

Vous ne sentez pas dans votre âme cette douce brûlure de l’amour ? Vous n’êtes pas heureux, comme lorsqu’on aime ? parce que vous ne savez pas aimer comme Dieu aime ! Vous ne savez pas que l’amour est aussi anéantissement ; et c’est là la grande leçon de ces jours saints.

L’Eucharistie est la continuité de l’Incarnation. Dieu se fait Homme et l’Homme-Dieu se fait pain de vie. Il s’abaisse à prendre la condition humaine et il meurt sur la croix tout comme le grain de blé meurt en terre ; tout cela pour nous donner la charité perdue par nos premiers parents.

Si nous ne sentons pas ce soir ces brûlures de l’amour divin, c’est parce que nous ne sommes pas morts à nous-mêmes. C’est parce que le grain d’orgueil et d’égoïsme en nous n’est pas mort.

Pour comprendre cet amour et le ressentir, il faut passer par la croix et la mort, puis parfois par le feu et les flammes du Purgatoire pour ceux qui sont sauvés ou par les terribles flammes de l’Enfer pour ceux qui sont réprouvés !… Pour ceux qui n’ont jamais aimé et qui ne savent pas aimer !

Heures cruelles, heures perdues, car, « tout ce qui ne tend pas à l’amour éternel, tend à la mort éternelle », et « l’amour est si désirable et nécessaire à notre bonheur que sans lui nous ne pouvons être que malheureux » (Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu).

Mais, en revanche, n’est-il pas aussi des heures où votre amour de Dieu est une évidence si claire que vous ne pouvez en douter ?

Des heures où, étant tout à lui, vous avez la volonté de ne plus vous reprendre ?

Des heures où vous sentez que, s’il le fallait, vous seriez prêts à verser pour lui tout votre sang ?

Des heures de don et d’abandon total ?

C’est surtout dans nos Saintes communions que de telles dispositions naissent dans nos âmes, lorsque celles-ci sont prêtes à être broyées, lorsque celles-ci sont prêtes à être brûlées par l’amour divin.

Bref lorsqu’elles sont offrandes, dons et immolations, tout comme l’Eucharistie. J’en appelle à votre expérience, et c’est ce qui me fait dire que l’Eucharistie est une source d’amour de Dieu.

Elle est de même la source de l’amour du prochain.

Ceux qui communient aiment leur prochain, et leur prochain pris individuellement. Pourquoi ? Parce que Jésus qui vient dans leur cœur nous aime tous individuellement.

Verbe et Fils éternel de Dieu, il est certain qu’il a pensé à nous de toute éternité.

Il est certain aussi qu’il n’a pas seulement pensé à nous, froidement, sèchement, flegmatiquement, sans émotion et sans cordialité.

En pensant à nous, il nous a aimés tous et chacun ; et la preuve, c’est qu’il nous a appelés, nous - et non pas un autre -, des abîmes du néant pour nous faire venir à la vie.

Et vous spécialement à cette sublime vocation d’être un autre lui-même, ou de lui être consacrés par la vie religieuse.

Dieu nous aime d’un amour éternel qui n’a ni commencement, ni fin, ni succession ni vicissitude.

Nous sommes éternels dans son amour !

Des siècles et des siècles éternels avant que nous fussions, Dieu nous avait conçus dans sa pensée, voulus dans ses décrets ; et c’étaient une pensée et un décret d’amour.

Or, n’oublions pas : notre Christ Eucharistique, c’est le Verbe, c’est Dieu.

Parce que notre cœur s’est matérialisé et qu’il n’aime plus que le sensible, Dieu s’est fait sensible, Homme et Hostie, pour remplacer dans notre amour les idoles sensibles auxquelles nous l’avions enlacé.

« Jésus-Christ n’est que l’amour de Dieu humanisé, donné à l’homme de toutes manières, sous toutes les formes et en tous les états, pour lui prouver l’amour de son Créateur. »

Il nous a aimés de même dans le temps, de son Incarnation à sa mort, car c’est pour chacun de nous qu’il est né, qu’il a souffert et qu’il est mort.

Les pathétiques paroles que Pascal fait dire à Jésus sont vraies, et nous pouvons tous et chacun les prendre à notre compte :

« Je te suis plus ami que tel et tel, dit le Seigneur, car j’ai fait pour toi plus qu’eux, et ils ne souffriraient pas ce que j’ai souffert de toi, et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et de tes cruautés comme j’ai fait, comme je suis prêt à faire et fais dans mes élus et au Saint-Sacrement. »

Ah ! Cette Passion, mes chers amis, cette croix, ce sang, cette mort ! Il a pris sur lui tous nos crimes, nos crimes si lourds que ses épaules ont ployé sous le poids !

La croix que nous allons tous contempler et adorer demain !

Enfin il montre son amour à chacun de nous dans son Sacrement. Nous sommes de pauvres êtres déchus; nous sommes des pécheurs, et par conséquent des indignes.

 

Qu’importe : il vient nous apporter le pardon et il se donne lui-même dans l’Hostie au plus humble, au dernier d’entre nous. « Je t’aime, semble-t-il lui dire, selon un mot qui est encore de Pascal, plus ardemment que tu n’as aimé tes souillures ! »

Il oublie tout, négligences, trahisons, ingratitudes, outrages, parjures, sacrilèges même, et il vient, comme s’il ne pouvait se passer de nous !

Voilà comment le Dieu de l’Eucharistie nous a aimés. Or, ceux qui communient savent cela; ils le savent pour avoir éprouvé et goûté cet amour miséricordieux.

Comment lors, se refuseraient-ils à l’imitation d’une charité dont ils sont les premiers à recevoir la grâce ?

Leur cœur s’ouvrira donc largement pour se répandre sur tous les hommes, quels qu’ils soient. Et plus particulièrement pour leur prochain, celui que Dieu nous met sur notre route.

Comme Jésus, nous serons bienveillants, tolérants, patients, compatissants, dévoués, délicats, attentifs, et comme Jésus nous nous sacrifierons pour les autres.

Comment se manifestera cette charité ? Par des paroles ? Non.

Aimer en paroles, ce n’est pas aimer; la bouche peut mentir ; le cœur, au contraire, ne ment pas. C’est par des prières et par des actions qu’elle prouvera sa sincérité.

Si nous aimons nos frères en premier lieu, nous prierons pour eux, d’une prière sincère et aimante.

Nous prions pour eux qui reçoivent le même Jésus-Hostie que nous, pour eux qui sont aimés, choisis, et pardonnés par le même Jésus que nous et qui seul sait qui d’entre nous a commis le plus de crimes.

 

Si nous les aimons, nous leur pardonnerons leurs offenses envers nous, nous les servirons, nous les éclairerons, nous les nourrirons, nous leur donnerons de notre temps, de notre argent, de notre vie.

Nous marcherons sur la trace des grands charitables que furent les saints, depuis les apôtres jusqu’aux saint Jean de Dieu, saint François d’Assise, saint Camille de Lellis, saint Vincent de Paul, Sœur Teresa ; jusqu’aux Filles de la Charité et aux Petites Sœurs des Pauvres, car, c’est un fait historique indéniable, petites ou grandes, toutes les œuvres de charité sont nées de l’Eucharistie.

La preuve, c’est que ces œuvres n’existent et ne sont vraiment vivantes que dans l’Eglise catholique, gardienne fidèle de la communion eucharistique. On l’a dit, et rien n’est plus vrai:

« Plus Jésus-Christ entre en nous, plus nous entrons les uns dans les autres par la charité. »

La charité de ceux qui communient émane de la société que Notre Seigneur aime le plus, c’est-à-dire son Corps mystique, l’Eglise, l’ensemble sanctifié de ceux qui lui appartiennent et qui lui restent fidèles.

Il l’aime dans son chef suprême qui est son vicaire ici-bas ;

Il l’aime dans ses pasteurs, les évêques, qui sont les successeurs des apôtres ;

Il l’aime dans ses prêtres, qui sont les laborieux ouvriers de sa vigne ;

Il l’aime dans les religieuses, qui sont la portion choisie de son troupeau ;

Il l’aime dans ses millions de membres, qu’il appelle ses brebis et ses agneaux.

Le chrétien, et plus encore le séminariste, plus encore le prêtre communiant, devra donc aimer, comme le Maître, cette grandiose assemblée des âmes.

De fait, nous tous qui communions, nous chérissons l’Eglise, et je sais que les humbles serviteurs que nous sommes, membres de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre défieraient au besoin la mort pour Notre Sainte Mère l’Eglise.

On ne peut recevoir le Corps de Jésus sans aimer son Corps mystique, et c’est l’Eucharistie qui établit ce grand courant d’amour.

Dans une époque tourmentée comme la nôtre nous la chérissons plus encore et, avec la foi, nous la contemplons plus belle que jamais parce qu’elle est semblable à Jésus dépouillé de ses vêtements, à Jésus flagellé, à Jésus couronné d’épines, à Jésus crucifié.

Elle est comme son Jésus et nous voulons être comme lui.

Des âmes débordantes, des âmes dévorées de charité, voilà, mes chers prêtres, séminaristes et religieuses de l’Institut, ce que l’Eucharistie fera de nous si nous nous livrons tout entiers à ses divines influences.

En demeurant, comme il nous l’a recommandé, dans son amour (Manete in delectione mea), le Christ nous enflammera de l’amour dont il fut rempli lui-même, et nous atteindrons la perfection de la vie, car la perfection de la vie est la fille de l’amour.

Notre amour de Jésus deviendra justice, humilité, patience, douceur, tolérance, dévouement, miséricorde et pitié.

Nous aurons en nous la grande force qui fait les serviteurs de Dieu et les saints.

Ah ! si nous comprenions l’Eucharistie comme la comprenaient nos pères, qui trouvaient en elle le principe d’une union et d’une concorde inviolable !

Unis au Corps de Jésus, ils ne voulaient former et ne formaient qu’un Corps mystique unifié comme le pain de l’Hostie. C’était plus qu’une union, c’était l’unité.

L’unité, voilà notre idéal. Aimons-nous donc les uns les autres; que rien ne nous sépare.

Réconcilions-nous si nécessaire, selon le vœu du Seigneur.

Ne faisons qu’un en lui et en Dieu.

Ecoutons la voix du Maître qui nous dit : « Aimez-vous les uns les autres… Ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi-même que vous le ferez… Soyez bons, comme votre Père céleste est bon. » Il l’a dit en propres termes : son commandement, c’est l’amour !

Ainsi soit-il.