ICRSP


Saint Joseph, Époux de la mère de Dieu

19 mars

Les Petits Bollandistes – Vies des Saints

 

Si vous cherchez Joseph, vous le trouverez avec Jésus et Marie.[1]

Le juste fleurira comme le lis ; sa fleur conservera son éclat et son parfum éternellement devant le Seigneur.[2]

 

Dans l'ancien Testament, au témoignage de saint Jean Chrysostome, les circonstances les plus frappantes de la Rédemption sont prédites ou symbolisées de manière à être aisément reconnues de tous. Le rôle de saint Joseph a été annoncé au moyen de signes ou de figures qui lui forment, pour ainsi dire, une histoire anticipée dans les livres de l'ancienne alliance.

Abraham, le père des croyants, est le premier qui nous soit présenté comme le type et l'image de saint Joseph, à cause de sa parfaite obéissance à Dieu et de sa foi, qui n'éprouva jamais la moindre défaillance. Malgré les apparences, quand Dieu lui manifesta sa volonté, il n’hésita pas un instant ; il se soumit, sans exprimer le moindre doute, sans demander d'éclaircissement. Ajoutons qu'en fait d'obéissance la soumission de saint Joseph fut récompensée, d’une manière plus merveilleuse et plus éclatante encore que celle du patriarche Abraham : la postérité d'Abraham fut plus nombreuse que les grains de sable au bord de la mer et que les étoiles au firmament ; la postérité spirituelle de saint Joseph remplit l'univers entier.

Quand Abraham, poussé par la famine, descendit en Égypte, il déclara que Sara était sa sœur, craignant que les habitants, séduits par sa beauté, ne le missent à mort pour la lui enlever. Joseph aurait pu courir le même danger, si, au temps où il vivait, les mœurs n'avaient pas été changées. Sous le gouvernement des Grecs et des Romains, la liberté personnelle était plus respectée que sous le régime despotique des Pharaons. Joseph d'ailleurs eût pu affirmer avec autant de vérité que le grand patriarche que Marie était sa sœur. Elle était sa sœur encore, dans un sens plus élevé, par la vie angélique qu'ils pratiquaient dans le mariage. Enfin Abraham fut le père d'Isaac, que toute l'antiquité chrétienne a considéré comme la plus parfaite image du véritable Isaac, fils adoptif de saint Joseph.

Le grand prêtre Aaron, frère de Moïse, a été également regardé comme une figure allégorique de saint Joseph, à cause de sa tige miraculeuse, qui fleurit et donna des fruits en dehors de l'ordre habituel de la nature. À l'exemple d'Aaron, saint Joseph porte à la main une tige fleurie.

Contemplons encore un pieux personnage de l'ancienne loi qui mérita, par sa position, d'être regardé comme une image prophétique de saint Joseph ; c'est Mardochée, l'oncle et le gardien de la reine Esther. Non seulement durant son enfance il entoura de soins cette jeune orpheline, que la loi avait placée sous sa protection ; mais encore, quand elle fut montée sur le trône, grâce à la faveur divine, il ne cessa jamais de veiller sur elle avec une attention et une affection paternelles. Il n'ignorait pas sans doute que la Providence ne l'avait élevée à de si hautes destinées que pour le plus grand avantage du peuple auquel elle appartenait par sa naissance. Esther, en effet, devait sauver ses compatriotes de la haine du perfide Aman. En récompense de son zèle et de sa fidélité, Mardochée devait remplir à la cour d'Assuérus un poste de confiance, et auprès de la reine des fonctions auxquelles ses vertus, son attachement l’avaient préparé : il devint l'intendant de son palais.[3]

Saint Joseph était destiné par la Providence à couvrir temporairement aux yeux des hommes et la vertu de Marie et le mystère de l’Incarnation divine. Quand les temps seront accomplis, le voile sera déchiré, et les hommes connaitront l'auguste mystère d'un Dieu consentant à se revêtir de la forme et des misères humaines dans le sein d'une Vierge. Au moment fixé dans le plan divin, toute incertitude se dissipera ; tous les symboles chrétiens proclameront Jésus, fils de la Vierge. Mais il était nécessaire d'abord, au milieu d'une société dissolue, d'assurer un protecteur à la modestie virginale de Marie, et de préserver contre la calomnie la naissance miraculeuse du Sauveur.

Ce rôle glorieux était réservé à Saint Joseph.

Les prophéties, en outre, relatives à la personne du Messie, avaient annoncé que le Christ naîtrait de la tribu de Juda et dans la descendance de David. N'était-il pas utile pour la multitude accoutumée à juger d'après les apparences, que le chef de la sainte famille appartint incontestablement à la tribu de Juda et à la race royale ?

Il est communément admis que saint Matthieu nomme les ancêtres de saint Joseph : c'est la généalogie légale de Jésus. Saint Luc, au contraire, décrit la généalogie de la sainte Vierge ; c’est la généalogie naturelle du Sauveur. L'une et l'autre ont le même point de départ : David est la souche commune ; ce qui est, dans l'espèce, l'affaire capitale.

Aussi, plus tard et dans plusieurs circonstances, le mystère de l'Incarnation divine n'ayant pas été découvert, les Juifs salueront-ils, dans leurs acclamations, Jésus du titre de fils de David. Les envieux de Nazareth, témoins des prodiges opérés par Jésus, diront : « N'est-ce pas là le fils du charpentier, charpentier lui-même ? » La haine et la jalousie n'empêcheront pas de proclamer le fait public, prédit par les prophètes : les enfants mêmes, dans le temple de Jérusalem, répéteront ce cri populaire et triomphal : Hosanna au fils de David !

Ajoutons que Jésus étant fils de Marie, légitime épouse de Joseph, appartenait ostensiblement à ce dernier : Filius, ut putabatur, Joseph[4]. Par conséquent, tracer la généalogie de l’un était tirer celle de l’autre ; nous parlons au point de vue de la loi civile, qui fixe la condition des personnes.

Enfin, nous le savons d'une manière incontestable, Joseph et Marie sont unis par les liens du Mariage, ils appartiennent l'un et l’autre à la même tribu et à la même famille. Un seul point important méritait d'être constaté et mis hors d'atteinte : Jésus par Marie, sa mère, comme par Joseph, son père d'adoption, est fils de David et fils d'Abraham. En sa personne les prophéties ont été accomplies surabondamment. La postérité réelle ou spirituelle d'Abraham peut répéter chaque jour dans nos édifices religieux, à la gloire du roi-prophète : De fructu ventris tui ponam super sedem tuam[5]. « Votre trône sera occupé par un de vos descendants ».

Circonstance digne de remarque, et qui a fixé l'attention de tous les historiens : après la naissance du Sauveur, la succession et la distinction des familles chez les Juifs, sont tombées dans une entière confusion.

En face de l'histoire, et avec la constatation officielle des Romains, saint Joseph a donc été le dernier rejeton de la race royale de Juda ; en lui, comme en Marie, la dernière goutte du sang royal de David a coulé. Jésus, nous ne saurions trop le répéter, suivant les prédictions des Prophètes, est le fils de David.

Selon la coutume de son pays et le génie de sa langue maternelle, saint Joseph, à la circoncision, au moment où le père impose un nom à son fils nouveau-né, avait reçu un nom significatif. On peul le traduire ainsi littéralement dans notre langue : Accroissement, augmentation.

Plusieurs écrivains ecclésiastiques du moyen âge ont pris texte de la signification étymologique du nom de Joseph, pour faire le plus magnifique éloge de cet illustre patriarche, qui eut l'insigne honneur, d'après une belle expression de saint Jean Damascène, de recevoir de Dieu le titre et l'autorité sacrés de père. « Vous pouvez conjecturer, dit saint Bernard, quel personnage fut saint Joseph d'après la seule interprétation de son nom, qui veut dire augmentation ».

« Nous ignorons », dit Suarez « quels furent les dons de science et de sagesse, ou les grâces, gratis datæ, dont Joseph fut favorisé. L'Évangile nous apprend seulement qu'il reçut des communications de la part des anges, et des révélations prophétiques. » – «  Nous avons la certitude », dit-il encore, « qu'aucune des faveurs divines nécessaires à l'exercice de ses fonctions spéciales ne lui a manqué ».

Quelle idée néanmoins pouvons-nous concevoir des perfections qui brillèrent en saint Joseph ? Consultons les livres sacrés. Les textes inspirés disent ordinairement beaucoup en peu de mots. Le Saint-Esprit s'exprime avec un laconisme profond ; de notre saint patriarche il dira seulement : « Joseph était un homme juste[6] ». En quoi consiste cette vertu de justice ? «  La justice », dit l’Ange de l'école, saint Thomas, « n'est pas seulement cette vertu spéciale attribuant à chacun ce qui lui appartient, c'est encore cette rectitude générale de l'âme consistant dans la réunion de toutes les vertus[7]. » Ce  passage du Docteur angélique est le meilleur commentaire et l’interprétation la plus autorisée des paroles de Saint Matthieu. Ce n’est pas d’ailleurs le sentiment de saint Thomas d’Aquin seul ; voici ce que dit saint Jean Chrysostome sur le même sujet : « Le nom de juste », dit-il, « que l'Esprit-Saint accorde à saint Joseph, signifie accompli dans toutes les vertus[8] ». La justice, en effet, comprend l'absence de tout vice et la possession de toute vertu. En conséquence, l'Écriture emploie souvent le mot de justice, comme lorsqu'elle dit de Job : « C'était un homme juste et droit[9] » et encore, en parlant de Zacharie et d'Élisabeth, son épouse : « Tous deux étaient justes[10] ». Un des plus habiles théologiens résume parfaitement en ce point la doctrine catholique : « Il n'est pas téméraire », dit-il, « c'est même une opinion vraisemblable, et inspirée par la piété, que saint Joseph, entre tous les Saints, a tenu le premier rang dans l'état de la grâce[11] ».

Guidés par des raisons de convenance, quelques auteurs ont enseigné que Joseph mérita, comme le prophète Jérémie et saint Jean-Baptiste, d'être sanctifié avant sa naissance. Ainsi pensent Isidore de Isolanis, une des gloires de l'Ordre de Saint-Dominique[12], Moralès, un des plus savants professeurs de l'université d'Alcala, en Espagne[13], suivis en cela par beaucoup de théologiens instruits. Bossuet regarde cette opinion comme probable[14].

Nous connaissons d'une manière certaine l'origine de saint Joseph ; l’Évangile nous rapprend et revient sur ce sujet à plusieurs reprises[15]. Son père se nommait Jacob ; mais l’Écriture ne nous donne aucun renseignement sur ce saint personnage.

Du reste, tous les auteurs sont d'accord sur ce point : au siècle où vécut saint Joseph, comme dans l'antiquité hébraïque la plus reculée, les descendants des rois vivaient dans une heureuse simplicité. Ceux que la fortune s’était plu à combler de ses dons, aimaient à conduire leurs troupeaux au pâturage, labouraient leurs terres, les ensemençaient et recueillaient leurs moissons. C'était alors un luxe envié de tous, d'ajouter une vigne à son domaine, de pouvoir se reposer en paix à l'ombre de son figuier, de récolter les olives, dont on exprimait au pressoir la liqueur onctueuse et parfumée ; le palmier, à la tige élancée, avec son élégant panache de feuillage vert et ses fruits sucrés, était l'arbre le plus estimé : il était regardé comme l'emblème du juste[16]. L'abondance des moissons ou la fécondité des troupeaux, durant de longs siècles, furent considérées comme l'élément principal de la richesse. L'industrie, le commerce, les échanges étaient alors peu considérables, et, nous devons ici l'ajouter, peu estimés.

Avant la captivité de Babylone, les chefs de famille étaient astreints à la dure nécessité du travail ; après les calamités publiques, la situation devint plus pénible encore. Personne, ou presque personne, ne fut exempté de cette obligation rigoureuse. Est-il utile d'ajouter qu'en ces circonstances douloureuses cette situation générale, quoique fâcheuse, n'avait en soi rien d'humiliant ? Malgré les désastres qui se succédèrent coup sur coup, aucun peuple du monde peut-être ne garda plus constamment que la nation juive sa fierté originelle. Tous conservaient fidèlement leurs généalogies ; ils connaissaient la série de leurs ancêtres, comme les Arabes du désert, encore aujourd'hui, malgré les cruelles étreintes de la misère, qui les réduisent trop souvent à l'extrémité, rappellent avec orgueil la dignité et les hauts faits, de leurs pères. Cette hauteur de caractère, fondée sur la noblesse du sang, est un trait saillant des habitudes de toutes les races de l'Orient.

Saint Joseph, descendant de David et vivant dans la médiocrité, partageait le sort commun à beaucoup d’autres. Sa jeunesse s’était écoulée probablement dans cette partie de la Galilée occupée primitivement par la tribu de Zabulon, d'où sortirent, au moment de la captivité, plusieurs hommes justes, en compagnie de Tobie, originaire de la tribu de Nephtali. Là s'élevaient les villes pacifiques de Nazareth et de Cana, ainsi que les villes industrieuses de Bethsaïde, de Corozaïn et de Capharnaüm, non loin des rivages fertiles de la mer de Génésareth. Ce pays passa toujours pour être un des plus abondants et des mieux cultivés de l'antique Palestine. Le commerce y était plus facile et plus actif que dans d'autres contrées : peut-être faudrait-il en chercher la cause dans les mœurs de la population mélangée qui habitait le territoire désigné sous le nom de « Galilée des nations ». Joseph y exerçait la profession de charpentier, et s'était acquis une réputation fondée non moins sur sa probité que sur son expérience et son adresse[17]. Il excellait dans les ouvrages en bois, et quelques écrivains anciens ont ajouté qu'il travaillait en même temps le fer[18] et les autres métaux, sans doute selon les besoins de son état : ce qui a conduit d'autres auteurs à soutenir qu'il unissait plusieurs genres d'industrie, mettant également en œuvre la pierre, le bois et les métaux, à la manière des architectes, dans les contrées où les besoins de la construction sont peu nombreux[19]. Saint Ambroise nous apprend qu'il travaillait à abattre et à tailler des arbres, ce qui est propre aux charpentiers et aux bûcherons. Saint Justin le Martyr, dans son dialogue avec Tryphon, nous dit que le Sauveur, en compagnie de son père nourricier, fabriquait des jougs, et il ajoute cette réflexion touchante, qu'une telle occupation convenait parfaitement à Celui qui devait dire un jour dans ses prédications : « Prenez mon joug sur vous, car il est doux ». Plusieurs des saints Pères ont fait allusion, soit directement, soit par des contrastes éloquents, à ces labeurs obscurs et vulgaires. Dans son commentaire sur le chapitre sixième de l'Évangile selon saint Marc, saint Jérôme rappelle que le divin fils de Marie, en compagnie de son père adoptif, ne dédaignait pas de fabriquer de grossiers ouvrages en bois, lui dont les mains puissantes avaient créé l'aurore et le soleil, source de toute lumière[20]. Saint Jean Chrysostome, le prince des orateurs chrétiens, dans sa première homélie sur l'Évangile de saint Matthieu, insiste de la manière la plus frappante sur ce fait que Jésus était fils de la Vierge, épouse de l'ouvrier en bois, parce que Jésus, Sauveur du genre humain, devait consommer notre salut sur le bois, instrument de la rédemption universelle[21].

          Saint Augustin, d'une érudition si étendue et si sûre sur les origines chrétiennes, quoique communément trop discret sur les questions de cette nature, écrit d'une manière générale que saint Joseph bâtissait des maisons.

Nous devons citer ici ce que l'historien Théodoret rapporte de Libanius. Celui-ci, entraîné dans la funeste erreur de Julien l'Apostat, demandait à un chrétien, pour se railler de Jésus-Christ, ce que faisait en ce moment le fils de l'artisan. « Il est occupé », lui répondit prophétiquement ce chrétien, « à fabriquer un cercueil ». Peu de temps après, en effet, l'empereur apostat périssait misérablement. « Le Galiléen avait remporté la victoire ». Fin déplorable, mais digne d'un monstre qui, peu de jours avant d'être mortellement blessé, avait offert aux idoles un affreux sacrifice dans un temple dédié à la lune, à Carres, en Mésopotamie. Il avait fait murer les portes de ce temple ; mais on l'ouvrit peu de temps après sa mort, et l'on y trouva le cadavre d'une femme pendue par les cheveux, les mains violemment étendues et le ventre ouvert. Quels présages cherchait cet impie dans les entrailles d'une victime humaine[22] ?

          La fleur des vertus chrétiennes n'a pas manqué à saint Joseph. « La continence », dit un pieux écrivain, « peut être regardée comme l'ornement de la sainteté ». Dans un discours où surabondent les images les plus gracieuses et les sentiments les plus pieux envers la sainte Vierge, prononcé le jour de la fête de la Nativité, saint Jean Damascène, si versé dans la connaissance des plus antiques traditions chrétiennes, professe, touchant la parfaite continence de saint Joseph, la même croyance que saint Jérôme[23], saint Augustin[24], saint Chrysostome[25]. Il compare le mariage virginal de la Mère de Dieu à un livre neuf écrit non avec une plume et de l'encre, mais par une main divine. Confié, dit-il, à un homme versé dans la connaissance des lettres, il n'a pas été ouvert, mais il est demeuré intact. Ainsi Joseph vécut avec Marie[26].

          La tradition catholique, en ce qui concerne la pureté de l'époux de la Vierge immaculée, s'est continuée à travers tout le moyen âge. Saint Pierre Damien, au XIe siècle, constate la foi de l'Église touchant la virginité de saint Joseph. L'autorité de cet auteur est d'autant plus grave que, nommé cardinal par le pape Etienne IX, il résume admirablement dans ses écrits la doctrine admise de son temps, et se distingua constamment autant par son érudition profonde que par la pureté de son enseignement et sa tendre dévotion envers la sainte Vierge. C'est à lui, comme on sait, que nous devons spécialement les pratiques de piété du samedi, consacré en l'honneur de la Mère de Dieu. « Ignorez-vous », dit-il dans son Traité du célibat ecclésiastique, « que le Fils de Dieu a eu en telle estime la pureté du corps, que la chasteté conjugale n'a pas suffi à ses yeux, mais qu'il a voulu s'incarner dans le sein d'une vierge ? Ce n'était pas encore assez ; non-seulement sa mère fut vierge, mais encore, telle est la foi de l'Église, celui qui fut regardé comme son père était vierge également[27] ».

          Le cardinal Baronius s'est plu à recueillir quantité de textes des saints Pères relatifs à la pureté de saint Joseph[28]. Nous n'en citerons pas davantage. En deux mots Gerson exprime ce sentiment : Marie a fait vœu de virginité, Joseph s'est lié par un vœu semblable[29]. Sandini, auteur d'un livre savant intitulé : Histoire de la sainte Famille, a été suivi en ce point par tous les Docteurs modernes. Cet écrivain, qui a brièvement récapitulé les études des Bollandistes à ce sujet, s'exprime en ces termes, que l'on peut regarder comme la conclusion de tout ce que nous venons de dire : « Que Joseph ait vécu et soit mort vierge, c'est, après saint Jérôme, le sentiment de toute l'Église latine ».

          Terminons en citant quelques lignes écrites par un des plus dévots serviteurs de saint Joseph, Isidore de Lille. « Les Docteurs catholiques », dit-il, « n'hésitent plus aujourd'hui à décerner à saint Joseph l'auréole de la virginité : d'abord, parce qu'ils regardent comme vérité démontrée que ce grand saint fut vierge d'esprit et de corps, par vœu et par état ; ensuite, parce qu'il fut le premier à suivre et à imiter la Reine des vierges ; enfin, parce que l'époux et l'épouse doivent être parés des mêmes ornements[30] ».

          On s'est demandé comment on peut expliquer les fiançailles de Joseph et de Marie, puisque d'une part la fiancée était liée par un vœu de virginité et que cette cérémonie constituait un lien qui ne pouvait plus être rompu.

          Nous partageons à cet égard la pensée de ceux qui croient que la Vierge, liée par le vœu de virginité, avait agi d'après une manifestation directe de la volonté de Dieu, se confiant aveuglément aux dispositions que sa Providence saurait prendre dans l'avenir. Quand le moment fut venu, elle sut certainement que Joseph était l'homme choisi par le Seigneur pour sauvegarder sa pudeur et protéger son intégrité virginale.

          Peu de jours après les fiançailles, selon les ordonnances mosaïques, eut lieu la célébration solennelle du mariage entre Joseph et Marie.

          La noce fut célébrée à Jérusalem le 23 janvier, suivant une tradition adoptée par l'Église.

          Le mariage exista-t-il réellement entre Joseph et Marie ? Parmi ceux qui sont tant soit peu initiés aux études des antiquités ecclésiastiques, personne n'ignore que plusieurs hérétiques ont attaqué la réalité du mariage contracté entre Joseph et la Vierge.

          La sainte Écriture qui, en ce point, n'a pas besoin d'interprétation, s'exprime clairement à ce sujet. Saint Matthieu, en effet, et saint Luc appellent Marie épouse de Joseph, et Joseph époux de Marie[31]. Est-il nécessaire d'ajouter que ces expressions supposent un mariage antérieur ?

          Dieu devait prendre la nature humaine dans le sein d'une vierge ; mais tous ont pensé qu'il était convenable que cette vierge fût engagée dans le mariage. Saint Jérôme en donne deux raisons : « Parce que », dit-il, « la Vierge eût été exposée à être lapidée, et son fils noté d'infamie ». – « C'était encore », ajouta-t-il, « afin que l'enfantement virginal fût ignoré du démon[32] ».

          Suarez, au tome XIX de ses œuvres complètes, résumant la doctrine catholique au sujet du mariage intervenu entre Joseph et Marie, n'hésite pas à dire que c'est une vérité de foi, et qu'il est d'accord en cela avec tous les théologiens[33].

          Ce mariage, devons-nous ajouter, avec quantité d'auteurs, fut saint et parfait : c'est le type de l'union mystérieuse de Jésus-Christ avec l'Église. Cette pensée est de saint Ambroise.

          Pour épuiser ce qu'il est possible de dire sur le chapitre du mariage de Joseph et de Marie, il nous faudrait donner quelques détails sur l'anneau nuptial de la sainte Vierge. Depuis longtemps les habitants de Pérouse se prétendent en possession de cet anneau, déposé d'abord à l'église de Chiusi, où il avait été gardé l'espace de quatre cent quatre-vingt-quatre ans. Il n'est pas en métal ; c'est un cercle en améthyste, sur lequel on voit assez grossièrement gravées deux fleurs à demi épanouies.

          L'incertitude qui règne sur l'âge précis de la sainte Vierge, il faut en convenir, est loin d'égaler l'obscurité qui enveloppe la question de l'âge de saint Joseph quand il épousa Marie. Nombre de graves historiens nous le représentent comme un vieillard vénérable, déjà courbé par l'âge, ayant les cheveux blancs, ne semblant conserver qu'un reste de vigueur. Saint Épiphane n'hésite pas même à dire qu'il avait plus de quatre-vingts ans, la  divine Providence montrant évidemment, dit-il, que ce saint vieillard était destiné uniquement à veiller sur la jeune Vierge.

          Les peintres qui se sont inspirés de l'opinion de saint Épiphane sont, à notre avis, tombés dans une grave erreur, s'ils ont prétendu figurer la chasteté de saint Joseph en nous le représentant comme un homme refroidi par les glaces de l'âge.

          Nous sommes plutôt portés à croire qu'un mariage entre personnes d'un âge hors de proportion, comme on le suppose entre Joseph et Marie, serait souverainement inconvenant[34]. N'aurait-on pas eu à craindre, en un sens opposé, l'inconvénient que tous sont d'accord à considérer comme important à éviter, pour la réputation de Marie, si des hommes malveillants eussent remarqué les suites de l'Annonciation, tandis qu'elle vivait en compagnie d'un vieillard presque centenaire ? Quelle protection, en outre, et quelles ressources aurait-elle pu attendre d'un vieillard caduc, surtout dans les voyages que la sainte famille fut forcée d'entreprendre ?

          Ceux qui ont embrassé un sentiment différent sont nombreux. Ils soutiennent qu'au moment de la célébration de son mariage, Joseph était dans la vigueur de l'âge, ayant à peine dépassé la première fleur de la vie. Loin d'avoir atteint la vieillesse, il jouissait de toutes les facultés et de tous les droits que la législation mosaïque reconnaissait aux hommes. En ces quelques mots, vous trouvez exprimée l'opinion de Gerson[35], Molanus, Baronius[36], Suarez[37], Vasquez[38], Sandini[39].

          Mais nous sommes loin de partager cette opinion, exprimée en termes trop absolus. Nous admettons sans difficulté que saint Joseph n'était pas encore appesanti par la vieillesse ; pourrions-nous également croire qu'il était alors dans la première maturité de l'âge, de vingt-cinq à quarante ans ? Nous inclinons plutôt vers le sentiment adopté par d'autres théologiens : saint Joseph atteignait la cinquantième année de son âge[40].

          Ce qui montre, dit Trombelli, qui cite en entier le texte de Cedrenus, que Joseph n'était pas octogénaire, c'est que l'évangéliste saint Luc ne fait pas difficulté de raconter, au baptême de Jésus, que celui-ci était cru fils de Joseph : Filius, ut putabatur, Joseph. Nous ne reproduirons pas ici le commentaire dont il croit devoir accompagner le texte, parce que, dit saint Augustin, saint Joseph était évidemment en état de pouvoir être considéré comme le père de Jésus[41].

          Saint Joseph a-t-il pu connaître d'avance le mystère de l'Incarnation ? Qui pourrait en douter ? Saint Joseph n'ignorait pas les prédictions, tant de fois renouvelées, relatives à la venue du Messie. Bientôt nous verrons le narrateur sacré reproduire la célèbre prophétie d'Isaïe : «Voici qu'une Vierge enfantera », précisément à propos du trouble dont l'âme du vénérable patriarche était agitée, et qu'un envoyé céleste venait calmer. À ce moment, personne ne l'ignore, tous les regards se tournaient vers la Palestine : de cette terre sacrée on espérait voir sortir bientôt un personnage extraordinaire qui devait exercer la plus grande influence sur les destinées du monde.

          Grand nombre de pieuses traditions circulaient ; elles ne sont pas arrivées jusqu'à nous, parce que leur réalisation dans l'histoire évangélique les a fait peu à peu tomber en oubli, comme une lumière étincelante absorbe et fait complètement évanouir un vague demi-jour. Des traditions, non pas plus merveilleuses, mais plus explicites, se conservaient dans les classes plus éclairées de la société ; rien ne nous empêche de penser que saint Joseph, de la tribu privilégiée de Juda et de la descendance royale de David, homme juste et droit, d'une vie irréprochable, y fût initié comme tant d'autres, et en possédât la pleine intelligence.

          Saint Joseph connut-il l'Annonciation ?

          Les semaines du prophète Daniel étaient sur le point de s'achever. L'archange Gabriel est choisi de Dieu pour porter la grande nouvelle à la vierge Marie, et recevoir son consentement. Cet acte important ne pouvait avoir lieu sans l'acquiescement formel de la Vierge : il n'était pas nécessaire que Joseph fût prévenu. La première Ève avait péché en cédant volontairement aux suggestions du tentateur : la réparation du monde pouvait-elle avoir lieu sans l'assentiment librement donné de la nouvelle Ève ?

          Au moment où l'Ange vint à Nazareth, chargé d'un si noble message, et pénétra dans le sanctuaire le plus auguste, où se trouvait Joseph ? Si l'Écriture se tait, ne pouvons-nous pas suppléer à son silence jusqu'à un certain point ? Nous ne l'ignorons pas, chaque jour le travail appelait saint Joseph en dehors de son habitation. Non qu'il fût obligé quotidiennement d'aller au loin ; mais il possédait dans la petite ville de Nazareth, comme nous le verrons tout à l'heure, un atelier, en dehors de sa maison, où il préparait les matériaux qu'il avait à mettre en œuvre, et où nous le contemplerons bientôt en compagnie de l'Homme-Dieu, sanctifiant par son humilité, son courage, sa persévérance, sa résignation, l'humble travail que la Providence avait désigné à son activité. Tandis qu'il arrosait de ses sueurs les modestes ouvrages auxquels il consacrait ses forces et demandait sa subsistance de tous les jours, un prodige dont la connaissance lui sera pleinement révélée plus tard, s’accomplissait à l'intérieur de sa demeure.

          Saint Bernardin de Sienne assure que le vénérable patriarche voulut accompagner lui-même la sainte Vierge chez sa cousine Élisabeth, et la conduire à travers la région montagneuse de la Judée[42]. De Nazareth à l'endroit où demeurait sainte Élisabeth avec Zacharie, la distance est considérable, et les chemins qui y conduisent, peu fréquentés et traversant la Samarie, région toujours peu hospitalière, sont raboteux et malaisés. On compte environ vingt-cinq lieues, et, dès qu'on s'engage dans les sentiers à travers les montagnes, la marche devient très pénible et hérissée de difficultés de toute espèce.

          À l'époque dont nous parlons, les routes de la Palestine, même les plus suivies, ne présentaient aucune sécurité. Des bandes en armes sillonnaient le pays. Elles poussaient avec force le cri de l'indépendance, et elles étaient forcées souvent de piller pour vivre. Les Romains étaient sans pitié pour ces malheureux, et les poursuivaient à outrance. Ajoutons que des malfaiteurs, trouvant l'occasion favorable, en profitaient pour voler et détrousser les voyageurs. Pouvait-il, sans se rendre coupable de la plus grave imprudence, en de pareilles circonstances, laisser voyager seule une jeune vierge, faible et timide ? Saint Joseph, quoi qu'en disent certains auteurs, pouvait-il  manquer à son rôle de gardien et de protecteur ? Non ; quoique l'Écriture à ce sujet garde un profond silence, nous croyons que le sentiment le plus probable est celui qui enseigne que saint Joseph n'hésita pas à interrompre ses travaux ordinaires pour quelques jours.

          En vain nous objectera-t-on que saint Joseph, s'il eût entendu la magnifique conversation échangée entre Marie et Élisabeth, ne pouvait ignorer la réalité de la maternité divine. Cette difficulté ne saurait être d'un grand poids aux yeux de ceux qui connaissent tant soit peu les mœurs de l'Orient. Tandis que Marie aborde et salue Élisabeth, Joseph avait dû se porter à la rencontre de Zacharie. Jadis, comme plus tard, en arrivant près des maisons de leurs amis, les visiteurs ne pénétraient pas dans la partie du bâtiment réservée aux femmes : les personnes de leur sexe y étaient seules admises. Telles étaient en Palestine les lois de l'hospitalité antique.

          Au retour, saint Joseph accompagna de nouveau Marie[43] ; mais ce retour, qui devait lui causer la plus vive joie, lui occasionna les plus amers chagrins. Trois mois s'étaient écoulés depuis l'Annonciation, et les signes de la maternité de Marie étaient apparents. À cette vue, saint Joseph, ignorant ce qui s'était passé, fut en proie à un trouble violent. Il connaissait la vertu de sa très-chaste épouse ; sa conduite, en tout irréprochable, ne pouvait donner le moindre prétexte au plus léger soupçon. L'expérience du passé, une vie consacrée à la piété, à la retraite, au silence, à l'éloignement du monde, auraient dû le rassurer; mais l'évidence était plus forte que tous les raisonnements.

          Le trouble de saint Joseph ne pouvait être dissimulé. Marie s'en aperçut bientôt ; elle aurait pu sans doute le dissiper sur-le-champ ; mais, forte de son innocence, éclairée peut-être d'une lumière intérieure, elle se confiait en Dieu, qui saurait bien, quand il le jugerait à propos, faire cesser toute incertitude, et employer pour cela les moyens les plus convenables. La première impression cependant était loin d'être favorable. L'esprit de saint Joseph en était obsédé ; sa conscience lui dictait ce qu'il avait à faire. Sa première pensée fut de se séparer d'elle. Aucune certitude néanmoins, pas même un soupçon quelque peu fondé, n'existait. Comme Joseph était un homme juste, il allait s'arrêter à la résolution de la congédier secrètement. Dieu eut pitié de ses angoisses. Un Ange lui apparut pendant son sommeil et lui dit : « Joseph, fils de David, ne faites pas de difficulté de garder Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle est l'œuvre du Saint-Esprit[44] ». Ces paroles suffisaient à calmer son inquiétude et à dissiper le trouble de son esprit. L'Ange continue la communication qu'il était chargé de lui faire. « Elle enfantera un fils, dit-il, et vous le nommerez JÉSUS ; celui-ci, en effet, sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés ».

          ²Outre l'interprétation littérale et naturelle de ce passage, une autre explication a été proposée : « L'anxiété de Joseph », a-t-on dit, « provenait d'une autre cause, c'est-à-dire de ses sentiments d'humilité, qui l'engageaient à s'éloigner et à cesser d'habiter avec Marie. Comprenant, d'après l'éminente sainteté de Marie et d'autres arguments plus faciles à supposer qu'à exprimer, que la Vierge épousée par lui avait été choisie de Dieu pour être la mère de son Fils unique, il se crut indigne de vivre avec une femme élevée à une si haute et si excellente dignité[45] ».

          Saint Bernard avait embrassé cette opinion[46], quoique plusieurs Pères l'aient jugée peu vraisemblable. Il faudrait croire, en effet, que la sainte Vierge eût instruit saint Joseph du fait de l'Annonciation et du mystère de l'Incarnation. Que signifierait alors cette parole, que Joseph ne voulait pas la traduire en justice[47] ? En outre, les paroles de l'Ange consolant saint Joseph, n'auraient plus de signification lorsqu'il lui dit : « Ce qui est né en elle est l'œuvre du Saint-Esprit ». Il est certain que si Joseph était convaincu de la réalité de la conception surnaturelle de Marie, l'Ecriture ne pouvait lui accorder le titre de juste au moment où il voulait l'abandonner, la privant de son secours[48].

          Nous préférons nous arrêter au sentiment suivant, qui n'est injurieux à personne et très-probablement le plus conforme à la vérité. Saint Joseph, auquel toutes les vertus de Marie étaient parfaitement connues, flottait dans la plus cruelle incertitude. Cette manière de voir semble conforme à la croyance de l'Eglise, exprimée dans l'hymne des Vêpres de saint Joseph[49].

          Le calme règne maintenant dans l'âme de saint Joseph. De quelles joies intimes et pures son cœur ne fut-il pas inondé quand, le matin à son réveil, il fit part à Marie de la communication céleste qu'il avait reçue pendant son sommeil ! La foi de cet homme juste n'était plus obscurcie par aucune ombre. Dans le petit enfant qui allait bientôt venir au monde, il reconnaissait le Sauveur promis à l'univers, annoncé par les Prophètes, attendu par les Patriarches. L'émotion nous gagne involontairement à la seule pensée de ce qui se passa de sublime, d'affectueux, de simple et ravissante sensibilité dans le silence et l'obscurité de la pauvre demeure de Nazareth.

          Cette profonde et suave tranquillité néanmoins fut bientôt interrompue. Un édit émané de César-Auguste[50], ordonnant le recensement du monde soumis à l'empire de Rome, avait été publié solennellement dans les provinces.

          « Joseph partit pour Bethléem, la ville de David, parce qu'il était originaire de la maison et de la famille de David, afin d'y faire sa déclaration, avec Marie, son épouse, qui était enceinte» [51]. Le Prophète avait dit clairement : « Et toi, Bethléem de Juda, tu n'es pas la moindre entre les principales villes de Juda ; de toi, en effet, sortira le Chef qui doit régir mon peuple d'Israël»[52].

          Joseph et Marie, modèles d'obéissance, n'hésitent pas à se diriger vers la ville de Bethléem, parce qu'ils appartiennent à la race de David. Ils n'étaient pas, d'ailleurs, libres de choisir le lieu où ils devaient se présenter personnellement au recensement. Pour obéir aux prescriptions impériales, ils s'éloignent de Nazareth en un très modeste équipage, attendu qu'ils n'étaient pas largement pourvus des biens de la fortune. La vierge Marie était portée sur une humble monture, l'âne, aux allures pacifiques ; Joseph conduisait par derrière le bœuf, compagnon de ses travaux ordinaires, chargé des modiques et simples provisions du voyage, c'est-à-dire de quelques pains d'orge, de poissons desséchés, de dattes ou de raisins secs, nourriture commune des gens du peuple. La boisson était puisée aux fontaines le long du chemin.

          Regardons avec amour passer cette petite caravane. Rien ne la distingue extérieurement aux yeux des hommes ; la foi seule nous aide à découvrir les anges qui l'accompagnent. Le vulgaire estimerait plus sans doute le cortège bruyant et pompeux qui escorte les puissants de la terre ; nous qui connaissons ces augustes voyageurs, nous les contemplons avec attendrissement, nous les suivons des yeux et du cœur.

          Dans la partie la plus enfoncée et la plus obscure d'une grotte à deux cents pas de Bethléem, vers l'Orient, Jésus naquit, le 25 décembre, au milieu de la nuit. Les ténèbres les plus épaisses couvraient la terre ; seule alors cette humble caverne fut illuminée d'une clarté surnaturelle.

          Saint Joseph, dit une pieuse tradition, était tourné vers Bethléem au moment où le Christ fit son apparition. Attiré par une vive lumière, il vint à son tour l'adorer et lui rendre les devoirs que réclamaient sa faiblesse et l'état de dénuement relatif auquel ils se trouvaient réduits, loin de leur demeure habituelle. Jésus, enveloppé de langes, fut placé dans une crèche, le plus humble des berceaux.

          Saint Joseph ne s'éloigna pas aussitôt de Bethléem. Aurait-il pu oublier ou négliger sa mission de gardien vigilant de la Vierge et de père nourricier de Jésus ? N'était-ce pas à lui, en effet, dans ces circonstances de veiller à la sécurité de l'Enfant, et de pourvoir aux besoins du fils et de la mère ? Selon les écrivains ecclésiastiques les plus anciens et les plus dignes de foi, saint Joseph avait songé prudemment et d'avance aux nécessités de la Sainte Famille : les prodiges qui lui avaient été manifestés lui avaient en même temps appris qu'elles ne pouvaient tarder à se faire sentir. Plusieurs nous ont dit ce que nous pouvions aisément et naturellement prévoir : il avait réuni toutes les ressources dont il pouvait disposer. Ces ressources étaient médiocres sans doute ; mais aucun auteur n'a écrit qu'il fut jamais réduit à la mendicité. Son travail quotidien avait suffi jusque-là à ses besoins et à ceux de son intérieur, dans un pays et sous un climat où chacun, dès l'enfance, était habitué à se contenter de peu. Les vêtements, on le sait, étaient remarquables par leur simplicité ; les habitations étaient humbles ; le luxe en était entièrement banni ; la nourriture était frugale ; le produit des moindres labeurs procurait une aisance relativement considérable.

          A peine Jésus était-il guéri des blessures de la circoncision, que les mages arrivèrent à Bethléem, conduits par une étoile miraculeuse.

          Au moment de l'arrivée des mages à Bethléem, Jésus était-il encore dans la grotte de Bethléem ? Les uns l'ont affirmé, et la tradition est conforme à ce sentiment. D'autres l'ont nié, fondés sur le texte de saint Matthieu, qui dit qu'ils entrèrent dans la maison[53], supposant que saint Joseph s'était empressé, dès qu'il en avait eu la possibilité, de conduire Jésus et sa mère dans une habitation plus convenable.

          La sainte Ecriture ne nous dit pas si les mages échangèrent quelques discours avec Marie et Joseph. Plusieurs écrivains pieux ont voulu suppléer à ce silence, ou du moins ont affirmé, ce qui est très vraisemblable, qu'il y eut des entretiens entre eux et la Sainte Famille. Saint Bernardin de Sienne, suivi par plusieurs théologiens distingués, va plus loin. « Ne serait-il pas étonnant », dit-il, « que la très miséricordieuse Mère de Dieu n'eût pas adressé de douces paroles à ces hommes fidèles et dévoués, venus de si loin adorer le Messie, bravant les fatigues et les dangers ? »

          Nous acceptons volontiers l'opinion de ceux qui pensent que saint Joseph instruisit les mages d'une foule de particularités qui pouvaient spécialement les intéresser[54]. Saint Joseph, dont le caractère nous est suffisamment connu, les accueillit avec une extrême bienveillance ; il reçut et conserva leurs présents[55]. On ne saurait d'ailleurs, avec quelque fondement vraisemblable, mettre en doute sa présence à leur arrivée. Les bergers des environs de Bethléem l'avaient trouvé attentif et veillant près de la crèche ; les rois le trouvèrent dans les mêmes dispositions. Le texte sacré, il est vrai, n'en parle pas ; mais les monuments de la tradition ont suppléé à ce silence. L'artiste auquel on est redevable des mosaïques précieuses décorant l'arc principal de la basilique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, représente saint Joseph debout derrière la sainte Vierge, tandis que les mages sont prosternés devant Jésus, offrant leurs adorations et leurs dons[56]. Cette peinture est complétée par les sculptures qu'a décrites le savant Bottari dans la seconde édition de la Rome souterraine de Bosio[57].

          A quel moment, en obéissance à l'édit de l'empereur Auguste, Joseph alla-t-il se présenter devant l'officier public pour faire inscrire son nom dans les registres du recensement, de même que ceux de Marie et de Jésus ? L'Evangile n'en dit rien, et aucun historien n'en parle. Il ne tarda pas beaucoup sans doute ; car, nous le savons d'ailleurs, les employés romains, comme, en général, tous les conquérants, n'étaient ni complaisants ni patients. Il est probable toutefois que ce fut seulement quelques jours après la circoncision. Alors, en effet, le père donnait un nom au fils, et ce nom, constaté légalement, prenait place dans la liste généalogique de la famille.

          Evidemment le Christ, la sainteté même et source de toute sainteté, n'était pas soumis à la loi de la circoncision. Mais le Rédempteur, venu dans le monde pour accomplir la loi[58], n'hésita pas à verser les premières gouttes de son sang sous le couteau de la circoncision, le huitième jour après sa naissance.

          L'opinion la plus commune et la plus vraisemblable est que saint Joseph lui-même remplit cette douloureuse fonction de la paternité, en présence de la Vierge. Saint Ephrem le dit expressément[59]. Le savant Serry adopte cette opinion, appuyé sur l'autorité des Pères les plus anciens et les mieux instruits de l'antiquité ecclésiastique. « Dans l'ancienne loi », dit-il, « ce ministère était réservé aux chefs de famille ; les femmes en étaient chargées seulement par exception, en l'absence de leurs maris et contraintes par la nécessité[60] ».

          Les premiers temps de l'histoire évangélique ont été étudiés, à tous les points de vue, avec le plus grand soin, et illustrés de savants commentaires rédigés par les hommes les plus érudits. Quelques faits néanmoins, n'offrant en soi aucune difficulté, présentent toujours de l'obscurité quand on veut les classer suivant un ordre chronologique rigoureux. Suivant la chronologie adoptée par l'Eglise, après le départ des mages, nous placerons la Présentation de Jésus au temple et la Purification de la sainte Vierge.

          A ce propos, on s'est demandé pourquoi Joseph se contenta d'offrir pour la Vierge le sacrifice des pauvres, surtout après avoir reçu les splendides offrandes des mages ? L'or remis entre ses mains lui rendait facile et convenable l'offrande d'un agneau d'un an. Nous lisons dans l'ouvrage de Ch. Trombelli la longue énumération des explications données à ce sujet[61]. Une seule, à notre avis, mérite d'être rapportée, quoique ce soit une simple hypothèse : l'or des mages, dans les desseins de Dieu et les prévisions de l'avenir, était destiné à faciliter à saint Joseph et à la Vierge le voyage en Egypte, et à leur rendre moins pénibles les premiers temps de leur séjour dans une région étrangère[62]. Telle est l'opinion soutenue dès les temps les plus reculés et admise dans les temps modernes par Marsile Ficin, Tillemont, Gori et plusieurs autres savants auteurs[63].

          Les saints époux allèrent de Bethléem à Jérusalem, malgré les dangers qui pouvaient les menacer, et qui les menaçaient en réalité, surtout depuis le passage des mages à Jérusalem, d'autant plus, on le comprend aisément, que les espérances non dissimulées de la nation étaient un grief que le tyran Hérode ne pouvait oublier. Durant le trajet, Marie porta l'Enfant entre ses bras. Une mère pouvait-elle agir autrement ? Elle ne consentit à partager avec personne ce précieux fardeau. Le long de la route, assez déserte en cette saison de l'année, nul sans doute ne fit attention aux pieux voyageurs se dirigeant modestement vers la cité sainte. Aux yeux du vulgaire, c'était un spectacle que l'on voyait fréquemment, pour ne pas dire tous les jours.

          Joseph, nous venons de le voir, conduisit à Jérusalem Jésus et Marie, sans redouter comme imminent le péril auquel la vie de Jésus était exposée. Les cérémonies s'accomplirent au temple sans précipitation ; les expressions du texte de saint Luc le donnent assez à entendre. Après quoi la Sainte Famille revint en Galilée, dans la ville de Nazareth[64]. Hérode cependant était loin d'être tranquille. Furieux d'avoir été trompé par les mages, qui étaient retournés chez eux sans passer par Jérusalem, comme ils l'avaient promis, l'avenir lui apparaissait sous des couleurs lugubres ; son trône, mal affermi, malgré un règne déjà long, lui paraissait chancelant. Comme tous les ambitieux satisfaits, Hérode était jaloux du pouvoir, décidé à ne reculer devant aucune mesure violente pour s'en assurer la possession tranquille. Son imagination frappée ne tarda pas à porter ses appréhensions au comble. Alors germa dans son cœur le projet le plus affreux, le meurtre des enfants de Bethléem et des environs[65].

          Le crime d'Hérode eut un douloureux retentissement dans tout le pays d'Israël. Saint Joseph et la sainte famille n'y étaient pas en sûreté. L'évangéliste nous le dit clairement : Hérode pouvait y faire rechercher l'Enfant pour le perdre[66]. La Galilée, en effet, à cette époque faisait partie des Etats du monarque étranger, qui les tenait de la politique romaine, communément peu généreuse, comme l'avenir ne tarda pas à le démontrer. Saint Joseph ne resta pas longtemps plongé dans l'inquiétude. La nuit, un Ange lui ordonna de prendre l'Enfant avec sa mère et de fuir en Egypte, l'avertissant d'y rester jusqu'à ce qu'il lui dît de revenir. Sur-le-champ saint Joseph obéit : son départ eut lieu cette même nuit ; ainsi l'enseignent la plupart des docteurs et des commentateurs.

          L'Evangile et la tradition ne nous apprennent rien sur la manière dont la sainte famille accomplit ce long voyage. On conçoit aisément l'émotion pénible de Marie adressant ses adieux à la paisible maison de Nazareth, emportant son fils nouveau-né avec ces douces précautions que comprend si bien le cœur d'une mère. Elle était portée par l'humble monture qui récemment l'avait conduite à Bethléem et ramenée en Galilée. Saint Joseph, dans sa prévoyance, avait également confié au pacifique animal le pauvre bagage et les provisions indispensables aux voyageurs ; lui-même suivait à pied, un bâton à la main. Avec une prudence inspirée par la sollicitude avec laquelle il veillait sur le précieux dépôt qui lui avait été confié, il prenait les chemins les moins fréquentés et évitait l'approche des villes. Nul doute qu'il choisit la route la plus courte, et que, sur la lisière du désert, il aura cherché à se joindre à quelque caravane se dirigeant vers l'Egypte. Au lieu de se lancer à travers les déserts de l'Arabie Pétrée, dont la traversée fut toujours difficile et dangereuse, pourquoi n'aurait-il pas préféré la voie commune que suivent encore les voyageurs, longeant les rivages de la Méditerranée et pénétrant en Egypte au-dessus de la mer Rouge, non loin des lacs salés, à cet endroit où le génie moderne a creusé ce gigantesque canal destiné à la jonction des deux mers ? Nous savons que l'on montre, sur les flancs de la montagne sainte du Sinaï, à une grande hauteur, une caverne où l'on prétend que se reposa la sainte famille durant son voyage ; mais cette indication n'a aucune vraisemblance. On ne saurait dire que c'est une tradition ; c'est à peine, sur les lieux, une rumeur populaire. Nous n'en dirons pas autant d'un lieu voisin d'Hébron, où l'on soutient que nos augustes voyageurs s'arrêtèrent quelques instants. Cette opinion est d'autant plus probable, que la plupart des caravanes allant en Egypte, font une halte non loin de là.

          Les voyageurs Européens peuvent, en déployant quelque activité, aller en dix jours de Jérusalem au Caire. Mais aujourd'hui, comme jadis, avec cette gravité et cette lenteur qui caractérisent les Orientaux, il ne faut pas moins de vingt à trente jours communément pour parcourir le même trajet. Certainement saint Joseph n'était guère en état de traverser le désert avec les ressources et le confort des voyageurs modernes. Faut-il cependant, comme les naïves légendes du Moyen Age, faire intervenir continuellement et d'une manière sensible des Anges chargés de veiller, durant le voyage, à tous les besoins de Jésus et de sa sainte Mère ? N'est-il pas plus convenable, à l'imitation des Pères, de penser que Jésus et Marie furent soumis, dans les circonstances ordinaires de la vie, aux conditions communes de l'humanité ?

          Arrivé sur la terre d'Egypte, saint Joseph, selon une tradition respectable, se fixe à Mataréa (Matarieh), petite ville appelée encore Matarès ou Matharée, à six milles du Caire, et près de l'ancienne Héliopolis, dont c'était presque un faubourg. Quelques auteurs ont dit qu'il s'était retiré à Hermopolis, dans la Haute Egypte ; d'autres encore, qu'il avait préféré le séjour d'Alexandrie, ville florissante, où les Juifs étaient fort nombreux et possédaient une synagogue longtemps renommée ; d'autres, enfin, qu'il ne s'arrêta dans aucune ville, embrassant la vie nomade comme offrant plus de sécurité. Il faut l'avouer, l'histoire ne nous apprend rien de certain à ce sujet. Nous adoptons, comme opinion la plus probable, celle que nous avons mentionnée en premier lieu. Nous savons positivement d'ailleurs, non seulement par le témoignage des écrivains, mais surtout par les monuments de l'archéologie arrivés jusqu'à nous, que l'industrie égyptienne travaillait quantité d'objets en bois d'un usage général[67]. Les plus simples garnissaient les maisons communes ; les plus riches, avec incrustations d'ivoire ou de métal, faisaient l'ornement des palais. Beaucoup de meubles étaient façonnés en bois de cèdre ou en bois inaltérable provenant des oasis du désert. Du temps de Moïse, les Israélites sortis d'Egypte, et traversant la presqu'île du Sinaï, connaissaient bien ces arbres et savaient en tirer parti. Sans nul doute saint Joseph, parmi ses compatriotes, trouva facilement à utiliser ses connaissances pratiques, et pourvut ainsi aux besoins modestes de sa famille.

          Nous devons insister sur ce dernier fait, d'autant plus que tous les Pères de l'Eglise primitive rappellent en toute occasion la persévérance de saint Joseph et son application au travail. Jamais son courage ne faiblit ; jamais il ne manqua à son titre de protecteur et de nourricier de la sainte famille. Nous ne saurions admettre l'opinion de ceux qui prétendent « que le dénuement de la sainte famille fut quelquefois si grand que la très sainte Vierge se vit forcée de mendier de porte en porte[68] ». Aucun écrivain ancien ne parle de ce fait. Certainement la tendresse maternelle de Marie n'eût pas hésité à recourir à cette pénible ressource, forcée par la nécessité. La sainte Ecriture, d'ailleurs, nous représente la mendicité comme une punition[69] et le Deutéronome engage les Israélites à ne laisser aucun de leurs frères tomber dans cette extrême détresse[70]. Le Sauveur, en venant habiter parmi les hommes, a consenti à porter toutes nos misères. Avant sa vie publique il partagea les labeurs obscurs de saint Joseph, son père nourricier : l'Evangile nous donne assez à entendre qu'il recourut uniquement au travail pour fournir aux exigences d'une position humble selon les idées du monde.

          Joseph et Marie étaient résignés à la volonté divine. Auraient-ils pu cependant oublier la terre natale ? Leur pauvre maisonnette de Nazareth avait pour eux plus de charmes que les pyramides et les pylônes de l'Egypte. Deux ans à peine s'étaient écoulés depuis leur arrivée sur les bords du Nil, lorsque l'Ange apparut à saint Joseph et lui dit de retourner dans la terre d'Israël. « Ceux qui voulaient attenter aux jours de l'Enfant sont morts[71]». – « Fuyez en Egypte », fuge in AEgyptum, ainsi l'Ange avait d'abord parlé à saint Joseph. Maintenant, remarque saint Jean Chrysostome, il lui tient un autre langage : « Allez dans le pays d'Israël ». Le retour ne présente aucun péril ; il n'est plus nécessaire de se hâter.

          Suivant la tradition et les vraisemblances, la sainte famille, de retour en Galilée, continua d'habiter à Nazareth la maison de la sainte Vierge, où s'était accompli le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu[72]. A une distance peu considérable était situé l'atelier de saint Joseph où, sous la direction de son père adoptif, Jésus exerça jusqu'à l'âge de trente ans l'humble métier de charpentier. Ces derniers faits, dit l'Evangéliste, se passèrent en accomplissement de ce qui avait été annoncé par les Prophètes : « Il sera appelé Nazaréen[73]».

          Saint Joseph, réinstallé dans sa maison, ne tarda pas à reprendre le cours de ses travaux habituels ; Marie, comme autrefois, se livra aux modestes occupations d'un pauvre ménage.

          Nous pouvons croire que Jésus enfant fut initié à la connaissance des lettres dans la maison paternelle. Les Juifs n'avaient pas d'écoles publiques proprement dites. Le père transmettait à ses enfants les premiers éléments des sciences ; il leur faisait lire ensuite les livres les plus remarquables de la Bible, tels que celui des Psaumes de David et les prophéties les plus célèbres. Les jeunes gens, parvenus à un certain âge, se rendaient de temps à autre à l'école de la Synagogue, où ils recevaient les leçons des docteurs. L'école du temple, à Jérusalem, était très célèbre.

          Saint Joseph, nous n'en saurions douter, remplit fidèlement envers Jésus tous les devoirs de la paternité. Quand le temps fut venu, selon l'habitude des Juifs, le Sauveur ne refusa pas de s'appliquer aux travaux pénibles de son père nourricier. Ainsi le Fils de Dieu, revêtu de notre humanité, vécut relégué dans une pauvre boutique d'artisan.

          Tandis que Jésus et saint Joseph passaient leurs journées dans un labeur ingrat, la sainte Vierge s'occupait à des travaux manuels. Une modeste chapelle s'élève aujourd'hui sur l'emplacement de l'atelier sanctifié par les sueurs de saint Joseph et de l'Homme-Dieu. Jadis on y avait construit une belle église ; il en reste un seul pan de muraille en ruine. Ce lieu vénérable est le sanctuaire du travail : là Notre-Seigneur a ennobli la profession des artisans. Là il nous donne, par son humilité, son abnégation, son amour du silence et de la retraite, de touchantes leçons, dont notre siècle orgueilleux a grand besoin.

          « Chez les Juifs », dit le docteur Sepp, « c'était un devoir pour les parents de former leurs fils au travail et de leur apprendre un métier, même lorsqu'ils devaient plus tard occuper une position élevée. Saint Paul, dès son enfance, avait appris à fabriquer des tentes. Le rabbin Jochanan, fils de Zachée, et plus tard président du sanhédrin, avait exercé la profession de marchand jusqu'à l'âge de quarante ans. Le rabbin Simon Hopiculi, contemporain de Gamaliel, celui qui a mis en ordre les dix-huit bénédictions que les Juifs doivent réciter chaque jour, était marchand de coton. Le rabbin Juda et le rabbin Menahem étaient boulangers. Un autre Jochanan était cordonnier. Un troisième, du même nom, était tanneur. Le rabbin Abraham-ben-Chaïm était teinturier. Le rabbin Josua-ben-Chanan fabriquait des épingles. Les rabbins Chanina, Oschaia et Jean étaient tailleurs. Eliézer, président suprême de l'école des rabbins d'Alexandrie, était forgeron. Nous trouvons plusieurs sages parmi les Juifs qui exerçaient le métier de charpentier[74] ». Cette énumération tend à une seule chose, à nous montrer quantité de personnages, dont les noms ont échappé à l'oubli de l'histoire, occupés à des professions manuelles. Ces personnages ne sauraient en rien être assimilés au Sauveur des hommes ; ils peuvent cependant nous servir d'exemple pour expliquer la position de saint Joseph parmi ses concitoyens.

          Prévenue de grâces nombreuses et extraordinaires, l'âme de saint Joseph fut comblée de tous les dons que la munificence divine peut accorder à un simple mortel. En outre, saint Joseph était doué d'éminentes qualités naturelles, d'un esprit droit, d'une conception facile, d'une intelligence supérieure. Parmi ses contemporains, il se distinguait par une portée d'esprit peu commune[75].

          L'Ecriture loue sa prudence, vertu qui s'étend aux diverses mesures à prendre dans les circonstances graves de la vie. On ne saurait trop énergiquement stigmatiser les propos blasphématoires de quelques écrivains téméraires se moquant de la simplicité de saint Joseph[76], cette belle simplicité formant précisément le cachet de la grandeur d'âme et de la pureté de conscience.

          La partie la plus admirable peut-être de la vie de saint Joseph après ses vertus héroïques, c'est son amour du silence et de la retraite, c'est sa vie cachée à Nazareth, s'écoulant calme et sereine entre Jésus et Marie. Quel intérieur fut jamais plus digne de l'admiration des anges et des hommes ? Quelle maison sur la terre mieux ordonnée que celle de Marie, habitée par le Verbe divin fait homme ? C'est véritablement une image du paradis, séjour de paix, de concorde, d'affection mutuelle. Saint Joseph et Marie, modèles accomplis des époux, y donnaient l'exemple de toutes les vertus qui devraient sans cesse briller dans le saint état du mariage, auquel Dieu accorda sa bénédiction aux premiers jours du monde. Les peines et les soucis, les joies et les consolations étaient en commun. Quand, fatigué du travail de la journée, saint Joseph revenait le soir se reposer au foyer domestique, il y trouvait le doux visage de la Vierge Mère de Dieu, sa très chaste épouse. Après avoir pris part aux labeurs de son père adoptif, Jésus, par sa présence seule, dissipait toute lassitude.

          « La grâce », suivant le langage d'un pieux auteur, « n'agit pas dans l'âme sous l'influence du soleil, ni sous la rosée des nues, mais dans le secret et sous le voile du silence et du recueillement[77] ». Aussi saint Joseph, fuyant le tumulte de la place publique, s'isolant entièrement, autant que pouvaient le permettre les exigences d'une profession laborieuse, est-il le modèle de l'ouvrier chrétien.

          Chaque année, dit l'Evangéliste[78], Joseph et Marie montaient à Jérusalem pour la solennité de Pâques ; Jésus, ayant atteint l'âge de douze ans, fit le voyage avec eux.

          Les fêtes pascales étaient terminées ; chacun songeait au retour. Des parties les plus éloignées de la Palestine il était possible de venir à Jérusalem en trois jours ; de Nazareth on pouvait y arriver en deux jours et demi, en passant par Samarie. C'était la route que prenaient habituellement les Galiléens ; quelques-uns néanmoins, quand les eaux n'étaient pas débordées, préféraient suivre la vallée du Jourdain et traversaient la plaine de Jéricho. Après les sept jours des Azymes écoulés, Joseph et Marie quittèrent la ville sainte et reprirent le chemin de la Galilée. Pour le retour principalement, les Israélites aimaient à s'organiser en bandes nombreuses, les habitants de la Galilée plus encore que les autres, à cause des troubles qui agitaient le pays depuis l'installation définitive des représentants de la puissance romaine. Une caravane était regardée comme peu considérable quand elle était composée seulement de trois cents personnes ; et l'historien Josèphe nous apprend que la Galilée, à cette époque, comptait plus d'un million d'habitants. On imagine aisément les flots pressés de population qui descendaient alors de Jérusalem, et inondaient les pentes des montagnes de la Judée. Au moment où se rangeaient tant d'hommes, au sortir des rues de Jérusalem, il y avait naturellement quelque confusion. A cet instant, Jésus se sépara de ses parents, et, au lieu de s'adjoindre à une compagnie de ses compatriotes, il resta dans la ville. Saint Joseph et la sainte Vierge n'en conçurent d'abord aucune inquiétude, d'autant plus, selon une remarque du vénérable Bède, que les enfants a peine arrivés à l'adolescence, n'étaient pas encore obligés de marcher dans la compagnie des hommes et pouvaient se mêler à la compagnie des femmes. De cette manière, Marie put croire que Jésus se trouvait avec saint Joseph ; de son côté, saint Joseph pensait qu'il était avec sa mère, dans la compagnie des femmes. Tous deux se trompaient ; mais leur erreur ne tarda pas à se dissiper. Après une marche d'environ quatre heures, au repos de la première station, ils s'aperçurent de l'absence de Jésus. Ils se mirent aussitôt à le rechercher et à s'en informer parmi leurs parents et leurs connaissances. Mais, à leur grande douleur, ils eurent acquis bientôt la certitude que Jésus n'était pas avec les habitants de Nazareth ; personne ne l'avait vu ; personne n'en pouvait donner de nouvelles. Qui dépeindra l'anxiété cruelle de Joseph et de Marie ? Ils ne délibérèrent pas longtemps ; sur-le-champ ils reprirent le chemin de Jérusalem, réitérant tout le long de la route leurs interrogations à tous ceux qu'ils rencontraient : leur angoisse allait toujours croissant.

          C'était une épreuve que Dieu leur avait ménagée ; il ne voulait pas trop la prolonger. Le troisième jour, ils pénétrèrent sous les parvis du temple. Quelle fut leur surprise et leur émotion en apercevant Jésus assis au milieu des Docteurs, les interrogeant et répondant à leurs questions.

          Après la terrible inquiétude qu'elle venait d'éprouver, Marie dit à Jésus, sur le ton d'un affectueux reproche : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi envers nous ? Votre père et moi, nous vous cherchions dans une affliction profonde[79] ». Pourquoi me cherchiez-vous (avec cette inquiétude) ? répliqua Jésus ; ne saviez-vous pas que vous me trouveriez dans la maison de mon Père ? car c'est là que je dois être[80].

          Une remarque a été faite à ce sujet. C'est que Marie appelle saint Joseph le père de Jésus. La naissance miraculeuse de Jésus n'avait pas été dévoilée aux hommes : saint Joseph était son père aux yeux du public. Qu'il nous soit permis, à cette occasion, de placer ici une citation empruntée de saint François de Sales. « J'ai accoutumé de dire », dit le saint évêque de Genève, « que si une colombe (pour rendre la comparaison plus conforme à la pureté des Saints dont je parle) portait en son bec une datte, laquelle elle laissât tomber dans un jardin, dirait-on pas que le palmier qui en viendrait, appartient à celui à qui est le jardin ? Or, si cela est ainsi, qui pourra douter que le Saint-Esprit ayant laissé tomber cette divine datte, comme un divin colombeau, dans le jardin clos et fermé de la très-sainte Vierge (jardin scellé et environné de toutes parts des haies du saint vœu de virginité et chasteté tout immaculée), lequel appartenait au glorieux saint Joseph, comme la femme ou l'épouse à l'époux, qui doutera, dis-je, ou qui pourra dire que ce divin palmier, qui porte des fruits qui nourrissent à l'immortalité, n'appartienne en réalité à ce grand saint Joseph ? ».

          Au sortir du temple et sans la moindre hésitation, Jésus suivit Joseph et Marie ; il descendit avec eux à Nazareth. L'écrivain sacré ajoute cette phrase significative : « Et il leur était soumis », et erat subditus illis[81]. Ces dernières paroles, si étonnantes quand il s'agit du Fils de Dieu, ont donné lieu aux commentaires les plus admirables et les plus instructifs des saints Pères. Et erat subditus illis. La promptitude de l'obéissance de Jésus est éminemment propre à nous donner une juste idée de son respect envers ses parents, et en même temps de son humilité parfaite.

          Saint Bernard nous a laissé une interprétation remplie d'une suavité incomparable. « Dieu », dit-il, « à qui les Anges obéissent, qui commande aux principautés et aux puissances, était soumis à Marie ; non seulement à Marie, mais encore à Joseph à cause de Marie[82] ».

          Le signe le plus évident de la déférence affectueuse de Jésus envers saint Joseph ressort de sa vie entière, puisqu'il daigna pendant trente ans, dit saint Jérôme, partager son travail et sa pauvreté[83].

          Par cette habitude du travail quotidien ainsi contractée en la compagnie de saint Joseph, et ainsi constatée par le témoignage des Pères des âges primitifs, nous sommes suffisamment dispensés de réfuter l'opinion de ceux qui avancent sans autorité que la première enfance et l'adolescence de Jésus furent uniquement consacrées à la prière et à la contemplation. Jésus très certainement s'appliqua constamment à ces exercices de piété sublime durant toute sa vie mortelle ; il y employait parfois des nuits entières : l'Evangile nous le dit souvent. A plus forte raison, sommes-nous dispensé de passer ici sous silence l'opinion de ceux qui ont prétendu que Jésus mendiait de porte en porte pour soulager sa pauvreté volontaire et celle de ses parents[84].

          Nombre de pieux écrivains, dans leurs ouvrages, se sont plu à mettre en relief les vertus de saint Joseph, d'où ressortent ses grandeurs.

          Saint Léonard de Port-Maurice, inscrit au catalogue des Saints par le pape Pie IX, le 4 octobre 1866, a prononcé un admirable discours sur les grandeurs de saint Joseph. En voici un court extrait : « Que les évangélistes», dit-il, « gardent le silence sur saint Joseph, peu importe ; qu'ils s'abstiennent d'exalter, comme ils auraient pu le faire, ces vertus et ces prérogatives excellentes qui relèvent sa dignité : il me suffit qu'ils le représentent comme l'époux de Marie, virum Mariae, de qua natus est Jesus[85], c'est-à-dire comme celui de tous les mortels qui ressemble le plus à l'œuvre la plus parfaite entre les pures créatures qui soit sortie des mains de Dieu. « Car », dit saint Bernard, « Joseph a été fait à la ressemblance de la Vierge, son épouse » : erat enim Joseph factus in similitudinem Virginis sponsae suae. – L'époux de Marie, c'est-à-dire celui qui approcha le plus de cette créature sublime, laquelle s'éleva jusqu'au plus haut des cieux, et ravit en quelque sorte au sein du Père éternel son Fils unique. Epoux de Marie, c'est-à-dire un même cœur, une même âme avec ce cœur et cette âme qui porta le cœur et l'âme du Fils de Dieu. Epoux de Marie, c'est-à-dire le chef de la première souveraine du monde, car « l'homme est le chef de la femme[86] ». Epoux de Marie, c'est-à-dire le maître de cette auguste Maîtresse qui connaissait ce précepte de la Genèse : « Tu seras sous la puissance de l'homme[87] », et qui, si parfaite en tout le reste, ne surpassa pas moins toutes les autres femmes par le respect et la soumission qu'elle portait à son époux. Epoux de Marie, c'est-à-dire de cette grande Reine que les Dominations, les Principautés, les Chérubins et les Séraphins se font gloire de servir. Epoux de Marie, c'est assez, dit saint Bernard, vous dites tout en disant qu'il a été semblable à la Vierge son épouse : Factus in similitudinem Virginis sponsae suae, semblable pour les traits, pour le cœur, pour les inclinations, pour les habitudes, semblable en vertu et en sainteté. Si Marie fut l'aube qui annonça le Soleil de justice, Joseph fut l'horizon illuminé par ses brillantes splendeurs. Concluez donc que, si comme juste il alla jusqu'à surpasser en sainteté les plus grands saints, comme époux il s'éleva même au-dessus des anges, et put voir à ses pieds, hormis la sainte Vierge, toute autre sainteté créée.

          « Oui, Joseph fut incomparablement plus qu'un ange pour Marie. Jugeons de sa grandeur par ces paroles de la loi qui dit que celui qui épouse la reine, par le fait même devient roi : nubentem reginae consequens est regem fieri. Celui qui donne sa main à une reine en reçoit le sceptre royal ; au moment où il lui met l'anneau au doigt, elle dépose la couronne sur sa tête ; et, fût-il un simple pâtre, il entre aussitôt dans tous les honneurs dus à un roi, et doit être respecté comme tel. Or, je tire de là un argument sans réplique : Marie est la reine des saints et des anges ; Joseph est l'époux de Marie ; donc, d'après la loi, il est aussi le roi des saints et des anges. Si vous honorez souvent la sainte Vierge de ces glorieux titres : Regina sanctorum, Regina angelorum, ora pro nobis, vous devez honorer Joseph de la même manière, et lui dire : Rex sanctorum, Rex angelorum, ora pro nobis. Ce qui montre bien que Joseph était, en effet, supérieur à tous les anges, ce sont les fréquents messages qu'il recevait du ciel par leur entremise. Des anges sont députés vers Joseph pour lui confier le mystère de l'Incarnation : quod in ea natum est, de Spiritu sancto est[88]. Des anges sont députés vers Joseph pour lui faire part du mystère de la Rédemption : ipse salvum faciet populum suum a peccatis eorum[89]. Des anges sont députés vers Joseph lorsque, inquiet de l'état où il voyait son épouse, il voulait se retirer. Des anges sont députés vers Joseph lorsqu'il s'agit de donner un nom au divin Enfant. Des anges sont envoyés à Joseph lorsque Jésus est menacé de la persécution d'Hérode. Des anges sont envoyés à Joseph lorsqu'il doit retourner d'Egypte en Palestine. Des anges lui sont envoyés pour l'avertir de se réfugier en Galilée, dans la crainte du roi Archélaus. Vous voyez comment les affaires secrètes que ce grand homme avait à traiter avec l'auguste sénat de l'adorable Trinité mettent continuellement en mouvement les messagers célestes ; c'est là ce que nous font entendre ces paroles tant de fois répétées dans le texte sacré : Angelus Domini apparuit in somnis Joseph[90] : « L'ange du Seigneur apparut en songe à Joseph ». Dites-moi maintenant si le titre de Roi, et de Roi des anges, ne lui convient pas, et s'il n'est pas vrai qu'en qualité d'époux il fut plus grand que les anges les plus élevés dans le ciel ».

          Le même saint continue avec le même pieux enthousiasme : « Toutefois ce qui rehausse principalement Joseph en qualité d'époux de Marie, c'est qu'à ce titre il est vénéré comme le chef de cette sainte famille, laquelle ne fut ni tout humaine, ni toute divine, mais qui tient de l'un et de l'autre, et qui, pour cette raison, a été appelée ajuste titre la Trinité de la terre. Mais où trouver jamais des paroles pour peindre dignement cette admirable trinité de JESUS, MARIE, JOSEPH ? Dieu, ayant placé Joseph à la tête de cette Trinité, nous donne droit de conclure que, s'il fut grand comme juste, il ne le fut pas moins comme époux. Rendez donc de fréquents hommages à l'adorable Trinité dans le ciel, au Père, au Fils, et au Saint-Esprit ; mais honorez aussi la Trinité sainte qui a habité visiblement parmi nous sur la terre, Jésus, Marie, Joseph. Gravez dans votre cœur en lettres d'or ces trois noms célestes ; prononcez-les souvent ; écrivez-les partout : JESUS, MARIE, JOSEPH. Que ce soient les premières paroles que vous enseigniez à vos enfants. Répétez plusieurs fois par jour ces noms sacrés, et qu'ils soient encore sur vos lèvres au moment où vous rendrez le dernier soupir. Laissez les anges imprimer en lettres de feu dans vos esprits, et plus encore dans vos cœurs, que si Joseph fut grand comme juste, il le fut plus encore comme chef de la sainte famille, en qualité d'époux, et que ce qui met le comble à sa gloire, c'est sa grandeur comme père[91]».

          Est-il possible de mieux exprimer que dans les lignes précédentes la dignité, les grandeurs et les vertus de saint Joseph ? Nous regretterions vivement cependant, traitant de ce sujet, d'omettre deux passages encore du même saint orateur, un des plus éloquents et des plus zélés panégyristes de saint Joseph. « Si », dit-il, « pour mieux faire admirer les grandeurs de notre saint Patriarche comme juste et surtout comme époux, je l'ai mis en regard du premier Joseph, qui fut comme son ombre, et de Marie, son épouse, cette aurore radieuse qui a réjoui le monde ; pour vous le montrer plus grand encore comme père, je dois le considérer dans ses rapports avec le divin Soleil de justice : c'est ainsi que s'appelle Celui dont Joseph fut le père. « N'est-ce pas le fils de cet artisan? » disaient les Juifs avec mépris en parlant de Jésus : Nonne hic est fabri filius ? Le fils d'un artisan, sans doute; mais de quel artisan ? Je vous l'apprendrai, répond saint Pierre Chrysologue : c'est le fils de ce grand artisan qui a fabriqué le monde, non avec le marteau, mais par un ordre de sa volonté : non malleo, sed praecepto ; de cet artisan qui a combiné les éléments, non par un effet de génie, mais par un simple commandement : non ingenio, sed jussione ; de cet artisan qui a allumé le flambeau du jour à la voûte du ciel, non avec un feu terrestre, mais par une chaleur supérieure : non terreno igne, sed superno calore ; de cet artisan enfin qui, d'un seul mot, a fait jaillir l'univers du néant : cuncta fecit ex nihilo. Vous avez raison, illustre docteur ; ils auraient dû reconnaître que Jésus est le Fils du grand Architecte de l'univers. Mais souffrez que, pour la gloire de Joseph, on dise aussi qu'il est le fils de ce pauvre charpentier qui, dans une humble boutique, manie la scie et le rabot. Et, puisque la sainte Vierge elle-même donne à Joseph ce beau titre de père de Jésus, en disant à celui-ci : Ego et pater tuus[92], titre qui lui convient d'ailleurs, attendu que ce fils est le fruit de Marie, laquelle appartient à Joseph en qualité d'épouse, convenez aussi qu'il est le fils de ce pauvre artisan, fabri filius, et que, comme tel, il est son sujet et le compagnon de ses travaux ».

          Copions encore quelques mots : « La Sagesse incréée peut dire d'elle-même : Lorsque Joseph, mon père, était clans son atelier pour travailler, j'étais avec lui comme compagnon de ses travaux : cum eo eram cuncta componens ; quand il coupait ou façonnait le bois, j'étais avec lui : cum eo eram ; quand il le sciait et le rabotait, j'étais avec lui : cum eo eram; quand il adaptait les pièces ensemble, je les arrangeais avec lui : cum eo eram cuncta componens. Comme lui, je mettais la main au rabot et je mêlais mes sueurs aux siennes. Quelle sublime dignité, et quelle grandeur que celle qui nous fait apparaître Joseph comme l'émule de Dieu même ! Un pauvre ouvrier en bois comme l'émule de l'Architecte du monde ! En voulez-vous davantage pour proclamer Joseph souverainement grand comme père, si Dieu lui-même ne peut faire un père plus grand que celui qui a un Dieu pour fils? Il y a trois choses, dit saint Thomas, que Dieu ne peut faire plus grandes qu'elles ne sont, à savoir : l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à cause de son union hypostatique avec le Verbe ; la gloire des élus, à cause de son objet principal, qui est l'essence infinie de Dieu ; et la Mère incomparable de Dieu, dont il a été dit que Dieu ne peut faire une mère plus grande que la mère d'un Dieu : Majorem quam matrem Dei non potest facere Deus. Vous pouvez, en un sens, ajouter, à la gloire de saint Joseph, une quatrième chose : Majorem quam patrem Dei non potest facere Deus. « Dieu ne peut pas faire un père plus grand que le père d'un fils qui est Dieu ». Avouez donc que si saint Joseph fut grand comme juste, plus grand encore comme époux, il fut très-grand surtout comme père...

          Pourrions-nous mieux clore ces citations qu'en reproduisant quelques paroles de saint François de Sales ? Nous les emprunterons à son Entretien dix-neuvième sur les vertus de saint Joseph. « Passons », dit-il, « à la seconde vertu qui brille en saint Joseph : je veux dire la très-sainte humilité. Oh ! combien ce grand Saint fut admirable en cette vertu, il ne se peut dire selon sa perfection. Car, nonobstant ce qu'il était, en quelle pauvreté et en quelle abjection ne vécut-il pas tout le temps de sa vie ! Pauvreté et abjection sous laquelle il tenait cachées et couvertes sas grandes vertus et dignités ; mais quelles dignités, mon Dieu ! Etre gouverneur de Notre-Seigneur ! Et non-seulement cela, mais être encore son père putatif ! mais être époux de sa très-sainte Mère ! Oh ! vraiment, je ne doute nullement que les anges, ravis d'admiration, ne vinssent troupes à troupes le considérer et admirer son humilité lorsqu'il tenait ce cher enfant dans sa pauvre boutique, où il travaillait de son métier pour nourrir et le fils et la mère qui lui étaient commis. Certes, il n'y a point l'ombre de doute que saint Joseph ne fût plus vaillant que David et n'eût plus de sagesse que Salomon ; néanmoins, le voyant réduit en l'exercice de la charpenterie, qui eût pu juger cela, s'il n'eût été éclairé de la lumière céleste, tant il tenait resserrés tous les dons signalés dont Dieu l'avait gratifié ! Mais quelle sagesse n'avait-il pas, puisque Dieu lui donnait en charge son Fils très-glorieux, et qu'il était choisi pour être son gouverneur ! Si les princes de la terre ont tant de soin, comme étant chose très-importante, de donner un gouverneur qui soit des plus capables à leurs enfants, puisque Dieu pouvait faire que le gouverneur de son Fils fût l'homme le plus accompli du monde en toutes sortes de perfections, selon la dignité et excellence de la chose gouvernée, qui était son Fils très-glorieux, Prince universel du ciel et de la terre, comment se pourrait-il faire que, l'ayant pu, il ne l'ait voulu et ne l'ait fait ? Il n'y a donc nul doute que saint Joseph n'ait été doué de toutes les grâces et de tous les dons que méritait la charge que le Père éternel lui voulait donner de l'économie temporelle et domestique de Notre-Seigneur, et de la conduite de sa famille, qui n'était composée que de trois, qui nous représentent le mystère de la très-sainte et très-adorable Trinité…..».

          « Mais que de belles vertus à admirer encore en saint Joseph ! Car il fut toujours fort, vaillant, constant et persévérant. Il y a beaucoup de différence entre la constance et la persévérance, la force et la vaillance. Nous appelons un homme constant lequel se tient ferme et préparé à souffrir les assauts de ses ennemis, sans s'étonner ni perdre courage durant le combat ; mais la persévérance regarde principalement un certain ennui intérieur qui nous arrive en la longueur de nos peines, qui est un ennemi aussi puissant que l'on en puisse rencontrer. Or, la persévérance fait que l'homme méprise cet ennemi, en telle sorte qu'il en demeure victorieux par une continuelle égalité et soumission à la volonté de Dieu. La force, c'est ce qui fait que l'homme résiste puissamment aux attaques de ses ennemis ; mais la vaillance est une vertu qui fait que l'on ne se tient pas seulement prêt pour combattre et pour résister quand l'occasion s'en présente, mais que l'on attaque l'ennemi à l'heure même qu'il ne dit mot. Or, notre glorieux saint Joseph fut doué de toutes ces vertus et les exerça merveilleusement bien.

          « Quant à la persévérance, contraire à cet ennemi intérieur, qui est l'ennui qui nous survient en la continuation des choses abjectes, humiliantes, pénibles, des mauvaises fortunes, s'il faut ainsi dire, ou dans les divers accidents qui nous arrivent, oh ! combien ce Saint fut éprouvé de Dieu et des hommes même en son voyage ! L'Ange lui commande de partir promptement et de mener Notre-Dame et son fils très-cher en Egypte ; le voilà que soudain il part sans dire mot. Il ne s'enquiert pas : Où irai-je ? Quel chemin tiendrai-je ? De quoi nous nourrirons-nous ? Qui nous recevra ? Il part d'aventure avec ses outils sur son dos, afin de gagner sa pauvre vie et celle de sa famille à la sueur de son visage. Oh ! combien cet ennui dont nous parlons le devait presser, vu mêmement que l'Ange ne lui avait point dit le temps qu'il y devait être ; si bien qu'il ne pouvait s'établir nulle demeure assurée, ne sachant quand l'Ange lui commanderait de s'en retourner ! Si saint Paul a tant admiré l'obéissance d'Abraham, lorsque Dieu lui commanda de sortir de sa terre, d'autant que Dieu ne lui dit pas de quel côté il irait, et qu'Abraham se garda bien de lui demander : « Seigneur, vous me dites que je sorte ; mais dites-moi donc si ce sera par la porte du midi ou du côté de la bise » ; mais il se mit en chemin, et allait selon que l'Esprit de Dieu le conduisait: combien est admirable cette parfaite obéissance de saint Joseph !...

          « Etre juste n'est autre chose qu'être parfaitement uni à la volonté de Dieu, et y être toujours conforme en toutes sortes d'événements, soit prospères, soit adverses. Que saint Joseph ait été en toutes occasions parfaitement soumis à la divine volonté, nul n'en peut douter : et ne le voyez-vous pas ? Regardez comment l'Ange le tourne à toutes mains ; il lui dit qu'il faut aller en Egypte, il y va ; il commande qu'il revienne, il s'en revient ; Dieu veut qu'il soit toujours pauvre, qui est une des plus puissantes épreuves qu'il nous puisse faire, et il s'y soumet amoureusement, et non pas pour un temps, car ce fut toute sa vie ».

          Il nous serait facile de multiplier des extraits de ce genre sur les vertus et les grandeurs de saint Joseph. Nous nous arrêtons cependant ici. C'est assez pour montrer à la fois et la tendre dévotion des saints envers saint Joseph, et en quel style magnifique ils ont fait son panégyrique et célébré ses louanges.

          A quelle époque précise eut lieu le trépas de saint Joseph ? En quel endroit remit-il son âme à Dieu ? La sainte Ecriture ne le fait pas connaître d'une manière certaine. Ecoutons ce que dit à ce sujet saint François de Sales dans son Traité de l'Amour de Dieu[93]. « On ne peut quasi pas bonnement douter que le grand saint Joseph ne fût trépassé avant la Passion et la mort du Sauveur, qui, sans cela, n'eût pas recommandé sa mère à saint Jean ». Les Bollandistes (19 mars) ont exposé la même opinion. La plupart des auteurs, disent-ils, regardent comme certain que saint Joseph était mort avant que Jésus commençât à se manifester au monde.

          Interrogeons la tradition. Saint Jérôme nous apprend que saint Joseph, ayant pleinement et fidèlement rempli la mission qui lui avait été confiée, mourut peu de temps avant le baptême de Jésus par saint Jean, par lequel le Sauveur voulut inaugurer sa vie publique. A partir de ce moment, en effet, nous ne voyons jamais paraître saint Joseph. En plusieurs circonstances cependant il aurait pu agir naturellement. Ne peut-on pas alors en induire, comme on l'a fait avec tous les caractères de probabilité, que le père nourricier du Sauveur était déjà sorti de cette triste vallée de larmes ? Plusieurs faits évangéliques confirment ce sentiment. Ainsi, dans une occasion mémorable où la foule se pressait autour de Jésus, les Juifs lui dirent : « Votre mère et vos frères sont là dehors demandant à vous parler[94]. – Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » répliqua Jésus, donnant une leçon sublime très-bien comprise de tous les siècles chrétiens. « Ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique », disait le Sauveur, « sont vraiment ma mère et mes frères[95] ». Ces mots, que les sectaires ont mal interprétés dans une intention perverse, sont le plus bel éloge de la Vierge Mère de Dieu, puisque personne au monde n'a plus attentivement recueilli toutes les paroles de Dieu, ne les a plus profondément méditées, et ne les a plus fidèlement mises en pratique. Dans ce passage, s'il n'est pas question de saint Joseph, c'est que ce vénérable Patriarche n'existait plus sur la terre. N'en est-il pas de même auparavant aux noces de Cana et au baptême que Jésus reçut dans les eaux du Jourdain des mains de son précurseur ? L'Evangéliste se contente de nous dire : Filius ut putabatur Joseph[96], le seul mot consacré en cette conjoncture à la mémoire du père putatif du Sauveur.

          Sa mort néanmoins devait être récente. Lorsque Jésus parut à Nazareth peu de temps après son baptême, et lorsque déjà ses premiers miracles éveillaient l'attention générale, le nom de Joseph se trouvait dans toutes les bouches[97]. Assurément nous devons regretter vivement de manquer de détails sur les derniers moments de saint Joseph ; ce fut certainement un spectacle des plus touchants aux yeux de la foi.

          Laissons le pieux Gerson raconter la mort de saint Joseph exhalant son dernier soupir entre les bras de Jésus et de Marie :

 

Venerat illa dies quœ vilam morte pararet Perpetuam tibi, juste Joseph. En inclyta proles Christus adest cum matre pia, quibus ofùciose Servieras, vultu placido solautur euotem. Ora licet lacrymis oppleverit intus obortis.

Naluralis amor (etenim sat credere fas est), Et patrem Jesus, et sponsum flevit morientem Virgo benigna suum, fidi custodis amato Procumbit lecto ; complexus membra pudicis Oscula dat labiis : Mi vir, conclamat, abisne, Deseris et viduam, passuram dira relinquis ? Velle tamen Domini fiat : dilecte, valeto. Nil timeas, Dominus placida te sede locabit. Nec tamen est obitussat cerladies, quiasignant Hanc varii varie pro religione colendam : Est februarius, est et martius, estque december,Primi nona dies, curn deno nona secundi, Alterius décima per quosdam et nona notatur. Sic, qua;cumque dies sua nobis morshonoranda. Casta velut turtur si compare sit viduata, Sola volât repetens arentes arbore ramos, Pro cantu resonat planctu gemebunda pudico ; Sic dolet abrupto vitœ socialis amore Virgo gemens deflensque virum plangore modesto.

At semel ut sensit subtristem filius ejus Solans alloquilur, secretaque plurima pandit, Atque futurorum seriem bivviando recense! : Cara milii in primis mater, nolito doloris Accumulare ti!i causas, sed respice mentis Interiori oculo, fidei cum luinine, quales Collegio patrura bene qui viiere priorum Applausus jubilosque dédit custodis amici Decedeas anima dum, limbum ingressa, propinquam, Sic etenim novit, denuntiat esse salutem : Nam Salvator adest, ego sum salvatio certa. Denique multa, mihi mater dilecta, trienni Tempore patranda, et quorum tu conscia fies ; Nam prasehs aderis sub me custode deinceps, Conspicies oculis tandem me scandere cœlos. Scandet et ipse Joseph, ut mecum regnet in œvum ; Regnabis pariter, fuerit cum vita peracta : Nomen, lauset honordabitur per saecula vobis[98].

Le jour était arrivé où la mort devait vous conduire, ô juste Joseph ! à la vie éternelle. Le Christ, votre illustre Fils, avec sa Mère, toujours remplie de douce miséricorde, que vous avez toujours servis avec zèle, vous consolent avec un visage serein, au moment de la séparation. L'amour formé en nous par la nature inonde leur figure de larmes ; pourquoi ferions-nous difficulté de l'avouer ? Jésus pleure son père nourricier, et la Vierge son très-chaste époux exhalant son dernier soupir. La Vierge ne s'éloigne pas du chevet de son gardien fidèle ; de ses lèvres pudiques elle lui donne le baiser d'adieu. « Cher époux », dit-elle, « vous me quittez ; vous me laissez veuve, et je dois souffrir les maux les plus cruels ! Que la volonté de Dieu s'accomplisse ! Cher époux, adieu ! Soyez plein de confiance ; le Seigneur vous placera dans un lieu de repos ».

Joseph alors ferma tranquillement les yeux. Marie se couvre des tristes vêtements du veuvage. Les obsèques sont célébrées à Nazareth. La ville entière pleure cet homme pacifique, bon envers tous, maître d'une incomparable sainteté, digne descendant du roi David.

Le jour de sa mort n'est pas connu cependant d'une manière certaine. Les uns ont fixé un jour, les autres un autre, pour honorer sa mémoire en février, mars ou décembre : en février, le neuvième jour du mois ; en mars, le dix-neuvième jour ; en décembre, le dix-neuvième jour également. Quoi qu'il en soit, comme une chaste colombe, privée subitement de son compagnon, vole de branche en branche, faisant retentir l'écho de son chant plaintif, ainsi la Vierge, séparée de son chaste et fidèle gardien, gémit et laisse couler ses larmes.

Son Fils, en la voyant plongée dans la tristesse, essaie de la consoler en lui dévoilant l'avenir : « Chère mère », dit-il, « ne cédez pas à votre douleur ; ouvrez l'œil de la foi et contemplez l'assemblée des patriarches accueillant avec applaudissements de joie l'âme de votre pieux gardien, qui, à son entrée dans les limbes, leur annonce l'heure de la Rédemption. Le Sauveur, en effet, est ici présent ; je suis moi-même le Salut... Durant trois ans je dois accomplir beaucoup de grandes choses, dont, ma chère mère, vous serez le témoin. Vous y serez certainement présente. Désormais je serai votre gardien. De vos propres yeux vous me verrez monter aux cieux. Joseph y montera aussi pour régner avec moi dans l'éternité, vous y régnerez également vous-même, lorsque votre vie sera achevée : votre nom, votre gloire, vos louanges se prolongeront pendant les siècles ».

 

          Suivant une tradition respectable acceptée par l'Eglise, saint Joseph mourut le 19 mars. On ignore s'il trépassa à Jérusalem, ou si son corps, sa mort, fut transporté dans la vallée de Josaphat. Le vénérable Bède, conforme en cela à une croyance très-ancienne qui a laissé sa trace dans les monuments jusqu'à nos jours, enseigne que son corps reposa dans le tombeau, près de la grotte de Gethsémani[99]. De nos jours, les voyageurs chrétiens, que l'amour des saints lieux amène à Jérusalem, vénèrent, en descendant au tombeau vide de la sainte Vierge, la tombe, également vide, qu'on leur montre comme ayant été occupée par le corps de saint Joseph. Cette indication, il faut le dire, n'a rien d'invraisemblable. Si saint Joseph n'est pas mort à Jérusalem, où son zèle pour l'accomplissement de la loi de Dieu avait pu le conduire, à l'approche de la fête de Pâques, vers le milieu du mois de mars, son corps y avait été très-probablement transféré, comme cela eut lieu, personne ne l'ignore, pour un grand nombre d'Israélites, qui tinrent en tout temps à ce que leur dépouille mortelle reposât dans cette vallée funèbre, placée sous les murs de Jérusalem, toujours peuplée des lugubres monuments de la mort.

          Nous devons le rappeler ici : c'est une pieuse croyance, adoptée par une foule de pieux écrivains et souvent reproduite dans les ouvrages les plus savants[100], que saint Joseph ressuscita et apparut à Jérusalem en même temps que Jésus-Christ sortit victorieux du tombeau, et qu'il fut du nombre de ceux que l'Evangile dit avoir alors été rappelés à la vie[101]. Le saint Patriarche, sorti miraculeusement du tombeau, se serait montré plusieurs fois à Marie. Quarante jours après il aurait pris son essor vers les cieux, le jour de l'ascension triomphante du Sauveur, et l'aurait accompagné lorsqu'il alla prendre possession de son trône, à la droite du Père céleste[102]. Cependant cette pieuse et consolante croyance n'est pas consignée dans la liturgie.

          Si le Dieu sauveur a voulu, pour satisfaire sa piété filiale, glorifier le corps aussi bien que l'âme de la très-sainte Vierge au jour de son assomption, l'on peut et l'on doit croire pieusement qu'il n'en a pas moins fait pour Joseph, si grand entre tous les Saints, et qu'il l'a ressuscité glorieux le jour où, après s'être ressuscité lui-même, il en tira tant d'autres de la poussière des tombeaux ».

          Aucune église ne se glorifie de posséder des reliques proprement dites de saint Joseph. A Florence, les religieux du monastère des Anges conservent son bâton parmi les objets les plus précieux de leur trésor, et les Discalceati gardent un morceau de son habillement. A Rome, dans l'église de Sainte-Anastasie, on voit un de ses bâtons et son manteau[103]. A Joinville-sur- Marne, dans le diocèse de Langres, en France, on montre, avec un juste orgueil, « la vraye et véritable ceinture de saint Joseph, conservée chèrement en l'église Notre-Dame[104] ». Cette ceinture consiste en un tissu plat, de fil ou d'écorce, assez gros et de couleur grisâtre ; elle est longue d'un mètre et porte en largeur de 30 à 45 centimètres ; aux extrémités est attaché un fermoir en ivoire, jauni par le temps ; une boutonnière se trouve aussi à l'un des bouts. Confectionnée, suivant la tradition, par les mains de la Sainte Vierge, on peut croire qu'elle lui resta, comme un souvenir bien cher, à la mort de son chaste époux, et que plus tard elle fut remise à saint Jean ou à quelque autre apôtre. Au XIIIe siècle, elle fut rapportée de Palestine par l'historien de saint Louis et placée dans son château de Joinville où elle resta jusqu'à la Révolution : à cette époque néfaste, des mains pieuses la recueillirent avec tous ses authentiques.

          Chacun connaît les manières dont saint Joseph est représenté : nous les rappellerons néanmoins brièvement.

          1° Une des légendes qui a été de très-bonne heure popularisée dans la chrétienté est celle de la floraison du bâton de saint Joseph. Voici comment le fait se serait passé : Pour choisir un Epoux à la sainte Vierge, le grand prêtre réunit les hommes non mariés de la tribu de Juda, on les fit venir dans le temple chacun avec une baguette. L'Epoux désigné par le ciel devait être reconnu entre tous, soit par la floraison de la branche qu'il portait, soit par la venue d'une colombe qui s'y reposerait. De là l'usage assez fréquent de placer dans la main de saint Joseph, une baguette fleurie au sommet ; on l'a remplacée maintes fois par un simple lis qui rappelle, alors, sa virginité dans le mariage.

          « Quand je regarde Joseph avec un lis dans sa main », dit un pieux et savant personnage, « il me semble voir dans cette fleur moins encore sa virginité que le cœur même de Marie reposant dans la main de saint Joseph ». – « Le lis », continue le père Patrignani, « est l'emblème de l'amour pur qui a son siège dans le cœur : sa corolle, qui représente exactement un cœur, symbolise extérieurement ce rapport. Quelle convenance n'y a-t-il donc pas à voir dans la main de saint Joseph le cœur de Marie sous la forme d'un lis ? Il a été le gardien, le protecteur de ce qui était pour Marie aussi précieux que son propre cœur, de sa virginité[105] ».

          2° Le plus communément, le saint Epoux de Marie est représenté avec la scie, la hache et même le rabot, parce que les menuisiers, aussi bien que les charpentiers, l'ont souvent pris pour leur patron. Les charrons mêmes l'ont plus d'une fois réclamé pour leur protecteur, car il est probable, ainsi que cela se pratique dans les petites localités, que saint Joseph, à Nazareth, ne se livrait pas à une seule spécialité ; il devait travailler le bois dans toutes ses formes et pour toutes espèces d'usages. De là vient qu'en Flandre les bateliers de l'Escaut et de la Meuse avaient fait représenter saint Joseph comme constructeur de bateaux.

          3° Il fait naturellement partie de toutes les saintes familles, soit à Bethléem où l'Enfant-Dieu est couché dans la crèche, entre le bœuf et l'âne ; soit dans la fuite en Egypte ; soit à Nazareth, en diverses circonstances de la vie du Sauveur. On a découvert dans les catacombes une petite scène où la sainte famille est représentée au moment où Notre-Seigneur eut été retrouvé au temple. Les trois personnages sont placés sur la même ligne horizontale ; la sainte Vierge à droite, saint Joseph au milieu, et à gauche l'Enfant Jésus en un costume qui ressemble assez à celui des petits garçons de nos villes ; blouse ample, venant jusqu'aux genoux et resserrée par une ceinture sur la hanche. L'enfant divin, ouvrant les mains, comme le prêtre à l'autel lorsqu'il se tourne vers le peuple, semble dire à ses parents : Ignorez-vous donc que les œuvres de mon père me réclament[106] ? et les parents se regardent l'un l'autre d'un air qui veut dire : Nous ne saisissons pas le sens de ce langage.

          4° Un tableau de Carle Maratte peint saint Joseph présentant des cerises à l'Enfant Jésus ; le même, tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. – François Amato l'a représenté enseignant à lire à l'Enfant divin. – Simon Vouet le peint endormi, pendant qu'un Ange lui annonce l'Incarnation du Verbe. – Philippe de Champagne représente saint Joseph conduisant l'âne qui porte la sainte Vierge et l'Enfant Jésus fuyant en Egypte, belle composition. – Nicolas Poussin, Gérard, Audran et autres ont traité le même sujet. – Le repos en Egypte a été traité par Corrège. – Une belle figure debout, tenant l'Enfant Jésus dans ses bras, reproduite par la sculpture, a été faite par Diepembeck. – Un autre peintre dont le nom est inconnu, a retracé saint Joseph sellant son âne et s'apprêtant à fuir en Egypte. – J.-B. Trepolo a peint sa mort, et Simon Vouet son enlèvement au ciel, etc., etc.

          Saint Joseph est l'un des patrons de la Belgique, de l'Espagne, de Naples, de la ville de Verdun et de la Westphalie. Les missions de Chine sont également confiées à sa puissante tutelle. – Les corps de métiers qui se sont placés sous sa protection, sont ceux des charpentiers, menuisiers et charrons. – On l'invoque spécialement pour la bonne mort, parce que, disent les hymnes en son honneur : Il s'endormit d'un doux sommeil, en présence de Jésus et de Marie[107].

          Au reste, aujourd'hui que la dévotion à saint Joseph a pris de si heureux accroissements, tous les chrétiens doivent le considérer comme leur protecteur. Mais c'est à vous surtout, vierges chrétiennes, portion privilégiée de la famille de Jésus-Christ, que nous recommandons la dévotion au glorieux Saint, à qui furent confiées et l'enfance du Sauveur et l'intégrité de la Reine des vierges. Si un rayon de soleil suffit à donner au lis sa blancheur éblouissante, qui pourra concevoir à quel degré de candeur s'éleva la pureté de saint Joseph, exposé jour et nuit durant tant d'années aux rayons du Soleil de justice et de cette Lune mystique qui emprunte de lui sa splendeur ? qui pourra dire avec quelle sollicitude saint Joseph aide dans leurs combats ceux qui, dans les tentations contre la belle vertu, recourent à lui ?

          Les chefs de famille devraient constamment remettre leurs intérêts entre les mains de celui que le Seigneur a établi sur sa propre maison. Les communautés religieuses n'ont pas des motifs moins pressants que les familles séculières de se placer sous la protection de saint Joseph. Qui mieux que lui a pratiqué les conseils évangéliques ?

          Non-seulement les ouvriers en bois, mais tous les artisans, devraient le choisir comme leur appui et leur ange tutélaire. Jamais il n'y eut ici-bas d'ouvrier plus saint que lui. Et si l'on savait apprendre de saint Joseph cet art précieux de travailler et de prier tout à la fois, on ferait double gain : on s'assurerait la vie temporelle et la vie éternelle.

          Les instituteurs et la jeunesse agiront sagement de prendre saint Joseph pour modèle et pour guide : les maîtres apprendront de lui la prudence et le zèle ; les élèves, l'obéissance et la docilité.

          Qu'ils aillent aussi à l'école de Joseph, qui le premier des hommes mérita de porter le Sauveur entre ses bras, les ministres de la sainte Eglise appelés à toucher si souvent le corps de Jésus-Christ.

          « Je veux », dit le Sauveur dans une apparition à sainte Marguerite de Cortone, « que chaque jour vous témoigniez, par un tribut de louanges, votre respectueuse dévotion envers la bienheureuse Vierge Marie et envers saint Joseph, mon père nourricier[108] » : cette recommandation s'adresse à tous les chrétiens.

          Pourrions-nous mieux terminer que par ces paroles de sainte Thérèse, bien connue par sa dévotion envers saint Joseph : « Je choisis le glorieux saint Joseph pour mon patron, et me recommande à lui en toutes choses. Je ne me souviens pas d'avoir rien demandé à Dieu par son intercession que je ne l'aie obtenu. Jamais je n'ai connu personne qui l'ait invoqué sans faire des progrès notables dans la vertu. Son crédit auprès de Dieu est d'une merveilleuse efficacité pour tous ceux qui s'adressent à lui avec confiance ».

 

Vies des Saints. — Tome III.


 

CULTE DE SAINT JOSEPH

          Pourquoi, se demandera-t-on peut-être, ce grand Saint, élevé par le Saint-Esprit à de si hautes destinées, n'a-t-il pas reçu dans la société chrétienne, dès les premiers jours de l'Eglise, tous les honneurs qui lui semblent dus à tant de titres ? Il n'est pas impossible sans doute de soulever ici un coin du voile qui a dérobé si longtemps aux yeux la vue claire des desseins providentiels. Sous certains rapports, il en est du culte de saint Joseph comme de celui de la Sainte Vierge. A cause des idées peu élevées des hommes à la première époque de la prédication évangélique, où les honneurs divins étaient prostitués à une foule d'infâmes idoles, la Providence voulut que les honneurs légitimement dus à Marie et à Joseph restassent suspendus quelque temps. Cette abstention pourtant ne devait pas durer toujours. La conscience chrétienne éclairée allait enfin recourir à nos protecteurs naturels et les plus puissants auprès de Jésus-Christ. La prudence devait faire place à la piété parfaitement réglée des chrétiens.

          L'Eglise grecque parait avoir rendu la première un culte public à saint Joseph, d'une manière générale cependant et assez peu définie. Le dimanche qui précède Noël elle célébrait la fête des ancêtres de Jésus-Christ et des justes de l'ancienne loi. Entre les uns et les autres saint Joseph, nourricier du Sauveur, occupe la place principale. Le texte suivant d'Eusèbe, évêque de Césarée, que l'on regarde comme une abréviation du martyrologe primitif de saint Jérôme, peut être considéré comme l'écho de la croyance générale, « A Bethléem », dit-il, « fête ou mémoire de saint Joseph, nourricier du Seigneur ». In Bethléem sancti Joseph nutritoris Domini.

          Le 20 juillet, les Orientaux, dès la plus haute antiquité, font une fête de saint Joseph ; mais les Bollandistes pensent avec raison qu'il s'agit de la fête de saint Joseph Barsabbas ou le Juste, quoiqu'ils placent à cette date la mort de l'époux de la Sainte Vierge d'après des traditions incertaines.

          Chez les Latins, le nom de saint Joseph a été inséré dans les martyrologes les plus anciens après ceux d'Usuard et d'Adon. De bonne heure sa fête fut fixée au 19 mars. Les Carmes, disent les plus célèbres hagiographes, se sont spécialement distingués par leur dévotion envers saint Joseph, laquelle prit des accroissements en Occident, surtout à la suite des croisades. Les Franciscains et les Dominicains la répandirent à l'envi de tous côtés par leurs pieuses prédications, ne séparant pas les hommages dus à ce grand Patriarche de ceux que les chrétiens fervents doivent rendre à Marie, Mère de Dieu. Vers le milieu du XIIIe siècle, Albert le Grand, de l'Ordre de Saint Dominique, prononça un panégyrique de saint Joseph, resté célèbre, où respirent les sentiments de la plus tendre piété. Plus tard, Jean Gerson et Pierre d'Ailly prononcèrent sur le même sujet des discours qui eurent un retentissement considérable et exercèrent une grande influence. Enfin, Sixte IV, qui avait embrassé la règle des Cordeliers, pape de 1471 à 1484, institua ou renouvela dans le bréviaire la fête de saint Joseph. Le bréviaire romain de 1490 ne porte cette fête que du degré simple ; celui du pape Innocent VIII l'indique comme étant double. Dès le commencement du XVe siècle, plusieurs églises de France avaient adopté cette fête et la célébraient avec solennité. L'Allemagne ne tarda pas à imiter cet exemple. Le cardinal Ximenès l'introduisit dans son église de Tolède. Pie V, en réformant le bréviaire romain après le concile de Trente, régla que l'office de saint Joseph serait des Confesseurs non Pontifes, avec les leçons du second nocturne tirées de saint Bernard[109], comme nous le récitons aujourd'hui. En 1621, Grégoire XV rendit cette fête de précepte ; en 1642, Urbain VIII renouvela cette obligation ; mais cette loi n'a jamais été en vigueur en France. De nos jours il s'est manifesté dans l'Eglise un mouvement remarquable de piété et de zèle pour l'accroissement du culte de saint Joseph. D'après des instances nombreuses et réitérées de la part des fidèles de tous les pays, beaucoup d'évêques et de théologiens, réunis à Rome pour le concile du Vatican, demandèrent au souverain Pontife que saint Joseph fût déclaré Patron de l'Eglise universelle, et que sa fête fût élevée au degré de double de première classe. Pie IX accorda solennellement l'une et l'autre demande par un décret de la Congrégation des Rites en date du 8 décembre 1870.

          Outre cette fête du 19 mars, il en est deux autres qui sont également chères aux fidèles : la fête du Patronage de saint Joseph, fixée au troisième dimanche après la Pentecôte[110] par la Congrégation des Rites, en 1680, et la fête des Fiançailles ou du Mariage de saint Joseph, dont l'origine est ainsi racontée par Benoit XIV dans son Traité des Fêtes. Un chanoine de Chartres, mort au XVe siècle, demanda par son testament que le Chapitre, le jour anniversaire de son décès, fit une mémoire solennelle de saint Joseph, sachant que les honneurs rendus à ce grand Saint tournent à la gloire de la Bienheureuse Vierge ; Jean Gerson, docteur et chancelier de l'Université de Paris, connu par sa dévotion particulière envers saint Joseph, proposa d'accomplir les intentions du chanoine défunt par l'institution de la fête des Fiançailles ou du Mariage de la Sainte Vierge avec saint Joseph ; en même temps il en composa l'office[111]. Cette fête ne parait pas avoir été célébrée alors en dehors de l'église de Chartres ou des pays voisins. An XVIe siècle, Paul III permit, par une concession spéciale, ans Frères Mineurs et aux sœurs du même Ordre, de célébrer une fête sous le même titre[112]. Pierre Dore, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, en composa l'office, qui fut approuvé par le souverain Pontife. Enfin Benoit XIII, par un indult du 22 août 1725, permit à toutes les églises des Etats ecclésiastiques et à quelques autres de réciter cet office sous le rit double majeur, avec une mémoire spéciale de saint Joseph. N'omettons pas d'ajouter que le nom de saint Joseph est invoqué dans les litanies de tous les Saints approuvées par l'Eglise.

          Il serait trop long de faire ici mention des nombreuses confréries érigées en l'honneur de saint Joseph. Au 19 mars, les Bollandistes en parlent assez longuement. Ils nous ont conservé également d'assez amples détails sur les faveurs obtenues de Dieu grâce à son intercession.

          Depuis l'époque où le pape Clément X éleva la fête de saint Joseph au rang des grandes solennités et lui donna un office propre, la dévotion des fidèles prit un accroissement extraordinaire. Rome lui dédia des églises et créa des confréries sous son patronage ; tous les pays de l'Italie voulurent imiter la Ville éternelle. La première confrérie parait avoir été celle de Saint-Joseph-aux-Prisons, dont parle Octave Pancirolo, fondée, en 1539, par tous les ouvriers romains qui travaillent le bois[113].

 

          Pour refaire cette vie de saint Joseph, nous avons abrégé la remarquable histoire du dernier et du plus glorieux des patriarches, par M. l'abbé J. J. Bourassé, chanoine de l'église métropolitaine de Tours, in-8°, 1872.



[1] Origène. Homil. XVIII in Luc.

[2] Office de Saint Joseph.

[3] Esther, VIII, 2.

[4] Luc III, 23.

[5] Ps. CXXXI, 14.

[6] Matth. I, 19.

[7] Somme Théologique III, q 27, art 4, ad 2.

[8] Saint Jean Chrysostome Homil. In Matth, IV.

[9] Job I, 1.

[10] Luc I, 6.

[11] Suarez, De Incarnat. part. III, quæst. 29, disp. 8, sect. 2.

[12] Pars 1, cap. 9.

[13] In Matth. lib. III, tract. 2.

[14] Sermon sur la conception de la Sainte Vierge.

[15] Luc. I, 27 ; II, 4.

[16] Justus ut palma florebit.

[17] Diptycha Mar. n. 27.

[18] S. Hilar In Matthæum XIV ; S. Petri Chrys. Sermo XLVII.

[19] Cf. Th. Rayrand. Diptycha Mar. p. 48.

[20] Fabricatus est auroram et solem.

[21] Per lignum salutem nostram erat consumatorus.

[22] Theod. III, 26.

[23] Contra Helvidium, opp II, col. 203, éd. Migne.

[24] Sermon XIV ; Summa aurea I, col. 406 et 407.

[25] Homil. V, In Matth.

[26] Sermo. I In diem Natalitium Virg. Mariæ. n. 7. Oper. S. Joan. Damasc. t. III, col. 671. éd Migne.

[27] Opus. XVII, de Celibætu sacerd. cap. 3.

[28] Baronius in Apparatu.

[29] Serm. de Nativ. Virg. t. III, p. 1351, édit. Dupin.

[30] Summa de beato Josepho, part. IV, cap. 1.

[31] Matth. I, 16. 19. 20. ; Luc II, 5.

[32] Theolog. Mari. a. 214. Summa auræ, col. 1006.

[33] Quaest. 29, disputant. 7, sect. 1, n.2.

[34] Maxime inducora. (Liptycha Mariana p. 45, n. 5.).

[35] Sermo recitat. in concil Constant. Consid. 3.

[36] Ad ann. Christi 12 §9.

[37] In IIIam disput. 7, acct. 3.

[38] In IIIam disput. 125, cap. II, n. 127.

[39] Hist. Fam. sacræ.

[40] Trombelli, dissert. 10, quæst. II, cap. 2, n. 7.

[41] Contra Julian. pellag. lib. V, cap. 12. n. 47.

[42] Serm. I. 2 S. Joseph. Opp. t. IV, p. 233.

[43] Le Parf. Légend. p.111.

[44] Matth. I, 20.

[45] Summ. aur. n. 1, col. 637.

[46]  Homélie II super Missus est .

[47] Eam traducere (Matt, I, 19. Le commentaire de Menochius donne ce sens).

[48] Trombelli, Mariae SS. Vita et gesta. Dissertat. XIII, quest. II, n. 11.

[49]         Almo cum tumidam germine conjugem

admirans, dubio tangeris anxius.

[50] Luc II, 1.

[51] Luc II, 4-5.

[52] Mich. V, 2.

[53] Et intrantes domum invenerunt puerum cum Maria, matre ejus. (Matth. II, 11).

[54] Gerson, Josephina, distinct. 9.

[55] Muneribus erat aptus suscipiendis atque recondendis. (Ibid.).

[56] Ciampini, Vetera Monumenta, t. 1, cap. 22.

[57] Roma subterranea, tabul. 22, 85, 86.

[58] Non veni solvere legem, sed adimplere.

[59] Serm., de Transfig., p. 41, edit. rom.

[60] Dissert. 33, n. 4.

[61] Dissert. 22.

[62] Summa aur., t. I. col. 1143.

[63] Summ. Aur., t. I, col. 1143.

[64] Luc II, 39.

[65] Le meurtre des enfants eut lieu vers le milieu du mois de février, peu de temps après la présentation de Jésus au temple. (Sepp., t. I, p. 107).

[66] Matt., II, 13.

[67] Voyez Egypte ancienne, par M. Champollion-Figeac.

[68] Gentilucci, Vie de la très sainte Vierge, p. 145

[69] Psalm. CXVIII, 10 ; Prov. XX, 4

[70] Deut. XV, 4

[71] Matth. II, 20

[72] En arrivant à Nazareth, saint Joseph consacra quelques jours à revoir ses amis et ses parents. Ce saint patriarche, en effet, avait dans cette petite ville une parenté assez nombreuse, dont nous n'avons pas eu encore l'occasion de parler. Nous en dirons quelques mots, considérant cette indication et ces détails comme le commentaire naturel de plusieurs passages de l'Evangile. En prenant pour point de départ la généalogie transmise par saint Matthieu, nous apprenons que saint Joseph eut pour aïeul Mathan, de la tribu de Juda. Sans remonter plus haut, la descendance de Mathan pourra éclaircir plusieurs points enveloppés d'une certaine obscurité. De son épouse, nommée Marie, il eut quatre enfants, un fils et trois filles : Jacob, Marie, Sobé et Anne. Jacob eut seulement deux enfants : Joseph, époux de la sainte Vierge, et Marie, qui, selon une opinion soutenue par le Père Pezron, fut deux fois mariée : la première, à Alphée, dont elle eut Jacques le Mineur (la tradition nous apprend que saint Jacques le Mineur, qui devint évêque de Jérusalem, ressemblait au Sauveur d'une manière frappante. C'est pour cette raison que le traître Judas convint avec les Juifs qui l'accompagnaient au jardin des Oliviers qu'il embrasserait Jésus, afin de leur épargner toute erreur), et Joseph ou José; la seconde, à Cléophas, dont elle eut Jude, Siméon. Marie Salomé, femme de Zébédée, et une autre Marie désignée dans l'Evangile sous le nom d'altera Maria. Nous savons que Zébédée eut de Marie Salomé saint Jacques le Majeur et saint Jean l'Evangéliste.

Comme pour éviter toute confusion, le nom de Marie à cette époque étant très répandu, saint Matthieu appelle Salomé la mère des fils de Zébédée (Matth. XXVII, 56). Ajoutons ici que, suivant une autre opinion qui est loin d'être dépourvue de vraisemblance, Marie, sœur de saint Joseph, n'eut qu'un seul époux. Celui-ci portait deux noms, comme ce fut assez l'usage en ce temps d'en avoir plusieurs : il s'appelait Alphée, autrement Clopas ou Cléophas.

A l'aide de cette série généalogique on saisit sans peine le degré de parenté entre saint Joseph et ces divers personnages nommés dans l'Evangile. Ainsi les quatre fils de Marie, mère de Jacques le Mineur, le frère du Seigneur, c'est ainsi que les Evangiles la désignent, étaient neveux de saint Joseph (Maria Jacobi et Joseph mater, Matth. XXVI, 50. Saint Marc est plus précis encore et dit : « Maria Jacobi Minoris et Joseph mater » Marc, XV, 40.) Le texte sacré les appelle les frères de Jésus : c'étaient ses cousins germains. Outre ces quatre fils, du même mariage étaient issues deux filles : Marie Salomé et l’autre Marie, dont nous venons de parler, également indiquées par les habitants de Nazareth, et au même titre que leurs frères, comme sœurs du Sauveur. Nonne hic est fabri filius? Nonne mater ejus dicitur Maria; et fratres ejus, Jacobus et Joseph, et Simon et Judas? Et sorores ejus, nonne omnes apud nos sunt? Matth. XIII, 55, 56

Ces six enfants, au sujet desquels, depuis les hérétiques anciens jusqu'aux faux savants de nos jours la plupart protestants, ont été débitées tant de fables contre la parfaite intégrité de la Vierge Marie, ont été reconnus quant à leur origine et dénommés clairement par Hégésippe, Eusèbe, saint Epiphane, saint Jean Chrysostome, Théodoret, le vénérable Bède, Nicéphore, etc. : comme si les écrivains ecclésiastiques les plus anciens s'étaient concertés pour réfuter les mensonges des novateurs modernes. On peut consulter Ch. de Castro, S. J., Histor. Mar., cap. 1. Cet ouvrage se trouve reproduit dans la Summa aurea, t. 1.

Sobé, fille de Mathan, par conséquent tante de saint Joseph, eut elle-même pour fille sainte Elisabeth, laquelle épousa le prêtre Zacharie et donna naissance à saint Jean-Baptiste. Enfin le même Mathan eut encore pour fille sainte Anne, mariée a Héli, autrement dit Héliachim, Ioachim ou Joachim, dont elle eut, déjà avancée eu âge, la Vierge Marie. Ces alliances nous font connaître comment sainte Elisabeth, nièce de sainte Anne, était cousine de la sainte Vierge, et comment Joseph, en épousant Marie, se conformait à la loi mosaïque. Il s'unissait à la cousine germaine, dont les parents n'avaient pas d'autre héritier direct.

 

 

 

[73] Matth. II, 33

[74] Hist. de N.-S. J.-C., t. 1, p. 204

[75] Inter omnes sui saeculi viros ingenio valuisse. (Isid. de Isolanis, part. 1, cap. 16).

[76] Consultez Molanus, de sacris Imag., lib. III, cap. 12.

[77] Mois de saint Joseph, par un religieux de Saint-Benoit, p. 30.

[78] Luc, II, 41-50.

[79] Luc, II, 43.

[80] La réponse de Jésus, telle que nous la transcrivons ici, n'est pas la traduction littérale du texte évangélique ; nous avons suivi le sens indiqué par plusieurs saints Pères et par la plupart des commentateurs.

 

[81] Luc, II, 51.

[82] Homil. I super Missus est, n. 7.

[83] Usque ad triginta annos parentum paupertate contentum. (Epist. XXII, cap. 17, n. 39.).

[84] Ii pariter refelluntur qui Christum paupertatem suam ostiatim emendicando sublevantem, victumque ab aliis exposcentem describunt. (Serry, Exercit. XLIV, n. 7 dit que cette opinion a pour auteurs Michel de Césène, Guillaume Occam, et autres peu versés dans la connaissance de l'histoire ecclésiastique. Ce sentiment a été condamné par le pape Jean XXII.).

[85] Matth. I, 18.

[86] Caput mulieris vir. (I Cor., XI, 3.).

[87] Gen., III, 16.

[88] Matth., I, 20.

[89] Ibid., 21.

[90] Matth. I, 20; II. 13 et 19.

[91] Œuvres de saint Léonard; traduct. Labis, citation du Père Marcel Bouix.

[92] Luc, II, 18.

[93] Liv. VII, ch. 13

[94] Matth. XII, 47, 48

[95] Marc, III, 35

[96] Luc, III, 23

[97] Luc, IV, 22

[98] Josephina, Distinctio duodecima.

[99] Part. 3 Op. Alph.

[100] Vid. Sunrez, t. XIX, edit. nov.

[101] Matth. LXVII, 52, 53.

[102] Act. I, 9.

[103] Putrignani, Dévotion à saint Joseph, 1re part., ch. 9. p. 106.

[104] Tel est le titre d'une notice sur cette relique que M. le curé de Joinville vient de publier, à Saint- Dizier, chez M. Briquet, in-13, 1872.

[105] Dévotion à saint Joseph, Ire part., p. 25.

[106] Luc, II,49.

[107]   Et inter ipsos jubillaus

Dulci sopora solvitur

            Hymne Quicumque

[108] Cf. AA. SS., au 22 février.

[109] Homil. Super Missus est.

[110] Les leçons du second Nocturne sont de saint Bernardin de Sienne

[111] Cet office a été imprimé dans ses œuvres, t. IV de l’édit. D’Auvers de 1706, p. 731.

[112] L’office fut le même que celui de la Nativité de la sainte Vierge, en remplaçant le mot Nativitatis par celui de Desponsationis, jusqu’à ce qu’un nouvel office fût composé et approuvé.

[113] Patrignani, Dévotion à saint Joseph, 1re partie, p. 105.