LETTRE ENCYCLIQUE MEDIATOR DEI
de Sa Sainteté le Pape PIE XII
SUR LA SAINTE LITURGIE
A nos vénérables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires de lieux en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables frères, Salut et bénédiction apostolique
Médiateur entre Dieu et les hommes (I Tm II, 5), Grand Prêtre qui a pénétré les cieux, Jésus, Fils de Dieu (cf. He IV, 14), en entreprenant l’œuvre de miséricorde qui devait combler le genre humain de bienfaits surnaturels, eut certainement en vue de rétablir entre les hommes et leur Créateur l’ordre troublé par le péché et de ramener à son Père céleste, principe premier et fin dernière, l’infortunée descendance d’Adam, souillée par la faute originelle.
C’est pourquoi, durant son séjour sur la terre, non seulement il annonça le commencement de la Rédemption et l’inauguration du royaume de Dieu, mais il s’employa aussi à sauver les âmes par l’exercice continuel de la prière et du sacrifice, jusqu’au jour où, sur la croix, il s’offrit en victime sans tache à Dieu, pour purifier notre conscience des œuvres mortes, afin que nous servions le Dieu vivant (cf. He IX, 14). Par là, toute l’humanité, heureusement retirée du chemin qui la conduisait à la ruine et à la perdition, fut de nouveau orientée vers Dieu, afin que par la coopération de chacun à l’acquisition de sa propre sainteté, qui naît du sang immaculé de l’Agneau elle donnât à Dieu la gloire qui lui est due. Le divin Rédempteur voulut ensuite que la vie sacerdotale, qu’il avait commencée dans son corps mortel par ses prières et son sacrifice, fût continuée sans interruption au cours des siècles dans son Corps mystique qui est l’Église. Il institua donc un sacerdoce visible pour offrir en tout lieu l’oblation pure (cf. Mal., I, 11), afin que tous les hommes, de l’Orient à l’Occident, délivrés du péché, servissent Dieu, par devoir de conscience, librement et spontanément.
L’Église, fidèle au mandat reçu de son fondateur, continue donc la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, principalement par la sainte liturgie. Elle le fait d’abord à l’autel, où le sacrifice de la croix est perpétuellement représenté (Cf. Conc. Trid., Sess. XXII, can. 1) et renouvelé, la seule différence étant dans la manière de l’offrir (Ibid., can. 2.) ; ensuite par les sacrements qui sont pour les hommes les moyens spéciaux de participer à la vie surnaturelle ; enfin par le tribut quotidien de louange offert à Dieu, Souverain Bien. « Quel joyeux spectacle n’offre pas au ciel et à la terre l’Église en prière, dit Notre prédécesseur Pie XI, d’heureuse mémoire. Sans interruption, tout le jour et toute la nuit, se répète sur la terre la divine psalmodie des chants inspirés ; il n’est pas d’heure du jour qui ne soit sanctifiée de sa liturgie propre, il n’est pas de période de la vie qui n’ait sa place dans l’action de grâces, la louange, les demandes et la réparation de cette solennelle et commune prière du Corps mystique du Christ, qui est l’Église ». (Lettre encycl. Caritate Christi, du 3 mai 1932)
Vous savez sans doute, Vénérables Frères, qu’à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, les études liturgiques furent poussées avec une singulière ardeur, par les louables efforts de particuliers, et grâce surtout à l’activité zélée et assidue de plusieurs monastères de l’Ordre illustre de saint Benoît ; il s’ensuivit, non seulement dans de nombreux pays d’Europe, mais même au-delà des mers, une noble et fructueuse émulation dont les résultats bienfaisants ne tardèrent pas à se faire sentir, soit dans le domaine des sciences religieuses où les rites liturgiques de l’Église d’Occident et de celle de l’Orient furent plus largement étudiés et connus, soit dans la vie spirituelle privée de nombreux chrétiens.
Les cérémonies sacrées de la messe ont été mieux connues, comprises, estimées ; la participation aux sacrements a été plus large et plus fréquente ; la beauté des prières liturgiques plus goûtée, et le culte de la sainte Eucharistie considéré, à juste titre, comme la source et l’origine de la vraie piété chrétienne. En outre, plus que par le passé, on a fait connaître aux fidèles qu’ils forment tous ensemble un seul corps, très étroitement uni, dont le Christ est la tête et que le peuple chrétien a le devoir de participer, à sa juste place, aux rites liturgiques.
Vous savez certainement que ce Siège apostolique a toujours apporté un soin diligent pour que le peuple confié à sa garde fût éduqué à un sens liturgique à la fois juste et actif, qu’avec un zèle non moins grand il s’est préoccupé de faire briller jusque dans l’extérieur des rites sacrés une dignité convenable. Parlant Nous-même, selon la coutume, aux prédicateurs de carême à Rome en 1943, Nous les avons instamment priés d’exhorter leurs auditeurs à prendre une part plus active au sacrifice de la messe ; récemment encore, Nous avons fait faire une nouvelle traduction latine du livre des psaumes sur le texte original, afin que les prières liturgiques dont il constitue dans l’Église catholique une part si importante fussent mieux comprises, leur vérité et leur saveur plus facilement perçues. (Cf. Lettre ap. Motu Proprio In cotidianis precibus, du 24 mars 1945.) Bien que cet apostolat liturgique Nous apporte un grand réconfort à cause des fruits salutaires qui en proviennent, la conscience de Notre charge Nous impose pourtant de suivre avec attention ce renouveau tel qu’il est présenté par quelques-uns, et de veiller soigneusement à ce que les initiatives ne dépassent pas la juste mesure ni ne tombent dans de véritables excès.
Or si, d’une part, Nous constatons avec douleur que dans quelques pays le sens, la connaissance et le goût de la sainte liturgie sont parfois insuffisants et même presque inexistants, d’autre part Nous remarquons, non sans préoccupation et sans crainte, que certains sont trop avides de nouveauté et se fourvoient hors des chemins de la saine doctrine et de la prudence. Car, en voulant et en désirant renouveler la sainte liturgie, ils font souvent intervenir des principes qui, en théorie ou en pratique, compromettent cette sainte cause, et parfois même la souillent d’erreurs qui touchent à la foi catholique et à la doctrine ascétique. La pureté de la foi et de la morale doit être la règle principale de cette science sacrée qu’il faut en tout point conformer aux plus sages enseignements de l’Église. C’est donc Notre devoir de louer et d’approuver tout ce qui est bien, de contenir ou de blâmer tout ce qui dérive du vrai et juste chemin.
Que les inertes et les tièdes ne croient pourtant pas avoir Notre approbation parce que Nous reprenons ceux qui se trompent ou que Nous refrénons les audacieux ; mais que les imprudents ne s’imaginent pas couverts de louanges du fait que Nous corrigeons les négligents et les paresseux.
Dans cette encyclique nous nous occupons surtout de la liturgie latine ; ce n’est pas que Nous nourrissions une moindre estime pour les vénérables liturgies de l’Église orientale, dont les rites, transmis par d’anciens et glorieux documents, Nous sont également très chers ; mais cela tient aux conditions particulières de l’Église d’Occident, qui semblent demander en cette matière l’intervention de Notre autorité.
Que tous les chrétiens écoutent donc avec docilité la voix du Père commun, dont le désir le plus ardent est que tous, intimement unis à lui, s’approchent de l’autel de Dieu, en professant la même foi, en obéissant à la même loi, en participant au même sacrifice, d’un même esprit et d’une même volonté. L’honneur dû à Dieu le réclame ; les besoins des temps actuels l’exigent. En effet, après une longue et cruelle guerre qui a divisé les peuples par ses discordes et ses carnages, les hommes de bonne volonté font de leur mieux pour les ramener tous à la concorde. Nous croyons pourtant qu’aucun projet et aucune initiative ne sont, en ce cas, aussi efficaces que le zèle énergique pour la religion et l’esprit vigoureux qui doivent animer et guider les chrétiens, de sorte que, acceptant sincèrement les mêmes vérités et obéissant de bon cœur aux légitimes pasteurs, dans l’exercice du culte rendu à Dieu, ils constituent une communauté fraternelle : « Puisque, tout en étant plusieurs, nous formons un seul corps, nous qui participons tous à un même pain » (I Cor X. 17).
Le devoir fondamental de l’homme est certainement celui d’orienter vers Dieu sa personne et sa vie. « Car c’est à lui que nous devons tout d’abord nous unir comme à notre principe indéfectible, à lui que doivent constamment s’adresser nos choix comme à notre fin dernière, c’est lui aussi que dans notre négligence nous perdons par le péché, et que nous devons retrouver en témoignant de notre foi et de notre fidélité » (S. Thomas, Summa Theol., IIa IIae, q. 81, a. 1.). Or l’homme se tourne normalement vers Dieu quand il en reconnaît la suprême majesté et le souverain magistère, quand il accepte avec soumission les vérités divinement révélées, quand il en observe religieusement les commandements, quand il fait converger vers lui toute son activité, bref quand il lui rend, par la vertu de religion, le culte et l’hommage dus à l’unique et vrai Dieu.
C’est un devoir qui oblige en premier lieu les hommes pris en particulier, mais c’est aussi un devoir collectif de toute la communauté humaine basée sur des liens sociaux réciproques, parce qu’elle aussi dépend de l’autorité suprême de Dieu.
Il faut remarquer, en outre, que les hommes y sont tenus d’une manière spéciale, pour avoir été élevés par Dieu à l’ordre surnaturel.
C’est pourquoi nous voyons Dieu dans l’établissement de la loi ancienne, édicter aussi des préceptes rituels et préciser avec soin les règles que le peuple devait observer pour lui rendre un culte légitime. Il établit, en conséquence, divers sacrifices et fixa les diverses cérémonies pour les bien offrir ; il détermina clairement tout ce qui concernait l’arche d’Alliance, le temple et les jours de fête. Il constitua la tribu sacerdotale et le Grand Prêtre, il indiqua avec détail les vêtements dont se serviraient les ministres sacrés, et tout ce qui pourrait avoir quelque relation avec le culte divin (cf. Livre du Lévitique).
Ce culte, du reste, n’était qu’une ombre (cf. He X, 1) de celui que le Prêtre suprême du Nouveau Testament devait rendre au Père céleste.
De fait à peine « Le Verbe s’est-il fait chair » (Jn, I, 14) qu’il se manifeste au monde dans sa fonction sacerdotale, en faisant au Père éternel un acte de soumission qui devait durer tout le temps de sa vie : « En entrant dans le monde il dit : voici que je viens... pour faire, ô Dieu, votre volonté » (Heb X. 5-7). Cet acte, il devait le porter à sa perfection d’une manière merveilleuse dans le sacrifice sanglant de la croix : « C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’oblation que Jésus-Christ a faite, une fois pour toutes, de son propre corps » (Ibid., X, 10). Toute son activité au milieu des hommes n’a pas d’autre but. Enfant, il est présenté au Seigneur dans le temple de Jérusalem ; adolescent, il s’y rend encore ; dans la suite il y retourne souvent pour instruire le peuple et pour prier. Avant d’inaugurer son ministère public, il jeûne durant quarante jours ; par la parole et par son exemple il nous exhorte tous à prier, soit de jour, soit de nuit. En tant que Maître de vérité, « il éclaire tout homme » (Jn, I, 9), afin que les mortels reconnaissent le vrai Dieu immortel et qu’ils ne soient pas « de ceux qui se retirent pour leur perte, mais de ceux qui gardent la foi pour sauver leur âme » (He X, 39). En tant que Pasteur, il dirige son troupeau, il le conduit aux pâturages vivifiants et lui donne une loi à observer, afin que personne ne s’écarte de lui et de la route droite tracée par lui, mais que tous vivent saintement sous son inspiration et sous sa conduite. A la dernière Cène, usant d’un rite et d’un apparat solennel, il célèbre la nouvelle Pâque et il en assure la continuation grâce à l’institution divine de l’Eucharistie ; le lendemain, élevé entre ciel et terre, il offre sa vie en sacrifice pour nous sauver, et de sa poitrine transpercée il fait en quelque sorte jaillir les sacrements, qui distribuent aux âmes les trésors de la Rédemption. Ce faisant, il n’a en vue que la gloire de son Père et la plus grande sainteté de l’homme.
Entré ensuite dans le lieu de la béatitude céleste, il veut que le culte institué et rendu durant sa vie sur terre se continue sans interruption. Car il ne laisse pas orphelin le genre humain : il l’assiste toujours de sa continuelle et puissante protection, en se faisant notre avocat au ciel auprès du Père (cf. I Jn, II, 1) ; mais il l’aide aussi par son Église, dans laquelle il perpétue sa divine présence au cours des siècles, qu’il a établie la colonne de la vérité (cf. I. Tm III, 15) et la dispensatrice de sa grâce, et que par le sacrifice de la croix il fonda, consacra et affermit à jamais. (Cf. Boniface IX, Ab origine mundi, du 7 octobre 1391, Callixte III, Summus Pontifex, du 1er janvier 1456 ; Pie II, Triumphans Pastor, du 22 avril 1459 ; Innocent XI, Triumphans Pastor, du 3 octobre 1678.)
L’Église a donc en commun avec le Verbe incarné le but, le devoir et la fonction d’enseigner à tous la vérité, de régir et de gouverner les hommes, d’offrir à Dieu le sacrifice digne et acceptable, et de rétablir ainsi entre le Créateur et les créatures cette union et cette harmonie que l’apôtre des nations désigne clairement par ces paroles : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même est la pierre angulaire. C’est en lui que tout l’édifice bien ordonné s’élève, pour former un temple saint dans le Seigneur ; c’est en lui que, vous aussi, vous êtes édifiés, pour être par l’Esprit-Saint une demeure où Dieu habite » (Ep II, 19-22). Dans sa doctrine, dans son gouvernement, dans le sacrifice et les sacrements que le divin Rédempteur a institués, dans le ministère enfin qu’il lui a confié après avoir ardemment prié et répandu son sang, la société fondée par lui n’a d’autre fin que de croître et de s’étendre toujours plus, ce qui se réalise quand le Christ s’établit et grandit dans les âmes des mortels et quand à leur tour les âmes des mortels croissent et se fortifient dans le Christ ; de la sorte s’amplifie chaque jour davantage dans ce terrestre exil le temple sacré où la divine Majesté reçoit le culte agréable et légitime. Dans toute action liturgique, en même temps que l’Église, son divin Fondateur se trouve présent : le Christ est présent dans le saint sacrifice de l’autel, soit dans la personne de son ministre, soit surtout, sous les espèces eucharistiques ; il est présent dans les sacrements par la vertu qu’il leur infuse pour qu’ils soient des instruments efficaces de sainteté ; il est présent enfin dans les louanges et les prières adressées à Dieu, suivant la parole du Christ : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt., XVIII, 20). La sainte liturgie est donc le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Église ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son chef et, par lui, au Père éternel : c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres.
L’activité liturgique a pris naissance avec la fondation même de l’Église. Les premiers chrétiens, en effet, « étaient assidus aux prédications des apôtres, à la fraction du pain en commun et aux prières » (Ac II, 42). Partout où les pasteurs peuvent réunir le noyau de fidèles, ils dressent un autel sur lequel ils offrent le sacrifice et autour duquel viennent prendre place d’autres rites destinés à la sanctification des hommes et à la glorification de Dieu. Au premier rang de ces rites se trouvent les sacrements, les sept sources principales de salut ; vient ensuite la louange divine assurée par les fidèles qui dans leurs réunions communes obéissent aux exhortations de l’apôtre Paul : « Que vous vous instruisiez et vous avertissiez les uns les autres en toute sagesse ; sous l’inspiration de la grâce, que vos cœurs s’épanchent vers Dieu en chants, par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels » (Col. III, 16) ; puis vient la lecture de la loi des prophètes, de l’Évangile et des Épîtres des apôtres ; enfin l’homélie, ou sermon du président de l’assemblée, qui rappelle et commente avec profit les enseignements du divin Maître et les événements principaux de sa vie, et dont les conseils opportuns et les exemples stimulent tous les assistants.
Le culte s’organise et se développe selon les circonstances et les besoins des chrétiens, il s’enrichit de nouveaux rites, de nouvelles cérémonies et de nouvelles formules, toujours dans le but « que nous tirions enseignement de ces signes extérieurs, que nous prenions conscience de nos progrès et que nous nous stimulions fortement à les poursuivre car la valeur du résultat dépendra de la ferveur qui l’aura précédé » (S. Augustin, Epist. 130, ad Probam, 18.). L’âme est ainsi rendue plus attentive à Dieu et le sacerdoce de Jésus-Christ remplit son rôle à travers tous les siècles, puisque aussi bien la liturgie n’est pas autre chose que l’exercice de cette fonction sacerdotale. Comme son divin Chef, l’Église assiste à jamais ses fils, elle les aide et les exhorte à la sainteté afin qu’ils puissent un jour, parés de cette beauté surnaturelle, faire retour au Père qui est dans les cieux. Elle engendre à la vie céleste ceux qui sont nés à la vie terrestre ; dans leur lutte contre l’ennemi implacable, elle leur communique la force du Saint-Esprit ; elle appelle les chrétiens près des autels et, de ses avis et de ses invitations réitérés, elle les pousse à prendre leur part dans la célébration du sacrifice eucharistique ; elle les nourrit du Pain des anges pour qu’ils soient toujours plus forts ; ceux que le péché a blessés et souillés, elle les purifie et elle les console ; ceux qui sont appelés par vocation divine à remplir le ministère sacerdotal, elle les consacre par un rite légal ; elle affermit de ses grâces et de ses dons surnaturels le chaste mariage de ceux qui sont destinés à fonder et constituer une famille chrétienne ; enfin, après avoir réconforté et restauré les dernières heures de leur vie terrestre par son viatique eucharistique et par la sainte onction, elle accompagne pieusement au tombeau les dépouilles de ses fils, elle les y dépose religieusement et les met sous la protection de la croix, afin qu’un jour elles en ressuscitent victorieuses de la mort. A ceux qui se consacrent au service de Dieu pour atteindre la perfection dans la vie religieuse, elle accorde sa bénédiction et de solennelles prières. Elle tend enfin sa main secourable aux âmes qui dans les flammes du purgatoire implorent des prières et des suffrages, afin de les conduire finalement à l’éternel bonheur.
L’ensemble du culte que l’Église rend à Dieu doit être à la fois intérieur et extérieur. Extérieur certes, car tel le requiert la nature de l’homme, composé d’une âme et d’un corps ; car la Providence divine a voulu que « par la connaissance des réalités visibles nous soyons attirés à l’amour des réalités invisibles » (Missale Rom., Praef. Nativ.) ; car tout ce qui vient de l’âme s’exprime naturellement par le moyen des sens ; car ce ne sont pas seulement les individus, mais aussi la collectivité humaine, qui ont besoin de rendre leur culte à Dieu ; celui-ci doit être social ; ce qui est impossible si, dans le domaine religieux lui aussi, il n’existe pas d’assujettissements extérieurs et de manifestations extérieures ; c’est enfin le moyen d’attirer particulièrement l’attention sur l’unité du Corps mystique, d’en accroître le zèle, d’en corroborer les forces et d’en intensifier l’action : « bien que les cérémonies ne contiennent en elles-mêmes aucune perfection, aucune sainteté, elles sont pourtant des actes extérieurs de religion, et par leur signification elles stimulent l’âme à la vénération du sacré, elles élèvent l’esprit aux réalités surnaturelles, nourrissent la piété, fomentent la charité, accroissent la foi, fortifient la dévotion, instruisent les âmes simples, font l’ornement du culte de Dieu, conservent la religion et distinguent les vrais chrétiens des faux et des hétérodoxes » (I. Card. Bona, De divina psalmodia, cap. XIX, § 3, 1.)
Mais l’élément essentiel du culte doit être l’intérieur, car il est nécessaire de vivre toujours dans le Christ, de lui être tout entier dévoué, pour rendre en lui, avec lui et par lui, gloire au Père des cieux. La sainte liturgie requiert que ces deux éléments soient intimement unis, et elle ne se lasse jamais de le répéter chaque fois qu’elle prescrit un acte extérieur de culte. Ainsi, par exemple, elle veut « que ce que nous professons dans nos observances extérieures, s’accomplisse réellement dans notre intérieur » (Missale Rom., Secreta feriae V post Dom. II Quadrag.). Sans quoi, la religion devient assurément un formalisme inconsistant et vide. Vous savez, Vénérables Frères, que le divin Maître juge indignes du temple sacré et n’hésite pas à les en chasser, ceux qui croient honorer Dieu par le seul son de phrases bien construites et par des poses théâtrales, et se persuadent pouvoir assurer parfaitement leur salut éternel sans déraciner de leur âme leurs vices invétérés (cf. Mc VII, 6, et Isaïe, XXIX, 13). L’Église veut donc que tous les fidèles se prosternent aux pieds du Rédempteur pour lui professer leur amour et leur vénération ; elle veut que les foules, à l’exemple des enfants qui, joyeux et chantants, allèrent à la rencontre du Christ le jour de son entrée à Jérusalem, chantent en chœur pour acclamer la gloire du Roi des rois et de l’Auteur souverain de tout bien, et pour lui témoigner leur reconnaissance ; elle veut que de leurs lèvres sortent des prières, tantôt de supplication, tantôt de joie et de louange, afin d’expérimenter, comme les apôtres au bord du lac de Tibériade, l’aide de sa miséricorde et de sa puissance ; ou bien, comme Pierre sur le mont Thabor, pour s’abandonner eux-mêmes et tous leurs biens, au Dieu éternel, dans les mystiques transports de la contemplation.
C’est donc avoir une notion tout à fait inexacte de la sainte liturgie que de la regarder comme une partie purement extérieure et sensible du culte divin, ou comme une cérémonie décorative ; ce n’est pas une moindre erreur de la considérer simplement comme l’ensemble des lois et des préceptes par lesquels la hiérarchie ecclésiastique ordonne l’exécution régulière des rites sacrés. Qu’il soit donc bien entendu de tous qu’on ne peut dignement honorer Dieu si l’âme ne tend pas à la perfection de la vie, et que pour faire parvenir à la sainteté, le culte rendu à Dieu par l’Église en union avec son chef divin possède la plus grande efficacité.
Quand il s’agit du sacrifice de la messe et des sacrements, cette efficacité provient surtout et avant tout de l’action elle-même (ex opere operato). Si l’on considère ensuite l’activité propre de l’épouse sans tache de Jésus-Christ, qui rehausse de ses prières et de ses cérémonies le sacrifice eucharistique et les sacrements, ou s’il s’agit des sacramentaux et des autres rites institués par la hiérarchie ecclésiastique, alors l’efficacité dépend surtout de l’action de l’Église (ex opere operantis Ecclesiae), en tant que sainte et étroitement unie à son Chef dans toute son activité.
A ce propos, Vénérables Frères, Nous voudrions attirer votre attention sur les nouvelles théories touchant ce qu’on appelle la « piété objective » ; tendant à mettre en relief le mystère du Corps mystique, la réalité effective de la grâce sanctifiante et l’action divine des sacrements et de la messe, elles semblent vouloir amoindrir ou même passer sous silence la « piété subjective » ou personnelle. Dans les cérémonies liturgiques, et en particulier dans le saint sacrifice de l’autel, il est bien vrai que l’œuvre de notre rédemption se continue et que ses fruits nous sont appliqués. Le Christ nous sauve chaque jour dans les sacrements et à la messe ; par eux, il purifie sans cesse et il consacre à Dieu toute l’humanité. Ces actes ont donc une valeur « objective », qui nous fait vraiment participer à la vie divine de Jésus-Christ. C’est donc de la vertu divine, et non de la nôtre, qu’ils tirent leur efficacité pour unir la piété des membres à celle du Chef et en faire en quelque sorte une action de toute la communauté. Certains concluent de ces profonds arguments que toute la piété chrétienne doit se renfermer dans le mystère du Corps mystique du Christ, sans aucune considération « personnelle » ou « subjective » ; ils estiment donc qu’il faut négliger les autres pratiques de religion non strictement liturgiques et accomplies en dehors du culte public. Bien que les principes ci-dessus exposés soient excellents, tout le monde remarquera pourtant que ces conclusions sur les deux sortes de piété sont tout à fait fallacieuses, insidieuses et dommageables.
Il est vrai que les sacrements et le sacrifice de la messe ont une valeur intrinsèque en tant qu’ils sont les actions du Christ lui-même ; c’est lui qui communique la grâce divine de Chef et la diffuse dans les membres du Corps mystique ; mais pour avoir l’efficacité requise, il est absolument nécessaire que les âmes soient bien disposées. Ainsi, à propos de l’Eucharistie, l’apôtre Paul nous dit : « Que chacun s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice » (I Co XI, 28). C’est pourquoi l’Église, en termes expressifs et concis, nomme-t-elle « défense de la milice chrétienne » (Missale Rom., Feria IV Cinerum : orat post imposit. cinerum.) tous les exercices de purification de l’âme, surtout durant le jeûne du carême ; ils représentent, en effet, les efforts actifs des membres qui veulent, avec l’aide de la grâce, adhérer à leur Chef, afin que, dit saint Augustin « la source même de la grâce apparaisse dans notre Chef » (De praedestinatione sanctorum, 31). Mais il faut remarquer que ce sont des membres vivants, doués de raison et de volonté personnelles ; en approchant leurs lèvres de la source, ils doivent donc nécessairement s’emparer vitalement de l’aliment, se l’assimiler et écarter tout ce qui pourrait en empêcher l’efficacité. Il faut donc affirmer que l’œuvre rédemptrice, indépendante en soi de notre volonté, requiert notre effort intérieur pour pouvoir nous conduire au salut éternel.
Si la piété privée et intérieure des individus négligeait le saint sacrifice de la messe et les sacrements et se soustrayait à l’influx salvifique qui émane du Chef dans les membres, ce serait évidemment chose blâmable et stérile. Mais lorsque tous les exercices de piété non strictement liturgiques ne visent l’activité humaine que pour la diriger vers le Père des cieux, pour exciter efficacement les hommes à la pénitence et à la crainte de Dieu, pour les arracher à l’attrait du monde et des plaisirs, et réussir à les conduire par un dur chemin au sommet de la sainteté, alors ils ne méritent pas seulement Nos plus grands éloges, mais ils s’imposent par une absolue nécessité, car ils démasquent les écueils de la vie spirituelle, ils nous poussent à l’acquisition des vertus et ils augmentent l’ardeur avec laquelle nous devons nous consacrer entièrement au service de Jésus-Christ. La piété authentique, que le docteur angélique appelle « dévotion » et qui est l’acte principal de la vertu de religion - acte qui met les hommes dans l’ordre, les oriente vers Dieu et les fait s’adonner librement à tous les exercices du culte divin (Cf. s. Thomas. Summa Theol., IIa IIae. q. 82, a. 1.) cette piété authentique a besoin de la méditation des réalités surnaturelles et des pratiques de piété pour s’alimenter, s’enflammer, s’épanouir et nous pousser à la perfection. Car une juste conception de la religion chrétienne réclame qu’avant tout la volonté soit consacrée à Dieu et qu’elle exerce son influence sur les autres facultés de l’âme. Mais tout acte de volonté présuppose l’exercice de l’intelligence, et avant même que naissent le désir et le projet de se consacrer à Dieu dans le sacrifice de soi-même, il est nécessaire de connaître les raisons et les motifs qui commandent la religion, comme la fin dernière de l’homme et la grandeur de la majesté divine, le devoir de se soumettre au Créateur, les inépuisables trésors de l’amour dont Dieu a voulu nous enrichir, la nécessité de la grâce pour atteindre le but assigné, et la voie spéciale que la divine Providence a voulue pour nous, en nous unissant tous à Jésus-Christ notre Chef, comme les membres d’un corps. Et parce que les motifs de l’amour n’ont pas toujours de prise sur notre âme agitée par les mauvaises passions, il est fort opportun que la considération de la justice divine nous impressionne salutairement pour nous amener à l’humilité chrétienne, à la pénitence et à l’amendement.
Toutes ces considérations ne doivent pas être un vain rappel, mais tendre activement à soumettre nos sens et leurs facultés à la raison illuminée par la foi, à purifier notre âme pour l’unir chaque jour plus intimement au Christ, nous conformer toujours plus à lui et puiser en lui l’inspiration et la force divine dont elle a besoin, à être des stimulants toujours plus efficaces au bien, à la fidélité au devoir d’état, à la pratique de la religion, à l’exercice fervent de la vertu : « Vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (cf. I Co III, 23). Que tout soit donc bien ordonné et « théocentrique », si nous voulons vraiment que tout soit dirigé à la gloire de Dieu par la vie et la vertu qui nous viennent de notre divin Chef : « Ainsi donc, Frères, puisque nous avons, par le sang de Jésus, un libre accès dans le sanctuaire, par la voie nouvelle et vivante qu’il a inaugurée pour nous à travers le voile, c’est-à-dire à travers sa chair, et puisque nous avons un Grand Prêtre établi sur la maison de Dieu, approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, le cœur purifié des souillures d’une mauvaise conscience, et le corps lavé dans une eau pure. Restons inébranlablement attachés à la profession de notre espérance... Ayons l’œil ouvert les uns sur les autres pour nous exciter à la charité et aux bonnes œuvres » (He X, 19-24).
De là résulte un harmonieux équilibre entre les membres du Corps mystique de Jésus-Christ. En nous enseignant la foi catholique, en nous exhortant à l’observation des commandements, l’Église prépare la route à son action proprement sacerdotale et sanctifiante ; elle nous dispose à une contemplation plus intime de la vie du divin Rédempteur et nous conduit à une connaissance plus profonde des mystères de la foi, pour que nous y puisions une nourriture surnaturelle dont la force nous permette, avec l’aide du Christ, de progresser sûrement vers la perfection. Par ses ministres d’abord, mais aussi par ses simples fidèles remplis de l’Esprit de Jésus-Christ, l’Église cherche à faire pénétrer cet esprit dans toute la vie privée, conjugale, sociale et même économique et politique, afin que tous ceux qui portent le nom d’enfants de Dieu puissent plus facilement atteindre leur fin.
Cette activité privée des chrétiens et l’effort ascétique destiné à purifier l’âme stimulent l’énergie des fidèles et les disposent à participer dans de meilleures dispositions au saint sacrifice de la messe, à recevoir les sacrements avec plus de fruit, à célébrer les rites sacrés de façon à en sortir plus généreux et plus forts pour la prière et l’abnégation chrétienne, à répondre activement aux inspirations de la grâce prévenante et à imiter chaque jour davantage les vertus de notre Rédempteur ; ils ne seront pas les seuls à en profiter, mais avec eux tout le corps de l’Église, dans lequel tout le bien qui se fait dérive de la vertu du Chef et sert finalement au bien de tous les membres.
Il ne peut donc y avoir dans la vie spirituelle, aucune opposition ou contradiction entre l’action divine, qui infuse la grâce dans les âmes pour continuer notre rédemption, et l’active coopération de l’homme qui ne doit pas rendre vaine la grâce de Dieu (cf. II Co VI, 1) ; entre l’efficacité du rite extérieur des sacrements, qui provient de leur valeur intrinsèque ex opere operato et le mérite de celui qui les administre ou les reçoit ex opere operantis ; entre les prières privées et les prières publiques ; entre la morale et la contemplation ; entre la vie ascétique et la piété liturgique ; entre la juridiction et le magistère légitime de la hiérarchie ecclésiastique, d’une part, et le pouvoir sacerdotal proprement dit, qui s’exerce dans le saint ministère, d’autre part.
Pour de graves motifs, l’Église prescrit aux ministres de l’autel et aux religieux de s’adonner, aux temps marqués, à la méditation, à l’examen et amendement de la conscience, et aux autres exercices spirituels (C.I.C., can. 125, 126, 565, 571, 595, 1367.), parce que destinés d’une manière particulière à remplir les fonctions liturgiques de la messe et de la louange divine. Sans doute la prière liturgique, du fait qu’elle est la prière publique de l’épouse de Jésus-Christ, a une dignité supérieure à celle des prières privées ; mais cette supériorité ne veut nullement dire qu’il y ait, entre ces deux sortes de prières, contradiction ou opposition. Inspirées par un seul et même esprit, elles tendent, ensemble et d’accord, au même but, jusqu’à ce que le Christ soit formé en nous (cf. Gal., IV, 19), et devienne « tout en tous » (Col., III, 11).
Pour mieux comprendre ce qu’est la sainte liturgie, il faut encore considérer un autre de ses caractères, qui n’est pas de moindre importance.
L’Église est une société et, comme telle, elle requiert une autorité et une hiérarchie propres. Si tous les membres du Corps mystique participent aux mêmes biens et tendent aux mêmes fins, tous ne jouissent pas pourtant du même pouvoir ni ne sont habilités pour accomplir les mêmes actes. Le divin Rédempteur, en effet, a voulu constituer son royaume et l’appuyer sur des fondements stables selon l’ordre sacré, qui est une sorte d’image de la hiérarchie céleste. Aux seuls apôtres et à ceux qui, après eux, ont reçu de leurs successeurs l’imposition des mains, a été conféré le pouvoir sacerdotal, en vertu duquel ils représentent leur peuple devant Dieu de la même manière qu’ils représentent devant leur peuple la personne de Jésus-Christ. Ce sacerdoce ne leur est pas transmis par hérédité ni par descendance humaine ; il n’émane pas non plus de la communauté chrétienne et il n’est pas une délégation du peuple. Avant de représenter le peuple auprès de Dieu, le prêtre est l’envoyé du divin Rédempteur, et parce que Jésus-Christ est la Tête de ce Corps dont les chrétiens sont les membres, il représente Dieu auprès du peuple dont il a la charge. Le pouvoir qui lui est confié n’a donc, de sa nature, rien d’humain ; il est surnaturel et il vient de Dieu : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie... (Jn, XX, 21) ; celui qui vous écoute m’écoute... (Lc X, 16) ; allez dans le monde entier et prêchez l’Évangile à toute créature : celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc XVI, 15-16).
C’est pourquoi le sacerdoce extérieur et visible de Jésus-Christ ne se transmet pas dans l’Église d’une manière universelle, générale ou indéterminée : il est conféré à des hommes choisis et constitue une sorte de génération spirituelle que réalise l’un des sept sacrements, l’ordre ; celui-ci ne donne pas seulement une grâce particulière propre à cet état et à cette fonction, mais encore un « caractère » indélébile, qui configure les ministres sacrés à Jésus-Christ Prêtre et qui les rend aptes à exercer légitimement les actes de religion ordonnés à la sanctification des hommes et à la glorification de Dieu, suivant les exigences de l’économie surnaturelle.
En effet, de même que le bain baptismal distingue tous les chrétiens et les sépare de ceux que l’eau sainte n’a point purifiés et qui ne sont point membres du Christ, de même le sacrement de l’ordre range les prêtres à part des autres fidèles du Christ qui n’ont point reçu ce don, car eux seuls, répondant à l’appel d’une sorte d’instinct surnaturel, ont accédé à l’auguste ministère qui les consacre au service des autels et fait d’eux les divins instruments par lesquels la vie céleste et surnaturelle est communiquée au Corps mystique de Jésus-Christ. Et, en outre, comme Nous l’avons dit plus haut, eux seuls sont marqués du caractère indélébile qui les fait « conformes » au Christ Prêtre ; d’eux seuls les mains ont été consacrées, « afin que tout ce qu’ils béniraient soit béni, et tout ce qu’ils consacreraient soit consacré et sanctifié au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Pontif. Rom., De ordinatione presbyteri, in manuum unctione). Qu’à eux donc recourent tous ceux qui veulent vivre dans le Christ, car c’est d’eux qu’ils recevront le réconfort et l’aliment de la vie spirituelle ; d’eux ils recevront le remède du salut, grâce auquel, guéris et fortifiés, ils pourront échapper au désastre où mènent les vices ; par eux, enfin, leur vie commune familiale sera bénie et consacrée, et leur dernier souffle en cette vie mortelle deviendra l’entrée dans la béatitude éternelle.
a. Par sa nature même
Puisque la liturgie sacrée est accomplie au premier chef par les prêtres au nom de l’Église, son ordonnancement, sa réglementation et sa forme ne peuvent pas ne pas dépendre de l’autorité de l’Église. Ce principe, qui découle de la nature même du culte chrétien, est confirmé par les documents de l’histoire.
b. Par ses relations étroites avec le dogme
Ce droit indiscutable de la hiérarchie ecclésiastique est corroboré encore par le fait que la liturgie sacrée est en connexion intime avec les principes doctrinaux qui sont enseignés par l’Église comme points de vérité certaine, et par le fait qu’elle doit être mise en conformité avec les préceptes de la foi catholique édictés par le magistère suprême pour assurer l’intégrité de la religion révélée de Dieu.
A ce sujet, Nous avons jugé devoir mettre en exacte lumière ceci, que vous n’ignorez sans doute point, Vénérables Frères : à savoir, l’erreur de ceux qui ont considéré la liturgie comme une sorte d’expérience des vérités à retenir comme de foi ; de façon que si une doctrine avait produit, par le moyen des rites liturgiques, des fruits de piété et de sanctification, l’Église l’approuverait, et qu’elle la réprouverait dans le cas contraire. D’où proviendrait l’axiome : Lex orandi, lex credendi ; « la règle de la prière est la règle de la croyance ».
Mais ce n’est point cela qu’enseigne, ce n’est point cela que prescrit l’Église. Le culte qui est rendu par elle au Dieu très saint est, comme le dit de façon expressive saint Augustin, une profession continue de foi catholique et un exercice d’espérance et de charité : Fide, spe, caritate colendum Deum, affirme-t-il. (Enchiridion. cap. 3.) Dans la liturgie sacrée, nous professons la foi catholique expressément et ouvertement, non seulement par la célébration des mystères, l’accomplissement du sacrifice, l’administration des sacrements, mais aussi en récitant ou chantant le « Symbole » de la foi, qui est comme la marque distinctive des chrétiens, et de même en lisant les autres textes, et surtout les Saintes Écritures inspirées par l’Esprit-Saint. Toute la liturgie donc contient la foi catholique, en tant qu’elle atteste publiquement la foi de l’Église.
C’est pourquoi, chaque fois qu’il s’est agi de définir une vérité divinement révélée, les souverains pontifes et les conciles, lorsqu’ils puisaient aux « sources théologiques », tirèrent maint argument de cette discipline sacrée ; tel, par exemple, Notre prédécesseur d’immortelle mémoire Pie IX, lorsqu’il décréta l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. Et de même l’Église et les saints Pères, lorsqu’ils discutaient de quelque vérité douteuse et controversée, ne négligeaient pas de demander des éclaircissements aux vénérables rites transmis depuis l’antiquité, de là vient l’axiome connu et respectable : Legem credendi lex statuat supplicandi, « que la règle de la prière fixe la règle de la croyance » (De gratia Dei « Indiculus »). Ainsi, la sainte liturgie ne désigne et n’établit point la foi catholique absolument et par sa propre autorité, mais plutôt, étant une profession des vérités célestes soumises au suprême magistère de l’Église, elle peut fournir des arguments et des témoignages de grande valeur pour décider d’un point particulier de la doctrine chrétienne. Que si l’on veut discerner et déterminer d’une façon absolue et générale les rapports entre la foi et la liturgie, on peut dire à juste titre : Lex credendi legem statuat supplicandi, « que la règle de la croyance fixe la règle de la prière ». Et il faut parler de même quand il s’agit des autres vertus théologales : In... fide, spe, caritate continuato desiderio semper oramus, « nous, prions toujours et avec une ardeur continue, dans la foi, l’espérance et la charité » (S. Augustin, Epist. 130, ad Probam, 18.).
De tout temps, la hiérarchie ecclésiastique a usé de ce droit sur les choses de la liturgie ; elle a organisé et réglé le culte divin, rehaussant son éclat de dignité et de splendeurs nouvelles, pour la gloire de Dieu et le profit spirituel des chrétiens. Et, de plus, elle n’a pas hésité - tout en sauvegardant l’intégrité substantielle du sacrifice eucharistique et des sacrements - à modifier ce qu’elle jugeait n’être pas parfaitement convenable et à ajouter ce qui lui paraissait plus apte à accroître l’honneur rendu à Jésus-Christ et à l’auguste Trinité, et à instruire et stimuler le peuple chrétien de façon plus bienfaisante. (cf. Const. Divini cultus, du 20 décembre 1928.)
En effet, la sainte liturgie est formée d’éléments humains et d’éléments divins ; ceux-ci, évidemment, ayant été établis par le divin Rédempteur, ne peuvent en aucune façon être changés par les hommes ; les premiers, au contraire, peuvent subir des modifications diverses, selon que les nécessités des temps, des choses et des âmes les demandent, et que la hiérarchie ecclésiastique, forte de l’aide de l’Esprit-Saint, les aura approuvées. De là vient l’admirable variété des rites orientaux et occidentaux ; de là l’accroissement progressif par lequel des coutumes cultuelles et des œuvres de piété particulières se développent peu à peu, alors qu’on n’en trouvait qu’un faible indice dans les âges antérieurs ; et de là vient aussi parfois que telles pieuses institutions, que le temps avait effacées, soient de nouveau remises en usage. Toutes ces transformations attestent la vie permanente de l’Église à travers tant de siècles ; elles expriment le langage sacré qui, au cours des temps, s’est échangé entre elle et son divin Époux, pour dire sa foi et celle des peuples à elle confiés, et son amour inépuisable ; et elles montrent la sage pédagogie par laquelle elle excite et augmente de jour en jour dans les croyants « le sens du Christ ».
Il y eut, certes, bien des causes au progrès et au développement de la liturgie sacrée tout au long de la glorieuse vie de l’Église.
a. Dû à une formulation doctrinale plus précise
Ainsi, par exemple, tandis que la doctrine catholique du Verbe de Dieu incarné, du sacrement et du sacrifice de l’Eucharistie, de la Vierge Marie Mère de Dieu, était déterminée de façon plus certaine et plus exacte, de nouvelles formes rituelles furent introduites, par lesquelles la lumière qui avait jailli plus éclatante des déclarations du magistère ecclésiastique se trouva répétée et comme reflétée de façon plus plénière et plus juste dans les actions liturgiques, et put atteindre avec plus de facilité l’esprit et le cœur du peuple chrétien.
b. Dû à des modifications disciplinaires
Ensuite le progrès de la discipline ecclésiastique dans l’administration des sacrements, par exemple du sacrement de pénitence, et l’institution puis la suppression du catéchuménat et encore la communion eucharistique sous une seule espèce adoptée dans l’Église latine, furent autant de causes qui, certainement, contribuèrent à la transformation de l’ancien rite au cours des temps et à l’introduction lente d’un rite nouveau, qui parut plus en accord avec les réglementations par là impliquées.
c. Dû aussi à des pratiques de piété extra-liturgiques
A ce progrès et à cette transformation contribuèrent beaucoup des initiatives de piété et des œuvres qui ne sont point en liaison intime avec la liturgie sacrée et qui, nées dans les époques suivantes par un admirable dessein de Dieu, prirent parmi le peuple une si grande importance : tel, par exemple, le culte accru et chaque jour plus attentif envers la divine Eucharistie, et de même envers les cruelles souffrances de notre Rédempteur, envers le Sacré-Cœur de Jésus, la Vierge Mère de Dieu et son très chaste Époux. A ces effets eurent part aussi, au gré des circonstances, les pèlerinages publics de piété au tombeau des martyrs, les jeûnes de dévotion, enfin les prières stationales qui se célébraient en esprit de pénitence dans la sainte cité et auxquelles prenait part souvent le Souverain Pontife lui-même.
d. Dû encore au développement des beaux-arts
Et il est facile de comprendre que le développement des beaux-arts, surtout de l’architecture, de la peinture et de la musique, influa considérablement sur la détermination et les formes variées que reçurent les éléments extérieurs de la liturgie sacrée.
L’Église a usé de ce même droit sur les choses liturgiques pour défendre la sainteté du culte divin contre les abus introduits avec témérité et imprudence par des personnes privées et des Églises particulières. Et c’est ainsi que, au XVIe siècle, les usages et coutumes de ce genre s’étant accrus à l’excès, et les initiatives privées en ces matières menaçant l’intégrité de la foi et de la piété pour le plus grand profit des hérétiques et de la propagation de leurs erreurs, Notre prédécesseur d’immortelle mémoire Sixte-Quint établit en l’année 1588 la Sacrée Congrégation des Rites, afin de défendre les rites légitimes de l’Église et d’en écarter tout ce qui aurait été introduit d’impur (Const. Immensa, du 22 janvier 1588), à cette institution, de nos jours encore, il appartient, de par la fonction qui lui est dévolue, d’ordonner et décréter tout ce qui concerne la liturgie sacrée (C. I. C., can. 253).
C’est pourquoi au seul Souverain Pontife appartient le droit de reconnaître et établir tout usage concernant le culte divin, d’introduire et approuver de nouveaux rites, de modifier ceux mêmes qu’il aurait jugés immuables (cf. C. I. C., can. 1257) ; le droit et le devoir des évêques est de veiller diligemment à l’exacte observation des préceptes des saints canons sur le culte divin (cf. C. I. C. can. 1261). Il n’est donc pas permis de laisser à l’arbitraire des personnes privées, fussent-elles de l’ordre du clergé, les choses saintes et vénérables qui touchent la vie religieuse de la société chrétienne, et de même l’exercice du sacerdoce de Jésus-Christ et le culte divin, l’honneur qui doit être rendu à la très sainte Trinité, au Verbe incarné, à son auguste Mère, et aux autres habitants du ciel, et le salut des hommes. Pour cette raison, aucune personne privée n’a le pouvoir de réglementer les actions extérieures de cette espèce, qui sont au plus haut point liées avec la discipline ecclésiastique et avec l’ordre, l’unité et la concorde du Corps mystique, et qui, plus est, fréquemment avec l’intégrité de la foi catholique elle-même.
L’Église, sans doute, est un organisme vivant, donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine. Néanmoins, il faut réprouver l’audace tout à fait téméraire de ceux qui, de propos délibéré, introduisent de nouvelles coutumes liturgiques ou font revivre des rites périmés, en désaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. Or, Nous avons appris avec grande douleur, Vénérables Frères, que cela se produisait, et en des choses, non seulement de faible, mais aussi de très grave importance ; il en est, en effet, qui dans la célébration de l’auguste sacrifice eucharistique, se servent de la langue vulgaire, qui transfèrent à d’autres époques des jours de fête - lesquels avaient été décrétés et établis après mûre délibération - qui enfin suppriment des livres de la prière publique approuvés par l’Église les textes sacrés de l’Ancien Testament, parce qu’ils les jugent insuffisamment adaptés à notre temps et inopportuns. L’emploi de la langue latine, en usage dans une grande partie de l’Église, est un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection efficace contre toute corruption de la doctrine originale. Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être très profitable au peuple : mais c’est au seul Siège apostolique qu’il appartient de le concéder ; et sans son avis et son approbation, il est absolument interdit de rien faire en ce genre, car, comme Nous l’avons dit, la réglementation de la sainte liturgie dépend entièrement de son appréciation et de sa volonté.
Il faut juger de même des efforts de certains pour remettre en usage d’anciens rites et cérémonies. Sans doute, la liturgie de l’antiquité est-elle digne de vénération ; pourtant, un usage ancien ne doit pas être considéré, à raison de son seul parfum d’antiquité, comme plus convenable et meilleur, soit en lui-même, soit quant à ses effets et aux conditions nouvelles des temps et des choses. Les rites liturgiques plus récents eux aussi, sont dignes d’être honorés et observés, puisqu’ils sont nés sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, qui assiste l’Église à toutes les époques jusqu’à la consommation des siècles (cf. Mt, XXVIII, 20) ; et ils font partie du trésor dont se sert l’insigne Épouse du Christ pour provoquer et procurer la sainteté des hommes.
Revenir par l’esprit et le cœur aux sources de la liturgie sacrée est chose certes sage et louable, car l’étude de cette discipline, en remontant à ses origines, est d’une utilité considérable pour pénétrer avec plus de profondeur et de soin la signification des jours de fêtes, le sens des formules en usage et des cérémonies sacrées ; mais il n’est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l’antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des églises les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la croix de telle façon que n’apparaissent point les souffrances aiguës qu’il a endurées, de répudier et rejeter enfin les chants polyphoniques ou à plusieurs voix, même s’ils se conforment aux normes données par le Siège apostolique.
De même, en effet, qu’aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l’Église, sous l’inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, avec grand profit pour les âmes ; et qu’aucun catholique sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux prescriptions des sources anciennes du Droit canonique, de même, quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste.
Une telle façon de penser et d’agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu’excitait le concile illégitime de Pistoie, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l’origine de ce faux concile et qui en résultèrent, pour le grand dommage des âmes, erreurs que l’Église, gardienne toujours vigilante du « dépôt de la foi » à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit (cf. Pie VI, Const. Auctorem fidei, du 28 août 1794, nn. XXXI-XXXIV, XXXIX, LXII, LXVI, LXIX-LXXIV.). Car des desseins et des initiatives de ce genre tendent à ôter toute force et toute efficacité à l’action sanctificatrice, par laquelle la liturgie sacrée oriente, pour leur salut, vers le Père céleste les fils de l’adoption.
Que tout se fasse donc de telle façon que soit sauvegardée l’union avec la hiérarchie ecclésiastique. Que personne ne s’arroge la liberté de se donner à soi-même des règles, et de les imposer aux autres de son propre chef. Seul le Souverain Pontife, comme successeur du bienheureux Pierre à qui le divin Rédempteur a confié le soin de paître le troupeau universel (Jn XXI, 15-17), et avec lui les évêques, que « l’Esprit-Saint a placés... pour régir l’Église de Dieu » (Act XX, 28) sous la conduite du Siège apostolique, ont le droit et le devoir de gouverner le peuple chrétien. C’est pourquoi, Vénérables Frères, chaque fois que vous défendez votre autorité - et avec une sévérité salutaire s’il le faut - non seulement vous remplissez la fonction de votre charge, mais vous faites respecter la volonté même du Fondateur de l’Église.
Le point culminant et comme le centre de la religion chrétienne est le mystère de la très sainte Eucharistie que le Christ, Souverain Prêtre, a instituée, et qu’il veut voir perpétuellement renouvelé dans l’Église par ses ministres. Comme il s’agit de la matière principale de la liturgie, Nous estimons utile de Nous y attarder quelque peu et d’attirer votre attention, Vénérables Frères, sur ce sujet très important.
Le Christ, notre Seigneur, « prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech » (Ps CIX, 4), « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde » (Jn XIII, 1), « durant la dernière Cène, la nuit où il fut trahi, voulut, comme l’exige la nature humaine, laisser à l’Église, son Épouse bien-aimée, un sacrifice visible, pour représenter le sacrifice sanglant qui devait s’accomplir une fois seulement sur la croix, afin donc que son souvenir demeurât jusqu’à la fin des siècles et que la vertu en fût appliquée à la rémission de nos péchés de chaque jour... Il offrit à Dieu son Père son corps et son sang sous les apparences du pain et du vin, symboles sous lesquels il les fit prendre aux apôtres, qu’il constitua alors prêtres du Nouveau Testament, et il ordonna, à eux et à leurs successeurs, de l’offrir » (Conc. Trid., Sess. XXII, cap. 1).
Le saint sacrifice de l’autel n’est donc pas une pure et simple commémoration des souffrances et de la mort de Jésus-Christ, mais un vrai sacrifice, au sens propre, dans lequel, par une immolation non sanglante, le Souverain Prêtre fait ce qu’il a fait sur la croix, en s’offrant lui-même au Père éternel comme une hostie très agréable. « La victime est la même ; celui qui maintenant offre par le ministère des prêtres est celui qui s’offrit alors sur la croix ; seule la manière d’offrir diffère ». (Ibid. cap. 2)
a. Prêtre identique
C’est donc le même prêtre, Jésus-Christ, mais dont la personne sacrée est représentée par son ministre, celui-ci, en effet, par la consécration sacerdotale qu’il a reçue, est assimilé au Souverain Prêtre et jouit du pouvoir d’agir avec la puissance et au nom du Christ lui-même (S. Thomas, Summa theol. IIIa, q. 22, a. 4). C’est pourquoi par son action sacerdotale, d’une certaine manière, « il prête sa langue au Christ, il lui offre sa main ». (Jean Chrysostome, In Ioann. Hom., 86, 4)
b. Victime identique
La victime est également la même, à savoir le divin Rédempteur, selon sa nature humaine et dans la vérité de son corps et de son sang. La manière dont le Christ est offert est cependant différente. Sur la croix, en effet, il offrit à Dieu tout lui-même et ses douleurs, et l’immolation de la victime fut réalisée par une mort sanglante subie librement. Sur l’autel, au contraire, à cause de l’état glorieux de sa nature humaine, « la mort n’a plus d’empire sur lui » (Rm VI, 9), et, par conséquent, l’effusion du sang n’est plus possible ; mais la divine sagesse a trouvé un moyen admirable de rendre manifeste le sacrifice de notre Rédempteur par des signes extérieurs, symboles de mort. En effet, par le moyen de la transsubstantiation du pain au corps et du vin au sang du Christ, son corps se trouve réellement présent, de même que son sang, et les espèces eucharistiques, sous lesquelles il se trouve, symbolisent la séparation violente du corps et du sang. Ainsi le souvenir de sa mort réelle sur le Calvaire est renouvelé dans tout sacrifice de l’autel, car la séparation des symboles indique clairement que Jésus-Christ est en état de victime.
c. Fins identiques
Les buts visés enfin, sont les mêmes. Le premier est la glorification du Père céleste. De son berceau jusqu’à la mort, Jésus-Christ fut enflammé du désir de procurer la gloire de Dieu ; de la croix au ciel, l’offrande de son sang s’éleva comme un parfum délectable, et pour que cet hommage ne cesse jamais, les membres s’unissent à leur Chef divin dans le sacrifice eucharistique, et avec lui, unis aux anges et aux archanges, ils adressent en chœur à Dieu de continuels hommages (cf. Missale Rom., Praefatio), rapportant au Père tout-puissant tout honneur et toute gloire (Ibid., Canon).
Le second but poursuivi est de rendre à Dieu les grâces qui lui sont dues. Seul le divin Rédempteur, en tant que Fils bien-aimé du Père éternel, dont il connaissait l’immense amour, put lui offrir un digne chant d’action de grâces. C’est ce qu’il visa, ce qu’il voulut, « en rendant grâces » (Mc XIV, 23) à la dernière Cène. Et il ne cessa de le faire lorsqu’il était suspendu à la croix ; il ne le cesse pas dans le saint sacrifice de l’autel, dont le sens est « action de grâces » ou action « eucharistique », et ceci parce que « c’est vraiment digne et juste, équitable et salutaire » (Missale Rom., Praefatio).
En troisième lieu, le sacrifice se propose un but d’expiation, de propitiation et de réconciliation. Aucun autre que le Christ ne pouvait assurément offrir à Dieu satisfaction pour toutes les fautes du genre humain ; aussi voulut-il être immolé lui-même sur la croix « en propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (I Jn, II, 2). De la même manière, il s’offre tous les jours sur les autels pour notre rédemption, afin qu’arrachés à la damnation éternelle nous soyons inscrits au nombre de ses élus. Et cela non seulement pour nous qui jouissons de cette vie mortelle, mais aussi « pour tous ceux qui reposent dans le Christ, qui nous ont précédés avec le signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix » (Missale Rom., Canon) ; en effet, soit que nous vivions, soit que nous mourions, « nous ne nous éloignons pas du seul et unique Christ » (S. Augustin, De Trinit., lib. XIII, c. 19).
En quatrième lieu, enfin, il y a un but impétratoire. L’homme enfant prodigue, a mal usé de tous les biens reçus du Père céleste, et les a dissipés ; aussi se trouve-t-il réduit à un état de très grande pauvreté et de très grande souillure. Cependant, du haut de la croix, le Christ « offrant avec un grand cri et des larmes... ses prières et ses supplications... fut exaucé à cause de sa piété » (He, V, 7). Semblablement, sur les saints autels il exerce la même médiation efficace, afin que nous soyons comblés de toute bénédiction et de toute grâce.
Il est donc facile de comprendre pourquoi le saint concile de Trente affirme que la vertu salutaire de la croix nous est communiquée par le sacrifice eucharistique pour la rémission de nos péchés quotidiens (cf. Sess. XXII, cap. 1). L’apôtre des Gentils, en proclamant la surabondante plénitude et perfection du sacrifice de la croix, a déclaré que le Christ, par une seule oblation, a rendu parfaits à jamais tous les sanctifiés (cf. He X, 14). De fait, les mérites de ce sacrifice, infinis et sans mesure, n’ont pas de limites : ils s’étendent à l’universalité des hommes de tous les lieux et de tous les temps, parce que l’Homme-Dieu en est le Prêtre et la Victime ; parce que son immolation, comme son obéissance à la volonté du Père éternel, fut absolument parfaite, et parce qu’il a voulu mourir comme Chef du genre humain : « Vois comment fut traité notre rachat : le Christ pend au bois, vois à quel prix il a acheté... il a versé son sang, il a acheté avec son sang, il a acheté avec le sang de l’Agneau immaculé, avec le sang du Fils unique de Dieu... L’acheteur est le Christ, le prix, le sang ; l’achat, le monde entier » (S. Augustin, Enarr. in Ps. CXLVII, n. 16).
Ce rachat, cependant, n’atteint pas aussitôt son plein effet : il faut que le Christ, après avoir racheté le monde au prix très précieux de lui-même, entre effectivement en possession réelle des âmes des hommes. Aussi, pour que leur rédemption et leur salut, en ce qui concerne les individus et toutes les générations qui se succéderont jusqu’à la fin des siècles, se réalisent et soient agréés de Dieu, il faut absolument que chaque homme en particulier entre en contact vital avec le sacrifice de la croix, et donc que les mérites qui en découlent lui soient transmis. On peut dire d’une certaine manière que sur le Calvaire le Christ a établi une piscine d’expiation et de salut, qu’il a remplie de son sang répandu, mais si les hommes ne se plongent pas dans ses eaux et n’y lavent les taches de leurs fautes, ils ne peuvent assurément obtenir purification ni salut.
Afin donc que chaque pécheur soit blanchi dans le sang de l’Agneau, les chrétiens doivent nécessairement associer leur travail à celui du Christ. Si, parlant en général, on peut dire, en effet, que le Christ a réconcilié, avec son Père par sa mort sanglante, tout le genre humain, il a voulu cependant que, pour obtenir les fruits salutaires produits par lui sur la croix, tous fussent conduits et amenés à sa croix, par les sacrements principalement et par le sacrifice eucharistique. Dans cette participation actuelle et personnelle, de même que les membres prennent chaque jour une ressemblance plus grande avec leur divin Chef, de même la vie salutaire découlant du Chef est communiquée aux membres, si bien que nous pouvons répéter les paroles de saint Paul : « Je suis attaché à la croix avec le Christ, et ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Gal II, 19-20).
Comme Nous l’avons déjà dit en une autre occasion d’une façon expresse et concise, « Jésus-Christ en mourant sur la croix donna à son Église, sans aucune coopération de la part de celle-ci, l’immense trésor de la Rédemption ; mais quand il s’agit de distribuer ce trésor, non seulement il partage avec son Épouse immaculée cette œuvre de sanctification, mais il veut encore qu’elle naisse en quelque sorte de sa propre activité » (Lettre encycl. Mystici Corporis, du 29 juin 1943). Or, le saint sacrifice de l’autel est comme l’instrument par excellence par lequel les mérites venant de la croix du divin Rédempteur sont distribués : « Toutes les fois que le souvenir de ce sacrifice est célébré, l’œuvre de notre Rédemption s’accomplit » (Missale Rom., Secreta Dom. IX post Pentec.). Celui-ci, cependant, bien loin de diminuer la dignité du sacrifice sanglant, en fait plutôt connaître davantage et en rend plus évidentes la grandeur et la nécessité comme l’affirme le concile de Trente (Conc. Trid., Sess. 22, cap. 2, can. 4). Renouvelé tous les jours, il nous rappelle qu’il n’y a pas de salut hors de la croix de Notre- Seigneur Jésus-Christ (cf. Ga VI, 14) ; et que Dieu lui-même tient à la continuation de ce sacrifice « de l’aurore au coucher du soleil » (Mal. I, 11) pour que jamais ne cesse l’hymne de gloire et d’action de grâces dû par les hommes à leur Créateur, car ils ont perpétuellement besoin de son secours, besoin aussi du sang du Rédempteur pour effacer des péchés qui provoquent sa justice.
Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l’Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ-Jésus » (Ph II, 5) offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui. Assurément le Christ est prêtre, mais il est prêtre pour nous, non pour lui, car il présente au Père éternel des prières et des sentiments religieux au nom du genre humain tout entier, de même il est victime, mais pour nous, puisqu’il se met lui-même à la place de l’homme coupable. Le mot de l’Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus », demande donc de tous les chrétiens qu’ils reproduisent, autant qu’il est humainement possible, les sentiments dont était animé le divin Rédempteur lorsqu’il offrait le sacrifice de lui-même, c’est-à-dire qu’ils reproduisent son humble soumission d’esprit, qu’ils adorent, honorent, louent et remercient la souveraine majesté de Dieu. Il demande encore d’eux-mêmes qu’ils prennent en quelque sorte la condition de victime, qu’ils se soumettent complètement aux préceptes de l’Évangile, qu’ils s’adonnent spontanément et volontiers à la pénitence, et que chacun déteste et expie ses fautes. Il demande enfin que tous avec le Christ nous mourions mystiquement sur la croix, de manière à pouvoir faire nôtre la pensée de saint Paul : « Je suis crucifié avec le Christ » (Ga II, 19). Du fait cependant que les chrétiens participent au sacrifice eucharistique, il ne s’ensuit pas qu’ils jouissent également du pouvoir sacerdotal. Il est absolument nécessaire que vous exposiez cela clairement aux yeux de vos fidèles. Il y a en effet, Vénérables Frères, des gens qui, se rapprochant d’erreurs jadis condamnées (cf. Conc. Trid., Sess. XXIII, cap. 4), enseignent aujourd’hui que dans le Nouveau Testament, le mot « sacerdoce » désigne uniquement les prérogatives de quiconque a été purifié dans le bain sacré du baptême ; de même, disent-ils, le précepte de faire ce qu’il avait fait, donné par Jésus-Christ à ses apôtres durant la dernière Cène, vise directement toute l’Église des chrétiens, et c’est par conséquent plus tard seulement qu’on en est arrivé au sacerdoce hiérarchique. C’est pourquoi, ils prétendent que le peuple jouit d’un véritable pouvoir sacerdotal, et que le prêtre agit seulement comme un fonctionnaire délégué par la communauté.
A cause de cela, ils estiment que le sacrifice eucharistique est au sens propre une « concélébration », et que les prêtres devraient « concélébrer » avec le peuple présent, plutôt que d’offrir le sacrifice en particulier en l’absence du peuple. Combien des erreurs captieuses de ce genre contredisent aux vérités que Nous avons affirmées plus haut, en traitant de la place que tient le prêtre dans le Corps mystique du Christ, il est superflu de l’expliquer. Nous estimons cependant devoir rappeler que le prêtre remplace le peuple uniquement parce qu’il représente la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant que Chef de tous les membres s’offrant lui-même pour eux ; quand il s’approche de l’autel, c’est donc en tant que ministre du Christ, inférieur au Christ, mais supérieur au peuple (cf. S. Robert Bellarmin, De Missa, II, cap. 4). Le peuple, au contraire, ne jouant nullement le rôle du divin Rédempteur, et n’étant pas conciliateur entre lui-même et Dieu, ne peut en aucune manière jouir du droit sacerdotal.
Ces vérités sont de foi certaine ; les fidèles cependant offrent, eux aussi la divine Victime, mais d’une manière différente.
a. Ceci est affirmé par l’Église
Ceci a déjà été très clairement affirmé par certains de Nos prédécesseurs et par les docteurs de l’Église. « Non seulement - ainsi parle Innocent III, d’immortelle mémoire - les prêtres offrent, mais aussi tous les fidèles, car ce qui s’accomplit d’une manière spéciale par le ministère des prêtres se fait d’une manière universelle par le vœu des fidèles » (De Sacro Altaris Mysterio, III, 6), Et Nous aimons à citer en cette matière au moins une affirmation de saint Robert Bellarmin, prise entre beaucoup d’autres : « Le sacrifice, dit-il, est offert principalement dans la personne du Christ. C’est pourquoi l’offrande qui suit la consécration atteste en quelque sorte que toute l’Église consent à l’oblation faite par le Christ et offre avec lui » (De Missa, I, cap. 27).
b. Ceci est exprimé par les rites eux-mêmes
Les rites et les prières du sacrifice eucharistique n’expriment et ne manifestent pas moins clairement que l’oblation de la victime est faite par les prêtres en même temps que par le peuple. Non seulement, en effet, après l’offrande du pain et du vin, le ministre du sacrifice, tourné vers le peuple, dit expressément : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre, trouve accès près de Dieu, le Père tout-puissant » (Missale Rom., Ordo Missae), mais en outre, les prières par lesquelles la divine hostie est offerte à Dieu sont formulées, la plupart du temps, au pluriel, et il y est plus d’une fois indiqué que le peuple, lui aussi, prend part à cet auguste sacrifice en tant qu’il l’offre. On y trouve ceci, par exemple : « Pour lesquels nous t’offrons, ou qui t’offrent... Nous vous prions donc, Seigneur, d’accueillir d’un cœur apaisé cette offrande de vos serviteurs et de toute votre famille... Nous, vos serviteurs, ainsi que votre peuple saint, nous offrons à votre glorieuse Majesté ce que vous-même nous avez donné et nous donnez, l’hostie pure, l’hostie sainte, l’hostie immaculée » (Ibid., Canon Missae).
Et il n’est pas étonnant que les chrétiens soient élevés à cette dignité. Par le bain du baptême, en effet, les chrétiens deviennent à titre commun membres dans le corps du Christ-prêtre, et par le « caractère » qui est en quelque sorte gravé en leur âme, ils sont délégués au culte divin : ils ont donc part, selon leur condition, au sacerdoce du Christ lui-même.
c. Offrande du pain et du vin faite par les fidèles
De tout temps, dans l’Église catholique, la raison humaine, éclairée par la foi, s’efforce d’atteindre à une connaissance aussi grande que possible des choses divines. C’est pourquoi il convient que le peuple chrétien cherche avec amour en quel sens il est dit dans le canon du sacrifice eucharistique qu’il offre lui aussi. Afin donc de satisfaire à ce pieux désir, nous aimons à traiter ici le sujet brièvement. Il y a d’abord des raisons plus éloignées : souvent, par exemple, les chrétiens assistant aux cérémonies répondent aux prières du prêtre ; de même, parfois - ce qui arrivait jadis plus souvent - ils offrent aux ministres de l’autel le pain et le vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang du Christ ; l’aumône, enfin, qu’ils donnent au prêtre a pour but de faire offrir la divine victime pour eux-mêmes. Mais il y a aussi une raison profonde pour laquelle on dit que tous les chrétiens, surtout ceux qui y assistent, offrent le sacrifice.
d. Sacrifice offert par les fidèles
Pour ne pas faire naître en cette matière très importante d’erreurs pernicieuses, il faut préciser avec exactitude le sens du mot « offrir ». L’immolation non sanglante par le moyen de laquelle, après les paroles de la consécration, le Christ est rendu présent sur l’autel en état de victime, est accomplie par le seul prêtre en tant qu’il représente la personne du Christ, non en tant qu’il représente la personne des fidèles. Mais par le fait que le prêtre pose la divine victime sur l’autel, il la présente à Dieu le Père en tant qu’offrande, pour la gloire de la très sainte Trinité et le bien de toute l’Église. Or, cette oblation au sens restreint, les chrétiens y prennent part à leur manière et d’une double façon, non seulement parce qu’ils offrent le sacrifice par les mains du prêtre, mais aussi parce qu’ils l’offrent avec lui en quelque sorte, et cette participation fait que l’offrande du peuple se rattache au culte liturgique lui-même.
Que les fidèles, par les mains du prêtre, offrent le sacrifice, cela ressort avec évidence du fait que le ministre de l’autel représente le Christ en tant que chef offrant au nom de tous ses membres ; c’est pourquoi l’Église universelle est dite, à bon droit, présenter par le Christ l’offrande de la victime. Si le peuple offre en même temps que le prêtre, ce n’est pas que les membres de l’Église accomplissent le rite liturgique visible de la même manière que le prêtre lui-même, ce qui revient au seul ministre délégué par Dieu pour cela, mais parce qu’il unit ses vœux de louange, d’impétration, d’expiation et d’action de grâces aux vœux ou intentions mentales du prêtre, et même du Souverain Prêtre, afin de les présenter à Dieu le Père dans le rite extérieur même du prêtre offrant la victime. Le rite extérieur du sacrifice, en effet, doit nécessairement, par sa nature, manifester le culte intérieur ; or, le sacrifice de la loi nouvelle signifie l’hommage suprême par lequel le principal offrant, qui est le Christ, et avec lui et par lui tous ses membres mystiques, rendent à Dieu l’honneur et le respect qui lui sont dus.
Nous avons appris avec grande joie que, surtout en ces derniers temps, par suite de l’étude plus poussée que beaucoup ont faite des questions liturgiques, cette doctrine a été mise en pleine lumière. Nous ne pouvons cependant ne pas déplorer vivement les exagérations et les excès qui ne concordent pas avec les véritables enseignements de l’Église. Certains, en effet, réprouvent complètement les messes qui sont offertes en privé et sans assistance, comme éloignées de l’antique manière de célébrer ; quelques-uns même affirment que les prêtres ne peuvent en même temps offrir la divine hostie sur plusieurs autels parce que par cette manière de faire ils divisent la communauté et mettent son unité en péril ; on va parfois jusqu’à estimer que le peuple doit confirmer et agréer le sacrifice pour que celui-ci obtienne sa valeur et son efficacité. On en appelle à tort, en la matière, à la nature sociale du sacrifice eucharistique. Toutes les fois, en effet, que le prêtre renouvelle ce que le divin Rédempteur accomplit à la dernière Cène, le sacrifice est vraiment consommé, et ce sacrifice, partout et toujours, d’une façon nécessaire et par sa nature, a un rôle public et social, puisque celui qui l’immole agit au nom du Christ et des chrétiens dont le divin Rédempteur est le chef, l’offrant à Dieu pour la sainte Église catholique, pour les vivants et les défunts (Missale Rom., Canon Missae). Et ceci se réalise sans aucun doute, soit que les fidèles y assistent - et Nous désirons et recommandons qu’ils y soient présents très nombreux et très fervents - soit qu’ils n’y assistent pas, n’étant en aucune manière requis que le peuple ratifie ce que fait le ministre sacré.
De l’exposé précédent, il résulte clairement que la messe est offerte au nom du Christ et de l’Église, et que le sacrifice eucharistique ne serait pas privé de ses fruits, même sociaux, si le prêtre célébrait sans la présence d’aucun acolyte ; néanmoins, à cause de la dignité d’un si grand mystère, Nous voulons et exigeons que - conformément aux ordonnances constantes de notre Mère l’Église - aucun prêtre ne monte à l’autel s’il n’a un ministre pour le servir et lui répondre, selon la prescription du canon 813.
Pour que l’oblation, par laquelle dans ce sacrifice ils offrent au Père céleste la divine victime, obtienne son plein effet, il faut encore que les chrétiens ajoutent quelque chose : ils doivent s’immoler eux-mêmes en victimes. Cette immolation ne se réduit pas seulement au sacrifice liturgique. Parce que nous sommes édifiés sur le Christ comme des pierres vivantes, le prince des apôtres veut, en effet, que nous puissions, comme « sacerdoce saint, offrir des victimes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ » (I Pierre, II, 5) ; et l’apôtre Paul, parlant pour tous les temps, exhorte les fidèles en ces termes : « Je vous conjure donc, mes frères... d’offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous lui devez » (Rm XII, 1). Mais lorsque les fidèles participent à l’action liturgique avec tant de piété et d’attention qu’on peut dire d’eux : « Dont la foi et la dévotion te sont connues » (Missale Rom., Canon Missae), alors il est impossible que leur foi à chacun n’agisse avec plus d’ardeur par la charité, que leur piété ne se fortifie et ne s’enflamme, qu’ils ne se consacrent, tous et chacun, à procurer la gloire de Dieu et, dans leur ardent désir de se rendre étroitement semblables à Jésus-Christ qui a souffert de très cruelles douleurs, il est impossible qu’ils ne s’offrent avec et par le souverain Prêtre, comme une hostie spirituelle.
a. En purifiant leur âme
Ceci est également enseigné dans les exhortations que l’évêque, au nom de l’Église, adresse aux ministres sacrés le jour où il les consacre : « Rendez-vous compte de ce que vous accomplissez, imitez ce que vous faites et en célébrant le mystère de la mort du Seigneur faites mourir complètement en vos membres les vices et les concupiscences » (Pontif Rom., De Ordinatione presbyteri). C’est presque dans les mêmes termes que, dans les livres liturgiques, les chrétiens qui s’approchent de l’autel sont invités à participer aux cérémonies : « Que sur cet autel soit honorée l’innocence, immolé l’orgueil, étouffée la colère ; que la luxure et tout dérèglement soient frappés à mort ; qu’en guise de tourterelles soit offert le sacrifice de la chasteté, et au lieu des petits de colombe, le sacrifice de l’innocence » (Ibidem, De altaris consecrat., Praefatio) . Lorsque nous sommes à l’autel, nous devons donc transformer notre âme, tout ce qui est péché en elle doit être complètement étouffé, tout ce qui, par le Christ, engendre la vie surnaturelle doit être vigoureusement restauré et fortifié, si bien que nous devenions, avec l’Hostie immaculée, une seule victime agréable au Père éternel. La sainte Église s’efforce, par les préceptes de la sainte liturgie d’obtenir la réalisation de cette très sainte intention de la manière la plus adaptée. A cela, en effet, visent non seulement les lectures, les homélies et les autres discours des ministres sacrés, et tout le cycle des mystères qui sont proposés à notre mémoire tout au long de l’année, mais encore les vêtements et les rites sacrés et toutes leurs cérémonies extérieures qui ont pour but de « faire valoir la majesté d’un si grand sacrifice, et par ces signes visibles de religion et de piété, d’exciter les esprits des fidèles à la contemplation des réalités les plus profondes cachées dans ce sacrifice » (cf. Conc. Trid., Sess. XXII, cap. 5).
b. En reproduisant l’image de Jésus-Christ
Tous les éléments de la liturgie incitent donc notre âme à reproduire en elle par le mystère de la croix l’image de notre divin Rédempteur, selon ce mot de l’Apôtre : « Je suis attaché à la croix avec le Christ ; je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga II, 19-20). Par là, nous devenons hostie avec le Christ pour la plus grande gloire du Père. C’est donc vers cet idéal que les chrétiens doivent orienter et élever leur âme quand ils offrent la divine victime dans le sacrifice eucharistique. Si, en effet, comme l’écrit saint Augustin, sur la table du Seigneur lui-même repose notre mystère (cf. Serm. CCLXXII.) c’est-à-dire le Christ Seigneur lui-même, en tant qu’il est Chef et symbole de cette union par laquelle nous sommes le Corps du Christ (cf. I Cor XII, 27) et les membres de son Corps (cf. Ep V, 30) ; si saint Robert Bellarmin enseigne, selon l’esprit du docteur d’Hippone, que dans le sacrifice de l’autel est exprimé le sacrifice général par lequel tout le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire toute la cité rachetée, s’offre à Dieu par le Christ, Grand Prêtre (cf. S. Robert Bellarmin, De Missa. II, cap. 8), on ne peut rien imaginer de plus convenable et de plus juste que de nous immoler tous au Père éternel avec notre Chef qui a souffert pour nous. Dans le sacrement de l’autel, en effet, selon le même Augustin, il est démontré à l’Église que dans le sacrifice qu’elle offre, elle est offerte, elle aussi (cf. De Civ. Dei, lib. X, cap. 6). Que les fidèles considèrent donc à quelle dignité le bain sacré du baptême les a élevés, et qu’ils ne se contentent pas de participer au sacrifice eucharistique avec l’intention générale qui convient aux membres du Christ et aux fils de l’Église, mais que, selon l’esprit de la sainte liturgie, librement et intimement unis au souverain Prêtre et à son ministre sur la terre, ils s’unissent à lui d’une manière particulière au moment de la consécration de la divine Hostie, et qu’ils l’offrent avec lui quand sont prononcées les solennelles paroles : « Par lui, avec lui, en lui, est à toi, Dieu Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire dans les siècles des siècles » (Missale Rom., Canon Missae), paroles auxquelles le peuple répond : Amen. Et que les chrétiens n’oublient pas, avec le divin Chef crucifié, de s’offrir eux-mêmes et leurs préoccupations, leurs douleurs, leurs angoisses, leurs misères et leurs besoins.
Ceux-là, par conséquent, sont dignes de louanges qui, en vue de rendre plus facile et plus fructueuse pour le peuple chrétien la participation au sacrifice eucharistique, s’efforcent opportunément de mettre entre les mains du peuple le Missel romain, de manière que les fidèles, unis au prêtre, prient avec lui à l’aide des mêmes paroles et avec les sentiments mêmes de l’Église ; ceux-là méritent des louanges qui s’efforcent de faire de la liturgie une action sainte même extérieurement, à laquelle prennent réellement part tous les assistants, ce qui peut se réaliser de diverses manières : quand, par exemple, tout le peuple, selon les règles rituelles ou bien répond d’une façon bien réglée aux paroles du prêtre, ou se livre à des chants en rapport avec les différentes parties du sacrifice, ou bien fait l’un et l’autre, ou enfin lorsque dans les messes solennelles il répond aux prières des ministres de Jésus-Christ et s’associe au chant liturgique.
Ces manières de participer au sacrifice sont à louer et à recommander quand elles obéissent soigneusement aux préceptes de l’Église et aux règles des rites sacrés. Elles ont pour but principal d’alimenter et de favoriser la piété des chrétiens et leur union intime avec le Christ et avec son ministre visible, et de stimuler les sentiments et les dispositions intérieures selon lesquels notre âme doit se conformer au souverain Prêtre du Nouveau Testament. Elles démontrent d’une manière extérieure que, de sa nature, le sacrifice, étant accompli par le Médiateur de Dieu et des hommes (cf. I Tm II, 5), doit être considéré comme l’œuvre de tout le Corps mystique du Christ ; elles ne sont néanmoins nullement nécessaires pour en constituer le caractère public et commun. En outre, la messe dialoguée ne peut prendre la place de la messe solennelle, qui, même si elle est célébrée en la présence des seuls ministres, jouit d’une dignité particulière à cause de la majesté des rites et de l’éclat des cérémonies ; celles-ci, toutefois, prennent beaucoup plus de grandeur et de solennité si, comme l’Église le désire, un peuple nombreux et pieux y assiste.
Il faut remarquer qu’attacher à ces conditions extérieures une importance telle qu’on ose déclarer leur omission capable d’empêcher l’action sainte d’atteindre son but, c’est s’écarter de la vérité et de la droite raison, et se laisser guider par des idées fausses. Un bon nombre de chrétiens, en effet, ne peuvent se servir du Missel romain, même s’il est écrit en langue vulgaire ; et tous ne sont pas aptes à comprendre correctement, comme il convient, les rites et les formules liturgiques. Le tempérament, le caractère et l’esprit des hommes sont si variés et si différents que tous ne peuvent pas être dirigés et conduits de la même manière par des prières, des cantiques et des actes communs. En outre, les besoins des âmes et leurs goûts ne sont pas les mêmes chez tous, et ne demeurent pas toujours les mêmes en chacun. Qui osera donc dire sur la foi d’un tel préjugé, que tant de chrétiens ne peuvent participer au sacrifice eucharistique et jouir de ses bienfaits ? Mais ces gens-là peuvent assurément grâce à une méthode, qui se trouve être pour certains plus facile, comme par exemple, de méditer pieusement les mystères de Jésus-Christ, d’accomplir d’autres exercices de piété et de faire d’autres prières qui, bien qu’elles diffèrent des rites sacrés par la forme, s’accordent cependant avec eux par leur nature.
C’est pourquoi Nous vous exhortons, Vénérables Frères, à vouloir bien ordonner et régler, chacun dans votre diocèse ou votre territoire ecclésiastique, la manière et la méthode selon lesquelles le peuple participera à l’action liturgique en conformité avec les règles établies par le Missel et avec les préceptes qu’ont édictés la Sacrée Congrégation des Rites et le Code de Droit canon ; de manière que tout se fasse avec l’ordre et la dignité nécessaires, et qu’il ne soit pas permis à n’importe qui, fût-il prêtre, de se servir des édifices sacrés pour y faire en quelque sorte des expériences. Dans ce but, Nous désirons aussi que dans chaque diocèse, de même qu’il y a une commission pour l’art et la musique sacrés, une commission pour promouvoir l’apostolat liturgique soit également constituée afin que par votre soin vigilant tout s’accomplisse diligemment selon les prescriptions du Siège apostolique.
Que dans les communautés de religieux tout ce que leurs propres Constitutions ont établi en cette matière soit observé soigneusement, et qu’on n’introduise pas de nouveautés que les supérieurs de ces communautés n’aient préalablement approuvées.
Si variées que puissent être les formes et les particularités de la participation du peuple au sacrifice eucharistique et aux autres actions liturgiques, on doit toujours faire les plus grands efforts pour que les âmes des assistants s’unissent au divin Rédempteur par des liens les plus étroits possibles, pour que leur vie s’enrichisse d’une sainteté toujours plus grande et que croisse chaque jour davantage la gloire du Père céleste.
L’auguste sacrifice de l’autel se conclut par la communion au repas divin. Cependant, comme tous le savent, pour assurer l’intégrité de ce sacrifice il suffit que le prêtre communie ; il n’est pas nécessaire - bien que ce soit souverainement souhaitable - que le peuple lui aussi s’approche de la sainte table.
Nous aimons, à ce sujet, répéter les considérations de Notre prédécesseur, Benoît XIV, sur les définitions du concile de Trente : « En premier lieu... nous devons dire qu’il ne peut venir à l’esprit d’aucun fidèle que les messes privées dans lesquelles seul le prêtre communie perdent de ce fait le caractère du sacrifice non sanglant, parfait et complet, institué par le Christ Notre-Seigneur, et qu’elles doivent, par conséquent, être considérées comme illicites. Les fidèles, en effet, n’ignorent pas ou du moins il est facile de leur enseigner que le saint concile de Trente, s’appuyant sur la doctrine conservée par la tradition perpétuelle de l’Église, a condamné comme nouvelle et fausse l’opinion de Luther qui s’y opposait » (Lettre encycl. Certiores effecti, du 13 novembre 1742, § 1). « Si quelqu’un dit que les messes dans lesquelles seul le prêtre communie sacramentellement sont illicites et doivent par conséquent être supprimées, qu’il soit anathème » (Conc. Trid., Sess. XXII. can. 8).
Ils s’écartent donc du chemin de la vérité ceux qui ne veulent accomplir le saint sacrifice que si le peuple chrétien s’approche de la table sainte ; et ils s’en écartent encore davantage ceux qui, prétendant qu’il est absolument nécessaire que les fidèles communient avec le prêtre, affirment dangereusement qu’il ne s’agit pas seulement d’un sacrifice, mais d’un sacrifice et d’un repas de communauté fraternelle, et font de la communion accomplie en commun comme le point culminant de toute la cérémonie. Il faut encore une fois remarquer que le sacrifice eucharistique consiste essentiellement dans l’immolation non sanglante de la victime divine, immolation qui est mystiquement indiquée par la séparation des saintes espèces et par leur oblation faite au Père éternel. La sainte communion en assure l’intégrité, et a pour but d’y faire participer sacramentellement, mais tandis qu’elle est absolument nécessaire de la part du ministre sacrificateur, elle est seulement à recommander vivement aux fidèles.
De même que l’Église, comme maîtresse de vérité, fait tous ses efforts pour protéger l’intégrité de la foi, de même, comme mère pleine de sollicitude pour ses fils, elle les exhorte très fortement à participer avec empressement, et fréquemment, à ce très grand bienfait de notre religion.
Elle désire avant tout que les chrétiens, spécialement quand ils ne peuvent recevoir effectivement la nourriture eucharistique, la reçoivent au moins de désir, de manière à s’unir au Rédempteur avec une foi vive, un esprit respectueusement humble et confiant dans sa volonté, avec l’amour le plus ardent. Mais ceci ne lui suffit pas. Puisque, en effet, comme Nous l’avons dit ci-dessus, nous pouvons participer sacramentellement au sacrifice en recevant le pain des anges, afin que d’une manière plus efficace nous « sentions continuellement en nous l’effet de notre Rédemption » (Missale Rom., Collecta Festi Corp. Christi), l’Église notre Mère renouvelle à tous et à chacun de ses fils l’invitation du Christ Notre-Seigneur : « Prenez et mangez... Faites ceci en mémoire de moi » (I Co XI, 24). Dans ce but, le concile de Trente, répondant en quelque sorte aux désirs de Jésus-Christ et de son Épouse immaculée, recommanda fortement que « à chaque messe, les assistants communient non seulement en esprit, mais aussi par la réception sacramentelle de l’Eucharistie, afin que le fruit de ce sacrifice très saint leur parvienne plus abondamment » (Sess. XXII, cap. 6). Bien plus, Notre prédécesseur, d’immortelle mémoire, Benoît XIV, afin de faire mieux connaître, et plus clairement, que par la réception de la divine Eucharistie les fidèles participent au sacrifice lui-même, loue la piété de ceux qui, non seulement désirent se nourrir du pain céleste quand ils assistent au sacrifice, mais encore souhaitent recevoir des hosties consacrées à ce sacrifice même ; mais, comme lui-même le déclare, on prend vraiment et réellement part au sacrifice, même s’il s’agit de pain eucharistique dont la consécration a été dûment accomplie auparavant. Voici en effet ce qu’il a écrit : « Outre ceux à qui le célébrant donne une part de la victime offerte par lui dans la messe même, ceux-là aussi participent au même sacrifice, à qui le prêtre donne la sainte réserve ; cependant, jamais l’Église n’a interdit et elle n’interdit pas actuellement au prêtre, de satisfaire à la piété et à la juste demande des assistants qui demandent à participer au sacrifice même, qu’ils offrent eux aussi à leur manière ; bien plus elle approuve et désire que cela ne soit pas omis, et elle blâmerait les prêtres par la faute ou la négligence desquels cette participation serait refusée aux fidèles » (Lettre encycl. Certiores effecti, § 3.).
Dieu fasse que tous répondent spontanément et volontiers à ces invitations pressantes de l’Église ; Dieu fasse que les chrétiens prennent part au divin sacrifice, non seulement d’une manière spirituelle, mais aussi en recevant dans la communion sacramentelle, même tous les jours s’ils le peuvent, le Corps de Jésus offert pour tous au Père éternel. Excitez, Vénérables Frères, dans les âmes de tous ceux qui sont confiés à vos soins, une faim ardente et comme inextinguible de Jésus-Christ ; que votre enseignement attire en foule autour des autels enfants et jeunes gens, qui offrent au divin Rédempteur leur innocence et leur enthousiasme ; que les époux s’en approchent fréquemment afin que, nourris à la sainte table, ils puissent faire passer dans les enfants qui leur sont confiés les sentiments et l’amour de Jésus-Christ ; que les ouvriers y soient appelés, afin qu’ils puissent recevoir la nourriture solide capable de refaire leurs forces sans leur manquer jamais, et qui leur prépare au ciel la récompense éternelle de leurs travaux ; appelez enfin et forcez à entrer (cf. Lc, XIV, 23) tous les hommes de toutes les classes, car c’est le pain de vie dont tous ont besoin. L’Église de Jésus-Christ n’a que ce seul pain pour satisfaire les aspirations et les désirs de nos âmes, pour les unir très étroitement au Christ Jésus, pour en faire finalement « un seul corps » (I Co X, 17) et les unir entre eux, comme des frères qui s’assoient à la même table pour prendre le remède de l’immortalité (cf. S. Ignat. Martyr., Ad Ephes., 20.) en partageant un même pain.
Il est tout à fait convenable, ce que d’ailleurs la liturgie a établi, que le peuple s’approche de la sainte table après la communion du prêtre, et comme Nous l’avons écrit plus haut, il faut louer ceux qui assistant à la messe reçoivent les hosties qui y ont été consacrées, afin que se réalise la prière : « Que nous tous qui, participant à ce sacrifice, aurons reçu le corps sacré et le sang de votre Fils, nous soyons remplis de toute bénédiction céleste et de toute grâce » (Missale Rom., Canon Missae).
Cependant, il n’est pas rare qu’il se présente des motifs de distribuer la sainte communion, soit avant, soit après le sacrifice lui-même, ou encore - bien que l’hostie soit distribuée aussitôt après la communion du prêtre - de faire cette distribution avec des hosties consacrées auparavant. Même dans ces conditions - comme d’ailleurs Nous l’avons déjà fait remarquer plus haut - le peuple participe normalement au sacrifice eucharistique, et il n’est pas rare qu’il puisse ainsi plus facilement s’approcher de la table sainte. Si donc, dans sa maternelle indulgence, l’Église s’efforce d’aller au-devant des besoins spirituels de ses fils, ceux-ci, néanmoins, chacun pour sa part, doivent ne pas mépriser facilement ce que la sainte liturgie conseille, et toutes les fois qu’un motif raisonnable ne s’y oppose pas, réaliser tout ce qui manifeste plus clairement à l’autel l’unité vivante du Corps mystique.
Lorsque l’action sainte, qui est réglée par ces lois liturgiques particulières, est achevée, celui qui a reçu le pain du ciel n’est pas dispensé de rendre grâces ; bien plus, il est tout à fait convenable qu’une fois reçue la sainte Eucharistie et achevées les cérémonies publiques, il se recueille et, intimement uni au divin Maître, il ait avec lui un entretien très doux et bienfaisant, autant que les circonstances le lui permettent. Ceux-là s’écartent donc du droit sentier de la vérité qui, s’attachant aux mots plus qu’à la pensée, affirment et enseignent qu’une fois le sacrifice achevé, il n’y a pas à le prolonger par une action de grâces de ce genre, non seulement parce que le sacrifice de l’autel est par lui-même une action de grâces, mais aussi parce que ceci est affaire de dévotion personnelle et particulière, qui regarde chacun et non le bien de la communauté.
Mais, au contraire, la nature même du sacrement demande que le chrétien qui le reçoit en retire d’abondants fruits de sainteté. Assurément, la réunion publique de la communauté est congédiée, mais il faut que chacun, uni au Christ, n’interrompe pas dans sa propre âme le cantique de louanges « rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Ep V, 20). La liturgie du sacrifice eucharistique nous y exhorte quand elle nous fait prier en ces termes : « Accordez-nous de demeurer toujours en action de grâces... (Missale Rom., Postcommunio Dominicae infra Oct. Ascens.) et de ne cesser jamais de vous louer (Ibidem, Postcommunio Dominicae I post Pentec.) » . C’est pourquoi, s’il n’y a aucun moment auquel il ne faille rendre grâces à Dieu, et s’il ne faut jamais cesser de le louer, qui oserait accuser ou blâmer l’Église de conseiller à ses prêtres (C.I.C., can. 810) et aux fidèles de s’entretenir au moins quelque temps avec le divin Rédempteur après la sainte communion, et d’avoir introduit dans les livres liturgiques des prières de circonstance, enrichies d’indulgences, par lesquelles les ministres sacrés, soit avant d’exercer les fonctions liturgiques et de se nourrir de l’Eucharistie, se préparent convenablement soit, après avoir achevé la sainte messe, expriment à Dieu leur reconnaissance ? La sainte liturgie, loin d’étouffer les sentiments intimes de chaque chrétien, les ranime et les stimule plutôt, pour qu’ils prennent la ressemblance du Christ et soient par lui orientés vers le Père céleste ; c’est pourquoi elle enseigne et invite à rendre à Dieu les actions de grâces que lui doit quiconque a reçu sa nourriture à la sainte table. Le divin Rédempteur, en effet, aime à entendre nos prières, à nous parler à cœur ouvert et à nous offrir un refuge dans son cœur brûlant.
Bien plus, de tels actes, particuliers à chacun, sont absolument nécessaires pour que tous nous jouissions plus abondamment des trésors d’en-haut, dont l’Eucharistie déborde, et pour que, selon nos forces, nous les fassions se répandre sur les autres, afin que Notre Seigneur atteigne en toutes les âmes la plénitude de sa vertu.
Pourquoi donc, Vénérables Frères, ne louerions-Nous pas ceux qui, après avoir reçu la nourriture eucharistique, même après que l’assemblée des fidèles a été officiellement congédiée, s’attardent dans une familiarité intime avec le divin Rédempteur, non seulement pour s’entretenir avec lui de la manière la plus suave, mais encore pour le remercier et lui rendre les louanges qui lui sont dues, et surtout pour lui demander son aide, pour écarter, chacun, de son âme tout ce qui diminue l’efficacité du sacrement, et pour réaliser toute leur part de ce qui peut favoriser l’action toute-puissante de Jésus-Christ ? Nous les exhortons à le faire d’une manière particulière en mettant à exécution les résolutions qu’ils auront prises, en exerçant les vertus chrétiennes, en adaptant à leurs propres besoins les dons reçus de sa libéralité royale. Certes, l’auteur du livre d’or de L’Imitation du Christ parle en inspiré et selon les préceptes de la liturgie quand il donne ce conseil : « Demeure dans le secret et jouis de ton Dieu, car tu possèdes Celui que le monde entier ne peut t’enlever » (Lib. IV, cap. 12).
Nous tous, étroitement unis au Christ, efforçons-nous donc de nous plonger en quelque sorte dans son très saint amour, et attachons-nous à lui afin de prendre part aux actes par lesquels lui-même adore l’auguste Trinité dans un hommage qui lui est extrêmement agréable, par lesquels il rend au Père éternel des actions de grâces et des louanges souveraines qui retentissent d’un commun accord au ciel et sur la terre, selon la parole : « Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur » (Dan., III. 57) ; par lesquels enfin, unis ensemble, nous implorons le secours de Dieu au moment le plus opportun qui soit donné pour demander et obtenir de l’aide au nom du Christ (cf. Jn XVI, 23) et par lesquels surtout nous nous offrons et nous immolons en hostie, en disant : « Faites que nous devenions pour vous un don éternel » (Missale Rom., Secreta Missae SS. Trinit.). Le divin Rédempteur répète incessamment son invitation pressante : « Demeurez en moi » (Jn XV, 4). Or, par le sacrement de l’Eucharistie, le Christ demeure en nous et nous en lui ; et de même que le Christ demeurant en nous vit et agit, de même il faut que nous, demeurant dans le Christ, nous vivions et agissions par lui.
La nourriture eucharistique contient, comme chacun sait, « vraiment, réellement et substantiellement, le corps, le sang, l’âme et la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Conc. Trid., Sess. XIII, can. 1) ; il n’y a donc rien d’étonnant si l’Église, depuis ses origines, a adoré le corps du Christ sous l’espèce du pain, comme il est évident par les rites mêmes du saint sacrifice, qui ordonnent aux ministres sacrés d’adorer le Saint Sacrement par une génuflexion ou une inclination profonde. Les saints conciles enseignent comme une tradition de l’Église, remontant aux débuts de son existence, qu’il faut honorer « d’une seule adoration le Verbe de Dieu incarné et sa propre chair » (Conc. Constant. II, Anath. de trib. Capit., can. 9 collat. Conc. Ephes., Anath. Cyrill., can. 8. Cf. Conc. Trid., Sess. XIII, can. 6 ; Pie VI, Const. Auctorem fidei, n. LXI), et saint Augustin affirme : « Que personne ne mange cette chair avant de l’avoir adorée », ajoutant que non seulement nous ne péchons pas en l’adorant, mais que nous péchons en ne l’adorant pas (cf. Enarr. in Ps. XCVIII, 9). Le culte d’adoration de l’Eucharistie distinct du saint sacrifice est né de ces principes doctrinaux et a grandi petit à petit. La conservation des saintes espèces pour les malades et pour tous ceux qui se trouvaient en danger de mort a amené la louable coutume d’adorer le pain du ciel conservé dans les églises. Ce culte d’adoration repose sur une raison solide et ferme. L’Eucharistie, en effet, est à la fois sacrifice et sacrement ; ce sacrement diffère des autres en ce que non seulement il engendre la grâce, mais contient encore d’une manière permanente l’Auteur même de la grâce. Quand donc l’Église nous ordonne d’adorer le Christ caché sous les voiles eucharistiques et de lui demander des biens surnaturels et terrestres dont nous avons continuellement besoin, elle manifeste la foi vive avec laquelle elle croit son divin Époux présent sous ces voiles, elle lui manifeste sa reconnaissance et jouit de son intime familiarité.
Au cours des temps, l’Église a introduit diverses formes de ce culte, chaque jour assurément plus belles et plus salutaires, comme par exemple les visites quotidiennes de dévotion au Saint Sacrement, la bénédiction du Saint Sacrement, les processions solennelles dans les villes et les villages, spécialement durant les congrès eucharistiques, et les adorations publiques du Saint Sacrement. Ces adorations publiques du Saint Sacrement sont parfois brèves ; parfois aussi elles se prolongent jusque durant quarante heures ; en certaines régions, elles continuent toute l’année, dans diverses églises à tour de rôle ; ou bien même elles sont assurées jour et nuit par des congrégations religieuses ; et il n’est pas rare que des laïques y participent. Ces exercices de piété ont contribué d’une manière étonnante à la foi et à la vie surnaturelle de l’Église militante ; par cette manière de faire elle répond en quelque sorte à l’Église triomphante qui élève continuellement son hymne de louange à Dieu et à « l’Agneau qui fut immolé » (Ap V, 12 ; coll. VII, 10). C’est pourquoi non seulement l’Église a approuvé ces exercices de piété propagés par toute la terre dans le cours des siècles, mais elle les a fait siens en quelque sorte et les a confirmés de son autorité (cf. Conc. Trid., Sess. XIII, cap. 5 et can. 6). Ils sortent de l’inspiration de la sainte liturgie ; aussi, exécutés avec la dignité, la foi et la piété convenables, requises par les prescriptions rituelles de l’Église, contribuent-ils sans aucun doute d’une manière très importante à vivre la vie liturgique.
Et il ne faut pas dire que dans un semblable culte eucharistique, le Christ historique, comme on l’appelle, celui qui vécut un jour sur la terre, le Christ présent dans le Saint Sacrement, et celui qui triomphe glorieusement dans les cieux et accorde les dons d’en-haut, sont faussement confondus ; bien au contraire, il faut plutôt affirmer que de cette manière les fidèles attestent et manifestent solennellement la foi de l’Église, pour qui ne font qu’un le Verbe de Dieu et le Fils de la Vierge Marie, qui a souffert sur la Croix, qui est invisiblement présent dans l’Eucharistie et qui règne dans les cieux. Ainsi parle saint Jean Chrysostome : « Lorsqu’il (le Corps du Christ) t’est présenté, dis-toi : A cause de ce Corps, je ne suis plus terre et cendre je ne suis plus prisonnier, mais libre ; aussi j’espère recevoir le ciel et les biens qui m’y attendent, la vie éternelle, le sort des anges, la vie avec le Christ ; ce Corps percé de clous, frappé de fouets, la mort ne l’a pas détruit ; voici le Corps qui a été ensanglanté, ouvert par la lance, qui a fait jaillir pour la terre des sources de salut, l’une de sang, l’autre d’eau... Il nous a donné ce Corps à tenir et à manger, ce qui prouve un ardent amour » (In I ad Cor., XXIV, 4).
Il faut, en particulier, louer en tout point la coutume répandue dans le peuple chrétien de terminer par la bénédiction du Saint Sacrement de nombreux exercices de piété. Rien de meilleur et de plus fructueux que le geste par lequel le prêtre, levant au ciel le pain des anges à la vue de la foule chrétienne prosternée, et dessinant avec lui le signe de la croix, demande au Père céleste de vouloir bien jeter avec bienveillance les yeux sur son Fils crucifié par amour pour nous, et à cause de lui, qui voulut être notre Rédempteur et notre Frère, et par médiation, de répandre ses dons célestes sur les hommes rachetés par le sang de l’Agneau immaculé (cf. I Pierre, I, 19).
Faites donc en sorte, Vénérables Frères, avec le grand zèle qui vous est coutumier, que les temples édifiés par la foi et la piété des générations chrétiennes au cours des siècles, comme un hymne éternel de gloire au Dieu tout-puissant et comme une digne demeure de Notre-Seigneur caché sous les espèces eucharistiques, s’ouvrent largement à des foules de plus en plus nombreuses, pour que celles-ci, recueillies aux pieds de notre Sauveur, écoutent sa très douce invitation : « Venez à moi vous tous qui peinez et qui êtes accablés et je referai vos forces » (Mt XI, 28). Que les églises soient, en vérité, la maison de Dieu dans laquelle quiconque entre, pour demander des faveurs, se réjouisse d’avoir tout obtenu (cf. Missale Rom., Coll. in Missa Ded. Eccl.) et reçoive la consolation céleste. Ainsi seulement pourra-t-il arriver que toute la famille des hommes, les choses étant enfin rentrées dans l’ordre, trouve la paix et chante d’un cœur et d’un esprit unanimes ce cantique d’espérance et de charité : « Bon Pasteur, Pain véritable - Jésus, aie pitié de nous - nourris-nous, protège-nous - fais-nous voir les vrais biens - dans la terre des vivants » (Missale Rom., Seq. Lauda Sion in festo Ssmi Corporis Christi).
La forme idéale et essentielle de la vie chrétienne consiste pour chacun à se tenir uni étroitement et constamment à Dieu. C’est pourquoi le culte, que l’Église rend à l’Éternel, et qui est basé surtout sur le sacrifice eucharistique et l’usage des sacrements, est organisé et disposé de telle manière que, grâce à l’office divin, il s’étend aux heures du jour, aux semaines, à tout le cours de l’année, à toutes les saisons et aux diverses conditions de la vie humaine.
Connaissant le précepte du divin Maître : « Il faut prier toujours sans jamais se lasser » (Lc, XVIII, l), l’Église s’est fidèlement conformée à cette invitation. Aussi ne cesse-t-elle jamais de prier, et elle nous exhorte à faire de même en se servant de ces paroles de l’Apôtre : « Par lui, Jésus, offrons sans cesse à Dieu une hostie de louange » (He XIII, 15).
La prière publique et collective, s’élevant vers Dieu de la part de tous en même temps, n’avait lieu, dans la plus ancienne antiquité, qu’à des jours et à des heures déterminés. Cependant, on lui adressait aussi des supplications, non seulement par groupes, mais aussi dans les demeures privées et parfois même avec le concours de voisins et d’amis. Assez vite, cependant, la coutume s’établit, dans les diverses parties du monde, de réserver à la prière des moments particuliers, par exemple, la dernière heure du jour, quand vient le crépuscule et qu’on allume les lampes ; la première aussi, quand la nuit touche à sa fin, après le chant du coq, au lever du soleil. D’autres moments de la journée se trouvent mentionnés dans la Sainte Écriture comme plus propres à la prière, soit d’après les traditions juives, soit conformément à l’usage de tous les jours. D’après les Actes des apôtres, les disciples de Jésus-Christ étaient réunis pour prier tous ensemble à la troisième heure, lorsqu’ils « furent remplis du Saint-Esprit » (cf. Act II, 1-15) ; le Prince des apôtres, avant de prendre son repas « monta sur la terrasse pour prier vers la sixième heure » (Ibid., X, 9) ; Pierre et Jean « montèrent au Temple à la neuvième heure pour prier » (Ibid., III, 1), et c’est « à minuit que Paul et Silas priaient pour louer Dieu » (Ibid., XVI, 25). Ces diverses prières, grâce surtout à l’initiative et à la pratique des moines et des ascètes en général, se perfectionnèrent davantage dans la suite des temps et, peu à peu, l’Église les introduisit dans l’usage de la liturgie sacrée.
Ce qu’on appelle l’« office divin » est donc la prière du Corps mystique du Christ adressée à Dieu, au nom et pour l’avantage de tous les chrétiens, par les prêtres et les autres ministres de l’Église ainsi que par les religieux délégués par elle à cet effet.
Ce que doit être le caractère et la valeur de la louange ainsi rendue à Dieu se découvre dans la parole que l’Église nous suggère avant de commencer la prière des diverses heures, en nous prescrivant de les réciter « dignement, avec attention et dévotion ».
Le Verbe de Dieu, en prenant la nature humaine, importa lui-même dans cette terre d’exil l’hymne qui, de tout temps, se chante dans les demeures célestes. Unissant à lui l’ensemble de la communauté humaine, il se l’associe dans ce cantique de louange. Nous devons le reconnaître humblement, « ce que nous devons demander dans nos prières, nous ne le savons pas ; mais l’esprit lui-même demande pour nous par des gémissements ineffables » (Rm VIII, 26). Le Christ lui aussi, par son esprit, supplie le Père en nous. « Dieu ne pourrait pas accorder de plus grand bienfait aux hommes... (Jésus) prie pour nous comme étant notre prêtre ; il prie en nous comme notre Chef ; nous le prions comme notre Dieu... Reconnaissons donc nos voix en lui et sa voix en nous... Il reçoit nos prières dans la forme de Dieu ; il prie dans la forme de serviteur ; créateur dans l’une, créé dans l’autre, il fait sienne, sans changer, la nature à changer, et de nous avec lui il fait un homme, la tête et le corps » (S. Augustin, Enarr. in Ps. LXXXV, n. 1).
A cette haute dignité de la prière de l’Église il faut que correspondent l’attention et la piété de notre âme. Et puisque la voix de celui qui prie redit les chants composés sous l’inspiration du Saint-Esprit, où se trouve exprimée et mise en relief la souveraine grandeur de Dieu, il faut que le mouvement intérieur de notre esprit l’accompagne, en sorte que nous fassions nôtres ces mêmes sentiments, qui nous élèveront vers le ciel, et par lesquels nous adorerons la sainte Trinité en lui adressant les louanges et actions de grâces qui lui sont dues. « Quand nous psalmodions, soyons tels que notre esprit s’accorde avec notre voix » (S. Benoît, Regula Monachorum, c. XIX). Il ne s’agit donc pas uniquement d’une récitation ou d’un chant qui, malgré la perfection due à sa conformité aux règles de l’art musical et des rites sacrés, toucherait uniquement les oreilles ; ce dont il s’agit, c’est avant tout l’élévation de notre esprit et de notre âme vers Dieu afin de lui consacrer pleinement, en union avec Jésus-Christ, nos personnes et toutes nos actions. Voilà certainement d’où dépend pour une grande partie l’efficacité de nos supplications. Sans doute ne s’adressent-elles pas au Verbe même en tant que fait homme, mais elles se terminent par les paroles « par Notre-Seigneur Jésus-Christ », et lui, comme conciliateur entre nous et Dieu, montrant ses glorieux stigmates au Père céleste, reste « toujours vivant pour interpeller en notre faveur » (He VII, 25).
Les psaumes, tout le monde le sait, constituent la partie principale de « l’office divin ». Ce sont eux qui, embrassant tout le cours de la journée, la sanctifient et l’embellissent. Comme le dit Cassiodore en parlant du psautier tel qu’il était distribué de son temps dans l’office divin, « les psaumes rendent favorable le jour qui vient par la joie du matin ; ils sanctifient pour nous la première heure du jour ; ils consacrent pour nous la troisième heure ; ils sont la joie de la sixième dans la fraction du pain ; à none, ils rompent notre jeûne ; ils concluent les derniers instants du jour et, quand la nuit arrive, ils empêchent les ténèbres d’envahir notre esprit » (Explicatio in Psalterium. Praefatio : P. L., LXX, 10. Certains pensent cependant que ce passage ne doit pas être attribué à Cassiodore). Ils rappellent à l’esprit les vérités divinement révélées au peuple élu, terrifiantes parfois, mais respirant parfois une très douce suavité. Ils réveillent et animent l’espérance du Libérateur promis, qu’on entretenait jadis en les chantant, soit au foyer familial soit dans la majesté du temple. De même mettent-ils en lumière la gloire du Christ, qu’ils annonçaient d’avance, sa souveraine et éternelle puissance, sa venue ensuite et son abaissement dans l’exil terrestre, sa dignité de roi et son pouvoir de prêtre, le bienfait enfin de ses travaux et le sang qu’il répandrait pour notre rédemption. De même expriment-ils la joie de nos âmes, nos peines, notre espérance, notre crainte, notre confiance en Dieu et notre volonté de lui rendre amour pour amour, ainsi que notre ascension mystique vers les tabernacles éternels. « Le psaume... est la bénédiction du peuple, la louange de Dieu, l’acclamation du peuple, l’applaudissement de tous, le discours universel, la voix de l’Église, la confession de foi retentissante, la dévotion pleine d’autorité, la joie de la liberté, l’expression du contentement, l’écho de la félicité » (S. Ambroise, Enarrat. in Ps. I, n. 9).
Jadis les fidèles prenaient part plus nombreux à ces heures de prière ; mais, peu à peu, cet usage s’est perdu et, comme Nous venons de le dire, la récitation des heures n’incombe plus qu’au clergé et aux religieux. En cette matière, il n’y a donc rien de prescrit pour les laïques ; cependant, il est extrêmement souhaitable qu’en les récitant ou en les chantant, ils s’associent, de fait, chacun dans leur paroisse, aux prières qui y ont lieu dans la soirée. Nous vous exhortons vivement, Vénérables Frères, vous et vos fidèles, à ne pas laisser se perdre cette habitude et là où elle s’est perdue, à la rétablir autant que possible. On y arrivera très fructueusement si, non content d’apporter à la célébration des vêpres la dignité et l’éclat qui leur conviennent, on cherche les divers moyens d’y intéresser la piété des fidèles. Que les jours de fête soient fidèlement observés : ils doivent être destinés et consacrés à Dieu d’une façon particulière, le jour du dimanche surtout, que les apôtres, instruits par le Saint-Esprit, substituèrent au sabbat. Il avait été dit aux juifs : « Vous travaillerez six jours ; le septième jour, c’est le sabbat, repos consacré au Seigneur ; quiconque travaillera ce jour-là, mourra » (Ex XXXI, 15). Comment donc n’auraient-ils pas à craindre la mort spirituelle les chrétiens qui, les jours de fête, se livreraient aux œuvres serviles et qui profiteraient de ces jours de repos pour s’abandonner sans retenue aux entraînements de ce monde au lieu de s’appliquer à la piété et à la religion ? C’est donc aux choses divines par lesquelles on honore Dieu et l’on donne à l’âme une nourriture céleste que doivent être consacrés le dimanche et les autres jours de fête. L’Église, il est vrai, ne prescrit aux fidèles que l’abstention du travail servile et l’assistance au sacrifice de la messe ; elle ne donne aucun précepte pour l’office du soir ; mais elle ne l’en recommande pas moins avec insistance et elle ne l’en désire pas moins. Au reste, il s’impose encore, par ailleurs, en vertu du besoin et du devoir commun à tous et à chacun de se rendre Dieu propice pour obtenir ses bienfaits. Grande est la douleur qui remplit Notre âme à voir la manière dont, de nos jours, le peuple chrétien passe son après-midi les jours de fête. On remplit les lieux de spectacles et d’amusements publics, bien loin de se rendre comme il conviendrait aux édifices religieux. Tous, au contraire, doivent venir à nos églises pour s’y entendre enseigner la vérité de la foi catholique, pour y chanter les louanges de Dieu, pour y recevoir du prêtre la bénédiction eucharistique et y être réconfortés contre les adversités de cette vie par le secours du ciel. Qu’ils s’appliquent autant qu’ils le peuvent à retenir ces formules qui se chantent aux prières du soir et qu’ils se pénètrent l’âme de leur signification. Sous l’action et l’impulsion de ces paroles, ils éprouveront ce que saint Augustin dit de lui-même : « Que de larmes j’ai versées aux hymnes et aux cantiques ; les doux accents des paroles de votre Église m’émouvaient profondément. Ces paroles pénétraient par mes oreilles et en vérité s’écoulaient dans mon cœur ; la ferveur de leurs sentiments m’embrasait, et mes larmes coulaient, et je me trouvais bien » (Confessions, lib. IX, cap. 6.)
Tout le long de l’année, la célébration du sacrifice eucharistique et les prières des heures se déroulent principalement autour de la personne de Jésus-Christ ; elles sont si harmonieusement et si convenablement disposées que notre Sauveur, avec les mystères de son abaissement, de sa rédemption et de son triomphe, y occupe la première place.
En commémorant ainsi les mystères de Jésus-Christ, la liturgie sacrée se propose d’y faire participer tous les croyants en sorte que le divin Chef du Corps mystique vive en chacun de ses membres avec toute la perfection de sa sainteté. Que les âmes des chrétiens soient comme des autels, sur lesquels les diverses phases du sacrifice qu’offre le Grand Prêtre revivent en quelque sorte les unes après les autres : les douleurs et les larmes qui effacent et expient les péchés ; la prière adressée à Dieu, qui s’élève jusqu’au ciel ; la consécration et comme l’immolation de soi-même faite d’un cœur empressé, généreux et ardent ; l’union très intime enfin par laquelle, nous abandonnant à Dieu, nous et tout ce qui nous appartient, nous trouvons en lui notre repos ; « le tout de la religion, en effet, étant d’imiter celui à qui l’on adresse son culte » (S. Augustin, De Civ. Dei, lib. VIII, cap. 17).
Grâce à ces arrangements et à ces dispositions de la liturgie qui lui permettent de proposer à notre méditation, à époques déterminées, la vie de Jésus-Christ, l’Église nous met sous les yeux les exemples que nous avons à imiter ; elle nous indique les trésors de sainteté que nous pouvons nous approprier, car ce qu’on chante des lèvres, il faut le croire en son esprit, et ce que l’esprit croit doit passer dans les habitudes de la vie privée et publique.
Avent. - Au saint temps de l’Avent, donc, elle réveille en nous la conscience des péchés que nous avons eu le malheur de commettre ; elle nous exhorte à réfréner nos convoitises et à châtier nous-mêmes notre corps, afin de nous ressaisir nous-mêmes en une pieuse méditation et de nous abandonner à l’ardent désir de revenir au Dieu qui seul, par sa grâce, peut nous délivrer des fautes commises et des maux qui en sont la funeste conséquence.
Noël. - Quand revient le jour de la naissance du Rédempteur, elle semble nous ramener à la grotte de Bethléem, afin que nous y apprenions la nécessité absolue de renaître et de nous réformer à fond, ce qui s’obtient uniquement lorsque nous nous unissons d’une union intime et vitale au Verbe de Dieu fait homme et que nous devenons participants de sa nature divine à laquelle nous sommes élevés.
Épiphanie. - Par les solennités de l’Épiphanie, elle rappelle la vocation des Gentils à la foi chrétienne, et son intention par là est que nous rendions grâces tous les jours à l’Éternel de ce grand bienfait ; que nous recherchions avec une foi agissante le Dieu vivant et vrai ; que nous nous appliquions à acquérir une intelligence pieuse et profonde des réalités surnaturelles, et que nous nous plaisions au silence ainsi qu’à la méditation, qui permettent de contempler plus facilement et de recevoir les dons célestes.
Septuagésime. - A la Septuagésime et pendant le carême, Notre Mère l’Église insiste sans se lasser pour que nous considérions chacun nos misères, que nous nous appliquions à un amendement effectif, en particulier, que nous détestions nos péchés et que nous les effacions par nos prières et nos pénitences : c’est, en effet, par la prière assidue et le regret des fautes commises que nous obtenons le secours d’en-haut sans lequel il n’est aucun de nos efforts qui ne reste vain et stérile.
Passion. - Quand vient l’époque sainte où la liturgie nous met sous les yeux les cruelles souffrances de Jésus-Christ, l’Église nous invite au calvaire pour que nous marchions sur les traces du divin Rédempteur, que nous acceptions de porter la croix avec lui, que nous reproduisions en notre âme ses sentiments d’expiation et de satisfaction, et que tous ensemble nous mourions avec lui.
Pâques. - Avec les solennités pascales qui commémorent le triomphe du Christ, notre âme est pénétrée d’une joie intime ; il nous convient alors de nous souvenir qu’unis au Rédempteur nous avons nous aussi à ressusciter d’une vie froide et inerte à une vie plus fervente et plus sainte, en nous donnant pleinement et généreusement à Dieu et en oubliant cette terre de misère pour aspirer uniquement au ciel : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez les choses d’en-haut... prenez goût aux choses d’en-haut » (Col., III, 1-2).
Pentecôte. - Arrive enfin le temps de la Pentecôte. L’Église alors, par ses préceptes et par ses efforts nous exhorte à nous rendre dociles à l’action du Saint-Esprit. Lui, de son côté, allume dans nos âmes le feu de la divine charité, afin que, progressant tous les jours avec plus d’ardeur dans la vertu, nous devenions saints comme le sont le Christ Notre-Seigneur et son Père qui est dans le ciel.
Dans l’année liturgique, par conséquent, il faut voir comme un hymne de louanges magnifique que la famille des chrétiens, par Jésus, son perpétuel conciliateur, fait monter vers le Père céleste, mais cet hymne demande aussi de nous un effort attentif et soutenu pour que nous arrivions tous les jours à mieux connaître et à mieux louer notre Rédempteur. De même requiert-il que nous nous appliquions et que nous nous exercions sans nous lasser à imiter ses mystères, à nous engager volontairement dans la voie de ses douleurs, afin de participer un jour à sa gloire et à son éternelle béatitude.
Des enseignements que Nous avons donnés jusqu’ici, il résulte à l’évidence, Vénérables Frères, combien se méprennent sur la vraie et authentique nature de la liturgie les écrivains de notre temps qui, séduits par les apparences d’une mystique plus élevée, osent affirmer qu’il n’y a pas à s’occuper du Christ historique, mais du Christ « pneumatique ou glorifié ». De même n’hésitent-ils pas à affirmer que dans la piété telle qu’elle est pratiquée par les fidèles, il se serait produit, à l’endroit du Christ, un changement qui l’aurait descendu de son trône : on aurait voilé le Christ glorifié, qui vit et règne dans les siècles des siècles assis à la droite de son Père, pour mettre à sa place le Christ qui a vécu sur cette terre. Aussi quelques-uns vont-ils jusqu’à demander qu’on supprime dans les édifices sacrés les images du Christ souffrant sur la croix. Or, ces idées fausses sont en opposition complète avec la doctrine sacrée que nous ont transmise les Pères. « Croyez au Christ né dans la chair, dit saint Augustin, et vous arriverez au Christ né de Dieu, Dieu en Dieu » (S. Augustin, Enarr. in Ps. CXXIII, n. 2). La sainte liturgie nous met sous les yeux le Christ tout entier et dans toutes les conditions de sa vie, c’est-à-dire, celui qui est le Verbe du Père éternel, qui naît de la Vierge Mère de Dieu, qui nous enseigne la vérité, qui guérit les malades, qui console les affligés, qui endure les douleurs, qui meurt et qui, ensuite, triomphant de la mort, ressuscité, qui régnant dans la gloire du ciel répand sur nous l’Esprit Saint, qui vit perpétuellement dans son Église ; « Jésus-Christ hier et aujourd’hui, lui-même à jamais » (He XIII, 8). De plus, elle ne nous le propose pas seulement à imiter ; elle nous montre aussi en lui le Maître auquel nous avons à prêter une oreille attentive, le Pasteur qu’il nous faut suivre, l’Auteur de notre salut, le Principe de notre sainteté, le Corps mystique dont nous sommes les membres jouissants de sa vie. Mais, comme les cruels tourments qu’il a endurés constituent le principal mystère d’où vient notre salut, il convient à la foi catholique de les mettre le plus possible en lumière. En lui se trouve comme le centre du culte divin, car le sacrifice eucharistique le représente et le renouvelle tous les jours, et tous les sacrements se trouvent rattachés à lui par un lien très réel (IIIa, q. 49 et q. 62, a. 5). Ainsi l’année liturgique, qu’alimente et accompagne la piété de l’Église, n’est-elle pas une représentation froide et sans vie d’événements appartenant à des temps écoulés ; elle n’est pas un simple et pur rappel de choses d’une époque révolue. Elle est plutôt le Christ lui-même, qui persévère dans son Église et qui continue à parcourir la carrière de son immense miséricorde, il la commença sans doute dans sa vie mortelle, alors qu’il passait en faisant le bien (Actes, X, 38), dans le miséricordieux dessein de mettre les hommes en contact avec ses mystères et par eux leur assurer la vie. Or, ces mystères, ce n’est pas de la manière incertaine et assez obscure dont parlent certains écrivains récents qu’ils restent constamment présents et qu’ils opèrent ; d’après les docteurs de l’Église, en effet, ils sont d’excellents modèles pour la perfection chrétienne. A cause des mérites et des prières du Christ, ils sont la source de la divine grâce ; ils se prolongent en nous par leurs effets, étant donné que chacun, suivant sa propre nature, demeure à sa manière la cause de notre salut. Il faut ajouter que notre sainte Mère l’Église, lorsqu’elle nous propose de contempler les mystères de notre Rédempteur, demande par sa propre prière les dons célestes grâce auxquels, par la vertu du Christ avant tout, ses enfants se pénètrent de leur esprit. Grâce à l’inspiration et à la vertu du Christ, par l’activité de notre volonté, nous pouvons recevoir en nous la force vitale à la manière dont la reçoivent les branches d’un arbre ou les membres d’un corps. De même, pouvons-nous nous transformer peu à peu, à force de labeur, « jusqu’à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ » (Eph., IV, 13).
Dans le cours de l’année liturgique, ce ne sont pas seulement les mystères de Jésus-Christ, ce sont aussi les fêtes des saints du ciel qui sont célébrées. Par ces fêtes, l’Église poursuit toujours, quoique dans un ordre inférieur et subordonné, le même but : proposer aux fidèles des modèles de sainteté, sous l’impulsion desquels ils se revêtent des vertus du divin Rédempteur.
Nous devons être, en effet, les imitateurs des saints du ciel, dans la vertu desquels resplendit à des degrés divers la vertu même de Jésus-Christ, comme ils furent eux-mêmes ses imitateurs. Dans les uns a brillé le zèle apostolique, dans les autres, la force de nos héros poussée jusqu’à l’effusion du sang. Chez certains, se remarque une constance ininterrompue à attendre le Rédempteur ; chez d’autres, une pureté d’âme virginale et la modestie suave de l’humilité chrétienne. Tous brûlèrent d’une très ardente charité envers Dieu et envers le prochain. Toutes ces gloires de la sainteté, la sainte liturgie nous les met sous les yeux afin que nous les contemplions avec fruit et que « nous réjouissant de leurs mérites nous soyons entraînés par leurs exemples » (Missale Rom., Coll. III Missae pro plur. Martyr. extra T. P.). Il faut, par conséquent, conserver « l’innocence dans la simplicité, la concorde dans la charité, la modestie dans l’humilité, le soin dans l’administration, l’attention à soulager ceux qui peinent, la miséricorde dans le secours aux pauvres, la fermeté dans la défense de la vérité, la justice dans le maintien sévère de la discipline, de sorte qu’il ne nous manque rien des bonnes œuvres proposées à notre imitation. Ce sont là les traces que les saints, dans leur retour à la patrie, nous ont laissées, afin que, nous attachant à leurs pas nous parvenions aussi à leurs joies » (S. Bède le Vénérable, Hom. suid. LXX in solemn. omnium Sanct.). Or, pour que nos sens eux-mêmes soient salutairement impressionnés, l’Église a voulu qu’on exposât dans nos temples les images des saints du ciel, mais toujours dans le même dessein, afin que « nous imitions les vertus de ceux dont nous honorons les images » (Missale Rom. Collecta Missae S. Ioan. Damascen.).
Il y a encore un autre but au culte que le peuple fidèle rend aux saints du ciel : c’est celui d’implorer leurs secours, en sorte que « nous complaisant à les louer, nous trouvions aussi un secours dans leur patronage » (S. Bernard, Sermo II in festo omnium Sanct.). On s’explique par là, aisément, les nombreuses formules de prière que nous propose la sainte liturgie pour implorer le secours des saints.
Parmi les saints du ciel, la Vierge Marie, Mère de Dieu, est l’objet d’un culte plus relevé. Sa vie, en effet, de par la mission qu’elle a reçue de Dieu, est étroitement liée aux mystères du Christ, et personne, assurément, n’a suivi de plus près et plus effectivement qu’elle les traces du Verbe incarné ; personne ne jouit d’une plus grande faveur et d’une plus grande puissance qu’elle auprès du très Sacré Cœur du Fils de Dieu, et par lui, auprès du Père céleste. Plus sainte que les chérubins et les séraphins, elle jouit d’une gloire supérieure à celle de tous les autres saints, parce qu’elle est « pleine de grâce » (Lc I, 28) et Mère de Dieu et nous a, par son heureuse maternité, donné le Rédempteur. Puisqu’elle est « Mère de miséricorde, notre vie, notre douceur et notre espérance », crions vers elle nous qui « gémissons et pleurons dans cette vallée de larmes » (Salve Regina), et mettons-nous avec confiance sous son patronage, nous et tout ce qui nous concerne. Elle est devenue notre Mère au moment où le divin Rédempteur accomplissait le sacrifice de lui-même, en sorte que voilà encore un titre auquel nous sommes ses enfants. Toutes les vertus, elle nous les enseigne. Elle nous donne son Fils et, avec lui, elle nous donne tous les secours dont nous avons besoin, car Dieu « a voulu que nous ayons tout par Marie » (S. Bernard, In Nativ. B. M. V., 7). Tel est le chemin liturgique qui s’ouvre à nouveau devant nous tous les ans, et que s’applique à nous faire parcourir l’Église, ouvrière de sainteté. Aidés des secours et fortifiés par les exemples des saints du ciel et, en particulier, de l’Immaculée Vierge Marie, suivons ce chemin et « dans la plénitude de la foi, le cœur purifié des souillures d’une mauvaise conscience et le corps lavé dans une eau pure, avec un cœur sincère, approchons-nous » (He X, 22) du « Grand Prêtre » (Ibid., X, 21), afin de vivre avec lui et de nous trouver d’accord avec lui, de manière à pouvoir pénétrer avec lui « jusqu’à l’intérieur du voile » (Ibid., VI, 19) et y honorer pendant toute l’éternité le Père céleste. Telle est la nature et la raison d’être de la liturgie. Elle a pour objet le sacrifice, les sacrements et les louanges à rendre à Dieu. Il lui appartient de même d’unir nos âmes au Christ et de leur faire acquérir la sainteté par le divin Rédempteur afin que gloire soit rendue au Christ, et par lui et en lui, à la très sainte Trinité. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto.
Afin d’écarter plus aisément de l’Église les erreurs et les exagérations de la vérité, dont Nous avons parlé ci-dessus, et afin de permettre aux fidèles de s’adonner très fructueusement, en suivant des règles très sûres, à l’apostolat liturgique, Nous estimons opportun, Vénérables Frères, d’ajouter quelque chose ayant trait à la mise en pratique de la doctrine exposée.
Traitant de l’authentique et sincère piété, Nous avons affirmé qu’entre la liturgie et les autres dévotions - pourvu que celles-ci soient bien équilibrées et se proposent une juste fin - il ne peut exister de véritable opposition ; tout au contraire, l’Église recommande très vivement au clergé et aux religieux un certain nombre de pieux exercices.
Nous voulons, à présent, que même le peuple chrétien ne soit pas exclu de ces derniers. Ce sont, pour ne parler que des principaux, la méditation des choses spirituelles, l’examen de conscience attentif, permettant de se mieux connaître, les retraites fermées, instituées pour réfléchir plus profondément sur les vérités éternelles, les ferventes visites au Saint Sacrement et ces spéciales prières ou supplications en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, entre lesquelles excelle, comme chacun sait, le Rosaire (cf. C.I.C., can. 125).
A ces multiples formes de piété ne peuvent être étrangères l’inspiration et l’action du Saint-Esprit ; elles tendent toutes, en effet, bien que de diverses manières, à convertir les âmes et à les mener à Dieu à les purifier de leurs péchés ; à leur faire acquérir la vertu, d’un mot, à stimuler en elles la véritable piété, par le fait qu’elles les habituent à méditer les vérités éternelles et les rendent plus aptes à contempler les mystères de la nature humaine et divine du Christ. De plus, en nourrissant intensément chez les fidèles la vie spirituelle, ces pratiques les disposent à participer aux fonctions sacrées avec un plus grand fruit et écartent le danger que les prières liturgiques ne se réduisent à un vain formalisme.
Ne cessez donc pas, Vénérables Frères, dans votre zèle pastoral de recommander et d’encourager ces exercices de piété, desquels, sans nul doute, ne pourront manquer de dériver, pour le peuple qui vous est confié, des fruits salutaires. Surtout, ne permettez pas - comme d’aucuns l’admettent, soit sous prétexte d’un renouvellement de la liturgie, soit en parlant avec légèreté d’une efficacité et d’une dignité exclusive des rites liturgiques - que les églises soient fermées durant le temps qui n’est pas consacré aux fonctions publiques, comme cela se fait déjà en certaines régions ; que l’adoration de l’auguste sacrement et les pieuses visites aux tabernacles eucharistiques soient négligées ; que soit déconseillée la confession des fautes faite dans le seul but de la dévotion ; que le culte de la Vierge Mère de Dieu qui, de l’aveu des saints, est un signe de prédestination, soit sous-estimé, spécialement chez les jeunes, au point de s’éteindre et de s’alanguir peu à peu. Ces façons d’agir sont des fruits empoisonnés, excessivement nocifs à la piété chrétienne et qui croissent sur les branches pourries d’un arbre sain ; il faut donc couper celles-ci pour que la sève de l’arbre puisse nourrir seulement des fruits suaves et excellents.
Mais, comme les opinions que professent certains au sujet de la fréquente confession des péchés, ne sont pas du tout conformes à l’esprit du Christ et de son Épouse immaculée, mais véritablement funestes à la vie spirituelle, Nous rappelons ce que Nous avons écrit avec douleur, sur ce sujet, dans l’encyclique Mystici Corporis, et Nous insistons de nouveau pour que vous rappeliez à la sérieuse méditation et à la docile observation de vos fidèles, et spécialement des candidats au sacerdoce et du jeune clergé, les très graves paroles dont nous nous sommes servi en cet endroit.
Efforcez-vous, d’une façon particulière, ensuite, d’obtenir que le plus grand nombre possible, non seulement de clercs, mais aussi de laïques, et spécialement ceux qui font partie des confréries religieuses et des groupements d’Action catholique, prennent part aux récollections mensuelles et aux exercices spirituels, organisés à des dates déterminées, dans le but d’intensifier leur piété. Comme Nous l’avons dit ci-dessus, ces exercices spirituels sont très utiles, plus que cela, nécessaires pour infuser aux âmes la piété authentique et pour les former à la sainteté des mœurs, de façon qu’elles puissent tirer de la sainte liturgie des bienfaits plus efficaces et abondants. Quant aux modes variés selon lesquels s’effectuent habituellement ces exercices, qu’il soit bien entendu et bien clair pour tous que dans l’Église de la terre, comme dans celle du ciel, il y a « beaucoup de demeures » (cf. Jn XIV, 2) ; et que l’ascétisme ne peut être le monopole de personne. Un est l’Esprit qui, cependant, « souffle où il veut » (Jn III, 8), et qui, avec des dons divers et par des voies diverses, dirige les âmes qu’il illumine dans la poursuite de la sainteté. Que leur liberté et l’action surnaturelle du Saint-Esprit en elles soit une chose sacro-sainte, qu’il n’est permis à personne, à aucun titre, de troubler et de mépriser. Il est notoire, toutefois, que les exercices spirituels de saint Ignace furent pleinement approuvés et instamment recommandés par Nos prédécesseurs pour leur admirable efficacité, et Nous aussi, pour la même raison, les avons approuvés et recommandés, comme encore à présent Nous les approuvons et recommandons bien volontiers. Il est absolument nécessaire, toutefois, que l’inspiration à suivre et à pratiquer des exercices déterminés de piété vienne du Père des lumières, source des meilleures choses et de tout don parfait (cf. Jacques, I, 17) ; une preuve en sera l’efficacité avec laquelle ces exercices aideront à faire aimer et progresser toujours davantage le culte divin et à développer de plus en plus, chez les fidèles, le désir de participer aux sacrements, ainsi que l’honneur et le respect qui sont dus à toutes les choses saintes. Si, par contre, ils devaient aboutir à mettre obstacle ou se révélaient opposés aux principes et aux règles du culte divin, alors sans aucun doute on devrait les considérer comme n’étant pas inspirés ni dirigés par un sage conseil ou par un zèle éclairé.
Il y a, en outre, d’autres pratiques de piété qui, bien que ne relevant pas en droit strict de la sainte liturgie, revêtent une particulière dignité et importance, au point d’être considérées comme faisant partie, d’une certaine façon, de l’organisation liturgique, et qui jouissent des approbations et louanges réitérées de ce Siège apostolique et de l’épiscopat. De ce nombre relèvent les prières qu’on a coutume de faire durant le mois de mai en l’honneur de la Vierge Mère de Dieu, ou durant le mois de juin, en l’honneur du Cœur sacré de Jésus, les triduums et les neuvaines, le chemin de croix et d’autres dévotions semblables. Ces pieuses pratiques, en excitant le peuple chrétien à une fréquentation assidue du sacrement de la pénitence et à une fervente participation au sacrifice eucharistique et à la sainte table, comme à la méditation des mystères de notre Rédemption ou à l’imitation des grands exemples des saints, contribuent par cela même, non sans fruits salutaires, à nous rendre participants du culte liturgique. C’est pourquoi, il ferait une chose pernicieuse et pleine de tromperie celui qui oserait, témérairement, assumer la réforme de ces exercices de piété, pour les ramener aux seules cérémonies liturgiques. Il est nécessaire, toutefois, que l’esprit de la sainte liturgie et ses préceptes influent avec profit sur eux, pour éviter que ne s’y introduise quoi que ce soit d’inadapté ou de peu conforme à la dignité de la maison de Dieu, ou qui soit dommageable aux fonctions sacrées et à la saine piété. Veillez donc, Vénérables Frères, à ce que cette pure et authentique piété prospère sous vos yeux et fleurisse chaque jour davantage. Ne manquez pas surtout d’inculquer à chacun que la vie chrétienne ne consiste pas dans la multiplicité et la variété des prières et des exercices de piété mais consiste plutôt en ce que ceux-ci contribuent réellement au progrès spirituel des fidèles et, du fait, à l’accroissement de toute l’Église. Le Père éternel, en effet, « nous a élus en lui (le Christ) avant la création du monde, pour être saints et sans tache en sa présence » (Ep I, 4). Toutes nos prières, par conséquent, et toutes nos pratiques de dévotion doivent tendre à diriger nos ressources spirituelles vers l’obtention de cette suprême et très noble fin.
Nous vous exhortons, ensuite, instamment, Vénérables Frères, une fois exposées les erreurs et les inexactitudes, en même temps que prohibé tout ce qui est en dehors de la vérité et de l’ordre, à promouvoir les initiatives susceptibles de donner au peuple une plus profonde connaissance de la sainte liturgie, de façon qu’il puisse plus convenablement et plus facilement participer aux rites divins, avec des dispositions vraiment chrétiennes.
Il est nécessaire avant tout de veiller à ce que tous obéissent, avec le respect et la foi qui leur sont dus, aux décrets publiés par le concile de Trente, les pontifes romains, la Sacrée Congrégation des Rites et à tout ce que les livres liturgiques ont fixé au sujet de l’action extérieure du culte public. Dans tout ce qui regarde la liturgie, il faut que se manifestent le plus possible ces trois caractères, dont parle Notre prédécesseur Pie X : le respect du sacré, qui rejette avec horreur les nouveautés profanes ; la tenue et la correction des œuvres d’art, vraiment dignes de ce nom ; enfin le sens de l’universel qui, tout en tenant compte des traditions et coutumes locales légitimes, affirme l’unité et la catholicité de l’Église (Motu Proprio Tra le sollecitudini, du 22 novembre 1903).
Nous désirons et Nous recommandons chaudement, encore une fois, la beauté des édifices sacrés et des sanctuaires. Que chacun fasse sienne cette parole inspirée : « Le zèle de ta maison m’a dévoré » (Ps. LXVIII, 10 ; Jn II, 17) ; et qu’il s’ingénie de son mieux pour qu’aussi bien dans les édifices cultuels que dans les vêtements et ornements liturgiques, sans toutefois faire parade d’un luxe excessif, chaque chose soit adaptée et de bon goût, comme étant consacrée à la Majesté divine. Si, déjà, Nous avons réprouvé, plus haut, la façon d’agir incorrecte de ceux qui, sous prétexte de retour à l’antiquité, veulent expulser des temples les images sacrées, Nous pensons que c’est ici Notre devoir de reprendre la piété mal comprise de ceux qui, dans les églises et même sur les autels, offrent sans juste motif à la vénération des fidèles une multitude d’images et de statues ; de ceux qui exposent des reliques non authentiquées : de ceux enfin qui mettent l’accent sur des pratiques particulières et insignifiantes, au détriment des essentielles, ridiculisant ainsi la religion et diminuant la dignité du culte. Nous vous remettons également en mémoire ce décret « sur les formes nouvelles du culte et de la dévotion qu’on ne doit pas introduire » (Suprema S. Congr. S. Officii : Décret du 26 mai 1937), et Nous en recommandons la scrupuleuse observation à votre vigilance.
Pour ce qui concerne l’art musical, qu’on observe religieusement dans la liturgie les règles précises et bien connues, émanées de ce Siège apostolique. Quant au chant grégorien que l’Église romaine considère comme son bien particulier, héritage d’une antique tradition que sa tutelle vigilante a conservée au cours des siècles, qu’elle propose également aux fidèles comme leur bien propre, et qu’elle prescrit absolument en certaines parties de la liturgies (cf. Pie X, Lettre apost. Motu Proprio Tra le sollecitudini), non seulement il ajoute à la beauté et à la solennité des divins mystères, mais il contribue encore au plus haut point à augmenter la foi et la piété des assistants. A ce propos, Nos prédécesseurs d’immortelle mémoire, Pie X et Pie XI, ont décrété - et Nous confirmons volontiers de Notre autorité les dispositions prises par eux - que dans les séminaires et dans les Instituts religieux soit cultivé avec soin et diligence le chant grégorien et que, au moins dans les églises plus importantes, soient restaurées les anciennes « écoles de chant » (scholæ cantorum), comme cela s’est déjà fait avec succès en beaucoup d’endroits (cf. Pie X, loc. cit. ; Pie XI, Const. Divini cultus, II, V).
Il importe, en outre, « afin que les fidèles participent plus activement au culte divin, de rendre au peuple l’usage du chant grégorien pour la part qui le concerne. Il est vraiment urgent que les fidèles assistent aux cérémonies sacrées, non comme des spectateurs muets et étrangers, mais qu’ils soient touchés à fond par la beauté de la liturgie... qu’ils fassent alterner, selon les règles prescrites, leurs voix avec la voix du prêtre et de la Schola ; si cela, grâce à Dieu, se réalise, alors il n’arrivera plus que le peuple ne réponde que par un léger et imperceptible murmure aux prières communes dites en latin et en langue vulgaire » (Pie XI, Const. Divini cultus, IX).
La nombreuse assistance qui prend part au sacrifice de l’autel, où notre Sauveur, en union avec ses fils rachetés de son sang, chante l’épithalame de son immense charité, ne pourra certainement se taire, puisque « chanter est le fait de celui qui aime » (S. Augustin, Serm. CCCXXXVI, n. 1), et que, comme le disait déjà un vieux proverbe, « celui qui chante bien prie deux fois ». Aussi l’Église militante, c’est-à-dire le clergé et les fidèles assemblés, unit-elle sa voix aux cantiques de l’Église triomphante et aux chœurs angéliques, pour élever à l’unisson un hymne splendide et sans fin en l’honneur de la très sainte Trinité, selon ces mots (de la Préface) : « En compagnie desquels nous te prions de faire admettre nos voix » (Missale Rom., Praefatio).On ne saurait, toutefois, exclure totalement du culte catholique la musique et le chant modernes. Bien mieux, pourvu qu’ils n’aient rien de profane ou d’inconvenant étant donné la sainteté du lieu et des offices sacrés, qu’ils ne témoignent pas non plus d’une recherche d’effets bizarres et insolites, il est indispensable de leur permettre alors l’entrée de nos églises, car ils peuvent l’un et l’autre grandement contribuer à la magnificence des cérémonies, aussi bien qu’à l’élévation des âmes et à la vraie dévotion. Nous vous exhortons encore, Vénérables Frères, à prendre soin de promouvoir le chant religieux populaire et sa parfaite exécution, selon la dignité convenable, car il est apte à stimuler et accroître la foi et la piété de la foule chrétienne. Que montent vers le ciel, unanimes, et puissants comme le bruit des flots de la mer (cf. S. Ambroise, Hexameron, III, 5, 23), les accents de notre peuple, expression rythmée et vibrante d’un seul cœur et d’une seule âme (Ac IV, 32), ainsi qu’il convient à des frères et aux fils du même Père.
Ce que Nous venons de dire de la musique convient également à plusieurs autres arts, en particulier, à l’architecture, à la sculpture et à la peinture. Les œuvres modernes, les mieux harmonisées avec les matériaux servant aujourd’hui à les composer, ne doivent pas être méprisées et rejetées en bloc, de parti pris ; mais, tout en évitant, avec un sage esprit de mesure, d’une part les excès du « réalisme », et de l’autre ceux du « symbolisme », comme on les appelle, et tout en tenant compte des exigences de la communauté chrétienne plutôt que du jugement et du goût personnel des artistes, il importe extrêmement de laisser le champ libre à l’art de notre temps, qui, soucieux du respect dû aux temples et aux rites sacrés, se met à leur service, de telle sorte que, lui aussi, puisse unir sa voix à l’admirable cantique chanté, dans les siècles passés, par les hommes de génie, à la gloire de la foi catholique. Nous ne pouvons, cependant, Nous empêcher - c’est pour Nous un devoir de conscience - de déplorer et de réprouver ces images ou ces statues introduites récemment par quelques-uns, et qui semblent bien être une dépravation et une déformation de l’art véritable, en ce qu’elles répugnent parfois ouvertement à la beauté, à la réserve et à la piété, par le regrettable mépris qu’elles font de l’instinctif sentiment religieux, il faut absolument bannir ou expulser ces œuvres de nos églises, ainsi qu’« en général tout ce qui n’est pas en conformité avec la sainteté du lieu » (C.I.C. can. 1178).
Dans l’esprit et la ligne des directives pontificales, ayez grand soin, Vénérables Frères, d’éclairer et de diriger l’inspiration des artistes, auxquels sera confié à présent le soin de restaurer et de reconstruire tant d’églises atteintes ou détruites par les violences de la guerre ; puissent-ils et veuillent-ils, s’inspirant de la religion, trouver le style le plus capable de s’adapter aux exigences du culte ; il adviendra de la sorte, fort heureusement, que les arts humains, semblant venir du ciel, resplendiront de lumière sereine et contribueront extrêmement au progrès de l’humaine civilisation, en même temps qu’à l’honneur de Dieu et à la sanctification des âmes. Puisqu’en toute vérité, les beaux-arts s’harmonisent avec la religion, dès lors qu’ils se comportent « en très nobles serviteurs du culte divin » (Pie XI, Const. Divini cultus).
Mais il y a quelque chose de plus important encore, Vénérables Frères, et que Nous recommandons spécialement à votre sollicitude et à votre zèle apostolique. Tout ce qui concerne le culte religieux extérieur a son importance, mais ce qui est le plus urgent et ce qui importe au plus haut point, c’est que les chrétiens vivent la vie de la liturgie, en alimentent et fortifient l’esprit. Ayez donc grand soin que le jeune clergé, en même temps qu’il s’initie aux disciplines ascétiques, théologiques, juridiques et pastorales, soit formé à l’intelligence des cérémonies sacrées, à la compréhension de leur majestueuse beauté, et qu’il en apprenne diligemment les règles, appelées rubriques. Cela non dans un motif de pure érudition, ni afin seulement que le séminariste puisse, un jour, accomplir les rites religieux avec l’ordre, la bienséance et la dignité convenables, mais surtout pour qu’il s’adonne, dès le cours de sa formation, à une très intime union avec le Christ-Prêtre et devienne un saint ministre des choses saintes. Ingéniez-vous aussi de toute façon pour qu’à l’aide des secours, jugés dans votre prudence les plus efficaces, le clergé et le peuple forment un seul esprit et une seule âme ; et qu’ainsi le peuple chrétien prenne une part active à la sainte liturgie, qui deviendra vraiment alors l’action sacrée, où le prêtre, et surtout le prêtre chargé d’âmes, dans la paroisse à lui confiée, en étroite union avec l’assemblée du peuple, rend au Seigneur le culte qui lui est dû.
Pour obtenir plus sûrement ce résultat, il sera fort utile que, dans toutes les catégories sociales, on fasse choix d’enfants pieux et bien élevés qui servent assidûment à l’autel, s’y dévouant avec désintéressement et de bon cœur ; cette fonction devrait être tenue en grande estime par les parents, même de condition et de culture plus élevées. Si ces jeunes gens étaient instruits comme il convient et entraînés, grâce aux soins vigilants du clergé, à remplir cet office, qui leur est confié, en des heures déterminées, avec persévérance et respect, cela favoriserait l’éclosion parmi eux de nouvelles vocations au sacerdoce et il n’arriverait pas que le clergé se lamente - comme, hélas ! même en des régions très catholiques - de ne trouver personne pour lui répondre et le servir dans la célébration de l’auguste sacrifice.
Tâchez surtout d’obtenir, par votre zèle très diligent, que tous les fidèles assistent au sacrifice eucharistique ; et, pour qu’ils en retirent de plus abondants fruits de salut, ne manquez pas de les exhorter souvent à y participer de toutes les manières correctes dont Nous avons parlé ci-dessus. L’auguste sacrifice de l’autel est l’acte principal du culte divin ; il faut donc qu’il soit la source et le centre de la piété chrétienne. Et tenez pour certain que vous n’aurez pas satisfait à votre tâche apostolique, aussi longtemps que vous ne verrez pas vos enfants s’approcher nombreux du banquet céleste, « ce sacrement de la piété, ce signe de l’unité, ce lien de la charité » (S. Augustin, Tract. XXVI in Ioan., 13). Mais pour que le peuple chrétien puisse toujours plus abondamment mettre à profit ces dons surnaturels, prenez soin de l’instruire des richesses que contient pour la piété, la sainte liturgie ; faites-le par des prédications opportunes, spécialement par des séries de conférences, des semaines d’études et autres procédés semblables. Dans ce but, les militants de l’Action catholique, toujours prêts à collaborer avec la hiérarchie, afin de promouvoir le règne de Jésus-Christ, se mettront volontiers à votre disposition.
Il est cependant indispensable qu’en tout cela vous veilliez attentivement à ce que dans le champ du Seigneur ne s’introduise pas l’ennemi, semeur de zizanie au milieu du bon grain (cf. Mt XIII, 24-25) ; prenez garde, autrement dit, que ne s’infiltrent dans votre troupeau les erreurs pernicieuses et subtiles d’un faux « mysticisme » et d’un nocif « quiétisme » - erreurs que Nous avons déjà condamnées, comme vous savez (Lettre encycl, Mystici Corporis) - et que les âmes ne soient séduites par un dangereux « humanisme », ni par l’introduction d’une fallacieuse doctrine, altérant la notion même de la foi catholique, ni enfin, par un retour excessif à l’« archéologisme » en matière liturgique. Déployez une égale diligence pour que ne se répandent pas les fausses opinions de ceux qui croient à tort et enseignent que la nature humaine du Christ glorieux habite réellement et d’une présence continuelle dans les « justifiés » ou qu’une grâce unique et identique, prétend-on, unit le Christ avec les membres de son Corps mystique. Ne vous laissez pas décourager par les difficultés qui se font jour ; que jamais ne se lasse votre zèle pastoral : « Sonnez de la trompette dans Sion, convoquez l’assemblée, réunissez le peuple, sanctifiez l’Église, rassemblez les vieillards, les enfants et les petits à la mamelle » (Joël, II, 15-16), et faites en sorte, de toutes manières, que dans l’univers entier les temples et les autels voient en foule accourir des chrétiens qui, tels des membres vivants réunis à leur Chef divin, se fortifient par la grâce des sacrements et, de concert avec lui et par lui, célèbrent l’auguste sacrifice, en rendant au Père éternel les louanges qui lui sont dues.
Voilà ce que Nous avions, Vénérables Frères, à vous écrire, et Nous le faisons dans l’espoir que Nos et vos fils comprennent mieux et estiment davantage le très précieux trésor contenu dans la sainte liturgie : à savoir, le sacrifice eucharistique, représentation et renouvellement du sacrifice de la croix ; les sacrements, canaux de la grâce et de la vie divine ; l’hymne de louange, élevé par la terre et le ciel, chaque jour, vers Dieu. Il Nous est peut-être permis d’espérer que ces exhortations porteront les tièdes et les récalcitrants, non seulement à l’étude plus profonde et plus exacte de la liturgie, mais aussi à sa mise en pratique en ranimant dans leur conduite son souffle surnaturel, comme Nous les en avertissons d’un cœur paternel, selon le mot de l’apôtre : « N’éteignez pas l’Esprit » (I Thess., V, 19).
A ceux qu’un zèle intempestif pousse quelquefois à dire ou à faire ce que Nous avons le regret de ne pouvoir approuver, Nous redisons le conseil de saint Paul : « Mettez tout à l’épreuve ; gardez ce qui est bon » (Ibid., V, 21). Et Nous leur demandons paternellement de vouloir bien rectifier leur façon de penser et d’agir, d’après une doctrine chrétienne qui soit conforme aux leçons de l’Épouse sans tache de Jésus-Christ, Mère des saints. Nous rappelons aussi à tous la nécessité d’une généreuse et fidèle volonté d’obéir aux pasteurs, à qui appartient le droit et incombe le devoir de régler toute la vie de l’Église et principalement la vie spirituelle : « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis. Chargés, en effet, de veiller sur vos âmes, dont ils auront à rendre compte, qu’ils le fassent avec joie et non en gémissant » (Hb 13, 17). Daigne le Dieu que nous adorons et qui « n’est pas le Dieu de la discorde, mais de la paix » (I Co XIV, 33), nous accorder à tous de participer d’un seul esprit et d’un seul cœur, en cet exil terrestre, à la sainte liturgie, qui soit comme une préparation et un avant-goût de cette liturgie céleste, dans laquelle, espérons-le, nous chanterons en compagnie de la Reine du ciel, notre Mère très douce : « A Celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau : bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles » (Ap V, 13). Dans cette très joyeuse espérance, à vous tous et à chacun de vous, Vénérables Frères, ainsi qu’aux brebis confiées à votre vigilance, comme gage des dons célestes et témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous envoyons de très grand cœur la Bénédiction apostolique.
Donné le 20 nov. de l’année 1947, 9e de Notre Pontificat. Pie XII
[1] D'après le texte latin des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 521 ; traduction française officielle publiée dans la Documentation Catholique, t. XLV, col. 193. Les titres et sous-titres ne font pas partie du texte original, mais de la version française de Rome.