LETTRE ENCYCLIQUE MISERENTISSIMUS DEUS
de Sa Sainteté le Pape PIE XI
NOTRE DEVOIR DE REPARATION ENVERS LE SACRE-COEUR
A nos vénérables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires de lieux en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables frères, Salut et bénédiction apostolique
Notre très miséricordieux Rédempteur, après avoir acquis sur le bois de la Croix le salut du genre humain et avant de quitter ce monde pour monter vers son Père, voulut consoler ses apôtres et ses disciples et leur dit: « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles » (Matth., XXVIII, 30). Cette parole si agréable est une source abondante d’espérance et de sécurité: c’est cette parole, Vénérables Frères, qui Nous revient naturellement, toutes les fois que, comme du haut d’un observatoire élevé, Nous considérons toute la société humaine en proie à tant de maux et de calamités, ainsi que l’Eglise elle-même, livrée sans trêve aux attaques et aux embûches.
Cette divine promesse releva aux premiers jours le courage des apôtres qui étaient dans l’abattement et ensuite les embrasa d’ardeur pour jeter à travers le monde la semence de la doctrine évangélique; de même, elle fortifia plus tard l’Eglise dans sa lutte victorieuse contre les puissances de l’enfer. Jamais, en effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne manqua à son Eglise: il l’assista de son aide et de sa protection empressées, lorsque des dangers et des maux plus graves la menaçaient, lui apportant les remèdes les plus adaptés aux temps et aux circonstances en vertu de cette divine Sagesse « qui atteint avec force d’une extrémité du monde à l’autre et dispose tout avec douceur » (Sagesse, VIII, 1). Mais dans les temps les plus proches, « la main du Seigneur n’a pas été trop courte pour sauver » (Isaïe, LIX, 1) surtout lors-que s’infiltra et se répandit au loin une erreur qui fit craindre que les sources de la vie chrétienne ne vinssent comme à tarir pour les âmes détournées de l’amour et de la fréquentation de Dieu.
Les plaintes que le très doux jésus fit à Marguerite-Marie Alacoque, quand il daigna lui apparaître, les désirs et les demandes qu’il lui exposa à l’égard des hommes et pour leur bien, une partie des fidèles les ignore peut-être encore et les autres ne s’en soucient point; aussi, Vénérables Frères, Nous plaît-il de vous entretenir quelques instants du devoir de l’amende honorable qui nous lie envers le Cœur Sacré de Jésus, afin que vous enseigniez avec soin chacun à votre troupeau et que vous l’exhortiez à suivre ce que Nous allons vous exposer.
Entre toutes les marques de la bonté infinie de Notre Rédempteur, l’une des plus resplendissantes apparaît dans le fait que, la charité même de Dieu a été proposée aux honneurs d’un culte spécial et que les richesses de cette bonté ont été largement ouvertes, grâce à la forme du culte qui s’adresse au Cœur Sacré de Jésus « dans lequel sont cachés tells les trésors de la sagesse et de la science » (Coloss., II, 3). En effet, de même que jadis Dieu voulût faire briller aux regards de la race humaine sortant de l’arche de Noé comme le signe d’un pacte d’amitié, « l’arc resplendissant dans les nuages », de même aux heures troublées des siècles précédents, alors que sévissait la pire de toutes les hérésies, celle du jansénisme, contraire à l’amour et à la piété envers Dieu, et. qui représentait. Dieu non pas comme un Père objet d’amour, mais comme Juge redoutable et implacable, le très bon Jésus montra son Cœur Sacré comme un symbole de paix et de charité offert au regard des nations et ouvrant devant lui le chemin de la victoire.
Dans l’Encyclique Annum Sacrum, Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Léon XIII, admirant l’opportunité étonnante du culte envers le Sacré Cœur de Jésus, ne craignait pas de déclarer: « Aux temps plus rapprochés de ses origines, quand l’Eglise subissait le joug des Césars, la croix apparue dans le ciel à un jeune empereur fut le signe et la cause d’une victoire complète, Voici qu’en nos jours se présente à Nos regards un signe divin de prospérité: c’est-à-dire le Cœur Sacré de Jésus surmonté d’une croix, brillant au milieu des flammes. Toutes nos espérances y sont placées; c’est là qu’il faut chercher et c’est de là qu’il faut attendre le salut ».
Et c’est à juste titre, Vénérables frères. Dans ce symbole le plus heureux et dans la forme de dévotion qui en découle, ne retrouve-t-on pas la synthèse de toute la religion et la règle d’une vie plus parfaite, puisque cette dévotion amène rapidement les âmes à étudier plus intimement le Christ Seigneur et qu’elle excite avec plus d’efficacité à un amour plus enthousiaste et à une imitation plus instante? Il n’est donc pas étonnant que Nos prédécesseurs n’aient cessé de défendre cette dévotion excellente, contre les attaques des calomniateurs, de la louer vivement et de la promouvoir avec un zèle ardent, selon que le temps et les circonstances le demandaient. Grâce à la bonté divine, la piété des fidèles envers le Sacré Cœur de Jésus s’est accrue de jour en jour; elle a suscité ça et là de pieuses associations pour le culte du divin Cœur, elle a favorisé l’usage, un peu par-tout observé, de la communion du premier vendredi du mois, selon le désir du Christ Jésus.
Parmi toutes les pratiques particulières au culte du Sacré Cœur, il faut rappeler, comme l’une des principales, la pieuse consécration par laquelle Nous Nous offrons au divin Cœur de Jésus, Nous et tous nos biens, en reconnaissant que Nous tenons tout de l’éternelle bonté de Dieu. Quand Notre Sauveur, poussé non tant par son droit que par son immense amour pour Nous, eût enseigné à l’innocente disciple de son Cœur, Marguerite-Marie, combien il désirait que les hommes lui rendissent ce devoir de piété, celle-ci le rendit, la première de tous, avec son directeur de conscience, Claude de la Colombière; il fut observé au cours des années, par les individus, puis par les familles et les associations et enfin par les magistrats, les villes et les nations. Et, comme au siècle précédent et à Notre époque, les intrigues des impies en vinrent à rejeter I’ empire du. Christ Seigneur et à mener publiquement la guerre contre l’Eglise, en portant des lois et en proposant des motions contraires au droit divin et à la loi naturelle, ou bien allant jusqu’à réunir des assemblées qui s’écriaient: « Nous ne voulons pas qu’il règne sur Nous » (Luc, XIX, 14), la consécration montait, proclamée comme par une seule voix éclatante et elle opposait la protestation des fidèles du Sacré Cœur pour venger sa gloire et affirmer ses droits: « Il faut -que le Christ. règne » (I Cor., XV, 25). « Que votre règne arrive ». Enfin, par une conséquence heureuse, au début de ce siècle, Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Léon XIII, aux applaudissements de l’univers chrétien, consacra au Sacré Cœur tout le genre humain que le Christ, ,en qui seul tout. peut être restauré (Eph.. 1, 10), possède par droit de nature.
C’étaient là des débuts heureux et consolants. Comme Nous l’avons dit dans l’Encyclique Quas primas, accédant aux souhaits nombreux et répétés des évêques et des fidèles, Nous y avons, grâce à Dieu, apporté le complément, et Nous avons achevé l’œuvre lorsque, à la fin de l’Année sainte, Nous avons institué la fête du Christ-Roi universel, à célébrer solennellement dans tout l’univers chrétien. Dans cet acte, Nous n’avons pas seulement mis en lumière l’empire souverain que le Christ possède sur l’univers, l’Etat, la famille et l’individu, mais Nous avons aussi laissé entrevoir les joies de ce jour tant souhaité où l’univers viendra de son plein gré se soumettre tout entier à la puissance très douce du Christ-Roi. Aussi avons-Nous ordonné en même temps que, chaque année, à l’occasion de cette fête, cette consécration fût renouvelée, afin d’obtenir avec plus de certitude et d’abondance les fruits de cette consécration et afin de réunir tous les peuples par la charité chrétienne et le lien de la paix dans le Cœur du Roi des rois et du Seigneur des seigneurs.
A tous ces hommages et en particulier à cette si féconde consécration que vient confirmer la solennité sainte du Christ-Roi, il faut en joindre une autre dont Nous désirons vous entretenir plus longuement: le devoir de l’amende honorable ou de la réparation à offrir au Sacré Cœur. Car si la consécration a pour but premier et principal de rendre amour pour amour au Créateur, il s’ensuit que des compensations sont dues à l’Amour incréé pour l’injustice qui lui est faite par les négligences de l’oubli ou par les injures de l’offense : c’est ce qu’on appelle le devoir de réparation.
Que les inertes et les tièdes ne croient pourtant pas avoir Notre approbation parce que Nous reprenons ceux qui se trompent ou que Nous refrénons les audacieux ; mais que les imprudents ne s’imaginent pas couverts de louanges du fait que Nous corrigeons les négligents et les paresseux.
Si les mêmes raisons poussent à observer l’un et l’autre devoir, nous sommes tenus, pour un motif plus pressant de justice et d’amour, au devoir de réparation et d’expiation: pour un motif de justice, afin d’expier l’offense faite à Dieu par nos crimes et de rétablir par la pénitence l’ordre violé; pour un motif d’amour, afin de compatir avec le Christ souffrant et rassasié d’opprobres » et de lui apporter, selon notre petitesse, quelque consolation.
Pécheurs comme nous le sommes tous, et coupables de multiples fautes, nous ne devons pas seulement honorer notre Dieu du culte d’adoration, en offrant à sa souveraine Majesté les hommages qui lui sont dus, du culte de prière qui reconnaît son souverain domaine ou d’action de grâces qui loue sa largesse infinie; il faut de plus satisfaire le Dieu vengeur pour nos « innombrables péchés, offenses et négligences ». A la consécration qui nous voue à Dieu et nous vaut. le titre de « consacrés â Dieu », avec la sainteté et la stabilité qui, comme l’enseigne le Docteur Angélique (II-II, q. LXXXI, a, 8 c.), est propre à la consécration, il faut donc ajouter l’expiation qui efface complètement nos péchés, de crainte que la sainteté de la justice souveraine ne nous rejette comme indignes et impudents, et qu’elle ne repousse notre don sans le regarder au lieu de l’agréer.
Ce devoir d’expiation incombe au genre humain, tout entier, puisque, comme la foi chrétienne nous l’enseigne, après la déplorable chute d’Adam, il fut infecté d’une tache héréditaire, sujet à la convoitise, livré à une lamentable dépravation et qu’il devait être condamné à une peine éternelle. Que d’orgueilleux philosophes de notre âge, suivant l’antique erreur de Pélage, nient cette vérité et vantent une vertu. innée de la nature humaine qui développe ses puissances et mène aux plus hauts sommets; l’Apôtre rejette ces fausses théories de l’orgueil humain, nous avertissant que « nous étions par nature fils de colère » (Eph.., II, 3). De fait, dès le début, les hommes ont comme reconnu ce devoir de l’expiation commune, et, en offrant à Dieu des sacrifices même publics, ils commencèrent à le pratiquer, guidés par un sens naturel.
Mais aucune puissance créée ne pouvait suffire à expier les crimes des hommes, si le Fils de Dieu n’avait pris pour la révéler la nature humaine. Notre Seigneur et Sauveur le prophétisa lui-même par la bouche du Psalmiste: « Vous n’avez voulu ni victime ni oblation, mais vous m’avez formé un corps; vous n’avez pas agréé les holocaustes pour le péché. Alors, j’ai dit: Me voici, je viens » (Hebr., X, 5-7). Et, en effet, « c’étaient véritablement nos maladies qu’il portait et nos douleurs dont il s’était chargé; il a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois... » (1 Petr., II, 24), « détruisant l’acte qui était écrit contre nous et nous était contraire avec ses ordonnances et il l’a fait disparaître, en le clouant à la croix... » (Coloss.. 1I, 14); afin que, morts aux péchés, nous vivions pour la justice » (I Petr., II, 24).
Certes, l’opulente rédemption du Christ nous a abondamment « pardonné tous nos péchés » (Col., II, 13); toutefois, l’ordre merveilleux de la Sagesse divine a voulu que nous accomplissions dans notre chair « ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Eglise » Col., I, 24); aussi, au tribut de louanges et d’expiations « que le Christ a versées à Dieu au nom des pécheurs », pouvons-nous et même devons-nous joindre nos louanges et nos expiations. Mais il faut toujours nous souvenir que toute la vertu d’expiation découle de l’unique sacrifice sanglant du Christ qui se renouvelle sans arrêt d’une manière non sanglante sur nos autels, car « c’est une seule et même Victime, c’est le même qui s’offre maintenant par le ministère des prêtres et qui s’offrit alors sur la croix, seul le mode de l’offrande diffère » (Concile de Trente, sess. 22, c. 2); c’est pourquoi il faut unir à l’auguste sacrifice eucharistique l’immolation des ministres et des autres fidèles, de sorte qu’ils s’offrent, eux aussi, comme « des hosties vivantes, saintes, agréables à Dieu » (Rom., XII, 1). Bien plus, saint Cyprien ne craint pas d’affirmer « que le sacrifice du Seigneur n’est pas célébré avec la sainteté requise si notre oblation et notre sacrifice ne répondent pas à sa passion » (Ep. 63, n. 381). C’est pourquoi l’Apôtre demande que, « portant avec nous dans notre corps la mort de Jésus » (II Cor., IV, I0), et, ensevelis avec le Christ et greffés sur lui par la ressemblance de la mort » (Rom., VI, 4-5), non seulement nous crucifiions notre chair avec ses vices et ses convoitises (Cf. Gal., V, 24), fuyant la corruption de la concupiscence qui règne dans le monde (Cf. II Petr., I, 4), mais « que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps » (II Cor., IV, 10), et que, devenus participants de son sacerdoce éternel, nous offrions « des dons et des sacrifices pour nos péchés » (Hebr., V, 1). La charge de ce sacerdoce mystérieux, de la satisfaction et du sacrifice n’est pas donnée en participation seulement à ceux dont notre Pontife, le Christ Jésus, se sert comme ministres pour l’oblation immaculée qui doit être offerte à Dieu en tout lieu de l’Orient jusqu’à l’Occident (Malach., I, 1I); mais encore tout le peuple chrétien, appelé à juste titre par le prince des apôtres « race choisie, sacerdoce royal » (I Petr., II, 9), doit, tant pour lui que pour tout le genre humain, offrir des sacrifices pour le péché (Cf. Hebr., V, 2), à peu près de la même manière que le Pontife « choisi d’entre les hommes, est établi pour les hommes en ce qui concerne le culte de Dieu » (Hebr., V, 1).
Plus notre oblation et notre sacrifice répondront parfaitement au sacrifice du Seigneur, c’est-à-dire plus nous immolerons notre amour-propre et nos convoitises pour crucifier notre chair de cette crucifixion mystique dont parle l’Apôtre, plus nous recevrons en abondance pour nous et pour les autres de fruits de propitiation et d’expiation. Il existe une admirable relation entre le Christ et tous les fidèles, telle que celle qui apparaît entre la tête et les autres membres du corps; par cette mystérieuse communion des Saints que nous enseigne la foi catholique, les hommes et les peuples ne sont pas seulement réunis entre eux, mais aussi à Celui qui est le Chef, le Christ. C’est par lui que « tout le corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa me-sure d’activité, grandit et se perfectionne clans la charité » (Eph., IV, 15-16). C’est ce que le Christ Jésus, Médiateur entre Dieu et les hommes, avait lui-même demandé à son Père, à la veille de sa mort : « Que je sois en eux et vous en moi, afin qu’ils soient parfaitement un » (Jean, XVII, 23).
Ce culte, du reste, n’était qu’une ombre (cf. He X, 1) de celui que le Prêtre suprême du Nouveau Testament devait rendre au Père céleste.
De même que la consécration proclame et affermit l’union avec le Christ, de même l’expiation commence cette union, en effaçant les fautes, elle la perfectionne en rendant participant aux souffrances du Christ, et elle la consomme en offrant des sacrifices pour le prochain. Ce fut certainement l’intention du miséricordieux Jésus, quand il nous découvrit son Cœur portant les insignes de la Passion et, laissant échapper des flammes d’amour: il voulait qu’après avoir considéré la malice infinie du péché et admiré l’amour infini du Rédempteur, nous détestions avec force le péché et que nous rendions avec plus de ferveur amour pour amour.
En réalité, l’esprit d’expiation ou de réparation détint toujours le rôle principal dans le culte du Sacré Cœur de Jésus, et rien ne convient mieux à l’origine, à la nature, à la vertu propre de cette dévotion et aux pratiques qui en sont les formes, ainsi que l’établissent l’usage, la sainte liturgie et les actes des Souverains Pontifes.
Quand le Christ apparut à Marguerite-Marie, il lui déclara l’infinité de son amour et en même temps, sur un ton attristé, il se plaignit de tant d’injures que lui infligeait l’ingratitude des hommes, s’exprimant par ces paroles qu’il plaise à Dieu de garder dans l’âme des chrétiens pieux et de ne jamais laisser oublier: «Voici ce Cœur, dit-il, qui a tant aimé les hommes et les a comblés de tant de bienfaits et qui, pour son amour infini, non seulement ne reçoit pas de reconnaissance, mais subit les négligences et les injures, et cela parfois de la part de ceux qui sont tenus par un devoir d’amour particulier ». Pour effacer ces fautes, il recommanda plusieurs prescriptions, et celles-ci en particulier: que dans une intention d’expiation, on fit une « communion réparatrice »; que l’on récitât des supplications et des prières pendant une heure entière, qui s’appelle avec raison « heure sainte »; l’Eglise a non seulement approuvé ces exercices de piété, mais les a enrichis d’abondantes indulgences.
Mais, dira-t-on, quelles expiations peuvent consoler le Christ qui règne dans la joie du ciel? Nous répondrons: « Donnez-moi quelqu’un qui aime et il comprendra ce que je dis, « Nous servant des paroles de saint Augustin, qui s’appliquent admirablement â notre sujet (Sur l’Evangile de saint Jean, traité XXVI, 4).
L’âme qui aime Dieu avec ferveur, si elle se tourne vers le passé, voit dans sa méditation et contemple le Christ souffrant pour l’homme, attristé, subissant tous les tourments « pour nous, hommes, et pour notre salut », presque abattu par la tristesse, les angoisses et les opprobres, « broyé à cause de nos péchés » (Isaïe, LIII, 5), et nous guérissant par ses meurtris-sures. Et les âmes pieuses méditent cela avec d’autant plus de vérité que les péchés des hommes et les crimes commis par eux, en quelque temps que ce soit, sont la cause pour laquelle le Fils de Dieu a été livré à la mort et que ces péchés infligeraient maintenant encore .par eux-mêmes au Christ la mort avec les mêmes douleurs et les mêmes tristesses, puisque chaque péché est censé renouveler à sa manière la mort du Christ; « Crucifiant de nouveau pour leur part le Fils de Dieu et le livrant à l’ignominie » (Hébr., VI, 6). Si pour nos péchés aussi qui étaient futurs, mais prévus, l’âme du Christ a été attristée jusqu’à la mort, il n’est pas douteux qu’elle n’ait goûté alors quelque consolation, grâce à notre réparation prévue elle aussi, quand « un ange lui apparut venant du ciel » (Luc, XXII, 43) pour consoler son Cœur accablé de dégoût et d’angoisse. Et ainsi, ce Cœur Sacré que blessent sans arrêt les péchés des ingrats, nous pouvons maintenant et nous devons le consoler d’ une manière mystérieuse, mais réelle, d’autant plus que par la bouche du Psalmiste le Christ se plaint lui-même d’être abandonné de ses amis, comme la sainte liturgie le rappelle: « Mon Cœur a supporté l’ingratitude et la souffrance; j’ai espéré que quelqu’un se serait attristé avec lui et il n’ y eut personne, ou qui le consolerait et je n’ai trouve aucun homme » (Ps., LXVIII, 21).
De plus, la passion expiatrice du Christ se renouvelle, se continue d’une certaine manière et se complète dans son corps mystique qui est l’Eglise. En effet, pour Nous servir de nouveau des paroles de saint Augustin, « le Christ a souffert; il ne manque rien à la mesure de ses souffrances. La passion a donc été accomplie, mais dans le chef; restaient encore les souffrances du Christ dans son corps » (Sur le Psaume LXXXVI). Le Seigneur Jésus a daigné le déclarer lui-même, quand il dit à Saut « respirant encore la menace et la mort contre ses disciples » Actes, IX, 1): « Je suis Jésus que tu persécutes » Ides, IX, 5), indiquant nettement par ces paroles que les persécutions contre l’Eglise attaquaient et blessaient le divin Chef de l’Eglise lui-même. C’est pourquoi le Christ souffrant encore dans son corps mystique souhaite à juste titre de nous avoir pour compagnons de son expiation et notre relation intime avec lui le demande; car, puisque nous sommes le corps du Christ et ses membres chacun pour notre part » (I Cor., XII, 27), il faut que les membres compatissent à toutes les souffrances du Chef (Cf. I Cor-., XII, 27).
Pour comprendre l’urgente nécessité de la réparation ou de l’expiation à notre époque, il suffit à qui que ce soit de jeter, comme Nous l’avons dit au début, un regard sur ce Inonde « plongé dans le mal » (I Jean, V, 19). De partout montent vers nous les clameurs et les gémissements des peuples dont les princes et les chefs se sont levés et réunis contre le Seigneur et son Eglise (Cf. Ps. II, 2). En certains pays nous voyons transgresser les lois divines et humaines, les églises ruinées et abattues, les religieux et les religieuses chassés de leurs couvents, en butte aux outrages, aux cruautés, à la famine et à la prison; des multitudes d’enfants arrachés au sein de l’Eglise leur mère, poussés à abjurer et à blasphémer le nom du Christ. et amenés aux pires dé-gradations de la luxure, toute la population chrétienne durement opprimée, toujours clans le danger de perdre la foi ou de subir. la mort parfois dans de--conditions atroces. Ces tristesses sont telles qu’elle semblent annoncer « le commencement des douleurs que fera subir « l’homme du péché contre tout ce qui est appelé Dieu ou honoré d’un culte » (II Thess.. II, 4).
Il est encore plus triste, Vénérables Frères, (le voir parmi les fidèles, baignés, par le baptême clans le sang de l’Agneau sans tache et enrichis de la grâce. tant de personnes des diverses classes qui souffrent d’une incroyable ignorance des choses divines, sont infectées d’opinions erronées, et mènent loin de la maison de leur Père une vie chargée de vices sans se laisser pénétrer des lumières de la vraie foi, sans les joies que donne l’espérance de la béatitude éternelle et sans le réconfort qui naît des ferveurs de la charité, de telle sorte qu’elles semblent déjà vraiment plongées clans les ténèbres et l’ombre de la mort. En outre, l’indifférence augmente chez les fidèles à l’égard de la discipline ecclésiastique et des institutions anciennes qui sont la base de toute. vie chrétienne, qui régissent la famille et garantissent la sainteté du mariage; négligée absolument ou faussée par une affection trop molle l’éducation des enfants; ravie même à l’Eglise la charge d’élever chrétiennement la jeunesse; oubli déplorable de. la pudeur chrétienne dans la vie ordinaire et dans le vêtement, surtout la mode féminine; convoitise effrénée des biens passagers; prédominance des intérêts particuliers; recherche sans règle de la faveur publique; critique de l’autorité légitime et enfin mépris de la parole divine où la foi même succombe ou du moins est mise gravement en danger.
A ces maux viennent mettre un comble soit la paresse et l’indifférence de ceux qui, à l’exemple des disciples qui dormaient ou s’enfuyaient, sentant. vaciller leur foi, abandonnent misérablement le Christ accablé d’angoisses ou bien entouré dos satellites de Satan, soit la perfidie de ceux qui suivant l’exemple du traître Judas, s’approchent de la communion avec une sacrilège témérité ou passent au camp adverse. Et c’est pourquoi, malgré Nous, Notre esprit est envahi par la pensée que les temps sont proches que Notre-Seigneur a prédits: « Et parce que l’iniquité a abondé, l’amour de beaucoup se refroidira (Matth., XXIV, 12).
Tous les fidèles qui auront pieusement médité ces faits ne pourront s’empêcher de ressentir un ardent amour pour le Christ dans sa passion, d’expier avec un zèle plus actif leurs fautes et celles du prochain, d’offrir à Jésus une amende honorable et de promouvoir le salut éternel des âmes. La parole de l’Apôtre: « Où abonda le péché, la grâce surabonde" (Rom., V, 30), petit s’appliquer d’une certaine façon à notre époque; tandis que la malice des hommes monte sans cesse, le souffle de l’Esprit-Saint multiplie merveilleusement le nombre des fidèles de l’un et de l’autre sexe, qui, généreusement, veillent à réparer tant d’injures faites au divin Cœur et qui n’hésitent même pas à s’offrir eux-mêmes au Christ comme victimes. Si l’on médite, en effet, avec amour, tout ce que Nous avons exposé et si l’on s’imprègne de cette pensée on se sent poussé non seulement à considérer le péché comme le souverain mal et à s’en éloigner, mais aussi à se vouer tout entier à la volonté de Dieu, et à réparer de tous ses efforts l’honneur de la divine Majesté outragée, cela par une prière continuelle. par la mortification volontaire, par le support des adversités qui peuvent nous surprendre, enfin par une vie tout entière consacrée à l’expiation.
C’est de cette pensée que naquirent plusieurs Congrégations d’hommes et de femmes qui, avec un zèle empressé, se proposent de remplir jour et nuit, en une certaine manière, le rôle de l’ange qui consolait Jésus au Jardin des Oliviers; de là, les pieuses associations approuvées par le Saint-Siège et enrichies d’indulgences qui ont pris ce rôle de réparateurs. s’imposant des exercices de piété et des vertus en rapport avec cette tâche; de là, en un mot, les pratiques ayant pour but de réparer l’honneur divin outragé et les amendes honorables, de la part des personnes privées et aussi, ça et là, des paroisses, des diocèses et des cités.
C’est pourquoi, Vénérables Frères, de même que la pratique de la consécration au Sacré Cœur, commencée bien humblement, se répandit au loin et obtint, par Notre décision, son couronnement, de même, c’est Notre très vif désir de sanctionner de Notre suprême autorité apostolique la pratique de cette amende honorable déjà introduite et propagée dans une pensée sainte et de voir l’univers catholique l’accomplir avec une grande solennité. Aussi, Nous or-donnons et prescrivons que, chaque année, en la fête du Sacré Cœur de Jésus - qu’à cette occasion Nous avons décidé d’élever au rite double de première classe avec octave - dans toutes les églises du monde entier, soit récitée solennellement l’amende honorable à Notre Sauveur très aimant, selon la formule même qui est jointe à cette Encyclique, afin que toutes nos fautes soient déplorées et que soient réparés les droits outragés du Christ, souverain Roi et Seigneur très aimant.
Sans aucun doute, Vénérables Frères, l’institution de cette sainte dévotion, étendue à l’Eglise entière, apportera de nombreux et grands bienfaits non seulement aux personnes privées, mais à l’Eglise; à l’Etat et à la famille: Notre Rédempteur a, en effet, promis lui-même à Marguerite-Marie, que « tous ceux qui honoreraient ainsi son Cœur, recevraient d’abondantes grâces célestes ». Les pécheurs « contemplant Celui qu’ils ont transpercé » (Jean, XIX, 37), émus par les pleurs et les gémissements de toute l’Eglise, « rentreront en eux-mêmes » (Isaïe, XLVI, 8), et regretteront les injures faites au Souverain Roi. de peur que, s’obstinant dans le péché, ils ne pleurent trop tard et en vain sur lui (Cf. Apoc., I, 7), quand ils verront « venant sur les nuées du ciel » (Matth., XXVI, 64) Celui qu’ils ont tué. Les justes se justifieront et se sanctifieront encore davantage (Cf. Apoc. XXII, 11), et se consacreront tout entiers avec un nouvel amour, au service de leur Roi, qu’ils voient en butte à tant d’assauts et d’attaques, accablé de tant et de si graves outrages; mais ils s’enflammeront surtout de zèle pour le salut des âmes, quand ils auront accoutumé de méditer la plainte de la divine Victime: « A quoi sert mon sang? » (Ps. XIX, 10), et aussi la joie du Sacré Cœur de Jésus « sur un seul pécheur qui fait pénitence » (Luc., XV, 4).
C’est Notre désir principal et Notre plus vive espérance que la justice de Dieu, qui eût, dans sa miséricorde, épargné Sodome pour dix justes, épargnera à plus forte raison le genre humain, devant les supplications et les réparations offertes par toute la communauté chrétienne, en tout lieu et de toute race, en union avec le Christ, son Médiateur et son Chef.
Daigne la très bienveillante Vierge, Mère de Dieu, bénir Nos vœux et Nos efforts, elle qui nous donna Jésus, le Rédempteur, qui le nourrit, qui l’offrit en sacrifice au pied de la croix et qui par son admirable union avec le Christ et une grâce toute particulière, fut Réparatrice et est appelée de ce titre.
Nous confiant en son intercession auprès du Christ qui, unique « Médiateur entre Dieu et les hommes » (I Tir., II, 5), a voulu s’associer sa Mère comme avocate des pécheurs, dispensatrice et médiatrice de grâce, Nous vous accordons de tout cœur, Vénérables Frères, comme gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, à vous et à tout votre troupeau, la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 mai de l’an 1928, de Notre pontificat le septième.
Acte de réparation au Sacré Cœur de Jésus.
Très doux Jésus, dont l’immense amour pour les hommes a été avec tant d’ingratitude payé par l’oubli, la négligence, le mépris, voici que, prosternés devant vos autels, nous voulons réparer par des témoignages particuliers d’honneur une froideur si in-digne et les injures qui blessent de toutes parts votre Cœur très aimant.
Nous souvenant toutefois que nous n’avons pas toujours été, nous non plus, exempts de cette indignité et en ressentant une très profonde douleur, nous implorons tout d’abord sur nous votre miséricorde, disposés à réparer par une expiation volontaire non seulement les péchés que nous avons commis nous-mêmes, mais encore les fautes de ceux qui, égarés loin de la voie du salut, refusent de vous suivre comme leur pasteur et leur guide, s’obstinant dans leur infidélité, ou qui, reniant les promesses de leur baptême, ont secoué le joug très suave de votre loi.
Ces crimes déplorables que nous voulons expier tous, nous nous proposons aussi de les réparer chacun en particulier: l’immodestie et les hontes de la conduite et des vêtements; les embûches tendues par la corruption aux âmes innocentes, la violation des fêtes, les outrages odieux lancés contre vous et vos saints, ainsi que les insultes adressées à votre Vicaire et à l’ordre sacerdotal, la négligence à l’égard du Sacrement du divin amour ou sa profanation par d’horribles sacrilèges, enfin les crimes publics des nations qui combattent les droits et le magistère de l’Eglise que vous avez instituée.
Que ne nous est-il donné de pouvoir laver ces cri-mes de notre sang! Pour réparer l’honneur divin outragé, nous vous présentons, unie aux expiations de la Vierge Marie, de tous les saints et des fidèles pieux, l’expiation que vous avez un jour offerte au Père sur la croix et que vous continuez de renouveler chaque jour sur les autels; nous vous promettons de tout notre Cœur de réparer pour autant qu’il sera en nous et avec le secours de votre grâce nos fautes passées comme celles des autres et une si grande négligence de votre amour par une foi inébranlable. par une vie pure, par l’observation parfaite de la loi évangélique, en particulier de la charité, d’empêcher selon nos forces les offenses qui s’adresseraient à vous et d’amener le plus d’hommes possible â votre suite.
Très bon Jésus, recevez, nous vous en prions, par l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie Réparatrice, l’hommage volontaire de notre expiation et daignez, par le don précieux de la persévérance, nous garder fidèles jusqu’à la mort dans votre obéissance et votre service, afin que nous parvenions en-fin tous à cette patrie où vous vivez et régnez, vrai Dieu, avec le Père et l’Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.