ICRSP


Sermon pour la Fête du Christ Roi 2003

 

Mon Père,

Messieurs les abbés,

Chers amis de l’Institut du Christ Roi,

Si la fête que nous célébrons aujourd'hui est d'institution relativement récente (elle date du pontificat du Pape Pie XI), la vérité qu'elle doit mettre en lumière a été de tout temps un objet de foi pour les chrétiens, car elle se trouve clairement énoncée dans les Livres Saints.

La royauté est une prérogative essentielle de la personne adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; tellement essentielle, que l'archange Gabriel n'a garde de la passer sous silence lorsque, le jour de l'Annonciation, il trace à l'intention de Marie le portrait moral du Fils qui doit naître d'elle : « Il sera appelé le Fils du Très-Haut ; Dieu lui donnera le trône de son ancêtre David et il régnera sans fin sur la maison de Jacob » (Luc, 1, 32).

Cette affirmation inaugure la vie terrestre de Jésus. C'est elle encore qui la terminera.

Si la Passion n'est que la parodie d'une intronisation royale, si le manteau blanc donné par Hérode, le manteau de pourpre donné par les soldats à Jésus, les hommages dérisoires, la couronne d'épines, la crucifixion entre deux larrons veulent être une insulte, ils attestent par contre le fait que Notre-Seigneux s'est dit roi.

Là est le grief au moyen duquel les chefs du peuple juif arracheront au faible Pilate une sentence de mort ; c'est la crainte de ne pas paraître s'opposer avec assez de zèle à un rival de César qui fera fléchir la résistance du gouverneur romain.

Tel sera aussi le motif de condamnation qui pour la postérité sera gravé sur l'écriteau surmontant la croix.

Roi, Jésus se présente comme tel à l'humanité et c'est bien aussi comme tel que nous le reconnaissons, éclairés par sa parole infaillible. Sa royauté est fondée sur les titres les plus légitimes ; elle possède tous les attributs attachés à la souveraineté ; enfin elle est universelle.

Voyons-la brièvement sous ces trois aspects.

I.1. Elle dérive d'abord d'un mandat formel de Dieu. « Tout pouvoir vient de Dieu » (Rom., XIII, 1).

Cette parole s'applique à toute parcelle d'autorité, mais surtout à l'autorité suprême. Plus celle-ci est élevée, plus importante aussi est la délégation consentie par Dieu au profit d'une créature, lorsqu'il lui cède une part de la puissance que seul il détient par droit originaire, puisqu'il est l'auteur de toutes choses.

Différents sont les modes suivant lesquels un homme se trouve préposé à son semblable. Le plus souvent, ils sont déterminés par une loi humaine que Dieu ratifie, qu’il s'agisse d'hérédité, d'élection, du libre choix d'un supérieur. A propos de Notre-Seigneur, Dieu intervient directement.

Déjà un psaume nous le montre déclarant à son Fils « Demande-les moi et je te donnerai les nations en héritage... » (Ps. II, 8). Dès le début du Nouveau Testament, nous connaissons sa volonté par l'expression que lui en donne saint Gabriel. Et nombreuses seront les manifestations de cette volonté :

- C'est le geste des Mages qui apportent au divin Enfant l'or dû à un roi, car ils sont guidés par une inspiration céleste.

- Ce sont les miracles, qui attestent la vérité des paroles de Jésus lorsqu'il se déclare plus grand que Moïse, maître même du sabat, exempt de l’impôt dû pour le Temple par tous les Juifs.

- C'est la Résurrection, qui rend Jésus vainqueur de la mort et de toutes les puissances infernales, et surtout l'Ascension qui l'élève, au plus haut des cieux. Alors se vérifie la prophétie contenue dans un psaume : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Prends place à ma droite, jusqu'à ce que je place tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds » (Ps. CIX, 1-2).

Alors Jésus devient le Roi de gloire qui pénètre, après avoir franchi les portes éternelles jusqu'au plus haut des cieux et y prend possession de son trône, où il siégera pendant toute l'éternité.

I.2. Roi, il l'est encore par droit de naissance, à cause de la dignité incomparable dont il jouit.

Comme Dieu, il est en tout égal à son Père céleste et il partage sans réserve l'autorité suprême dont Dieu le Père est le détenteur.

En tant qu'homme, l'union hypostatique qui l'associe dans l'unité de personne avec Dieu le Fils lui confie un privilège qui l'élève infiniment au dessus des autres hommes.

Cette primauté d'honneur entraîne celle de juridiction, car on ne saurait le concevoir comme subordonné à quelque puissance terrestre que ce soit, sans que la divinité soit par le fait même abaissée d'une manière indigne d'elle.

I.3. Roi, Jésus l'est encore par droit de conquête.

Le péché nous avait placés sous la domination de Satan. Celui-ci était ainsi devenu le « prince de ce monde », et il devait le demeurer tant que subsisterait la sentence en vertu de laquelle il était constitué le geôlier de l'humanité.

Par sa Passion, Notre-Seigneur a triomphé du démon et de toutes les forces du mal ; il a expié nos péchés et nous a réconciliés avec Dieu. La captivité sous laquelle nous gémissions a donc pris fin. Nous sommes rendus à la sainte liberté des enfants de Dieu.

Mais celui qui a brisé nos chaînes a acquis des droits sur nous. Un conquérant gouverne en maître le territoire conquis, jusqu'à ce que la paix intervienne. Entre Jésus et Satan, comme entre le bien et le mal, aucune paix n'est possible. Nous le savons, frères très chers, c’est Dieu qui vaincra à la fin, car nul ne peut lui résiter.

Conquérant du monde, Notre-Seigneur en restera donc à jamais le chef. Et à quel prix nous a-t-il rachetés ? Au prix du sang d’un Dieu. Qui pourra jamais le surpasser ?

La royauté du Christ est loin, vous le voyez, de se borner à un caractère symbolique, comme on voudrait nous le faire croire aujourd’hui : elle se vérifie selon tout le sens du mot.

On peut déjà l'entendre du fait que Notre-Seigneur captive les intelligences par la vérité qu'il leur dispense, règne sur les volontés par la rectitude de la science, la vie de disciple qu'il leur présente, l’entraînement de son exemple, se concilie les coeurs par la grandeur de ses bienfaits.

Mais surtout, il possède les pouvoirs qui constituent l'essentiel du gouvernement suprême.

II.1. Il se présente en législateur dont les décisions sont sans appel : « Le ciel et la terre passeront, dit-il, mais mes paroles ne passeront pas » (Marc, XIII, 31).

Dès le commencement de sa vie publique, il promulgue les Béatitudes, résumé d'une loi inconnue jusque là. Cette loi n'abroge pas celle sous le régime de laquelle le peuple juif avait vécu : elle la ramène à sa pureté primitive, elle la rend plus parfaite, elle lui infuse l’esprit d'amour en bannissant la crainte servile.

De là l'accent mis sur les dispositions intimes requises ; de là le rejet d’un formalisme étroit ; de là la préférence donnée au repentir sur l'orgueil de la pureté légale.

Sa doctrine étant l'expression de la vérité s’impose à l’adhésion de l’esprit. « Celui qui croira et recevra le baptême sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné », lit-on en saint Marc.

Ses divins enseignements doivent être observés sous peine de damnation : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, dit-il à un jeune homme, observe les commandements » (Mat., XIX, 17).

A côté des ordres divins prennent place des conseils de perfection très utiles, dont personne n'avait encore parlé, mais que Jésus formule parce qu'il sait quels secours il est disposé à accorder à la volonté humaine et quelles récompenses magnifiques il lui réserve si elle le suit jusqu'à ce degré de générosité.

Il institue des sacrements qu'il déclare indispensables : « Si on ne renaît par l'eau et l'esprit, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jo., III, 5)... « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon Sang vous n'aurez point la vie en vous » (Jo., VI, 54).

A ses apôtres il commande de renouveler son sacrifice, de prêcher le message évangélique. Il met saint Pierre à leur tête avec la mission de paître le troupeau fidèle.

Après eux leurs successeurs continueront leur tâche. Les uns et les autres seront en butte à la persécution ; on cherchera à les intimider, on leur infligera de mauvais traitements ; on les fera mourir s'ils refusent de s'incliner ; mais Notre-Seigneur s'affirme supérieur à tous les rois temporels ; en cas de conflit, c'est lui qui mérite l'obéissance et en définitive sa cause triomphera : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jo., IV, 33).

II.2. Le pouvoir de porter des lois serait vain s'il n'était accompagné de celui de les faire exécuter.

Nous savons quelle belle récompense est attachée dans l’au-delà à l'obéissance fidèle à la volonté de Notre-Seigneur ; celle-ci s'impose en effet, comme une condition de vie ou de mort.

Mais dès cette terre les apôtres et leurs successeurs, investis d'une autorité émanant de celle du Maître, pourront réprimer les contestataires, les rebelles, ceux qui préfèrent la devise du diable ‘Non serviam’.

En effet, l’Eglise est Mère et Maîtresse, selon la belle expression du Bx Pape Jean XXIII. Elle a donc le pouvoir et le devoir de faire exécuter lmes lois divines pour conduire ses enfants au salut éternel.

Refuser de faire appliquer les lois divines, refuser d’employer des moyens coercitifs voulus de Dieu pour guérir, pour corriger, pour porter au bien, serait une erreur funeste et mortelle. Le Cardinal Siri sans cesse nous le répétait : l’Eglise au cours de son histoire est toujours allé de l’avant en condamant clairement l’erreur, et en annonçant la Vérité du Christ Jésus notre Roi.

C’est là son devoir, et un devoir de charité, pour éviter que les âmes ne se perdent et que les hommes vivent comme de nos jours dans la confusion et le chaos.

Rappelez-vous la prémonition du Pape Pie XI, dans son encyclique Quas Primas, au sujet de la responsabilité de nos dirigeants et des conséquences funestes pour l’humanité, si le Christ ne règne point.

« Les Etats, à leur tour, apprendront par la célébration annuelle de cette fête que les gouvernants et les magistrats ont l’obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d’obéir à ses lois. Les chefs de la société civile se rappelleront, de leur côté, le dernier jugement, où le Christ accusera ceux qui l’ont expulsé de la vie publique, mais aussi ceux qui l’ont dédaigneusement mis de côté ou ignoré, et punira de pareils outrages par les châtiments les plus terribles ; car sa dignité royale exige que l’Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l’établissement des lois, dans l’administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse, qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des mœurs. »

II.3. Un troisième aspect du pouvoir royal est la faculté de juger.

Le prince jouit du droit d’interpréter ses propres lois et de les appliquer à des cas particuliers. Il prononce si une loi a été observée ou violée et, dans cette dernière hypothèse, il prononce la sentence convenable.

Si une contestation vient à s'élever entre particuliers, c'est lui qui tranche le diffférend en précisant les droits et les devoirs de chacun. Il le fait avec une autorité qui impose sa sanction.

Le Maître, Notre Seigneur Jésus Christ, est là qui veille. Son jugement est juste et plein de miséricorde.

Telle est bien la puissance qui appartient à Notre-Seigneur « Le Père ne juge personne, mais il a remis au Fils tout jugement » (Jo., V, 22).

Cette fonction ne trouve pas pleinement ici-bas son exercice normal ; nous sommes ici dans un temps d'épreuve. Notre volonté est laissée à elle-même : elle peut à son gré s'infléchir dans le sens du bien et du mal. Notre volonté peut suivre notre Roi et Sauveur ou devenir esclave du Prince des ténèbres.

Chacun de nos actes conscients s'inscrit dans le livre qui servira à notre jugement ; il y figure avec son degré exact de mérite ou de démérite.

Suivant les vicissitudes de notre conduite, nous sommes dans l’amitié de Dieu ou nous encourons sa colère, nous sommes dignes de récompense ou de châtiment, notre couronne future reçoit un embellissement ou la damnation est suspendue sur notre tête.

En cela nous sommes bien libres. Notre avenir – que dis-je ? – notre éternité nous appartient !

Lorsque la mort viendra, elle nous fixera définitivement dans l'état où elle nous trouvera. Nous comparaîtrons alors devant le tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui pèsera l’amour effectif contenu dans nos vies de chrétiens.

 

III.La royauté de Notre-Seigneur est universelle : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mat., XVIII, 18).

Tout, ce mot ne souffre pas d’exception : il s’étend à l'ordre temporel aussi bien qu'à l'ordre spirituel ou surnaturel.

Toutefois Notre-Seigneur n'est pas venu pour détrôner dès à présent les rois de la terre : « Mon royaume, dit-il encore, n'est pas de ce monde » (Jo., XVIII, 36).

Comme on lui demandait un jour d'arbitrer une question d'héritage il répondit : « Homme, qui m'a constitué votre juge ? » (Luc, XII, 14).

Bien qu'il ait le droit de légiférer sur ce point, il laisse les morts ensevelir leurs morts, les hommes d'affaires exercer leur négoce, les travailleurs gagner leur salaire. Il ne s’occupe d’eux que dans la mesure où leur activité est conforme ou non à sa loi d’amour et de vérité.

Et aussi dans l'ordre spirituel nul ne peut se soustraire à son autorité.

Celle-ci ne s'exerce pas ici-bas au moyen de la contrainte physique ; elle veut se faire accepter bien plus que s’imposer. Notre-Seigneur veut nous rallier à lui par ses bienfaits plus que par la terreur des châtiments.

Beaucoup se rangent parmi ses brebis fidèles. D'autres prétendent n'agir qu’à leur guise ; Notre-Seigneur est patient à leur égard. Comme le bon pasteur cherchant la brebis perdue, il les sollicite par sa grâce de revenir à lui.

Il règne sur les individus. Il règne aussi sur les sociétés et les nations. Celles-ci peuvent, comme ceux-là, rejeter sa domination bienfaisante. Elles peuvent prétendre s’ériger en arbitres souverains de leur destinées.

Elles le font, hélas ! aujourd'hui en grand nombre. L'athéisme est le grand mal des sociétés contemporaines. Elles veulent n’avoir d’autre loi que celle des droits de l’homme sans Dieu. Elles ignorent officiellement l'existence de Dieu et les devoirs qui s’imposent envers lui.

Mais, comme nous le chantons dans une Antienne des Laudes : « La nation qui ne servira pas le Christ périra. » Qu’en sera-t-il de notre Europe, qui malgré la voix courageuse de notre saint Père le Pape Jean Paul II, Vicaire du Christ, refuse avec une hostilité farouche et une égale stupidité, la référence au christianisme dans sa future constitution, alors qu’il est pourtant bien à l’origine de l’Europe que nous connaissons.

Hors de la loi du Christ, la science humaine elle-même, dont les générations actuelles sont si fières, se retourne contre ses détenteurs pour causer leur malheur.

Notre époque est bien semblable de celle de la construction de la tour de Babel.

Combien, en comparaison des récentes convulsions qui secouent le monde – et qui vont bien le secouer dans un avenir proche – le joug du Christ est suave et son fardeau léger ! Il nous porte plutôt que nous le portons.

Moyennant la lutte contre les passions, contre l’égoïsme et la cupidité, qui sont et seront toujours causes de conflits de plus en plus terribles, nous avons, nous membres de l’Institut du Christ Roi, à notre petite et modeste place, le devoir de rappeler que seul Notre-Seigneur est cause de paix et de prospérité, tant dans les cœurs et les âmes, que dans les familles, les sociétés, les nations et même l’Eglise. Puisse-t-on un jour le reconnaître !

Notre-Seigneur règne en tous lieux : sur terre, au ciel et dans les enfers tout genou doit fléchir quand son nom béni est prononcé.

Les élus l'adorent avec des transports d'amour ; les démons et les damnés obéissent avec colère et désespoir ; les événements qui se produisent sur terre n’ont lieu que sur l’ordre ou la permission de Jésus-Christ.

Il viendra un moment, selon les Ecritures et l’enseignement de l’Eglise, où une terre nouvelle surgira ; l’humanité alors sera partagée entre les élus et les réprouvés.

Cet état de choses durera éternellement, car la royauté du Christ n’aura pas de terme.

Nous l’espérons et nous n’épargnerons rien dans ce but : nous serons pendant l’éternité les sujets de ce roi plein de douceur. A lui rendre nos hommages nous éprouverons une joie qui surpasse notre entendement.

Nous lui répéterons sans nous lasser, comme la Sainte Eglise fait dire chaque jour à ses ministres au cours de l'office divin. « Au Roi immortel, à Dieu seul, honneur et gloire dans les siècles des siècles. »

Ainsi soit-il.