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Sermon prononcé pour les obsèques de

BRUNO VALADIER

le 13 juillet 2006 à l'église Saint Louis du Port Marly par Monsieur l'abbé JAYR,

prêtre de l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre.

 

 

Les moments tragiques que nous avons vécu, le drame qui nous bouleverse tous, nous inspirent plus le silence que la parole.

A Gricigliano, les âmes, encore tout imprégnées des mystères joyeux des ordinations, se trouvèrent subitement précipitées dans les mystères douloureux.

L'Eglise rassemble ses enfants dans les joies comme dans les peines : tout vient de Dieu et tout doit Lui retourner.

Subitement, l'âme jeune et ardente de Bruno s'en est allée. Le caractère subit, inattendu de cet envol laisse en nous une empreinte à vif. Sa voix s'est tue, mais en nous elle parle encore. Cette nature discrète révélait une âme transparente : pour les grandes choses, celles de la vie intérieure, il se confiait aisément pour combler un désir : celui de progresser.

Chacun ici se souvient de lui, servant discret mais toujours fidèle dans cette église du Port Marly. Il aimait servir la messe car, disait-il : "On suit mieux la messe au chœur que dans la nef.".

Nous avons tous encore à la mémoire Bruno lors de la procession de la fête Dieu faisant office de sous-diacre.

Un prêtre n'est pas là pour dire le secret des âmes, mais je peux vous dire que cette âme ardente et discrète désirait profondément progresser sur la voix de la sainteté et qu'il avait profondément enraciné dans son âme le désir d'être saint, ce désir sans lequel la vie chrétienne serait sans flamme. Il est vrai qu'il cachait une sensibilité fine à l'excès derrière un air détaché qui lui permettait certainement de se protéger.

La vie scoute, les responsabilités de chef de patrouille l'avait fait grandir intérieurement. 

Nous ne sommes pas là pour faire un éloge académique mais les heures si difficiles que nous avons vécues il y a à peine une semaine nous poussent à monter sur les hauteurs pour voir les évènements d'en haut car le premier réflexe consiste à dire : "Pourquoi Seigneur ? Pourquoi lui ? "

Nous sommes donc au cœur du mystère du mal.

C'est une question difficile et l'on comprend bien que face à lui Marthe dise :"Seigneur si vous aviez été là, mon frère ne serait pas mort." C'est un cri du cœur. C'est d'ailleurs plus un cri du cœur qu'un raisonnement. Eh bien justement, cette question du mal, de la croix, de la souffrance ne trouve pas de réponse du côté de la raison. Voilà pourquoi elle est un cri du cœur et la seule réponse : c'est une réponse de foi.

Face au mystère du mal, face à l'épreuve, on peut se révolter, on peut se briser, on peut se fermer aussi, se recroqueviller sur soi. On peut aussi devenir stoïcien (c'est plus rare à notre époque), mais ce n'est jamais une solution. Dans tous les cas, on est seul, terriblement seul et c'est justement cette solitude qui fait souffrir. La seule réponse est du côté de la foi. Dieu nous a créé pour le bonheur et la souffrance n'est pas de Lui. Elle est une conséquence de la blessure du péché originel. Voila pourquoi nous butons dessus. La seule réponse est de l'ordre de la Rédemption. Depuis que Jésus Christ, vrai Dieu et vrai Homme, a souffert, depuis qu'il a pris sur Lui toutes les souffrances de tous les hommes de tous les temps, alors, cette absurde souffrance trouve un sens, un sens de Rédemption, un sens de sauvetage.

Mystère de la croix, souffrance offerte et transcendée.

Ce que nous vivons aujourd'hui, notre Institut, notre paroisse de Port Marly sous le choc, nous fait toucher la primauté de l'esprit. L'homme n'est pas qu'un agrégat d'atomes, l'esprit domine sur la matière parce que l'on est relié à l'Esprit-Saint.

Cette messe célébrée aujourd'hui dépasse infiniment en grandeur l'émotion de chacun de nos cœurs. Elle n'est pas célébrée en l'honneur mais plutôt en faveur de Bruno.

Elle est donc l'occasion de prier pour le repos de son âme mais aussi de méditer sur la souffrance, la croix, le sens de la vie, la fragilité de la vie, notre propre fragilité. Chacun de nous se sent faible et fragile.

C'est important parce que justement, le monde dans lequel nous vivons exige le "zéro défaut", la maîtrise absolue telle que le Malin l'a suggérée à Eve. Et pourtant il y a une certitude : on commence notre vie fragile, on la finit fragile et entre les deux on fait semblant de ne pas l'être. La fragilité nous fait comprendre le besoin de l'autre; c'est la fragilité qui suscite la communauté de la famille et le vrai sens de la vie consiste à veiller les uns sur la fragilité des autres.

N'oublions pas qu'il y a une béatitude des larmes parmi les huit béatitudes énoncées par Notre Seigneur. Cette grâce des larmes est peut être la plus précieuse et la plus désirable de toutes parce qu'elle ne comporte ni présomption, ni révolte, ni désespoir. Les larmes jaillissent du rocher de notre cœur comme les eaux de Mériba dans le désert. Remarquez que Saint Paul ne nous dit pas de ne pas pleurer. D'ailleurs Jésus lui-même a pleuré devant le tombeau de son ami Lazare donnant par là un témoignage supplémentaire de son humanité. Saint Paul nous dit de ne pas pleurer comme ceux qui n'ont pas d'espérance, c'est à dire de ne pas pleurer en manquant d'espérance.

Il va donc falloir que nos cœurs qui sont souvent des cœurs de pierre s'attendrissent et, petit à petit, à la chaleur d'un feu doux qui est celui de la douceur de Dieu, se liquéfient. Alors, il n'y aura plus de conflit entre le cœur de pierre et le cœur de chair parce qu'il n'y aura plus de cœur de pierre. Ce sera la paix telle que Jésus la donne : la sainteté. Un saint est quelqu'un dont le cœur de pierre a été englouti dans la tendresse du cœur de Dieu.

L'impression qui nous restera toujours des moments pourtant si cruels que nous avons traversés c'est qu'aucune de ces minutes, aucune de ces heures pourtant si difficiles n'ont manqué de grandeur et de beauté. Jamais nous n'oublierons Monseigneur Burke, archevêque de Saint-Louis traçant sur Bruno inanimé déposé sur la rive les onctions du sacrement. Image tragique mais grandiose, à jamais gravée dans nos âmes.

Nous nous sentions tous fragiles et cette immense tristesse ouvrait dans nos âmes un désert où la voix de Dieu se fait entendre. La mort n'est pas un point final, c'est plutôt une lampe qui s'éteint quand le jour se lève.

C'est par ces vérités que nous pouvons comprendre le sens de ces derniers évènements pourtant cruellement marqués par la souffrance. C'est une mort pleine d'immortalité. Elle nous rappelle aussi que nous sommes des pèlerins sur cette terre, que nous n'y sommes que de passage et pourtant nous avons une fâcheuse tendance à faire comme si nous y étions de manière définitive.

Notre présence ici relève de la foi et de la prière. Elle relève de la communion des saints, d'une véritable amitié spirituelle et d'une communion d'espérance. Nous savons l'importance que revêtait pour Bruno ses parents, sa famille, ses frères et sœurs, ses amis, et durant ce dernier jour, nous avons été spectateurs émerveillés et attendris de mille manifestations de cette amitié chrétienne et de ce bel esprit de famille autour de Saint Louis de Port Marly et de notre cher Institut du Christ Roi si éprouvés.

Aujourd'hui, Jésus nous veut au pied de la croix. Et comme l'Ami aime consoler, Il nous place aussi au cœur de la communion des saints car cet ami là ne nous laisse jamais dans une solitude désespérante. Durant cette messe, c'est Bruno que nous portons dans nos prières et l'affliction qui est la notre nous rend plus profonds, plus enracinés dans la foi, plus ardents dans la prière. Si nous savions la force de la prière, alors nous prierions sans cesse !

Prions donc avec confiance Notre Dame des Eclaireurs, la Vierge aux étoiles si chère au cœur de tous les scouts.

Prions-La par ces mêmes paroles qui concluent les veillées étoilées :

"Faites-nous quitter l'existence,

Joyeux et pleins d'abandon,

Comme un scout après les vacances,

S'en retourne à la Maison".

Ainsi soit-il