Conférence de M. Philippe Pichot-Bravard,
- Le Cardinal de Richelieu - Ministre très chrétien de Louis XIII Dans la soirée du 3 décembre 1642, alors que la santé du cardinal de Richelieu s’affaiblit de plus en plus, ses serviteurs s’approchent de son chevet pour lui dire qu’il ne faudrait plus différer de recevoir les sacrements de l’Eglise. On fait venir le confesseur du cardinal. Le père Léon de Saint-Jean demande au cardinal s’il pardonne à tous ses ennemis, si nombreux. La légende, colportée à dessein, et puisée d’ailleurs dans les Mémoires de quelques gentilshommes mécontents qui n’étaient pas là ce jour-là et qui détestaient le cardinal, prêtait au cardinal d’avoir répondu : « Je n’ai jamais eu d’autres ennemis que ceux de l’Etat. » En fait, le cardinal de Richelieu n’a jamais prononcé ces mots-là. A la question du père Léon de Saint-Jean, le cardinal a répondu : « De tout mon cœur comme je prie Dieu qu’Il me pardonne ». Cette anecdote illustre le malentendu qui entoura pendant trois siècles et demi la figure du cardinal de Richelieu, de cet homme qui fut sans doute le plus grand ministre qu’ait jamais eu la France. Pendant longtemps, historiens et écrivains, à l’instar d’Alexandre Dumas, ont popularisé l’image de « l’Homme rouge », cruel, machiavélique, tout entier consacré au service de l’Etat, usant et abusant de la froide Raison d’Etat pour parvenir à ses fins, tirant les ficelles et n’hésitant pas, tout cardinal qu’il était, à passer des alliances avec les princes protestants pour affronter des puissances catholiques. Ce portrait terrible est aujourd’hui fort heureusement revisité grâce aux travaux de plusieurs grands historiens : Roland Mounier, le P. Blet et Françoise Hildelsheimer. De ces recherches se dessine un portrait complètement différent : celui du grand ministre, qui n’a jamais cessé pour autant d’être un homme d’Eglise, celui d’un des plus grands évêques de la Contre-réforme, soucieux de servir l’Eglise tout en servant le Roi. Armand-Jean du Plessis de Richelieu est né en 1585. Il est mort en 1642. Il est devenu évêque très jeune, un peu trop jeune même, puisqu’il n’avait pas tout-à-fait l’âge requis. Sitôt nommé évêque de Luçon, au fin fond du Poitou, Richelieu s’est appliqué à sa mission épiscopale avec le plus grand soin, visitant ses paroisses, veillant à l’instruction de ses ouailles et s’affairant à ramener dans la bergerie romaine les nombreux protestants qui vivaient alors dans le Poitou. En 1614, il est élu aux Etats-Généraux et nommé par son ordre pour en être le porte-parole. A cette occasion, il demandera au Roi que les décrets du Concile de Trente soient reçus en France. Son ascension est fulgurante. Un an et demi plus tard, il entre pour la première fois au Conseil, auprès du Maréchal d’Ancre, en qualité de ministre des Affaires-Etrangères. Fin avril 1617, il est emporté dans la chute de Concini, disgracié. Il lui faudra cinq ans pour revenir en grâce. Louis XIII, qui apprécie à sa juste valeur l’influence saine et apaisante qu’il exerce sur la Reine-Mère, lui obtient en 1622 le chapeau de cardinal avant de le faire entrer au Conseil, en 1624. Au sein du Conseil, sa très haute intelligence lui permet de s’imposer rapidement face aux autres ministres ; au bout de quelques mois, il devient le principal ministre du Roi ; fonction qu’il devait conserver pendant dix-huit ans, jusqu’à sa mort. Il est à noter qu’aucun ministre en France n’a conservé aussi longtemps des fonctions aussi élevées. Seuls deux autres personnalités peuvent rivaliser avec Richelieu à cet égard : le Cardinal Mazarin et le Cardinal Fleury. La vie du cardinal de Richelieu est très riche. Je me contenterai, dès lors, d’insister sur quelques aspects. Richelieu avait le souci de faire du Roi de France « le Monarque le plus puissant du monde et le Prince le plus estimé. » Vaste et ambitieux programme. Cependant, tout en servant le Roi et l’Etat, Richelieu n’a jamais cessé de servir l’Eglise. Ces deux aspects constitueront les deux parties de cet exposé : Servir le Roi (I). Servir l’Eglise (II). I- Servir le Roi Pour comprendre ce que fut l’œuvre du Cardinal de Richelieu, il faut avoir à l’esprit l’état la France et de l’Europe au cours l’été 1624 au moment où il devient le principal ministre du roi Louis XIII. 1- Le Royaume de France n’a pas encore fini de panser les plaies des guerres de religions (1562-1598), lesquelles ont connu un soudain retour de flammes dans les années 1619-1620-1621, Ces guerres de religion, guerres avant tout politiques, marquées d’une part par des luttes d’influences entre clientèles féodales et, d’autre part, par le mécontentement des corps intermédiaires, et notamment de la noblesse, contre les nouveautés apportées dans le gouvernement par ce que les historiens ont appelé « la construction de l’Etat Moderne » : la compression des libertés des corps intermédiaires, l’alourdissement des impôts, les libertés prises par leur gouvernement, au nom de la nécessité des affaires, avec les antiques lois et coutumes du royaume, suscitent un fort mécontentement qui entraîne entre 1560 et 1660 des troubles intermittentes. Les antagonismes religieux entre huguenots et catholiques zélés ont fait le reste, exacerbant les passions. De ces guerres de religions, les Français sont sortis durablement traumatisés. Il faut s’imaginer l’horreur de ces guerres civiles : des villes prises, des chevauchées, des villages saccagés, des meurtres, des viols, des scènes de torture… Les Français aspirent à la paix, à la tranquillité ; ils ont la conviction profonde que cette paix que si l’autorité du Roi est respectée. Ils attendent du Roi le salut. « Le Roi est le soleil de son peuple », expression qui servira beaucoup sous Louis XIV mais qui est déjà bien présente sous Henri III, Henri IV et Louis XIII. Il faut dès lors mettre le Roi hors de toutes contestations, hors de portée des poignards. En 1589, Henri III a été assassiné, ce que la France a payé de dix années de guerres civiles, les pires années de cette longue guerre civile. Traumatisés, les Français ne veulent pas revivre ce qu’ils ont vécu entre 1589 et 1598. Lorsqu’Henri IV est à son tour assassiné, grande a été la crainte de voir revenir le temps des troubles. La doctrine du droit divin des rois, élaborée par des juristes, vise à conjurer de tels périls en plaçant le Roi entre Ciel et Terre, hors de toute contestation. Cette doctrine a été petit à petit reçue par les corps intermédiaires, par le Parlement, par les Etats-Généraux et, un peu plus tardivement, en 1626, par l’Assemblée du clergé elle-même. Dans les années qui suivent les guerres de Religion, l’obéissance à l’autorité est un thème omniprésent ; une obéissance rédemptrice, qui permettra à l’homme dont la méchanceté naturelle est apparue au cours des guerres, de se racheter. Cette aspiration est exprimée en 1605 par François de Malherbe dans un poème composé en l’honneur d’Henri IV : « La prière pour le Roi Henri allant en Limousin » :
« La terreur de son Nom rendra nos villes fortes On en gardera plus les murs ni les portes Les veilles cesseront au sommet de nos tours, Le fer mieux employé cultivera la terre Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre Si ce n’est pour danser n’ora plus de tambours. » 2- La scène internationale est alors dominée par l’Espagne. Depuis Charles Quint, l’Espagne est la première puissance du monde. Cette puissance s’est considérablement renforcée en 1580 lorsque Philippe II a absorbé l’Empire portugais. L’Espagne est un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Or la France est presque entièrement encerclée par les possessions de la Maison d’Autriche : l’Espagne au sud, les Pays-Bas au nord, le Saint Empire romain germanique et à la Franche-Comté à l’est, la Savoie et le Milanais au sud-est. La volonté de Richelieu et de Louis XIII, dont la continuité de la politique menée par Henri IV, est de secouer cette hégémonie et de rétablir l’équilibre entre la Maison de France et la Maison d’Autriche, ce que le Saint-Siège, par ailleurs, juge souhaitable. La volonté de Richelieu et de Louis XIII est de substituer à la prépondérance espagnole une prépondérance française. « Maintenant que la Rochelle est prise, si le Roi veut se rendre, le plus puissant monarque du monde et le prince le plus estimé, il faut avoir en dessein perpétuel à arrêter le cours des progrès de l’Espagne ». Pour atteindre un tel objectif, Richelieu entend faire respecter l’autorité du Roi au-dedans du royaume afin de faire de lui le prince le plus puissant au-dehors. Faire respecter l’autorité du prince au-dedans Dans son Testament politique, ouvrage qu’il rédige et qu’il dicte à ses secrétaires dans les mois qui précèdent sa mort, alors qu’il que sa fin est proche, afin de laisser au Roi les conseils nécessaires à la poursuite de la politique qu’ils ont menée ensemble, Richelieu rappelle ce que furent les objectifs poursuivis tout au long de son ministériat : « Ruiner le parti huguenot, ravaler l’orgueil des grands, soutenir une grande guerre contre des ennemis très puissants pour parvenir enfin à une bonne paix qui assure le repos pour l’avenir, a été proposée pour parvenir aux fins que je propose. ». Ces quelques mots résument la politique du Cardinal. Pour autant, de telles fins sont eux-mêmes subordonnés à une fin plus haute encore. Le premier fondement du bonheur d’un Etat est l’établissement du Règne de Dieu : « Le Règne de Dieu est le principe du gouvernement des états, et en effet c’est une chose si absolument nécessaire que sans son fondement il n’y a pas de prince qui puisse bien régner n’y d’état qui puisse être heureux. ». Pour atteindre ces objectifs, Richelieu a utilisé une méthode dont il souligne les bienfaits et la force. Il s’agit de gouverner par la raison : « L’homme ayant été créé raisonnable, il ne doit rien faire que par raison, puisse qu’autrement il serait contre sa nature. […] Si l’homme est souverainement raisonnable il doit souverainement faire régner la raison ; ce qui ne requiert pas seulement qu’il ne fasse rien sans elle, mais l’oblige de plus à faire, que tous ceux qui sont sous son autorité la révèrent et la suivent religieusement. […] Ainsi qu’il ne faut rien vouloir qui ne soit raisonnable et juste, il ne faut rien vouloir de tel qu’on ne fasse exécuter, et où les commandements soient suivis d’obéissance, parce qu’autrement la raison ne règnerait pas souverainement. […] La raison doit être le flambeau qui éclaire les princes en leur conduite et en celle de leurs états ». Richelieu oppose le gouvernement de la raison à celui des passions. La raison qu’il invoque n’a rien de cartésien. D’ailleurs Descartes publie son « Discours de la méthode » alors que Richelieu est sur le point de quitter ce monde. Il s’agit d’une raison thomiste. Une raison liée à la Foi. Ainsi, à la fin de sa vie, le providentialisme nourrit de plus en plus la politique du cardinal. L’année de Corbie, en 1636, Richelieu encourage Louis XIII a fait un vœu à la Vierge Marie avant que les armées entrent en campagne, vœu qui se concrétise le 10 février 1638. Dans la guerre contre l’Espagne, Richelieu escompte une intervention de la Sainte Vierge en faveur de la France. Le Vœu de Louis XIII demande à la Vierge d’éclairer le prince et ses ministres dans leur conduite. Un tel vœu est aux antipodes de la philosophie de Descartes. Dans le Testament de Richelieu, le mot « raison » apparaît cent vingt-huit fois ; une fois sur deux, ce mot est accolé à Dieu. Chez Richelieu, il y a une union intime de la Raison et de la Foi, celle-là même dont notre Saint Père le pape Benoit XVI ne cesse de souligner les bienfaits et les nécessités. Cette raison consiste d’abord pour le prince à s’entourer de bons conseillers : « un prince capable est un grand trésor en un état, un conseil habile et tel qu’il doit être n’en est pas un moindre mais le concert de tout les deux ensemble est inestimable, puisque c’est de là que dépend la félicité des Etats ». « Les conseillers doivent être capables, probes, forts et appliqués », ajoute-t-il. Ainsi, le gouvernement selon la raison repose sur l’union du Roi et de ses ministres. Ce trait essentiel nous conduit à nous interroger sur les relations qu’entretiennent Louis XIII et Richelieu. Entre 1624 et 1642, il a existé entre eux une identité de vues ; il a existé une union étroite, associant un Roi très jaloux de son autorité et un conseiller de qualité exceptionnelle qui sait qu’il n’est qu’un conseiller, qui se tient à sa place, car il a conscience que Louis XIII ne supporterait jamais que, d’une manière ou d’une autre, l’un de ses ministres, fusse le plus talentueux qui se puisse imaginer, empiète, ne serait-ce qu’une fois, sur des fonctions qu’il tient de Dieu et dont il n’a de compte à rendre qu’à Dieu. Si Richelieu avait, ne serait-ce qu’une fois, oublié ce fait fondamental, Louis XIII aurait su lui faire sentir qui était le maitre et que, au sein l’Etat, le puissant cardinal n’était rien sans la volonté du Roi, sans sa confiance et sans son appui. De là cet attelage étonnant, unique dans l’histoire ; de là cette collaboration exceptionnelle qui a duré dix-huit ans, reposant sur la confiance que le Roi accorde à un ministre d’une intelligence exceptionnelle, qu’il laisse agir, qu’il soutient contre les cabales, sans pour autant jamais le laisser gouverner à sa place. Comment Richelieu parvenait-il à emporter l’adhésion du Roi ? Le cardinal se servait de sa très haute intelligence, reconnue par tous. Les membres du Parlement, le premier président Matthieu Mollet dans ses Mémoires, l’avocat général Omer Talon dans les siennes, manifestent volontiers l’admiration qu’ils portent au cardinal. Ils sont éblouis par son intelligence, par son esprit brillant, par son éloquence lumineuse. Au sein du conseil, le cardinal de Richelieu fait le même effet à ceux qui l’écoutent. A chaque fois, Richelieu rapporte au Roi l’état de la question qui fait l’objet de la discussion. Il lui montre les différentes possibilités, les différents choix, donnant pour chacun le « pour » et le « contre », avant de laisser le Roi trancher. Bien entendu, la présentation qui est faite, l’ordre des arguments suggère au Roi une option, celle qui Richelieu juge la plus conforme au bien commun et à l’intérêt de l’Etat, celle que Louis XIII sera, très logiquement, amené à prendre. C’est de cette manière que Richelieu fait triompher dans le gouvernement la raison. Cette raison implique-t-elle le recours fréquent à la raison d’Etat ? La notion de raison d’Etat est alors au cœur de la réflexion politique. Le premier qui ait utilisé l’expression « raison d’Etat » est un écrivain florentin, Botero, auteur en 1589 d’un ouvrage intitulé Della Ragione del Stato. Botero définit ainsi la raison d’Etat : « L’Etat est une ferme domination sur les peuples et la raison d’Etat est la connaissance des moyens propres à fonder, conserver et agrandir une telle domination ». Sous sa plume, l’Etat n’est plus la chose publique ; il n’est plus un membre de l’Eglise, de la République Chrétienne universel, mais « une ferme domination sur les peuples ». La raison d’Etat est la connaissance des moyens propres à la conservation et à l’extension de cette domination. Botero a beau se défendre de marcher dans les pas de Machiavel, affreux personnage qui sent le souffre, et qui a été condamné par l’Eglise, il n’en demeure pas moins, malgré les nuances qu’il apporte et les précautions qu’il prend, qu’il n’est pas très loin de ce que conseillait Machiavel dans Le Prince. Le cardinal de Richelieu utilise rarement, dans son Testament, la notion de raison d’Etat ; trois fois seulement, dont deux fois pour la condamner, à propos de la vénalité des offices. La troisième fois, il y recourt pour justifier son attitude intransigeante dans l’affaire des duels. Les duels sont, l’époque, la plaie du royaume. Sous un prétexte ou un autre, pour une parole déplacée ou un regard insolent, les gentilshommes se donnent rendez-vous sur le pré pour y vider leur querelle. Leurs témoins ne se contentent pas d’assister à l’affrontement, ils y participent eux aussi. Un duel, six duellistes, ce qui donnent habituellement trois ou quatre morts et un blessé grave, car il serait déshonorant de s’arrêter au premier sang. Tous conservent le souvenir du fameux duel des Mignons, en avril 1578 : ce duel opposant des amis d’Henri III et des fidèles de Monsieur associés à ceux du duc de Guise, avaient été conclus par quatre morts. Les duels sont une plaie terrible pour le royaume : des centaines de gentilshommes, chaque année, se font tuer bêtement, au mépris des lois de l’Eglise et des édits du Roi. Richelieu est d’autant plus sensible à cette question que son propre frère, le marquis Henri de Richelieu, chef du nom, a été tué en duel en 1619, dans les fossés du château d’Angers, par le marquis de Thémines auquel il avait été préféré pour la charge de gouverneur d’Angers. Plusieurs édits ont été publiés pour interdire les duels ; ils sont tous restés lettre morte. Ils n’ont jamais été respectés parce que la peine de mort qui était promise aux duellistes n’a jamais été appliquée à quiconque, trait fréquent des institutions judiciaires d’un Ancien Régime en définitive très débonnaire qui combinait les dispositions législatives les plus sévères à des mœurs relativement douces. Louis XIII publie un nouvel édit qui promet l’échafaud aux gentilshommes duellistes. Deux gentilshommes se livrent à des provocations, défendant crânement leur liberté de se battre en duel. Il s’agit du comte de Montmorency-Bouteville et du chevalier des Capelles, deux figures téméraires de la jeunesse libertine. Ils se battent en duel en plein jour, à la vue de tous, avant de s’enfuir dans les Pays-Bas espagnols où ils obtiennent leur pardon. De retour à Paris, ils récidivent, à midi, Place Royale. Ils s’enfuient à nouveau, traînent un peu en chemin, s’arrêtent pour la nuit dans une auberge de Vitry-le-François, imprudence qui leur est fatale. Ils sont arrêtés, ramenés à Paris et condamnés par le Parlement. Se pose alors la question de la grâce. Dans son Testament, dix ans plus tard, Richelieu confesse le tourment que cette affaire fut pour sa conscience. En tant que chrétien, en tant qu’évêque, en tant que cardinal, il aurait dû solliciter du Roi la grâce des condamnés. Seulement, s’il l’avait, si le Roi avait gracié le comte de Montmorency-Bouteville et le chevalier des Capelles, l’édit serait, une fois encore resté lettre morte et la noblesse aurait continué à s’étriper. Il fallait faire exemple. Justice fut faite. Ce cas, longuement décortiqué par Richelieu montre la raison d’Etat relève pour lui de la casuistique. Il ne s’agit pas pour le prince de s’affranchir de la religion, de la morale et du droit naturel mais de considérer que la morale n’est pas la même pour le prince et pour l’homme parce que le prince doit prendre en compte le bien public. Il est un autre cas que Richelieu aurait pu aborder dans son Testament et qu’il voile pourtant d’un silence pudique. Parmi les personnalités qui ont été jugées, condamnées à mort et exécutées, il en est une, en particulier, qui fut traitée avec une sévérité manifestement injuste : il s’agit du Maréchal de Marillac, frère du garde des sceaux, arrêté, jugé par une commission extraordinaire et condamné à mort en 1632 pour des motifs qui ne justifiaient pas une telle sentence : s’il fallait couper la tête de tous ceux qui ont détourné de l’argent public, l’Etat deviendrait rapidement le théâtre d’une écœurante boucherie. Marillac étant l’un des adversaires de la politique de Richelieu, son élimination semble correspondre parfaitement au cas décrit par Machiavel dans le Prince : faire un exemple pour frapper de terreur le parti adverse. Bel exemple de mise en œuvre de la raison d’Etat. Si Richelieu n’aborde pas la question, c’est peut-être, ce que certains indices semblent confirmer, que l’exécution de Marillac n’a pas été voulu par lui mais par le Roi lui-même. Il aurait été dès lors très mal venu de justifier devant le Roi une décision voulue par lui et qui, par définition, n’a pas besoin d’être justifiée. La question de la raison d’Etat est également présente au cœur de la politique étrangère menée par le cardinal de Richelieu. Assurer la puissance du Roi au-dehors : L’Avis de 1629 fixe en ces termes les objectifs de la politique française : « Maintenant que La Rochelle est prise, si le Roi veut se rendre le plus puissant monarque du monde et le prince le plus estimé […] il faut avoir en dessein perpétuel à arrêter le cours des progrès de l’Espagne ». La volonté de faire du Roi de France le prince le plus puissant du Monde a conduit le cardinal de Richelieu à s’allier avec des puissances protestantes. La France a ainsi conclu des traités avec l’Angleterre, avec le Danemark et la Suède. Pourtant, à chaque fois, Richelieu se montre dans les négociations soucieux de défendre les intérêts de l’Eglise, notamment en veillant à améliorer le sort de catholiques vivant sous l’autorité du prince avec lequel la France s’allie. Ainsi, en 1624-1625, alors qu’il vient tout juste d’entrer au Conseil, Richelieu doit négocier les conditions du mariage entre le prince Charles et la princesse Henriette, sœur de Louis XIII. La princesse est appelée à épouser un prince schismatique dont le gouvernement persécute les catholiques, leur infligeant des amendes lorsqu’ils n’assistent pas aux offices anglicans. Les jésuites y sont exposés à être arrêtés, jugés et condamnés. Le Parlement est très hostile aux catholiques et contraint le Roi à prolonger des persécutions instaurées sous le règne de la reine Elisabeth 1er. Le cardinal de Richelieu s’emploie d’une part à négocier l’octroi par Rome des dispenses nécessaires, et il travaille d’autre part à convaincre l’Angleterre d’adoucir le régime des catholiques. Il obtient que la princesse Henriette conserve un entourage français catholique, que ses dames d’honneur soient catholiques et qu’il n’y ait pas auprès d’elle de dames d’honneur protestantes, qu’elle ait son aumônier, ses chapelains, lesquels pourront accueillir à leurs messes des Anglais catholiques. Il obtient que les mesures prises contre les catholiques anglais ne soient plus appliquées, notamment les amendes qui sont lourdes. Après le mariage, alors que Charles est devenu Roi, des frictions fréquentes opposent l’entourage du Roi et celui de la Reine ; ainsi le duc de Buckingham entend que la duchesse de Buckingham puisse monter dans les carrosses de la Reine mais se heurte aux refus réitérés de la Reine Henriette, qui argue de ce que la duchesse n’est pas catholique. Furieux, le Roi Charles finit par renvoyer tous les Français en France. La Reine Henriette se retrouve seule. En outre, le duc de Buckingham, afin d’apaiser le Parlement, prend de nouvelles mesures contre les catholiques anglais. Face à cette situation, Richelieu et Louis XIII manifestent la volonté de faire respecter le traité qu’ils ont signé avec l’Angleterre, de ne pas abandonner les catholiques anglais à leurs persécuteurs. Richelieu met fin au conflit qui oppose la France et l’Espagne à propos de la Valteline, et se rapproche de l’Espagne, à la grande satisfaction du Saint Siège. Louis XIII signe avec Philippe IV un traité d’alliance contre l’Angleterre, un traité, qui, malgré la méfiance qui persiste entre les deux puissances, prévoit une offensive militaire commune contre les côtes anglaises et irlandaises, offensive qui sera annulée à cause du débarquement des Anglais à la Rochelle. Pendant le siège de la Rochelle survient la succession des duchés de Mantoue et Montferrat. Le dernier duc de Mantoue, Vincent II, a, par testament, légué ses états au duc de Nevers, prince français ; ce qui, vous l’imaginez bien, déplait souverainement à l’Espagne. Une présence française à Mantoue ne pourrait que gêner davantage les communications entre les possessions espagnoles d’Italie et l’Europe du nord. Allié de l’Espagne, le duc de Savoie s’oppose à ce que le duc de Nevers prenne possession de Montferrat. De son côté, l’empereur décide de ne pas donner l’investiture de cette terre d’empire au duc de Nevers. Soudain, alors que la France bataille contre l’Angleterre protestante à La Rochelle, les relations entre la France et l’Espagne se détériorent brutalement. Le Saint-Siège n’est pas content. L’Espagne a pris le risque de briser l’union fragile des puissances catholiques. Urbain VIII se détache alors de l’Espagne et donne sa bénédiction à la politique menée par Richelieu pour contrer les progrès de l’Espagne. La succession de Mantoue conduira la France à intervenir militairement dans les Alpes, occupant Pignerol et le pas de Suse. Elle conduira aussi Richelieu à intervenir dans les affaires impériales. Le 13 juin 1630, l’empereur Ferdinand II a convoqué une diète à Ratisbonne afin que soit désigné comme Roi des Romains, c’est-à-dire comme futur empereur, son fils Ferdinand. Richelieu envoie à cette diète des émissaires pour obtenir de l’empereur la reconnaissance du duc de Nevers comme prince de Mantoue. A cette occasion, le père Joseph, alter ego du cardinal, l’Eminence Grise, prend langue avec le duc de Bavière que Richelieu verrait bien coiffer la couronne impériale. L’objectif de la politique française n’est pas de tendre la main aux princes protestants pour affaiblir la Maison d’Autriche, mais d’affaiblir la Maison d’Autriche en fortifiant la Maison de la Bavière. Cette intervention dans les affaires allemandes intervient en pleine guerre de Trente Ans. Le roi du Danemark a pris la tête des forces protestantes contre l’empereur. Il a été battu. Le roi de Suède est intervenu à son tour, intervention redoutable car la Suède est alors une grande puissance, dotée d’une armée que Gustave-Adolphe commande avec beaucoup de talent. Des négociations diplomatiques ont lieu entre la France et la Suède. L’alliance qui en résulte sera âprement reprochée à Richelieu. D’aucuns y verront le sacrifice des intérêts catholiques sur l’autel de la raison d’Etat. Tout cela mérite d’être sérieusement nuancé. Après des négociations laborieuses, Richelieu obtient du Roi de Suède, dans le traité de Bärwald signé le 23 janvier 1631, des conditions avantageuses pour les catholiques vivant dans les territoires que la Suède pourrait être amenée à conquérir en Allemagne : « S’il plait à Dieu concéder d’heureux succès au roi de Suède, dans les affaires de la religion dans les lieux qu’il occupera, il ne se comportera pas autrement que selon les lois de l’Empire ». Si Gustave-Adolphe s’empare d’une principauté catholique placée alors il devra respecter la religion des habitants catholiques de ce territoire ; dans les lieux où il trouvera l’exercice de la religion catholique romaine, elle sera maintenue intacte. Par ailleurs, tout en fournissant de l’argent au roi de Suède, Richelieu continue à négocier avec la Bavière. Tout en cherchant à porter le duc de Bavière à la tête de l’Empire, Richelieu s’emploie à convaincre le duc, ainsi que les Electeurs catholiques du Rhin, de se désolidariser de la Maison d’Autriche, de se replier dans la neutralité et de ne pas intervenir dans la guerre qui oppose l’Autriche et la Suède. Dans le même temps, il tente d’obtenir du Roi de Suède qu’il épargne les principautés catholiques des Electeurs du Rhin et qu’il n’aille pas ravager le duché de Bavière. Las, le duc de Bavière confirme son alliance avec l’Autriche. Le Roi de Suède se sert de ce prétexte en mai 1632 pour envahir la Bavière et s’emparer de Munich. Gustave-Adolphe s’apprêtait à marcher sur Vienne lorsqu’il est tué au combat. La satisfaction discrète que témoigne Richelieu à cette nouvelle marque bien l’ambiguïté des relations entre la France et a la Suède. Richelieu s’incline devant les desseins d’une Providence qui fait bien les choses en ôtant de ce monde un prince redoutable dont les succès risquaient de perturber durablement l’équilibre de l’Europe. Si Richelieu souhaite l’abaissement de la Maison d’Autriche, il ne veut pas son écrasement. Deux ans plus tard, après la défaite des Suédois face aux Espagnols à Nördlingen, l’Espagne, très sûres de sa puissance, décide de se retourner contre la France. Le cardinal veut éviter une guerre que la France n’est pas prête à soutenir. Le 8 mai 1635, dix jours avant la déclaration de guerre de la France à l’Espagne, le P. Joseph confie : « La véritable intention du roi de France est de faire aussi vite que possible une paix générale avec des garanties réciproques pour le futur. Ce sera un âge d’or comme au temps d’Auguste. ». Las, la guerre s’impose à la France. L’électorat de Trêves a été envahi quelques mois plus tôt. L’archevêque-électeur est prisonnier de l’Espagne. La France se doit secourir cet allié. Un ultimatum exige de l’Espagne que Trêves soit évacué. Il reste sans réponse. Le 19 mai 1635, un héraut d’armes porte à Bruxelles la déclaration de guerre de la France à l’Espagne. La France entre solennellement dans cette guerre de Trente ans, qui lui permettra, au prix de grands efforts, de s’imposer face à l’Espagne comme la première puissance du Monde. Nous le voyons, en affrontant la Maison d’Autriche, Richelieu a toujours eu le souci de ménager les intérêts catholiques et de préserver les princes catholiques d’Allemagne des ravages de la guerre de Trente Ans. Chez Richelieu, le souci de servir le Roi, et de faire de lui le prince le plus puissant du monde, ne lui fait pas oublier l’impérieux devoir de servir l’Eglise. II- Servir l’Eglise. Lorsque le cardinal de Richelieu devient le principal ministre de Louis XIII, en 1624, l’Eglise est portée par le souffle de la contre-réforme. Elle connaît une renaissance spirituelle spectaculaire, illustrée par de grandes figures de saints. La réception en France des canons du concile de Trente a été retardée par les fameuses libertés de l’Eglise gallicane. De ces libertés, chacun à sa lecture : le Roi, les évêques, le Parlement ne les définissent pas tout à fait de la même manière. Les plus intransigeants sont les parlementaires qui affirment la supériorité du concile sur le pape, rejetant le concordat de Bologne et le concile de Trente au nom de la pragmatique sanction de Bourges. En 1615, l’Assemblée du clergé par la voix de Monseigneur de Richelieu, évêque de Luçon, a demandé à la reine-mère Marie de Médicis et au roi Louis XIII que le concile de Trente soit officiellement reçu en France. La bénédiction royale a permis de surmonter l’opposition parlementaire. Richelieu, qui fut l’un des grands évêques de la Contre-réforme, a eu le souci, en sa qualité d’évêque de Luçon puis de principal ministre, d’encourager ce formidable élan spirituel. Dès son arrivée à Luçon, en 1608, Richelieu s’est consacré à sa tâche consciencieusement, s’occupant de ses fidèles, visitant ses paroisses, veillant à la conversion des protestants qui sont nombreux dans le Poitou. Sa vie spirituelle est intense ; elle le restera tout au long de son ministériat. Il fait oraison une heure chaque nuit, se lève très tôt, fait prêcher pour lui seul, célèbre la messe, en présence le Roi lors des grandes fêtes. Lorsqu’il sera ministre, il sera même le confesseur du Roi, ce qui est bien commode. Il le mettra notamment en garde contre les dangers du scrupule. Richelieu lie son bréviaire tous les jours. Lorsqu’en 1628 il ne pourra plus lire son bréviaire tous les jours, il demandera une dispense au pape, ce qui montre à quel point la question était importante pour lui. Sa vie de prière est riche. Les fruits en sont visibles dans ses écrits spirituels, souvent négligés des historiens. Richelieu, qui est l’un des hommes d’Etat qui écrivait le mieux, était à la fois un grand penseur politique mais aussi un écrivain spirituel estimé. Auteur de l’Instruction spirituel du chrétien en 1618, appelé également le Catéchisme de Luçon, dans lequel il explique mot-à-mot le Credo et les commandements de l’Eglise ainsi que les prières du Pater et de l’Ave, il a également publié les Principaux points de la Foi de l’Eglise Catholique adressés au roi par les quatre ministres de Charenton, ouvrage de réfutation des erreurs protestantes, auquel le pape Grégoire XV fera référence lorsqu’il accordera à Richelieu le chapeau de cardinal en septembre 1622 : « Dans la lutte que nous avons à soutenir contre le prince des ténèbres, ta science et ta piété ont été dans vos contrées comme un glaive de salut pour abattre l’orgueil des hérétiques et exercer une sainte vindicte parmi les peuples non croyants ». Richelieu a également écrit un Traité de perfection chrétienne, ouvrage rédigé en 1639, en pleine guerre de Trente Ans, alors que le royaume est menacé d’invasion. Ce traité insiste sur l’eucharistie, l’oraison, la confession. Il reprend l’idée très salésienne selon laquelle tout chrétien, quel qu’il soit, est destiné à la sainteté ; que cette sainteté n’est pas le privilège des prêtres et des moines, que tous doivent y tendre, notamment en remplissant leur devoir d’état. L’influence de saint François de Sales est visible dans les écrits du cardinal de Richelieu. Elle n’est pas surprenante. Lors de l’ambassade à laquelle il a participé en 1618-1619 à l’occasion du mariage du duc de Savoie avec la princesse Christine, saint François de Sales a passé plusieurs mois en France rencontrant toutes les personnalités marquantes de la France dévote : Madame Acarie, M Vincent, l’aumônier du général des galères… Il a également rencontré l’évêque de Luçon, qui, déjà, jouait un rôle important dans les affaires du royaume. Grand évêque tridentin, Richelieu n’a pas cessé de s’occuper du bien de l’Eglise une fois ministre, bien au contraire. Il s’est servi de son pouvoir pour faciliter la renaissance catholique. Saint François de Sales lui avait conseillé, lors de leur rencontre, de laisser de côté les affaires du royaume et de s’occuper davantage du salut des âmes. Richelieu a estimé qu’il pourrait s’occuper du salut des âmes tout en s’occupant des affaires du royaume et qu’en s’occupant des affaires du royaume, il pourrait être plus efficace pour veiller aux affaires de l’Eglise. Tout au long de son ministère, Richelieu s’est notamment soucié de l’orthodoxie, de la reforme de l’épiscopat et des congrégations et, de manière plus surnaturelle encore, de placer le royaume sous la protection de la Saint Vierge. L’orthodoxie. Richelieu a combattu avec intelligence et doigté les ultra-gallicans, les protestants et les premiers jansénistes, en particulier l’abbé de Saint-Cyran qui commençait à tenir des propos dangereux qui inquiétaient Monsieur Vincent. Sur les conseils de ce dernier, Richelieu offrit à l’abbé de Saint-Cyran l’hospitalité prolongée du château de Vincennes. Les ultra-gallicans. Si le cardinal de Richelieu a conscience de l’importance du rôle du Parlement, gardien de la constitution coutumière du royaume et son équilibre savant, il n’en reste pas moins soucieux de veiller à ce que les hauts magistrats ne sortent pas de leur rôle, notamment en empiétant sur les affaires juridiques de l’Eglise. Ainsi, en 1632, le Maréchal de Montmorency et Gaston d’Orléans, frère du roi, dressés contre le cardinal, avaient signé un traité avec l’Espagne, ce qui fut regardé comme un acte de trahison. Plusieurs évêques avaient partie liée avec le Maréchal. Celui-ci fut condamné à mort et décapité à Toulouse. Quel sort réserver aux évêques qui ‘avaient soutenu ? Aux yeux du Parlement, ses évêques étaient coupables de crime de lèse majesté ; ils devaient, par conséquent, subir le même sort que Montmorency. Au contraire, aux yeux de Richelieu, un évêque ne peut être jugé que par le pape et non par une juridiction civile. Richelieu sollicita donc du pape la nomination de quatre prélats pour juger les prévenus. Le privilège de juridiction de l’Eglise fut ainsi respecté. Les protestants. L’édit de Nantes avait accordé aux protestants la liberté de pratiquer leur culte, sous certaines conditions, et leur avait, en outre, offert des garanties politiques, c’est-à-dire, des places de sûreté tenues par eux. Le parti huguenot, placé à la tête de nombreuses villes, était ainsi devenu un véritable état dans l’Etat. Ces places de sûreté s’étaient révélées redoutables lorsque le parti huguenot avait défié l’autorité royale dans les années 1620-1621. Le Roi avait dû aller reconquérir certaines de ces villes, notamment Montauban. Richelieu s’est fixé comme objectif de ruiner le parti huguenot, en se gardant bien de remettre en cause les clauses religieuses et judiciaires de l’édit de Nantes. Après le siège de La Rochelle, le traité d’Alès, le 28 juin 1629, confirma la tolérance religieuse dont bénéficiait le culte réformé mais privait les Huguenots de toutes leurs places de sûreté. Le fait de tolérer cette foi protestante n’est pas, chez Richelieu, l’acceptation relativiste d’un culte dissident, ce qui serait tout à fait anachronique. Il s’agit simplement d’une solution provisoire, prenant acte d’une situation de fait qu’on ne peut pas empêcher. Richelieu ne renonce pas à l’idée de ramener tous les Huguenots dans la bergerie romaine “Il n’y a point de souverain au monde qui ne soit obligé […] à procurer la conversion de ceux qui, vivant sous son règne, sont devoyez du chemin du salut. Mais, comme l’homme est raisonnable de sa nature, les princes sont censez avoir en ce point satisfait à leur obligation s’ils pratiquent tous les moyens raisonnables pour arriver à une si bonne fin, et la prudence ne leur permet pas d’en tenter de si hazardeux qu’ils puissant déraciner le bon bled en voulant déraciner la zizanie, dont il serait difficile de purger un Estat par autre voye que celle de la douceur sans s’exposer à un esbranlement capable de le perdre ou, au moins de luy causer un notable prejudice”. Richelieu ne veut pas exposer le royaume à une nouvelle guerre civile par l’usage de contraintes qui seraient d’ailleurs contraires à la véritable doctrine de l’Eglise. La conversion des Huguenots doit être obtenue par la douceur, par la prédication et par l’exemple. La conversion des hérétiques, risquons ce léger anachronisme, n’est pas de la compétence de Louvois mais de la compétence de Bossuet. Tout en ayant le souci de maintenir l’orthodoxie, le cardinal œuvre à la réforme religieuse tant dans les monastères qu’au sein de l’épiscopat. Le cardinal de Richelieu est très attentif à la réforme monastique. Afin de la faciliter, il cumule entre ses mains les bénéfices ecclésiastiques. Il est ainsi abbé général de Cluny et abbé de Cîteaux. Richelieu réconcilie entre ses mains rouges les moines noirs et les moines blancs! A Cluny, il fait venir des moines de Saint-Vanne afin de ramener les moines à l’observance de leur règle. Par ailleurs, il veille paternellement sur les couvents et les monastères, faisant du pain, de la viande, de l’argent aux communautés désargentées. Il s’emploie également à nommer de bons évêques. Il y avait, jadis, sous Henri III et Henri IV, dans le choix des évêques, de nombreux abus, que Richelieu, rétrospectivement, déplore : « Quand je me souviens que j’ai vu dans ma jeunesse, [sous Henry IV] des gentilshommes et des personnes laïques posséder par confidence, non seulement la plupart des prieurés et abbayes mais encore des cures et des évêchés, j’avoue que je ne reçois pas peu de consolation de voir que ces désordres aient été si absolument bannis sous votre règne. Pour continuer cette bénédiction, votre Majesté n’a autre chose à faire, à mon avis que d’avoir un soin particulier de remplir les évêchés de personnages de mérite et de vie exemplaire». Ce n’est que dans les années 1610 que la situation spirituelle de l’épiscopat a commencé à devenir satisfaisante, au point que le Saint-Siège ne juge plus nécessaire, à partir de 1624, de donner pour instruction aux nonces nommés en France de veiller avec un soin particulier aux dossiers de candidature. A partir de 1624, et surtout de 1630, Richelieu exerce une influence prépondérante dans les choix épiscopaux, qui sont de hautes qualités. Richelieu reçoit parfois de grandes dames qui sollicitent un évêché pour l’un de leurs enfants, qui «à neuf ans ont déjà la vocation et à qui l’on voudrait mettre une mitre sur la tête». Il les renvoie aimablement en leur donnant rendez-vous dans quinze ans ! A partir de la fin des années 1630, Monsieur Vincent est souvent consulté et très écouté. Monsieur Vincent organise à Paris des conférences pour la formation des prêtres ; de nombreux prêtres y défilent et Richelieu demande régulièrement à Monsieur Vincent de lui faire connaître les noms de ceux qu’il juge digne de l’épiscopat. Monsieur Vincent continuera à exercer une grande influence dans les nominations pendant la Régence d’Anne d’Autriche qui l’a appelé au conseil de Conscience. De là naît en France, entre 1625 et 1660 un épiscopat d’une exceptionnelle qualité qui œuvrera à propager l’esprit de la Contre-réforme. Richelieu a également le souci de la conduite des évêques. Il exerce sur eux un contrôle spirituel, créant une commission d’évêques chargée de vérifier que les évêques résident dans leur diocèse, qu’ils visitent leurs paroisses, qu’ils se consacrent à leur mission pastorale. Dans cette commission, Richelieu nomme des évêques proches de Paris (Evreux, Chartres…), afin que leur participation aux réunions de cette commission ne les éloigne pas trop longuement de leurs diocèses. Les évêques qui ne remplissent pas convenablement leur mission sont admonestés. La réforme part d’en haut et irrigue ainsi durablement tout le royaume. Le cardinal de Richelieu manifeste, en outre, un grand abandon à la volonté de la Providence. En 1636, alors que la Bourgogne et la Picardie sont envahies, que Corbie est pris par les Espagnols, que Saint-Jean-de-Losne est assiégé, que l’abbaye de Cîteaux est saccagée. Richelieu encourage Louis XIII à placer son royaume sous la protection de la Saint Vierge. Les Espagnols sont des gens d’une grande piété. Il ne faudrait que la France se fasse doubler par la ferveur hispanique et que la Sainte Vierge, négligée au nord des Pyrénées, apporte son appui aux habitants du sud des Pyrénées : « On estime, dit-il, que si Votre Majesté trouvait bon de faire vœux à la Vierge, avant que ses armées commencent à travailler, il serait bien à propos. Un redoublement de dévotion envers la mère de Dieu ne peut que produire de très bons effets.». Après la reconquête de Corbie, Richelieu revient à la charge, encourageant le Roi à placer, de manière permanente, son royaume sous la protection de la Saint Vierge. Le 10 février 1638, Louis XIII publiera un Vœu solennel, solennisé par la fête solennelle du 15 août. Ce vœu sera réitéré solennellement par Louis XIV, lors de sa Majorité, par Louis XV, en 1738. Il donnera lieu à des cérémonies officielles jusqu’à la Révolution. Par ce Vœu, Louis XIII prend la très Sainte et très Glorieuse Vierge pour protectrice spéciale du royaume : « Nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre Etat, notre couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une si sainte conduite et défendre avec tant de soins ce royaume contre l’effort de ses ennemis qu’il ne sorte point des voies de la Grâce qui conduisent à celles de la Gloire .». « Inspirer une si saint conduite » ? Pour Louis XIII, comme pour Richelieu, être un homme d’Etat ne dispense pas de se conduire saintement. L’impératif du Salut, le primat de l’établissement du règne de Dieu, rappelé dans le Testament, sont la traduction politique de cette exigence. Trois semaines après les cérémonies du 15 août 1638, l’enfant que le Roi et la France attendaient depuis plus de vingt ans naît à Saint Germain-en-Laye. Il s’agit d’un garçon, Louis Dieudonné, premier bienfait de la Providence à la France. Trois jours plus tard, les armées du Roi de France récoltent en Alsace et dans le Pays Basque de premières victoires. La situation militaire, jusque là délicate, se renverse. Désormais la France volera de victoire en victoire : Arras puis Perpignan tombent entre les mains de Louis XIII. En 1642, lorsque le cardinal meurt, l’Artois et le Roussillon viennent d’être conquis. Richelieu ne verra pas la fin de cette terrible guerre. Il ne verra pas cette paix à laquelle il aspirait. Il ne verra pas la conversion des huguenots à laquelle il voulait consacrer ses efforts après le retour de la paix. Il ne verra pas non plus les fruits de cette reconquête spirituelle à laquelle il aura si puissamment contribué. Mais il n’en demeure que, le 4 décembre 1642, le cardinal de Richelieu peut quitter ce monde avec la satisfaction d’avoir atteint ses objectifs. Il a bien servi le Roi ; il en a fait le prince le plus puissant du monde. Il a bien servi l’Eglise ; il a assuré le renouveau spirituel du royaume. Il s’est imposé aux yeux de l’Histoire comme un grand ministre très chrétien. |