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Les racines chrétiennes de l’Europe

Conférence donnée au séminaire Saint-Philippe-Néri en Toscane le samedi 5 décembre 2020

Par M. Philippe Pichot Bravard
Maître de conférences H.D.R.
à l’Université de Brest

« La culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, de la rencontre entre la foi au Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome », rappelait Benoît XVI devant le Bundestag le 22 septembre 2011. Trois ans plus tôt, au collège des Bernardins, s’exprimant devant le monde de la culture, le pape avait rappelé ce que sont « les racines de la culture européenne », soulignant le rôle essentiel des moines « dont l’objectif était de chercher Dieu ». Écoutons Benoît XVI : « la recherche de Dieu requiert une culture de la parole […] Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. […]ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans ses structures et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici serviti schola, une école du service du seigneur. L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole ».

Benoît XVI souligne d’une part que la culture européenne repose sur trois piliers : la raison philosophique des Grecs, le droit romain et la spiritualité chrétienne (§1), et que, d’autre part, la synthèse entre ces trois sources fut effectuée dans le silence des scriptoria bénédictins par les moines qui cherchaient Dieu (§2).

I

Dans le premier volume de son Histoire de l’intelligence, La soif de la sagesse, Marcel Clément a décrit l’éclosion en Grèce de la philosophie, c’est-à-dire de cette activité de l’esprit guidée, selon Pythagore, par « l’amour de la sagesse », par le souci de découvrir le sens de l’existence, de connaître la finalité des choses, de découvrir les conditions de la vie bonne. Toutes les grandes questions humaines ont alors été discutées. En quelques décennies, s’affirmèrent les grandes écoles intellectuelles qui irriguèrent toute l’histoire de la pensée occidentale. Alors que les sophistes, notamment Protagoras, affirmaient que « l’homme est la mesure de toutes choses », la mesure du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, Socrate, prenant le contrepied de ce relativisme, recherchait patiemment, humblement, le Vrai et le Juste, invitant ses disciples à accoucher d’une réflexion qui y conduirait. Et Socrate de payer d’exemple. Bouleute, Socrate fut un jour épistate, et, présidant l’ecclésia, il refusa de mettre aux voix illégalement la condamnation à mort des officiers vainqueurs de la bataille des Arginuses que l’on réputait proche du parti aristocratique. Il le fit « malgré la colère du peuple contre lui et les menaces de plusieurs hommes puissants ». Il imposa ainsi le respect de la loi « au caprice d’une foule tellement déchaînée qu’aucun autre, je crois, n’aurait osé la braver », nous rapporte Xénophon dans les Mémorables. Profondément marqués par leur maître, les disciples de Socrate, Isocrate, Xénophon et Platon, s’interrogèrent sur la place que doivent occuper au sein de la Cité ceux qui cherchent à vivre selon la sagesse, soulignant que le bien-être se trouve dans la vie contemplative. Cependant, ils s’interrogèrent sur les principes qui doivent guider l’existence humaine, individuellement et collectivement, les principes qui devaient guider le gouvernement de la Cité. Pour Platon, ces principes sont le Vrai et le Bien, dont l’expression politique est le Juste. Il tenta d’imaginer une société parfaite, gouvernée de manière parfaitement rationnelle par des philosophes. Tout entier absorbé par les principes, il ne saisit pas que l’imperfection naturelle de l’homme ne pouvait que rendre inhumaine une société parfaite. Il a négligé les réalités. Parmi les qualités que doit avoir celui qui gouverne, il a oublié la vertu de prudence, c’est-à-dire la capacité à adapter les principes aux circonstances, à tenir compte des réalités. « Ami de Platon, mais plus encore de la vérité », Aristote a centré toute sa réflexion sur l’observation et l’analyse du réel. Cette observation lui a permis d’affirmer que « L’homme est un animal politique naturellement fait pour vivre en société ». Aristote nourrissait une conception élevée de l’homme, soulignant sa nature sociale, raisonnable et spirituelle ; soulignant que l’homme, intelligence et volonté, reconnaissant à l’homme un libre arbitre et une responsabilité individuelle. Trois siècles avant la naissance du Christ, Aristote eut l’intuition de l’existence d’un Dieu unique, source de toutes choses ; il crut pouvoir diagnostiquer dans l’âme humaine comme un reflet de divinité. Les fins de l’homme sont élevées, mais seule une petite élite mène une existence d’excellence et de vertu. Il enseigne, en outre, que la Cité est une réunion de familles au sein d’une communauté autarcique, que la fin poursuivie par la Politique est le Bien commun. Ce bien commun cultive la paix fondée sur le règne de la justice. Cependant, le Bien commun n’est pas seulement le bien de la communauté, c’est aussi la communauté du Bien, c’est-à-dire la communauté des hommes qui veulent vivre en vue du Bien, ce qui implique une dimension morale qui permet d’entretenir l’amitié entre les citoyens, la « philia ».

Aristote consacre une place importante à définir la notion de justice. « La justice est un raccourci de toutes les vertus ». Elle permet aux gouvernants de faire régner le bonheur dans la cité en encourageant l’accomplissement d’actes bons et en décourageant l’accomplissement d’actes mauvais. Ainsi, « la loi prescrit d’agir en homme courageux : elle interdit, par exemple, d’abandonner son poste, de fuir, de jeter les armes ; d’agir en homme tempérant : elle interdit par exemple l’adultère et la violence ; d’agir en homme doux : elle interdit par exemple de frapper et d’insulter, et ainsi de suite, au regard des autres vertus et des autres vices, tantôt ordonnant, tantôt interdisant » (Éthique à Nicomaque). La justice consiste dans l’attribution équilibrée des choses. « Elle relève du juste milieu » (Éthique à Nicomaque, V, 9). Cette justice peut être arithmétique lorsqu’elle attribue la même chose à tous ou proportionnelle lorsqu’elle attribue à chacun la part qui lui correspond : « Il faut qu’une part égale revienne à des gens égaux », mais « à des gens différents, il est juste et mérité qu’il revienne quelque chose de différent » (Politique, III, 12).

Au sein de la justice politique, Aristote distingue entre la justice naturelle et la justice légale : « La justice politique […] est de deux espèces, l’une naturelle et l’autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion ; légale, celle qui à l’origine peut être indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie s’impose » (Éthique à Nicomaque, V, 10).


La méthode et l’enseignement d’Aristote exercèrent une grande influence sur la réflexion des juristes romains, en particulier sur celle de Cicéron. Le droit romain était initialement un droit pragmatique dont l’objet est d’apporter une réponse concrète à des difficultés juridiques concrètes. Dans sa jeunesse, Cicéron avait longuement étudié les différentes écoles philosophiques grecques à l’occasion d’un voyage en Grèce. Il avait picoré à différentes doctrines, les mêlant dans un corpus doctrinal qui n’est pas toujours très cohérent, corpus dominé par le stoïcisme et par l’aristotélisme, deux écoles qui insistent sur l’importance des normes naturelles même si elles n’en donnent pas la même définition philosophique.

Cicéron voulut « transformer le droit en art ». Il reprit la définition aristotélicienne de la justice, distinguant la justice distributive et la justice commutative. Il souligna l’importance de la finalité. À l’instar d’Aristote, il nourrissait une conception élevée de la nature humaine. L’homme n’est pas un être animé comme les autres. Il est doté de raison et il aspire au bien et au juste. Cicéron insista sur l’importance de la finalité à plusieurs reprises : « Toute l’orientation de notre vie, tout l’ensemble et les détails de notre conduite dépendent de la réponse qui sera donnée à cette question » (Academicorum posteriorum, I, II, 43). « Ce principe, une fois établi, fixe tous les autres. En toute autre matière, l’oubli et l’ignorance ne sont préjudiciables que dans la mesure de l’importance des questions qui nous échappent. Mais ignorer le souverain bien, c’est se condamner à ignorer toute la loi de notre vie, c’est courir le grave danger de se mettre hors d’état d’apprendre dans quel port on pourra chercher asile. Par contre, quand de la connaissance des fins particulières des choses on en est venu à comprendre quel est le bien par excellence ou le comble du mal, notre vie a trouvé sa voie et l’ensemble de nos devoirs leur formule précise » (De finibus bonorum et malorum, V, 6).

Il conseilla aux juristes d’appliquer au droit la méthode qu’Aristote avait utilisée : observer, définir, comparer, classer puis commenter. Au iie siècle de notre ère, Gaïus, dans son Manuel de droit, porta cette classification à son apogée. Définissant les sources du Droit à Rome, il insista sur le primat d’un droit, supérieur et universel, « conforme à la nature », qui préexiste à la cité et s’impose à elle. Ce que Gaïus qualifia de « droit des gens » correspondait à ce qu’Aristote qualifiait de « justice naturelle », à ce que Cicéron appelait « droite raison », à ce qu’Ulpien qualifiait de « droit naturel ». La définition que Cicéron a donnée du droit naturel dans De Republica reste la plus complète et la plus riche : « Il est une loi véritable, la droite raison, conforme à la nature, universelle, immuable, éternelle, dont les ordres invitent au devoir, dont les prohibitions éloignent du mal… Cette loi ne saurait être contredite par une autre, ni rapportée en quelque partie, ni abrogée tout entière… Elle n’a pas besoin d’un nouvel interprète, ou d’un organe nouveau. Elle ne sera pas autre à Rome, autre dans Athènes ; elle ne sera pas demain autre qu’aujourd’hui ; mais, dans toutes les nations et dans tous les temps, cette loi régnera toujours, une, éternelle, impérissable ; et le guide commun, le roi de toutes les créatures, Dieu lui-même, donne naissance, sanction, publicité à cette loi, que l’homme ne peut méconnaître sans se fuir lui-même et sans renier sa nature ».

Cette définition souligne la définition de cette « droite raison » repose sur l’articulation entre la nature humaine et la recherche du bien. De cette nature humaine, Cicéron nous donne ici deux caractéristiques : l’homme est un être raisonnable. Il aspire au bien. Dans son traité consacré à l’Amitié, Cicéron complète cette définition par deux autres caractéristiques. L’homme est un être sociable. « Je crois voir que notre nature est d’avoir un lien de société avec tous les hommes, mais plus étroit à proportion qu’ils nous sont plus proches. Ainsi les concitoyens ont la préférence sur les étrangers, les parents sur ceux qui ne le sont pas » (De Amicitia, V, 19). Il est un être spirituel : « Je n’approuve pas, en effet, l’avis de ceux qui se sont mis récemment à soutenir que l’âme meurt avec le corps et que tout est fini à la mort […] L’âme humaine est divine ; quand elle quitte le corps, elle retourne au ciel, et d’autant plus rapidement que l’on a été meilleur et plus juste » (De Amicitia, IV-13). Cette « droite raison », « conforme à la nature », invite « au devoir » et éloigne « du mal ». L’homme ne peut la « méconnaître sans se fuir lui-même et sans renier sa nature ». Un homme qui s’affranchirait des exigences de la droite raison renierait sa nature ; il cesserait de se conduire en homme. Il se comporterait comme une bête. Cette « droite raison » est une « véritable loi », commune à tous les peuples, qui s’impose à la volonté de ceux qui, au sein de la Cité, ont le pouvoir d’édicter la loi. La « droite raison » est supérieure à la loi civile. Ainsi, « ni le Sénat ni le peuple », les détenteurs de la souveraineté à Rome, « ne peuvent nous délier de l’obéissance à cette loi ».


À la suite de Cicéron, les prudentes qui réfléchirent sur le droit commencèrent tous par tenter de définir le droit naturel. Sous la République, les prudentes, c’est-à-dire ceux qui connaissent le droit, étaient sollicités pour rédiger des actes, notamment des testaments, pour former des jeunes gens qui venaient auprès d’eux, par leur assiduité, apprendre la science du droit, pour conseiller les préteurs dans leur activité juridictionnelle et plus tard le princeps qu’ils entourent de leurs avis. Ils pouvaient en outre publier des traités théoriques, formuler des commentaires sur les lois et sur l’édit du préteur, commentaires qui permettaient de mettre en valeur les dispositions légales et prétoriennes, de dégager leur portée et de souligner les différents usages que les citoyens pourraient en faire. Ces commentaires, complétés par des consultations données, souvent publiquement, à la demande de tel justiciable partie à un procès, étaient de nature à influencer la décision des juges. Les juges étaient d’ailleurs tenus de s’inspirer de leur avis lorsqu’ils rendaient une décision. L’influence des prudents était d’autant plus grande sous la République que ce sont des personnages prestigieux, qui ont souvent exercé les magistratures du cursus honorum ; des personnalités qui, par conséquent, siègent au Sénat. Plus tard, sous le principat, les prudentes furent des juristes revêtus d’une autorisation impériale, le jus respondendi. Le plus souvent, ils siégeaient au conseil impérial. Papinien et Ulpien furent préfets du prétoire. Les plus réputés d’entre eux furent Ulpien, Papinien, Gaïus, Modestin et Paul.

Pour la jurisprudence romaine, le droit n’est pas seulement la volonté de ceux qui ont le pouvoir d’édicter des lois, il est « l’art du bon et du juste », selon la formule de Celse, permettant « d’attribuer à chacun la part juste » (Ulpien). 

Cette définition du droit fut reprise dans le Corpus juris civilis. Soucieux de restaurer le prestige de l’Empire, s’employant d’ailleurs, à partir de 532, à reconquérir les territoires perdus, en Afrique du Nord et en Italie, veillant à maintenir, à Constantinople et à Antioche, un ordre fragile et contesté, l’empereur Justinien chercha à établir un État unifié par la foi chrétienne et par le droit 1. « Il faut que la majesté impériale soit décorée non seulement par les armes, mais aussi par les lois, afin qu’elle puisse, en temps de guerre comme en temps de paix, assurer le juste exercice du gouvernement 2. » Ainsi, le 13 février 528, Justinien mit en place, par la constitution Hæc quæ necessario, une commission chargée de faire une nouvelle collection des lois, qui fut complétée par un recueil réunissant l’essentiel de la jurisprudence classique. Ce fut le Digeste. Avec les Institutes et les Novelles, l’ensemble fut qualifié de Corpus juris civilis. À partir de la fin du xie siècle, il devait irriguer toute la pensée juridique occidentale.

Or, le Corpus juris civilis était marqué par l’influence bienfaisante exercée par le christianisme sur l’empire depuis 313, éclairant, notamment, la réflexion sur le droit naturel d’une lumière nouvelle, qui non seulement renforça son autorité, mais permit aussi de le purifier de certaines scories païennes. Ainsi, à propos de l’esclavage, les Institutes de Justinien affirmaient : « Servitus autem est constitutio Juris gentium, quaquis dominio alieno contra naturam subjicitur : La servitude est une disposition du Droit des gens qui contre le Droit naturel, soumet un homme au domaine d’un autre », « le droit naturel faisant jouir chaque homme de la liberté ».

Comme l’a montré Gérard Guyon dans Le choix du royaume, les premières générations de chrétiens, portées par le souffle de l’Esprit, auréolées par la fréquentation des apôtres et de leurs disciples immédiats, vivants dans l’attente d’une parousie qu’ils croyaient proche, ne se soucièrent pas de se doter d’institutions et de règles de droit. En 313, la reconnaissance officielle de l’Église par l’Empire a non seulement conduit l’Église à perfectionner son organisation, mais lui a permis d’exercer une influence grandissante sur la société temporelle, sur la conception et la pratique du pouvoir, sur l’organisation de la société, sur le contenu du droit et la définition de celui-ci 3.

Les commandements du Décalogue rejoignaient les réflexions d’Aristote sur la « justice naturelle », celles de Cicéron sur la « droite raison » et celles des jurisprudences sur le droit des gens. Ils enseignent à honorer le seul vrai Dieu, à bannir les idoles, à ne pas prononcer abusivement le nom de Dieu, à respecter le repos dominical, à honorer ses père et mère, à ne pas tuer, à ne pas commettre d’adultère, à ne pas voler, à ne pas porter de faux témoignage, à ne pas convoiter les biens d’autrui 4, ce qui va bien au-delà de la tentation du vol, englobant toutes les manœuvres, dictées par l’envie, qui sont fomentées pour priver autrui de la jouissance d’un bien particulier 5. Ces commandements, le Christ les transcenda en les résumant par la loi suprême de la charité : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Il faut que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés 6 ». Ce commandement suprême souligne que l’homme créé par Dieu à Son Image est ordonné à l’amour, qu’il est naturellement porté à aimer son prochain et qu’il ne peut s’épanouir qu’en respectant et en cultivant en lui cette vocation essentielle.


Ainsi l’Église s’employa à christianiser la société romaine, à christianiser l’exercice du pouvoir et, plus tard, à christianiser les mœurs un peu rudes des nouveaux maîtres qui, après les invasions germaniques, imposèrent leur domination dans la partie occidentale de l’empire.

Cette œuvre civilisatrice fut marquée en particulier par l’enseignement de saint Augustin, par la règle de saint Benoît et par l’œuvre encyclopédique de saint Isidore de Séville.

La pensée de saint Augustin exerça une influence de premier ordre tout au long du Moyen-âge. Trois aspects marquèrent durablement les mentalités :

Saint Augustin insiste sur les bienfaits de « la véritable paix », qu’il définit comme la tranquillité de l’ordre juste : « Pax est tranquillitas ordinis ». À ses yeux, la paix de chaque âme, la paix de chaque foyer et la paix de chaque Cité sont étroitement liées les unes aux autres. La véritable paix ne peut pas être seulement le fruit d’un cheminement individuel intérieur. Elle implique que le gouvernement de la Cité mène une politique de paix. À cet égard, loin d’être simplement une « absence de troubles » que garantirait un pouvoir exercé avec fermeté, faisant respecter avec exactitude les lois établies, la paix est le fruit du règne de la justice, ce qui exige, à tout le moins, que le pouvoir se soucie de « rendre à chacun la part qui lui revient », selon la définition de la justice donnée par Ulpien, qui ne faisait que reprendre celle d’Aristote. Selon saint Augustin, ce souci de justice implique aussi de rendre à Dieu ce qui lui revient : « La justice est cette vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient. Quelle est donc cette justice de l’homme qui dérobe l’homme même au vrai Dieu pour l’asservir aux esprits impurs ? Est-ce là rendre à chacun ce qui lui appartient 7 ? ».

La justice est à ses yeux à ce point primordial qu’il estime que sans elle il ne saurait y avoir de véritable Cité : « Sans la justice, […] que sont les royaumes sinon de vastes associations de bandits ? » Or la justice implique que la loi édictée par le prince soit elle-même soucieuse de l’équité : « Une loi qui n’est pas juste n’est pas une loi », affirme-t-il, mais un caprice de tyran auquel personne n’est tenu d’obéir. Ainsi, la loi est définie par sa finalité et non par son origine. Cette définition de la loi domina les esprits jusqu’au xviie siècle.

Pour tendre à cette véritable paix, saint Augustin définit l’exercice du pouvoir politique comme un ministère, c’est-à-dire, un service. Il substitue à un esprit de domination un esprit de service. Le prince doit être le serviteur de ceux auxquels il commande, pour l’amour de Dieu. Dès lors, l’exercice du pouvoir implique pour celui qui l’exerce un surcroît de devoirs : « Ceux qui commandent sont au service de ceux à qui ils paraissent commander. Ce n’est pas, en effet, la passion de dominer qui leur fait commander, mais le désir de se dévouer, non l’orgueil d’être le maître, mais le souci d’être la providence de tous » (La Cité, XIX, 14). L’idée que celui qui commande doit être le serviteur de ceux auxquels il commande présente alors un caractère novateur. Elle est l’un des apports majeurs du christianisme à la pensée politique. Elle puise sa source dans l’enseignement du Christ lui-même, qui l’illustra lors de la Cène par le lavement des pieds de ses apôtres. Et Notre Seigneur d’expliquer son geste : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » 8. Le lendemain, la couronne d’épines que porta le Christ lors de la Passion symbolisa sa royauté ministérielle dont Il était revêtu. Vrai Roi, le Christ ne porta pas une couronne d’or et de pierreries, mais une couronne d’épines comme pour mieux exprimer que sa royauté repose sur son sacrifice et sur la souffrance qu’Il a consentie librement pour le salut des hommes. Sa royauté est le contraire d’une domination. Elle est fondée sur l’amour, idéal auquel les rois sacrés chrétiens devaient tenter de conformer leur comportement, à l’instar de saint Étienne de Hongrie, de saint Édouard d’Angleterre, de saint Louis de France, ou beaucoup plus tardivement de Louis XVI et du bienheureux Charles d’Autriche.

Cette royauté ministérielle, l’Église tenta d’en assurer la promotion dès lors que sa reconnaissance officielle par l’Empire lui permettait d’exercer sur celui-ci une influence. Le rôle joué à Milan par saint Ambroise en fut une remarquable illustration. Ancien gouverneur romain élu évêque contre son gré, Ambroise avait une très forte personnalité. Il avait le commandement dans le sang. Il le montra lorsqu’il n’hésita pas à tenir tête à l’empereur et à lui infliger au lendemain du massacre de Thessalonique une pénitence publique en réparation de sa cruauté.

Elle bénéficia de l’influence considérable exercée par la Règle rédigée par saint Benoît au vie siècle afin de régir la vie au sein du monastère qu’il avait fondé. Communauté d’hommes associés par la volonté de chercher Dieu, le monastère est une petite cité dont la vie nécessite une loi fondamentale, la Règle, et un gouvernement, confié à l’abbé, étymologiquement, « le père 9 ». Parmi les nombreuses règles monastiques qui furent élaborées entre le ive et le vie siècles, la Règle de saint Benoît devait s’imposer assez promptement en raison de l’excellence de son équilibre. Cette petite cité, dont la vocation est de grandir dans l’amitié de Dieu, est conçue pour être un modèle de société chrétienne. Placé à la tête du monastère, l’Abbé est l’image du Christ dans la communauté. À l’imitation de Jésus-Christ, sa fonction est de servir, non de régir et de punir. Sa mission est de veiller sur la communauté et de conduire chacun des moines au salut éternel : « Son gouvernement comme sa doctrine doivent répandre le ferment de la sainteté divine dans les esprits des disciples, l’abbé se souvenant toujours que son enseignement, tout aussi bien que l’obéissance de ses fils, seront l’un comme l’autre jugés devant la face de Dieu 10 ». Dans une société profondément chrétienne, au sein de laquelle la spiritualité bénédictine exerçait une influence considérable, absorbant entre le ixe et le xiiie siècle l’essentiel de la vie consacrée, le modèle de gouvernement qu’elle présentait ne pouvait qu’exercer sur les princes et les rois une grande influence. N’oublions pas à cet égard que la rédaction des actes royaux au sein de la chancellerie était confiée à des moines ; que nombre de moines furent appelés à former les jeunes princes et à conseiller les rois, à commencer par Smaragde de Saint-Mihiel, conseiller de l’empereur Louis Ier, ou encore de l’abbé Suger, ministre de Louis VI et de Louis VII, régent du royaume au cours du voyage de Louis VII en Terre Sainte, ce qui ne pouvait que favoriser l’adoption par la royauté du modèle de gouvernement bénédictin.

II

Les monastères jouèrent un rôle essentiel dans la conservation et la transmission de l’héritage intellectuel et artistique de l’Antiquité romaine. Lorsque l’Empire romain d’Occident s’effondra, malgré la volonté des princes germaniques, souvent plus ou moins romanisés, à l’instar des rois francs ou wisigoths, de conserver les cadres administratifs et juridiques du monde romain, la transmission de cet héritage intellectuel devint difficile du fait des graves turbulences qui secouaient l’Occident. Conscients du péril, quelques grands esprits s’employèrent à conserver et à transmettre la culture classique romaine : Boèce et Cassiodore, bientôt relayés par le pape Grégoire le Grand. Lorsque le sénateur Cassiodore se retira de la vie politique, il fonda dans son domaine de Vivarium un monastère et une école. Les moines qui s’y réunirent l’aidèrent à transmettre la culture antique en recopiant les manuscrits. Cassiodore constitua ainsi une somptueuse bibliothèque qui, après sa mort, fut transportée au palais du Latran. Il orienta les travaux de ces moines dans une perspective pluridisciplinaire, insistant pour que ses moines prissent le soin de bien connaître les sciences profanes, géographie, grammaire, astronomie, rhétorique, arithmétique, connaissance indispensable à une bonne compréhension des textes sacrés. Dès lors, loin de limiter ces travaux intellectuels aux sciences sacrées stricto sensu, il cultiva la connaissance dans toute sa richesse, se gardant d’écarter a priori les auteurs païens dans lesquels il faisait de nombreux emprunts. Si, à l’inverse, nombre de chrétiens, notamment parmi les moines, estimaient alors qu’il suffisait d’étudier les pères de l’Église et que l’étude des écrits profanes ne pouvait que nuire au salut individuel, il y eut dans les monastères de grands esprits soucieux d’apprendre l’art de penser et d’écrire dans les œuvres où cet art était cultivé, bien que ces œuvres fussent profanes et païennes. Saint Isidore de Séville, grand érudit, a ainsi laissé une œuvre encyclopédique grâce à laquelle l’héritage intellectuel de l’Antiquité latine a pu être connu des médiévaux. Il y traitait de tout. Dans De Ecclesiasticis officis et dans Etymologiæ, il définit à partir du livre de Samuel la doctrine de la royauté sacrée qui a marqué l’Occident chrétien pendant mille ans, ordonnant la fonction de Roi à une finalité justicière : « Le nom de Roi vient de régir droitement ; s’il gouverne avec piété, justice et miséricorde, c’est à bon droit qu’il est appelé Roi ; sinon, il perd le nom même de Roi ». Il imprima ainsi à la fonction royale des devoirs exigeants, un idéal extrêmement élevé, qui, concrètement, conduisait à soumettre l’exercice du pouvoir au respect du Droit, de ce qui est juste et équitable. Le modèle de la royauté sacrée justicière fut adopté en Gaule en 751 à l’occasion du changement dynastique qui porta sur le trône le maire du palais Pépin au détriment du dernier Mérovingien, Chilpéric III, enfermé dans le monastère de Saint-Bertin, à Saint-Omer. Si l’onction du sacre permit à l’Église de rendre incontestable un changement qu’elle estimait nécessaire au bien commun de la chrétienté, elle couronna la politique de christianisation de l’exercice du pouvoir menée depuis le ive siècle. Les oraisons prononcées au cours de la cérémonie témoignaient d’un véritable programme de gouvernement, insistant pour que le prince « exerce la force de l’équité [et] détruise puissamment les crocs de l’injustice », pour que « toute équité et justice naissent sous son règne ». Les prières de la consécration demandaient « qu’il marche toujours d’un pas sûr sur le chemin de la justice » et qu’ « il procure la paix de la droiture au peuple qui lui est confié », « toujours guidé par les conseils de la connaissance et l’équité du jugement » ; elles suppliaient Dieu de le coiffer « de la couronne de justice et de miséricorde » afin « qu’il dirige avec justice le peuple que tu lui as confié 11 ».

Les œuvres d’Isidore de Séville gagnèrent l’Angleterre et l’Irlande avant d’être connues en Gaule. En Bretagne et en Irlande, les monastères se dotèrent de scriptoria et de bibliothèques. À la génération des moines paysans et missionnaires succéda une génération nouvelle de moines lettrés. Saint Colomba partit d’Irlande fonder le monastère d’Iona et évangéliser l’Écosse. Saint Colomban partit d’Irlande évangéliser la Gaule qui faisait alors assez pâle figure, tant dans le domaine moral que dans le domaine spirituel et intellectuel. C’étaient de fins lettrés et de grands érudits. L’Angleterre, récemment christianisée, fut illustrée par Bède le Vénérable qui passa pour le plus grand savant de son temps. Il fallut attendre le viiie siècle pour que la Gaule, grâce à Pépin le Bref, connût une renaissance littéraire et artistique qui atteignit son apogée dans l’empire franc sous Charlemagne et Louis Ier. Charlemagne attira à lui, dans l’Académie palatine d’Aix les plus fins lettrés de son temps, Théodulf, qui fit nommer évêque d’Orléans, Arne, évêque de Salzbourg, Eginhard, ou encore, Alcuin, disciple d’un disciple de Bède le Vénérable, qui dirigeait une école réputée à York, avant que Charlemagne l’appelle à ses côtés. Le rôle joué par Alcuin dans la renaissance carolingienne fut très important. Alcuin était non seulement un grand savant, un esprit encyclopédique, mais aussi un saint prêtre, mêlant fermeté et douceur, d’une grande humilité, qui, signant « Albinus, humilis Levitas », ne chercha jamais à devenir évêque, ou à prendre la tête d’un riche monastère, alors que cela lui aurait été facile. Il recherchait la sagesse. Il avait un sens aigu de l’amitié 12. C’était également un contemplatif, à l’âme poétique 13. Il forma plusieurs savants, dont Angilbert (760-814) et Eginhard (770-840), un laïc qui fut le chroniqueur du règne avant d’être chargé par Louis de l’éducation de son fils Lothaire. Il s’employa également à la réformation morale de l’empire, s’employant, avec son ami Théodulf, à éliminer les juges négligents ou vénaux. Il encouragea les créations d’écoles afin que les chrétiens grandissent dans la connaissance de Dieu et que les clercs puissent mieux honorer le Christ du chant des psaumes. Il veilla à la réforme des monastères. Charlemagne s’était fait adresser par l’abbaye du Mont-Cassin le manuscrit de la Règle bénédictine ; il fut si convaincu de son excellence qu’il voulut que tous les monastères de l’empire l’adoptent à l’avenir. Son rayonnement dans la Chrétienté était considérable, comme le montre la correspondance qu’il échangeait avec plusieurs des rois de son île natale. Avec Théodulf d’Orléans, Alcuin composa les Livres carolins, réfutant les thèses iconoclastes et les excès iconodoules avec beaucoup d’autorité ; face aux prélats grecs, ils manièrent avec dextérité le livre des Catégories d’Aristote pour dénoncer les confusions commises dans le monde byzantin.

L’invention de la caroline minuscule offrit au monde occidental un moyen de communication remarquable, facilitant la copie des manuscrits, et leur lecture, après que ce soit imposer l’idée de séparer les mots afin d’en faciliter l’identification. Au xve siècle, la caroline minuscule devait, par sa clarté et sa simplicité, faciliter l’invention de l’imprimerie et la diffusion massive des œuvres intellectuelles. Pour l’heure, dans les abbayes de Fulda, de Saint-Omer, de Corbie ou de saint Martin de Tours, des centaines de moines recopiaient les manuscrits de l’Antiquité. Mille deux cents ans plus tard, après de nombreuses guerres, incendies, pillages, révolutions et bombardements, plus de huit mille de ces manuscrits existent encore, témoignant de l’importance de l’œuvre réalisée alors.

La renaissance carolingienne réalisa la synthèse entre la philosophie grecque, le droit et la littérature latine et la spiritualité chrétienne, y ajoutant, grâce aux moines celtes, l’histoire et les traditions des peuples celtes, dont certains traits mythologiques préparaient étonnamment le terrain à la réception de l’Évangile par ces peuples. Cette synthèse fut l’acte de naissance de la chrétienté médiévale. Tous les peuples du continent y auront contribué : des Romains comme Cassiodore, saint Benoît et saint Grégoire ; des savants de l’Espagne wisigothique comme saint Isidore ou Théodulf d’Orléans ; des Irlandais comme saint Colomba et saint Colomban ; des Anglais comme saint Bède le Vénérable ou Alcuin ; des Francs comme Pépin le Bref, Charlemagne, Eginhard, Jonas d’Orléans, Smaragde de Saint-Mihiel ou Loup de Ferrières.

Restait à redécouvrir la majeure partie de l’héritage grecque, en particulier l’œuvre d’Aristote.

Longtemps il a été enseigné que l’œuvre d’Aristote avait été redécouverte par l’Occident grâce à l’Islam. De fait, de nombreuses œuvres grecques ont été traduites en arabe par des chrétiens arabes, syriaques, coptes, melkites et nestoriens. Néanmoins, le monde musulman ne s’est intéressé qu’à la partie scientifique de l’œuvre d’Aristote, laissant délibérément de côté sa Politique, sa Métaphysique et ses Éthiques qui n’étaient pas compatibles avec le Coran. De même, il a cultivé l’héritage médical et mathématique des Grecs en écartant leur héritage littéraire, demeurant fermé à l’esprit hellène, à l’exception de quelques rares savants. Enfin, les plus grands savants musulmans avaient été formés par des chrétiens, en particulier Al-Fârâbî, qui eut pour maîtres deux savants chrétiens, Yûhannâ ibn Quaylan et surtout le moine Abū Bishr Mattā ibn Yūnus.

Or, l’héritage grec, et en particulier la pensée d’Aristote, a été, en réalité, redécouvert par les échanges, plus nombreux qu’on ne l’imagine habituellement, entre le monde grec et le monde latin. Ainsi, au cours des viie et viiie siècles, bien des religieux et des savants grecs durent fuir les invasions musulmanes, et, plus tard, les persécutions iconoclastes, se réfugiant en Occident, avec certains de leurs manuscrits, à l’instar de Théodore de Tarse, qui fut entre 669 et 690 archevêque de Canterbury, enseignant le grec à ses disciples nous raconte Bède le Vénérable qui maîtrisait lui-même le grec. La redécouverte d’Aristote à Byzance, au xe siècle, encouragea la diffusion et le commentaire de ses œuvres, qui furent ensuite traduites, directement en latin, ce qui était plus sûr que de traduire en latin des œuvres grecques d’abord traduites du grec en syriaque, puis du syriaque en arabe, et enfin de l’arabe en latin, avec toutes les déformations qui en découlent nécessairement. Ainsi, au milieu du XIIIe siècle, l’Éthique à Nicomaque devait être traduite et commentée par Robert Grosseteste à partir de commentaires formulés aux confins des xie et xiie siècles par un élève de Jean l’Italien, Eustrate de Nicée. Dès la fin du xe siècle, Aristote nourrissait l’enseignement des savants les plus renommés de l’Occident chrétien, Abbon de Fleury, Gerbert d’Aurillac, Fulbert de Chartres, et plus tard, saint Anselme et Guillaume de Champeaux. Dans les années 1140, Aristote était commenté à Chartres par Guillaume de Conches, nourrissant son élève Jean de Salisbury.


Comme l’a montré Sylvain Gouguenheim dans Aristote au Mont-Saint-Michel, le Mont-Saint-Michel joua un rôle important dans la redécouverte et la diffusion de la pensée d’Aristote.

Dotée d’une importante bibliothèque de cent quarante manuscrits, l’abbaye du Mont-Saint-Michel abrita au cours du deuxième quart du xiie siècle les travaux du moine Jacques de Venise († avant 1150) qui accompagna ses traductions de commentaires. Après un séjour à Constantinople, Jacques de Venise s’installa au Mont-Saint-Michel à la fin des années 1120 où il traduisit les Seconds analytiques, les traités De l’âme et De la mémoire, une grande partie des petits traités d’histoire naturelle, de la réfutation des Sophistes, de la Physique, des huit livres des Topiques et de l’intégralité de la Métaphysique. Il traduisit également les livres II et III de l’Éthique à Nicomaque. Les traductions de Jacques de Venise connurent un très grand succès : plusieurs dizaines de manuscrits de certaines œuvres nous sont parvenus pour les seuls xiie et xiiie siècles. Ils furent diffusés en particulier en France, dans les États du Pape et en Angleterre. Ainsi, dans les années 1150, Jean de Salisbury commenta la Logique d’Aristote en se servant de la traduction de Jacques de Venise. Albert le Grand et son disciple Thomas d’Aquin se servirent des traductions données par Jacques de Venise de la Physique, de la Métaphysique et des Seconds analytiques. L’heure était d’articuler pensée chrétienne et enseignement aristotélicien. En composant la Somme théologique, saint Thomas paracheva la synthèse commencée au temps de Charlemagne, couronnant ainsi la civilisation européenne d’une magnifique cathédrale d’intelligence. La civilisation européenne, illustrée par saint Thomas, par saint Louis, par saint Bonaventure, par la construction de Notre-Dame de Chartres et de la Sainte Chapelle, par l’idéal de la chevalerie forgé par saint Odon de Cluny et saint Bernard de Clairvaux, atteignait son apogée.



1 Nous renvoyons à : Pierre Maraval, Justinien, Paris, Tallandier, 2016. ↩︎

2 Préface de l’autorité des Institutes, Nouvelle traduction des Institutes de l’empereur Justinien, par Claude-Joseph de Ferrière, Paris, 1760, t. I, p. 5. ↩︎

3 Gérard Guyon, Le choix du royaume, Ad Solem, 2008. ↩︎

4 Exode, XX, 1-17. ↩︎

5 Exode, XX, 1-17. ↩︎

6 Jean, XIII, 34. ↩︎

7 Saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX, XXI. ↩︎

8 Saint Jean, XIII, 13-14. ↩︎

9 Gérard Guyon, Justice de Dieu, pp. 36-38 ; La Règle de saint Benoît, aux sources du droit. ↩︎

10 Règle, c. 2 § 5 et 6. ↩︎

11 Patrick Demouy, La Sacre du Roi, Strasbourg, 2016, pp. 178 et seq. ↩︎

12 « On appelle ami le gardien de l’âme. Il tâche, avec toute sa loyauté, de garder l’âme de son ami complète et harmonieuse, de sorte qu’aucun article de la loi sacrée de l’amitié ne soit violé. Rares sont ceux qui le comprennent. Car presque tout le monde cherche à accomplir son devoir d’amitié selon le caractère de son âme, et non celui de son ami. Et s’il incombe tant à un ami, à un égal, de préserver l’intégrité et l’inviolabilité de l’esprit de son ami, combien plus il incombe à un seigneur, à qui aime élever et gouverner ses sujets dans l’honneur » — Alcuin, lettre 4, cité par William Slattery, Comment les catholiques ont bâti une civilisation, p. 162. ↩︎

13 Ainsi, à propos de la campagne qui entourait sa cellule monastique en Touraine : « Bien-aimée cellule, mon doux foyer ceint d’arbres aux voix discrètes, mussé dans la verdure des feuilles ; devant toi s’étendent les prairies resplendissantes de fleurs aux douces fragrances et d’herbes vivifiantes ; babillant à ta porte, le ruisseau vient vaguer par ici ; sur sa berge parementée de fleurs, le pêcheur aime à s’asseoir pour tendre son filet. Le lis pâle et la rose fardée mêlent leur parfum à celui, sucré, des fruits innombrables de ton verger, tandis que les hôtes à plumes de la forêt font retentir les matines en l’honneur de leur Créateur » — Carmen 23, cité par William Slattery, Comment les catholiques ont bâti une civilisation, pp. 161-162. ↩︎