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Sermon du 21 janvier 2021 donné à l’occasion de la messe de Requiem pour la mort du roi Louis XVI

par Mgr Wach,
Prieur Général de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre

Monsieur le supérieur,
Messieurs les chanoines,
Messieurs les abbés,
Bien chers amis,


Comme nous sommes encore dans le mois de janvier, pour sacrifier à la coutume, il me faudrait ce matin vous souhaiter une bonne et sainte année, et j’y sacrifie bien volontiers parce que nous sommes réunis sous la protection de l’Immaculée Conception, dans cette belle chapelle du séminaire de Gricigliano qui lui est consacrée. Mais avouons-le, le cœur n’y est pas. En effet, l’Église connaît une crise sans précédent, la dernière de cette ampleur est sans doute au temps de l’arianisme au ive siècle. L’Église, occupée par ses ennemis, semble submergée par l’esprit de la révolution. Le monde, à cause d’une crise sanitaire dont on ne connaît pas bien l’origine, semble de plus en plus être dominé par un totalitarisme, lui aussi révolutionnaire.

Reconnaissons-le : nous voyons naître, atterrés, sous nos yeux, un nouveau monde, une nouvelle Europe où Dieu est exclu, la religion n’existe pas et n’a jamais existé, saint Benoît est un inconnu.

Dieu n’est plus le premier servi, ni dans son Église, ni dans les sociétés, ni dans les familles, il est le grand exclu. À l’horizon, nous voyons l’aube d’un monde terrifiant apparaître, il l’est déjà par toutes ses lois et restrictions qui cachent les visages, qui obligent de s’éloigner des uns des autres, qui nous privent de nous retrouver en famille et surtout qui nous empêchent de prier dans nos églises et d’y recevoir les sacrements. Quelle époque terrible ! Mais pour vous, chers jeunes clercs, quelle époque exaltante, car il vous échoit d’être des témoins, des hérauts, des confesseurs et peut-être des martyrs.

Avec vous ce matin, je poserai cette question : comment peut-on en être arrivé là, frères très chers ? L’anniversaire de la mort sanglante et odieuse, que nous commémorons aujourd’hui, peut grandement éclairer notre conscience, si elle est droite, notre esprit, s’il est sain et notre cœur, s’il est pur. Louis XVI fut la victime qu’il fallait pour que la Révolution puisse perpétrer ses crimes, tant physiques que moraux.

La Révolution : le mot est prononcé, le nœud du problème est là. Elle remonte au jardin de l’Éden, et elle a pour devise celle du malin : Non serviam. L’ordre fut créé par Dieu ; il émanait de son Amour infini pour que règne une gracieuse harmonie entre les êtres, entre les êtres et la création, et surtout entre les êtres et le Créateur.

Mais l’homme, à l’instigation du démon, pris de folie devant cette promesse qui lui fut faite :  Vous serez comme des dieux , refusa d’un coup le plan divin. Il précipita ainsi l’humanité tout entière dans la déchéance du péchés. Celle-ci erra longtemps avant que le Christ, restaurateur de toutes choses, vint non seulement reconduire l’homme dans sa dignité première, mais l’élever jusqu’à la vie surnaturelle, jusqu’à l’intimité avec Dieu. Au cours de la célébration de Noël, le pape saint Léon s’écria :

« Chrétien, reconnais ta dignité ! »

Cette faute originelle nous valut un Rédempteur, un Roi-Sauveur, et ainsi une surabondance de grâces sur l’humanité tout entière. Avec saint Paul, et devant la crèche, nous pouvons proclamer ce matin :  Le Verbe de vie, nous L’avons vu de nos yeux, entendu de nos oreilles, palpé de nos mains et nous vous L’annonçons pour que votre joie soit complète .

Et cette incarnation rédemptrice se perpétue à travers le temps et l’espace par l’Église catholique. L’Église, comme l’enseigne le grand Bossuet,  c’est Jésus-Christ répandu et communiqué . L’Église, c’est le Corps mystique du Christ, et devant cette réalité divine, instituée par amour pour racheter l’humanité, il y a le corps monstrueux, mais bien réel de Satan. Devant le doux et radieux visage de Marie avec son fiat, il y a l’orgueilleuse et altière présence de Satan avec sa rébellion. Et tous deux sont à la tête d’une armée qui se dispute le pouvoir sur les âmes, en faveur de leur béatitude ou de leur damnation éternelle.

Notre bon roi Louis XVI, héritier de l’illustre famille capétienne, qui compte plus de vingt saints canonisés, se trouva être à la charnière d’une époque où les forces des ténèbres renversèrent l’ordre temporel allié à l’Église du Christ. Il fut la victime de cette grande tourmente révolutionnaire, et après sa mort, rien ne fut jamais semblable sur la terre des hommes. L’armée de Satan avait remporté une grande victoire.

Le Christ instaura un royaume de paix et de charité, et partout où les princes et les rois se soumirent à son joug, les frontières de la barbarie reculèrent. Partout, on vit la charité s’implanter petit à petit à la place de la force, de l’orgueil et du désordre.

Nous pourrions contempler et détailler, ce matin, ces deux mille ans de christianisme, à qui nous devons tout, et dont nous sommes fiers. Deux mille ans de christianisme, commencés dans le sang des martyrs de la Rome antique, en passant par les vierges, les confesseurs et les docteurs, jusqu’aux martyrs chrétiens et toujours plus nombreux de notre xxie siècle. Mais le temps ne nous le permet pas. D’ailleurs, chers amis réunis ici dans cette chapelle, vous en êtes tous bien convaincus.

L’Europe se convertit, et en premier la France qui reçut le titre de  Fille aînée de l’Église . Cette noble nation soutint l’Église sa mère, l’aima, la défendit, et sut couvrir tout son territoire de sanctuaires, d’abbayes et de cathédrales pour chanter la gloire de Dieu, d’hôpitaux et d’écoles pour soulager le Christ souffrant dans les mortels les plus délaissés. Puis toute l’Europe se mit à construire ! Une saine émulation ! C’était à qui ferait mieux, à qui servirait mieux son Dieu, à qui aimerait mieux son Dieu. Nous assistâmes émerveillés à un équilibre, plus encore, à une harmonie de la nature et de la grâce !

La grâce ne détruit pas la nature, comme l’enseigne saint Thomas, mais elle la purifie, la parfait, l’élève. Harmonie des arts, de la pensée et de la science. L’homme, par son intelligence animée et soutenue par la grâce de Dieu, devient un écho, un reflet de la sagesse, de la beauté, de la grandeur et de la science divines. Harmonie de l’Église militante et de l’Église triomphante. Il semble parfois que le Ciel touche la terre. Mystère, ô combien réconfortant et exaltant, de la communion des saints !

La chrétienté d’autrefois, soutenue par nos rois très chrétiens, fut comme une symphonie harmonieuse du temporel et de l’intemporel, l’harmonie de l’humain et du divin. Les édifices sacrés que nous ont légués nos ancêtres, ses lois, ses écrits, ses arts transcendent les apparences. Les artistes, les mécènes et les fidèles les plus simples de ces temps de chrétienté, pénétrés de foi et de piété, ont su manifester, exposer, rendre la splendeur et la simplicité des mystères divins. Et à Florence, avouons-le : nous gâtés en cela ! Voilà les fruits de la munificence de notre Mère, la sainte Église catholique.

Mais me direz-vous : point de dissonance en cette harmonie ? Si bien sûr, tout comme dans chacune de nos vies chrétiennes, ou prétendues chrétiennes. Car ce n’est que dans la mesure où nous correspondons à la grâce que nous sommes élevés au plan surnaturel et que nous pouvons ainsi porter des fruits. Le péché et ses conséquences funestes sont anéantis si nous vivons de la grâce divine. Mais ce n’est que dans la Patrie céleste que le mal en nous sera définitivement vaincu.

Et si les chrétiens ont œuvré pour la chrétienté, les cohortes nombreuses sous la bannière de Satan ont sans cesse attaqué sans relâche les fidèles du Christ, et cela depuis l’origine. Rappelez-vous le massacre des saints innocents, à peine le Christ était-il né ! Et de combien de reniements et de trahisons, notre divin Sauveur n’a-t-il pas été victime : Judas, un des douze reniera le Christ ! L’ambition, la jalousie, l’envie, la paresse, la luxure : bref, tous les péchés capitaux, tout cela est agité sans cesse à notre esprit par le malin, et aujourd’hui, érigé même en vertu et en droit ; la rébellion et la Révolution sont aujourd’hui institutionnalisées.

Il fallait une victime, il fallait un sacrifice, et ce fut Louis XVI. Comme le disait le pape Pie VI, à Rome lors du Consistoire extraordinaire du 17 juin 1793 :

Qui pourra jamais douter que ce monarque n’ait été principalement immolé en haine de la foi et par un esprit de fureur contre les dogmes catholiques.

Si comme d’autres souverains, il avait renié sa foi catholique ; si comme d’autres souverains, il avait arboré l’étendard de l’esprit révolutionnaire, alors il n’aurait pas connu cette mort, à la fois, horrible pour qui la lui a donnée, mais combien noble et sainte pour la victime innocente qui l’a reçue.

Tout le soi-disant Siècle des Lumières avait travaillé pour écraser l’infâme. Ce fut fait, l’Église connut de nombreux martyrs et ne retrouva jamais sa place et son influence dans la société civile. Louis XVI, tout d’abord chancelant, fut intrépide lorsqu’il comprit ce qui était en jeu. Il fallait l’assassiner pour laisser libre cours aux adeptes de la rébellion, pour détruire l’ordre et l’harmonie chrétiens.

Depuis, chers amis, ce n’est plus l’Église qu’ils veulent écarter, c’est Dieu Lui-même qu’ils ont tué. Dieu est mort, dit-on ; mais rappelez-vous cette sentence grave que prononça le saint Pape Jean-Paul II, à l’aurore de son pontificat :  La mort de Dieu, c’est la mort de l’homme  !

Et nous assistons aujourd’hui, effrayés, au spectacle d’une humanité déshumanisée.  Christianiser, c’est humaniser , disait saint Augustin ; déchristianiser…

L’homme devient un ennemi pour l’homme : il peut être tué avant sa naissance et avant sa mort naturelle, il peut être fabriqué, et nous ne savons ce que nous réservent tous ces apprentis sorciers et ces Diafoirus de la biologie.

La Révolution est toujours en marche et elle s’approche de sa fin ultime qu’est le chaos.

Alors, nous chrétiens, à l’exemple de ce grand roi très-chrétien, Louis XVI, sachons être des remparts, des lumières, des phares, et peut-être des martyrs, pour que l’homme survive à lui-même.

Et comme le disait encore le pape Pie VI :

Nous ne prierons pas pour lui, mais nous nous recommanderons à ses prières, lui qui a déjà reçu, lui qu’on croit avoir mérité la palme du martyre.

Très chers clercs, réunis ici dans cette chapelle, malgré nos faiblesses – comme celles du bon roi Louis XVI – imitons aussi son courage et ses vertus. Ne soyez pas comme des enfants gâtés qui se plaignent de tout alors qu’ils doivent apprendre l’abnégation, le don de soi, le sacrifice, pour être d’authentiques disciples du Christ. Le monde d’aujourd’hui et de demain n’aura pas besoin de tièdes, de mollassons, de capricieux, de pénibles, d’égoïstes , mais aura besoin d’authentiques saints ! C’est à ce prix, mes chers amis, qu’avec la sainte Église de Dieu, nous renverserons le pouvoir de la révolution. C’est avec l’humilité et non l’orgueil, c’est avec la piété et non l’impiété, c’est avec la pureté et non la luxure, c’est avec la bonté et non la méchanceté, c’est avec la générosité et non l’égoïsme, c’est avec les belles vertus chrétiennes que nous ferons reculer l’influence du diable et de ses cohortes sur notre pauvre monde défiguré, accablé, agonisant.

Alors, en ces temps troublés, devant l’incertitude de l’avenir, devant la montée grandissante de la Révolution, demandons à saint Joseph de protéger son Église, puis tournons-nous vers celle qui nous a donné l’unique Sauveur de l’humanité, l’unique Roi des rois, Celui en qui nous avons toute espérance : le Christ Jésus, proche de nous dans le Saint-Sacrifice de la Messe, proche de nous dans nos saints tabernacles.

Je vous invite donc à tourner vos regards, à tourner vos cœurs, à tourner vos supplications, avant qu’il ne soit trop tard, vers Marie. Qu’elle nous protège, nous bénisse, nous fortifie afin que, sur terre comme au Ciel, retentisse à jamais :

Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat !

Ainsi soit-il.