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Le Christ-Roi

Conférence du R. Père Dom de Robien, m.b.

de l’Abbaye Notre-Dame de Randol

 

 

« Le titre du Seigneur que nous allons étudier ce soir vous intéresse particulièrement puisqu’il s’agit du Christ-Roi.

 

- « Qui dites vous que je suis ? »

- « Je suis Roi ».

 

Nous avons tous remarqué bien des fois au dessus du Christ en croix l’inscription « I.N.R.I. » et souvent les gens nous posent la question : « Que signifient ces quatre lettres là ? »

Cela signifie « Iesus Nazarenus Rex Iudeorum : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs ».

Pilate fit rédiger et mettre sur la Croix un écriteau portant ces mots après la crucifixion de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour bien montrer qui était le crucifié.

 

Voici ce que dit Saint Jean au chapitre dix-neuvième de son Evangile, versets 17 à 22 :

« Ils prirent donc Jésus qui, portant lui-même sa croix, sortit de la ville pour aller au lieu dit du crâne, en hébreu : Golgotha, où ils le crucifièrent et avec lui deux autres, un de chaque côté, au milieu Jésus. Pilate rédigea aussi un écriteau et le fit mettre sur la croix, portant ces mots : « Jésus le nazaréen Roi des Juifs ». Cet écriteau beaucoup de juifs le lurent car le lieu où Jésus fut mis en croix était proche de la ville et l’écriteau était rédigé en hébreu, en latin et en grec »[1]. « Les grands prêtres des Juifs eurent beau dire à Pilate – il ne faut pas écrire : « Le Roi des Juifs » mais : « Cet homme a dit : Je suis le Roi des Juifs ». Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit », ce qui signifiait : « Ecoutez, laissez-moi la paix », il en avait plus qu’assez, on l’a vu encore hier sur le film « La Passion » de Med Gibson. Je crois qu’il ne faut pas juger Pilate, il avait peut être de la faiblesse, c’est certain ; mais il a quand même essayé longuement de sauver le Seigneur.[2]

 

Mais remarquons tout de suite que Jésus n’a jamais dit ce qui est écrit : « Je suis le Roi des Juifs ». Il a dit : « Je suis Roi » et Il a bien précisé : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; et ces paroles sans équivoque de Jésus contiennent l’affirmation nette que le caractère lié à la mission du Christ-Messie envoyé par Dieu ne peut pas être compris dans un sens politique comme s’il s’agissait d’un pouvoir terrestre, et pas même dans sa relation avec le peuple élu, Israël.

 

La suite du procès de Jésus confirme l’existence du conflit entre cette conception que le Christ a de Lui-même comme Messie-Roi, et celle, terrestre et politique, commune dans le peuple, pour laquelle on a voulu aussi Le condamner. Jésus donc est condamné à mort sur l’accusation qu’Il « s’est fait Roi ». Et l’accusation placée sur la croix : « Jésus le  nazaréen, Roi des Juifs » prouvera que, pour l’autorité romaine, c’est bien là le crime qu’Il a commis.

 

Les Juifs qui, paradoxalement, aspiraient au rétablissement du « règne de David », savaient d’après les prophéties que ce règne devait revenir (ils y aspiraient, ils l’attendaient, mais dans un sens terrestre) et cependant à la vue de Jésus flagellé et couronné, que Pilate leur présentait par ces mots : « Voici votre Roi », ils avaient crié : « Crucifie-le, nous n’avons d’autre Roi que César ». C’est l’hypocrisie la plus affreuse que l’on puisse imaginer : alors qu’ils rejetaient César, ils avaient dans l’idée de rétablir le Roi d’Israël descendant de David.

 

Sur le fond, nous pouvons mieux comprendre la signification de l’inscription posée sur la croix du Christ, non sans référence à la définition que Jésus avait donnée de Lui-même au cours de l’interrogatoire devant le Procurateur romain, et c’est seulement en ce sens que le Christ-Messie est « le Roi » ; c’est seulement en ce sens qu’Il met en œuvre la tradition du « Roi messianique » qui est présente dans l’Ancien Testament et inscrite dans l’histoire du peuple de l’Ancienne Alliance.

 

Sur le calvaire enfin, un dernier épisode éclaire la messianité royale de Jésus. Un des malfaiteurs crucifiés en même temps que Jésus manifeste cette vérité d’une manière pénétrante quand il dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton royaume » (Luc 23, 42). Jésus lui répond : « En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis ». « Ton royaume » dit l’un, « mon Paradis » dit Jésus.

Nous trouvons dans ce dialogue comme l’ultime confirmation des paroles que l’ange avait adressées à Marie lors de l’Annonciation : « Jésus règnera … et son royaume n’aura pas de fin » (Luc,1, 33).

Voici proclamée, par un païen, à la face du monde, la royauté de Jésus-Christ au moment où Il est mis à mort de la façon la plus ignominieuse, comme le dernier des esclaves. Paradoxe extraordinaire !

Pilate ne fait que proclamer ce qui a déjà été attesté par Notre-Seigneur Lui-même au cours de Sa vie terrestre, après avoir été annoncé par les Ecritures dans l’Ancien Testament.

 

L’Evangile de Saint Jean, je l’ai relevé, n’a pas moins de quatorze fois le mot « Roi » appliqué à Jésus, et cela commence dès le chapitre premier verset quarante-neuf : « Rabbi, tu es le fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël » Tout ce passage de la vocation des apôtres est merveilleux. Au verset quarante, on voit André, le frère de Simon-Pierre, l’un des deux qui avait entendu les paroles de Jean et suivi Jésus ; il rencontre au lever du jour son frère Simon et lui dit : « nous avons trouvé le Messie, c'est-à-dire le Christ » il l’amène à Jésus, Jésus le regarde et lui dit : « tu es Simon le fils de Jean, tu t’appelleras Cephas, ce qui veut dire Pierre ». Le lendemain, Jésus se proposait de partir pour la Galilée, il rencontre Philippe, il lui dit : « Suis-moi ». Philippe était de Bethsaïda la ville d’André et de Pierre. Philippe rencontre Nathanaël et lui dit : « Celui dont il est parlé dans la Loi de Moïse et des prophètes, nous l’avons trouvé, c’est Jésus, le fils de Joseph de Nazareth ». « De Nazareth ! », lui répond Nathanaël, « peut-il sortir quelque chose de bon ? » - « Viens et vois » lui dit Philippe. Jésus vit venir Nathanaël et dit de lui : « Voici un véritable israélite, un homme sans artifice ». « D’où me connais-tu ? » lui dit Nathanaël. -  « Avant que Philippe ne t’appela » reprit Jésus, « quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ». Nathanaël lui répondit : « Rabbi, tu es le fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël » - instantanément -. Jésus répartit : « Parce que je t’ai vu sous le figuier tu crois ? Tu verras mieux encore » et il lui dit : « En vérité, en vérité je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les nuées des anges monter et descendre au dessus du Fils de l’homme ».

 

Au chapitre sixième verset quinze, Saint Jean rapporte que la foule veut enlever Jésus pour le proclamer Roi : c’est aussitôt après la première multiplication des pains. « A la vue du signe qu’il venait d’opérer, les gens dirent : « C’est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde » et Jésus se rendant compte qu’ils allaient l’enlever pour le faire Roi, s’enfuit à nouveau dans la montagne, seul. »

Il y a évidemment erreur : erreur sur le genre de Royauté du Christ ; mais le peuple a senti qu’il y avait en Jésus une royauté réelle.

Nous approchons du véritable sens de cette Royauté à l’occasion du récit des Rameaux. Nous sommes à six jours de la Passion et Jésus va faire une entrée triomphale dans la ville de Jérusalem : c’est la proclamation de sa Royauté messianique qui va être faite par le peuple qui a, ce jour-là, davantage de lumières que les apôtres eux-mêmes. D’ailleurs, vous pouvez le remarquer, puisque l’Evangile nous dit que « les disciples ne comprirent pas cela tout d’abord ». Voyez le chapitre douzième verset douze et suivant : « La foule des gens venus pour la fête (de la Pâques) apprit que Jésus se rendait à Jérusalem ; ils prirent des rameaux de palmiers et sortirent à sa rencontre en criant : Hosanna, bénit soit celui qui vient au nom du Seigneur le Roi d’Israël ». Encore une proclamation. Et Jésus, trouvant un ânon monta dessus, selon le mot de l’Ecriture : « Sois sans crainte, fille de Sion : voici venir ton Roi monté sur le petit d’une ânesse » ; ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord mais quand Jésus eut été glorifié ils se souvinrent que cela avait été écrit de Lui et que c’était bien ce qu’on lui avait fait ».

En effet, l’Ecriture avait prédit tout cela, voyez le psaume cent dix-huitième par exemple : « Benedictus qui venit in nomine Domini ». Mais surtout Zacharie dont une citation est reprise ici : Zacharie écrivait au sixième siècle avant Jésus Christ : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem. Voici que ton Roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble et monté sur un ânon, petit d’une ânesse… L’arc de guerre sera supprimé, il proclamera la paix dans les nations. Sa domination ira de la mer à la mer et du fleuve aux extrémités de la terre » (Zacharie chap. 9, v. 9 et suivants).

Et voici donc réalisée la prophétie, Jésus fait une entrée triomphale, royale, dans Jérusalem, qui est la capitale d’Israël et il affirme ainsi sa royauté.

Nous sommes au premier jour de la semaine qui verra sa Passion ; mais aussi sa Résurrection plus triomphale encore.

Et c’est durant sa Passion que Jésus va proclamer sans détour sa Royauté. Il ne sera pas compris de ses interlocuteurs, sur le moment du moins, mais il le sera par la postérité.

C’est aux chapitres dix-huitième et dix-neuvième de l’Evangile de Saint Jean que l’on trouve ces dialogues qui, peu à peu, nous font découvrir ce qu’est la Royauté réelle du Christ (il y a eu beaucoup de reprises de ces textes dans le film La Passion). Verset trente-trois : « Pilate rentra dans le prétoire, il appela Jésus et lui dit : « Tu es le Roi des juifs ?– Jésus répondit : Dis-tu cela de toi-même, où d’autres te l’ont-ils dit de moi ? » – Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif,  moi ? Ceux de ta nation et les grands-prêtres t’ont remis entre mes mains. Qu’as-tu fait ? » – Jésus répondit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. Si mon Royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon Royaume n’est pas d’ici. »« Donc tu es Roi ? – dit Pilate – « Tu le dis, je suis Roi » – répondit Jésus – « Je ne suis né et ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité, quiconque est de la Vérité écoute ma voix »

Pilate lui dit : «  Qu’est ce que la vérité ? » – Sur ces mots il sortit de nouveau, alla vers les Juifs et leur dit : « Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais c’est pour vous une coutume que je relâche quelqu’un à la Pâques : voulez-vous donc que je relâche le Roi des Juifs ? » – Ils se remirent à crier disant : « Non pas lui, mais Barabbas ». Or, Barabbas était un brigand.

J’ai beaucoup apprécié - je ne sais pas si vous l’avez entendue - cette interprétation que donne le Saint Père Benoît XVI sur ce nom de Barabbas qui est très étonnant : Bar-a-bas « fils du père » .

 « Alors Pilate ordonna de prendre Jésus et de le flageller, chapitre dix-neuf, puis les soldats, tressant une couronne avec des épines la lui mirent sur la tête et ils le revêtirent d’un manteau de couleur pourpre. S’avançant vers lui, ils disaient : « Salut, Roi des Juifs » et ils le giflaient. Pilate ressortit et leur dit : « Voyez :  je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve aucun motif de condamnation ». Jésus sortit alors portant la couronne d’épines et le manteau de couleur pourpre, les insignes royaux. Pilate leur dit : « Voici l’Homme (Ecce homo) ». Dès qu’ils le virent, les grands prêtres et les gardes crièrent : « Crucifie-le, crucifie-le. » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-même et crucifiez-le ; moi je ne trouve en lui aucun motif de condamnation ». Les Juifs répliquèrent : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir : il s’est fait Fils de Dieu ».

A ces mots Pilate s’alarma encore davantage, il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : « D’où es-tu ? ». Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Alors Pilate lui dit : « Tu ne veux pas me parler, à moi ? Ne sais tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher et pouvoir de te crucifier ?» Ecoutez cette réponse : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir » répondit Jésus « s’il ne t’avait été donné d’en-Haut  ; aussi, celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché ».

Tout pouvoir vient d’en-Haut.

Jean XIX, 12 – ch. Mat. XXVII, 11 : « Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs criaient : « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de César :, qui se fait Roi s’oppose à César ». Pilate à ces mots fit amener Jésus dehors et s’assit à son tribunal au lieu appelé le dallage, en hébreu gabbatha. C’était le jour de la préparation de la Pâques, environ la sixième heure. Pilate dit aux juifs : « Voici votre Roi » eux disaient : « A mort ! à mort ! crucifie-le »  - « Crucifierai-je votre Roi ? », leur dit Pilate. Les grands prêtres répondirent : « Nous n’avons d’autre Roi que César ! ». Alors il le leur livra pour être crucifié.

 

Ils prirent donc Jésus qui, portant Lui-même sa croix, sortit de la ville pour aller au lieu dit du crâne, en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent et avec lui deux autres, un de chaque côté, au milieu Jésus. Pilate rédigea aussi un écriteau et le fit mettre sur la croix ; il portait ces mots : « Jésus le nazaréen, le Roi des juifs ». Cet écriteau beaucoup de Juifs le lurent …  « Jésus Roi des Juifs » -  « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ».

Nous avons donc la proclamation de la bouche même du Seigneur : « Tu le dis, je suis Roi ». Et Pilate acquiesce, sans comprendre.

C’était bizarre et bouleversant évidemment, à bien des titres, chaque mot est bouleversant par lui-même, chaque terme, chaque expression : que ce soit de Pilate, que ce soit des Juifs, que ce soit du Seigneur, bien-sûr, plus que tout, tout est terriblement émouvant.

Et nous avons donc la proclamation de la bouche même du Seigneur : « tu le dis, je suis Roi » et Pilate acquiesce sans comprendre, il acquiesce quand-même.

Mais nous n’en avons pas fini avec les textes qui proclament la Royauté de Notre Seigneur Jésus Christ. Dès le début de l’Evangile de Saint Mathieu nous avons la révélation faite aux Mages venus d’Orient, et qui a tant bouleversé la Roi Hérode, qui tremblait pour son propre trône, se trompant déjà lourdement sur le sens de la Royauté de celui qui venait de naître. « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ?» demandent les Mages (Mathieu chap. 2 v. 1 à 11). « Jésus étant né à Bethléem de Judée au temps du Roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient se présentèrent à Jérusalem et demandèrent : Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu en effet son astre se lever et nous sommes venu lui rendre hommage. Informé, le Roi Hérode s’émut et tout Jérusalem avec lui ». C’était trente-trois ans plus tôt  : « A Bethléem de Judée – lui répondirent t-ils – car c’est ce qui est écrit par le prophète : Et toi Bethléem, terre de Judas, tu n’es nullement le moindre des clans de Judas car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël. Alors Hérode mandat secrètement les Mages et se fit préciser la date de l’apparition de l’astre et les dirigea sur Bethléem en disant : Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage ». En fait, c’était un mensonge, évidemment ; mais il n’empêche qu’il leur fit cette réponse : « Je veux aller lui rendre hommage ». « Sur ces paroles du Roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre qu’ils avaient vu à son lever les devançait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant ».

« La vue de l’astre les remplit d’une très grande joie. Entrant dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère et, tombant à genoux, se prosternèrent devant lui » : voyez l’inspiration, comment ces Mages sont inspirés par l’Esprit Saint : ils se prosternent devant le Roi « et ouvrant leurs trésors [leurs cassettes], ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe ».

Qu’est ce donc que cette Royauté ainsi prédite, annoncée depuis des siècles, révélée à des Sages d’Orient, proclamée par Celui qui en est le bénéficiaire, et confirmée par ceux qui L’ont mis à mort ?

C’est encore, à Saint Jean que nous demanderons cette réponse : au prologue de son merveilleux Evangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui ».

Et à ces premiers versets de Saint Jean font écho les premiers versets de l’Epître aux Hébreux qui ont une vigueur semblable : « Après avoir à maintes reprises et sous maintes formes parlé jadis aux pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles[3]. Nous avons dans ces deux textes, le Prologue de Saint Jean et celui de l’épître aux Hébreux, la clef de la question sur la royauté du Christ.

Le Verbe de Dieu est le principe de l’univers et il en est aussi la fin. Vous avez tous dû faire de la philosophie, ou vous en faites, ou vous en ferez, et voir que la première cause efficiente est aussi la dernière cause finale.

L’harmonie des choses veut que l’alpha soit l’oméga, « principium et finis », et que tout se termine et se ramène finalement à son principe premier.

Comment ne serait-il pas l’héritier et le terme des siècles, Celui par qui les siècles ont commencé ?

C’est le même Fils de Dieu qui a fait les siècles et à qui se terminent les siècles, comme  à l’héritier de leur œuvre commune.

Ils ont travaillé et travaillent pour Lui. Et que toutes choses s’achèvent en Lui, qu’elles trouvent en Lui leur terme et leur consommation, cela vient de ce que le Père l’a établi héritier de toutes choses et de tous.

Filiation et hérédité vont ensemble, l’une est la conséquence de l’autre. Mais cette conception de l’hérédité ne veut pas dire simplement que les âmes et les peuples sont à Lui, elle signifie également que toute l’histoire s’oriente vers Lui, qu’Il est le terme de la création, mais aussi de l’histoire, que les évènements s’acheminent vers Lui, qu’Il est l’héritier du long effort des siècles, et que tous ont travaillé pour Lui.

On peut dire que Socrate, Platon, et Aristote ont pensé pour Lui. Et l’Église est venue, à son heure, pour recueillir comme son bien, comme une richesse préparée de Dieu pour Elle tout le fruit de l’intelligence antique. C’est pour l’Église que la Loi et les prophètes ont parlé, que la religion juive s’est développée, que les écoles socratiques ont discuté, que les peuples se sont mêlés, que les juifs ont été successivement mis en contact avec toutes les grandes monarchies, que l’empire romain a acquis sa puissante structure.

Le Seigneur est l’héritier de tout ; c’est à Lui, le premier  dans la pensée de Dieu, que sont ordonnées toutes les œuvres de Dieu. (Je vous conseille, là aussi, si vous l’avez, le commentaire de Dom Delatte sur les épîtres de Saint Paul).

C’est normal et sage, parce qu’un vouloir parfaitement ordonné veut d’abord la fin. (Quand on voyage on sait qu’on va à tel but, la fin du voyage). La fin première dans l’ordre d’intention est dernière dans l’ordre de la réalisation.

L’ordre consiste donc à ce que tout l’univers gravite vers le Verbe comme vers son terme. Et le Verbe, c’est Notre Seigneur Jésus Christ.

Dieu veut d’abord sa Gloire.

Dieu veut créer parce qu’il veut sa glorification hors de lui-même.

Et voulant sa glorification hors de lui-même il veut d’abord et principalement ce qui, dans l’histoire actuelle de l’humanité, est le premier et universel moyen de la procurer, l’Incarnation rédemptrice, œuvre du Christ, accomplie avec la coopération de sa mère.

Ainsi, Jésus et Marie sont principalement voulus de Dieu comme ceux de qui dépendent tous ses autres ouvrages. Ils ont sur la création entière une prééminence et une véritable royauté (nous le savons bien pour Marie, elle a été proclamée Reine).

Saint François de Sales dit, dans le Traité de l’Amour de Dieu, que « Dieu fit le choix de créer les hommes et les anges comme pour tenir compagnie à son Fils, participer à ses grâces et à sa gloire, et l’adorer et louer éternellement ».

On représente le Créateur, dans l’œuvre des six jours, travaillant en vue de l’homme, et c’est vrai. Mais le premier homme et la première femme pour lesquels il prépare ses merveilles, ce n’est pas Adam et Ève, c’est Jésus et Marie. Dans l’histoire de ce monde, Adam et Ève sont sous la dépendance de Jésus et de Marie par qui eux-mêmes et leurs descendants ont recouvré la grâce. Jésus et Marie sont, en fait et dans l’ordre actuel des choses, les premiers dans l’intention divine et les chefs véritables de l’humanité.

            Jésus est donc Roi

« Puer natus est nobis», disait déjà le prophète Isaïe, chap. 9, v. 5 : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; l’Empire a été posé sur ses épaules ».

Et la vision du prophète Daniel est plus explicite encore, Daniel chap. 7, v. 13 : « Je regardais dans les visions de la nuit et voici que, sur les nuées,  vint comme un fils d’homme : il s’avança jusqu’au vieillard et on l’amena devant lui. Et celui-ci lui donna puissance, gloire et règne, et tous les peuples, nations et langues le servaient. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas et son royaume ne sera jamais détruit ». Et ailleurs : « Le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes et lui-même subsistera à jamais ».

A cette vision de Daniel fait écho celle de Saint Jean dans son Apocalypse dont il faudrait citer de nombreux passages. Là aussi vous pourrez les revoir. Mais dès le chapitre premier verset quatre, voici ce que dit Saint Jean : « Il est, Il était et Il vient, par les sept Esprits présents devant son trône, et par Jésus Christ le témoin fidèle, le premier né d’entre les morts, le Prince des rois de la terre. Il nous aime et nous a lavé de nos péchés par son sang, il a fait de nous une royauté de prêtres pour son Dieu et Père : à Lui donc la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. » - « C’est moi l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu. Il est, il était et il vient, le maître de tout ».

Et aux chapitres 4 et 5 de l’Apocalypse nous avons cette vision extraordinaire, éclatante, - apocalyptique pourrait-on dire même, c’est le mot qui convient - de l’Agneau égorgé, le Christ, « à qui est donné la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange dans les siècles des siècles ». Plus loin encore, la vision se poursuit, Saint Jean parle du Maître de Tout. « Un nom est inscrit sur son manteau et sur son étendard : Roi des rois et Seigneur des seigneurs ».

Plus loin encore c’est la vision du jugement dernier, (chapitre vingtième), et ensuite de la Jérusalem céleste annoncée, elle aussi, par le prophète Isaïe ; c’est un texte superbe : « Puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle ; et je vis la Cité sainte, la Jérusalem céleste qui descendait du ciel de chez Dieu, elle s’était faite belle comme une jeune mariée parée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer du trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes . Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple et lui « Dieu-avec-eux » sera leur Dieu. Il essuiera toutes larmes de leurs yeux ; de morts il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. Alors, celui qui siège sur le trône déclara : Voici que je fais l’univers nouveau ». C’est le chapitre vingt-et-unième de l’Apocalypse

 « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin. Celui qui a soif, moi je lui donnerai de la source de vie gratuitement. Je serai son Dieu et lui sera mon fils ». Voyez encore la réminiscence, là aussi, de la Source d’eau vive, dont nous avons parlé.

Pour terminer l’Apocalypse, Saint Jean a la révélation que « les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors ». C’est la fin de l’Apocalypse, le chapitre vingt-et-unième. (Cela me rappelle une phrase de Saint Louis « Que craindrais-je devant la mort ? Si je vis, je Le sers ; si je meurs, je Le vois ».

On ne se lasse pas de lire et de relire sans fin l’Ecriture, d’approfondir ses Mystères, autant que cela est possible aux intelligences humaines ; et il est passionnant de s’attacher à un thème comme je vous l’ai déjà suggéré hier, de retrouver ses concordances à travers le Nouveau et l’Ancien Testament, entre les divers auteurs inspirés aussi ; et il faut toujours avoir à l’esprit que c’est Dieu Lui-même qui a inspiré ces auteurs, qui n’ont écrit autre chose que ce que Dieu a voulu qu’ils écrivent, même s’il y a pu avoir ici et là des erreurs de transcription.

Mais là n’est pas la question aujourd’hui. Nous voyons comment cette royauté du Christ s’accomplit effectivement, quelle est sa portée actuelle et aussi quelles en sont les conséquences.

Jésus-Christ est donc Roi. Jésus-Christ est Roi de façon héréditaire car fils de Roi. Dieu est Roi. Combien de fois le lit-on d’ailleurs pour Dieu lui-même dans l’ancien Testament ! Voici par exemple une citation du livre d’Esther chap. 13, v. 8 que nous avons au missel le mercredi de la deuxième semaine de carême : c’est une magnifique prière de Mardochée: « Mardochée se mit en prière et dit : «  Seigneur (il parle à Dieu le Père) Souverain, Roi tout puissant, à ton pouvoir toute chose est soumise, il n’est rien qui puisse résister à ta volonté, si tu a décidé de sauver Israël ». Un peu plus loin : « Tu es le Maître de l’univers et il n’est  personne qui puisse tenir tête à Ta Majesté. Maintenant donc, Seigneur Roi, Dieu d’Abraham (et il poursuit sa prière pour supplier que Dieu sauve son peuple).

Donc Roi par droit de naissance éternelle puisqu’il est Dieu, Jésus-Christ est Roi par droit de conquête, de rédemption, de rachat.

Et cette royauté est universelle. Rien, en effet ne peut être plus universel, plus absolu que cette royauté puisque le Christ est Lui-même principe et fin de toute la création.

Cependant pour qu’il n’y ait aucun doute, Notre Seigneur a tenu à le préciser : « Tout pouvoir » dit-il, (Mathieu chapitre vingt-huitième, v. 18) « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre (« omnis potestas data est mihi in caelo et in terra) : c’est au moment où il va envoyer ses apôtres en mission.

Au Ciel et sur la terre : autant dire, dans l’ordre surnaturel et aussi dans l’ordre naturel. « Là est en effet le nœud de la question » écrit le cardinal Pie (je pense que vous connaissez le cardinal Pie, évêque de Poitiers, un des plus grands évêques que la France ait connu dans ces derniers siècles) « N’oublions pas » dit-il « et ne laissons pas oublier ce que nous enseigne le grand apôtre Saint Paul : que Jésus-Christ, après être descendu des cieux, y est remonté afin de remplir toutes choses. Il ne s’agit pas de sa présence comme Dieu puisque sa présence a toujours été, mais sa présence comme Dieu et homme tout à la fois. Jésus-Christ est désormais présent à tout, sur la terre aussi bien qu’au Ciel. Il remplit le monde de son nom, de sa loi, de sa lumière, de sa grâce. Rien n’est placé hors de sa sphère d’attraction ou de répulsion ; aucune chose ni aucune personne ne peuvent lui demeurer totalement étrangère et indifférente ; on est pour ou contre Lui.

Il a été posé comme la pierre angulaire,pierre d’édification pour les uns (c'est-à-dire pierre qui sert a édifier une construction), pierre d’achoppement (c'est-à-dire qu’on tombera en butant dessus) et de scandale pour les autres, pierre de touche pour tous. 

L’histoire de l’humanité, l’histoire des nations, l’histoire de la paix et de la guerre, l’histoire de l’Église surtout, n’est que l’histoire de Jésus remplissant toutes choses.

« Ni dans sa personne » poursuit le cardinal Pie «  ni dans l’exercice de ses droits Jésus-Christ ne peut être divisé, dissout, fractionné. En lui la distinction des natures et des opérations ne peut jamais être la séparation, l’opposition. Le divin ne peut pas être antipathique à l’humain, ni l’humain au divin. Au contraire il est la paix, le rapprochement, la réconciliation. Il est le trait d’union qui fait les choses une. C’est pourquoi Saint Jean nous dit : « Tout esprit qui dissout Jésus Christ n’est pas de Dieu, et c’est proprement lui qui est cet antéchrist dont vous avez entendu dire qu’il vient et qu’il est déjà dans le monde ».

Donc, tout pouvoir a été donné au Christ au Ciel et sur la terre. Cette vérité est au principe même du christianisme. Nous l’avons vue dans les Evangiles, dans l’Apocalypse de Saint Jean, et elle se trouve aussi dans les épîtres et dans les discours de Saint Pierre.

Nous la retrouvons sous-jacente dans tout l’enseignement de Saint Paul : sa formule « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu » ne fait qu’exprimer la même idée de façon plus particulière. « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu », c’est ce que Jésus a dit à Pilate précisément.

Jésus-Christ a demandé et son Père lui a donné. Tout dès lors lui a été livré, il est à la tête, le chef de tout sans exception. Saint Paul dans son épître aux Colossiens chapitre 1er, versets treize et suivants, dit ceci : « En lui et racheté par son sang nous avons reçu la rémission des péchés. Il est l’image du Dieu invisible, le premier né de toutes les créatures ; car en Lui toutes choses ont été créées dans le ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles, et les Trônes et les Dominations, les Principautés et les Puissances : tout a été créé par Lui et pour Lui. Il est avant tout et tout subsiste en Lui ; et c’est Lui qui est la tête de l’Eglise, son corps.

Il est Le principe, il est le premier né d’entre les morts de sorte qu’en tout c’est lui qui tient la primauté parce qu’il a plu au Père que toute plénitude résidât en Lui ; et c’est par Lui et en Lui qu’Il s’est réconcilié toutes choses, pacifiant par le Sang de la Croix ce qui est sur la terre et ce qui est dans les cieux, dans le Christ Jésus Christ Notre Seigneur. »

 

« N’établissons pas d’exception là où Dieu n’a pas laissé place à l’exception », c’est encore Monseigneur Pie qui le dit. « L’homme individuel et le chef de famille, le simple citoyen et l’homme public, les particuliers et le peuple, en un mot tous les éléments quelconques de ce monde terrestre doivent la soumission au nom de Jésus » Comme on aimerait que nos hommes politiques à l’heure actuelle entendent ces mots !

 

« Jésus-Christ est donc Roi universel, Roi des rois, Roi des nations, Roi des peuples, Roi des institutions, Roi des sociétés, Roi de l’ordre politique comme de l’ordre privé.

Après ce qui vient d’être dit comment concevoir qu’il en puisse être autrement ? Si Jésus-Christ est Roi universel, comment cette royauté ne serait-elle pas aussi une royauté sur les institutions ? sur les Etats ? Une royauté sociale ? Comment pourrait-elle être dite universelle sans cela ?

Si les querelles sont vives en cet endroit, c’est que nous atteignons le domaine de celui que l’Ecriture appelle précisément « le Prince de ce monde ». » Le Prince de ce monde, il faut en parler à l’heure actuelle, parce qu’il danse sur la place publique.

Voici que nous poursuivons le dragon dans son retranchement, que nous le forçons dans ce qu’il prétend être son repère. Rien d’étonnant alors à ce qu’il redouble de violence, crachant flammes et fumée pour essayer de nous aveugler. Combien se laissent abuser !

 « Il est des hommes de ce temps », notait encore Monseigneur Pie, « qui n’acceptent pas et d’autres qui acceptent avec peine les jugements et les décisions de l’église[4].

Comment donner la valeur d’un dogme (disent-ils ou pensent-ils) à des enseignements qui datent du Syllabus et des préambules de la première Constitution du Vatican ? Tranquillisez-vous , répond l’évêque de Poitiers : «Les doctrines du Syllabus et du Vatican sont vieilles comme la doctrine des apôtres, comme la doctrine des écritures ».

A ceux par exemple qui s’obstinent à nier l’autorité sociale du christianisme, voici la réponse que nous donne Saint Grégoire le Grand : il commente le chapitre où est racontée l’adoration des Mages. Expliquant le mystère des dons offerts à Jésus par ces représentants de la gentilité, il s’exprime en ces termes : « Les Mages reconnaissent en Jésus la triple qualité de Dieu, d’homme et de Roi. Ils offrent au Roi l’or (cette homélie de Saint Grégoire le Grand nous l’avons à l’office des matines, peut-être que vous l’avez aussi dans l’office), au Dieu l’encens, à l’homme la myrrhe. Or il se trouve des hérétiques qui croient que Jésus est Dieu, qui croient également que Jésus est homme, mais qui se refusent obstinément à croire que son règne s’étend partout.

Donc, dès le temps de Saint Grégoire le Grand, qui a régné de 590 à 604, on était infligé de la note d’hérésie si on n’acceptait pas la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ,[5], si on ne reconnaissait pas sa royauté sociale.

De nos jours les Papes n’ont cessé, avec insistance, de rappeler au monde la doctrine de la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ, rédigeant des encycliques magnifiques sur ce sujet : « Ubi arcano Dei » et « Quas primas » pour Pie XI, « Humanis generis » pour Pie XII.

 

Mais que signifie donc cette parole du Seigneur : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ? Elle signifie, si l’on s’en rapporte à la précision du latin : « Mon royaume ne provient pas de ce monde » : non est DE hoc mundo. Et c’est parce qu’il provient d’en-haut et non d’en-bas qu’aucune main terrestre ne pourra le lui arracher. Le « de ce monde » exprime l’origine, et c’est pourquoi les royaumes de cette terre ont pu disparaître les uns après les autres, reparaître et re-disparaître.

Ma royauté n’est pas une royauté selon ce monde, mon royaume n’est pas un royaume comme ceux de la terre, sujets à milles traverses. Ma royauté est beaucoup plus que cela, mon royaume ne connaît pas de frontière, il est infini, éternel. Il ne dépend ni d’un plébiscite, ni du suffrage universel, ni d’une grève. Ma royauté n’est pas une royauté qui passe. Mon trône n’est pas un trône qui a besoin de soldats pour se maintenir et qu’une  révolution peut renverser. Les idées nouvelles ne peuvent troubler ce royaume de l’ordre éternel. Je ne suis pas un roi de ce monde, car les rois de ce monde peuvent se tromper et être trompés ; on peut leur échapper, fuir leur justice : rien de tout cela n’est possible à mon égard.

Je ne suis pas un roi de ce monde parce que les rois de ce monde peuvent être cruels, méchants, insensés, tyranniques, hautains, lointains inabordables (il y en eut heureusement beaucoup de saints aussi).

Tout au contraire ma souveraineté est le règne de l’Amour, le règne de mon Sacré-Cœur ;  mon gouvernement est celui de la Sagesse éternelle ; mon royaume est celui d’une Miséricorde toujours prête à s’épancher en torrents de grâce » Tel est le sens de la formule : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Jésus traite ici la question d’origine et non de celle du terrain ou de la compétence. Il ne dit rien  ce qui signifie pas que son royaume ne soit pas en ce monde ou sur ce monde car il l’est. Et il ne résulte pas de ses paroles que Jésus-Christ ne doive pas régner socialement, c'est-à-dire imposer aux souverains et aux nations les Lois qui viennent de lui.

Pilate, à qui Jésus dit que son royaume n’est pas de ce monde, ne comprend pas, en positiviste et pragmatique qu’il est : comment peut-on se dire roi dans de telles conditions ? « Tu es donc roi ? » ergo, donc, « Comment est-ce possible ?  tu es quand même roi ? Malgré cela ! Tu es roi, tu te dis roi,  ergo ? »

Et alors Jésus, devant cette âme qui s’intéresse, qui cherche (on l’a vu, là aussi, dans le film), va répondre en allant droit à l’essentiel, avec une fierté souveraine : « Tu le dis, je suis roi ». Jésus refuse de se servir d’un autre terme : « Je suis né pour cela et pour cela je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jean, XVIII, 37). « Je suis né pour cela », oui il est né pour cela. Ce que Jésus réclame ici ce n’est plus tant le droit de souveraineté divine de la deuxième Personne de la Sainte Trinité ; c’est le droit souverain que Daniel dans sa vision, on en parlait tout à l’heure, vit remettre à ce Fils d’homme par le vieillard mystérieux. « C’est en tant qu’homme, écrit saint Bonaventure, que le Sauveur a été magnifié au-dessus de tous les rois de la terre à cause de l’assomption de son Humanité dans l’unité d’une Personne divine. »

Saint Thomas d’Aquin dit ceci : « l’âme du Christ est une âme de roi, elle régit tous les êtres parce que l’union hypostatique la place au-dessus de toute créature ».

 

Mais qu’est ce que la vérité ?  voici la question qu’a posée Pilate.

Que signifie donc « rendre témoignage à la vérité », sinon la rétablir.

Ne dit-on pas, lors d’un procès, du témoin véridique, qu’il a, par sa déposition, rétabli la vérité?

Jésus est donc né pour cela ; sa royauté consiste en cela : le rétablissement de la vérité : rétablissement dans l’ordre naturel comme dans l’ordre surnaturel. Sa royauté est par essence la royauté de la vérité, c’est pourquoi la vérité est tellement essentielle dans notre vie sociale.

Quelqu’un qui ne dit pas la vérité (malheureusement nous vivons dans le mensonge), c’est horrible ! Je crois que chacun de nous a le devoir vraiment très fort d’être vrai en tout, on ne peut pas vivre sur le mensonge. (Je me souviens - c’est personnel - : ma mère m’a dit, longtemps après la mort de mon père : « Je n’ai jamais entendu votre père faire le plus petit mensonge ». Puissions-nous en être tous là !).

Donc, la royauté de Jésus consiste dans le rétablissement de la vérité, sa royauté est par essence la royauté de la vérité. Royauté universelle d’une doctrine, d’un enseignement ; royauté universelle de la doctrine catholique ; royauté universelle de l’enseignement de l’Eglise : doctrine et enseignement qui ont leurs incidences sociales et politiques.

Tout cela est compris dans l’explication de Jésus à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Par là, Jésus s’est efforcé de rassurer le fonctionnaire, Pilate, qu’il avait devant lui. Il sait de quelle crainte fut envahi Hérode lorsque les Mages vinrent lui demander où était né le « Roi des Juifs ». Hérode en avait conclu que c’en serait fait bientôt de sa propre couronne ; et cela parce qu’Hérode avait pensé que la royauté de ce « roi des Juifs » ne pouvait être qu’une couronne « de ce monde » comme la sienne. « Cruel Hérode » - « Crudelis Herode » - chante l’Eglise en la fête de l’Epiphanie - « Pourquoi crains-tu l’avènement d’un Dieu-Roi ? Il ne ravit pas les trônes mortels, celui qui donne le royaume céleste. »

C’est une crainte semblable à celle d’Hérode que Jésus a voulu épargner à Pilate.

Il n’a pu lui taire cependant que sa royauté, qui est non de ce monde mais sur ce monde, voire sur les lois, les nations et les princes, par leur soumission à la Vérité que lui, Jésus, est venu rétablir ; royauté sur les nations et les princes par la soumission de ces derniers à la doctrine de son Eglise.

Règne de Vérité, donc ;  règne doctrinal.

Là encore, sachez que la doctrine qu’on vous enseigne est capitale ; la vérité de cette doctrine ! On a vu trop de séminaires s’effondrer parce que la vérité n’était plus enseignée dans la doctrine. Il est absolument capital de se référer au maître Saint Thomas d’Aquin, « le Docteur commun »,  pour être sûr que la doctrine qu’on vous enseigne est la doctrine de l’Eglise, des Papes.

L’ordre, le seul ordre qui soit, l’ordre véritable, l’ordre bienfaisant, l’ordre divin c’est le règne de Jésus-Christ sur les Etats comme sur les individus.

« Ce n’est pas pour autre chose, écrit Mgr Pie, qu’Il est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant des lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en régissant les actions des gouvernements comme des gouvernés.

Partout ou Jésus-Christ n’exerce pas ce règne il y a désordre et décadence. »

 

Voici ce que disait Pie XI dans l’encyclique « Ubi arcano Dei » : Lorsque les cités et les républiques auront tenu à suivre les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ dans leurs affaires intérieures et étrangères, alors enfin elles auront dans leur sein la vraie paix. La paix digne de ce nom, c’est-à-dire la désirable paix du Christ, n’existera jamais si les doctrines, les préceptes et les exemples du Christ ne sont pas gardés par tous dans la vie publique et dans la vie privée, et si l’Eglise, dans une société ainsi ordonnée, n’exerce enfin sa divine fonction, protégeant tous les droits de Dieu sur les individus et sur les peuples. C’est en cela que consiste ce que nous appelons d’un mot : « le règne du Christ ».

Oui, c’est bien cela que Jésus-Christ a exprimé devant Pilate. C’est bien pour cela qu’il est né, pour établir ce règne de la vérité. Et quiconque procède de la vérité, comme Il l’a ajouté lui-même, écoute sa voix. Autant dire : quiconque aime la vérité, quiconque la recherche réellement dans un élan vigoureux, généreux, dans un abandon de lui-même (car il faut savoir renoncer aussi à ses petites opinions personnelles, nous en avons tous ; quand la doctrine de l’Eglise est là, lorsque le Pape a parlé, eh bien, nous devons renoncer à notre petite personnalité, qui peut être sujette à l’erreur : donc, soumission totale du sujet à l’objet. Quiconque « veut la vérité avec violence », comme disait Psichari, écoute la voix de Jésus ou ne tarde pas à l’entendre.

 

Quel est l’ennemi irréductible de la vérité ? l’ennemi irréductible du véritable règne de Jésus-Christ, c’est le libéralisme, le libéralisme sous toutes ses formes et c’est lui qui  danse encore  sur la place publique à l’heure actuelle.

Il est bien évident que, dans les perspectives de ce règne doctrinal, de ce règne de vérité, de ce règne de l’enseignement de l’Église, le grand, l’irréductible ennemi c’est le libéralisme, puisque c’est là une erreur qui s’en prend à la notion même de vérité et qui, en quelque sorte, la dissout : dans le libéralisme, chacun pense sa vérité, chacun se fait sa vérité à soi ; et si je le pense, c’est que c’est vrai. C’est bien le péché d’orgueil de Satan, ça aussi.

Qu’est ce que la vérité pour un libéral ? C’est la question qu’a posé Pilate : « Quid est veritas ? » et c’est spontanément que la formule de Pilate monte aux lèvres dès que l’on évoque le libéral : « Qu’est ce que la vérité ? » ; et sachez bien, je vous assure, je n’invente rien : on entend à l’heure actuelle des ecclésiastiques dire : « Qu’est ce que la vérité ? Vous savez, moi j’ai ma vérité ».

 

Pilate de s’écrier : « Qu’est ce que la vérité ? » et en disant cette parole il sortit de nouveau vers les Juifs.

Jésus dès lors gardera le silence.

Quant il voit que ce pauvre malheureux Pilate, qui a pourtant tout fait pour le sauver, en est à se dire : « Qu’est ce que la vérité », Jésus ne peut plus que se taire.

La vérité, en effet, ne se manifeste pas à ceux qui, par principe, refusent de croire même à sa possibilité. Elle exige ce minimum d’humilité que devrait impliquer la conscience de l’ignorance.

           

Aussi, quand plus tard Pilate reviendra vers Jésus, il ne lui sera fait aucune réponse, nous dit Saint Jean.

Prenons garde nous-même que la vérité ne nous soit refusée parce qu’un jour nous l’aurions refusée nous-mêmes. Dieu peut se taire aussi ; Jésus s’est tu devant Pilate parce qu’il a vu que Pilate ne voyait pas comment on pouvait trouver la vérité. Eh bien, il y a des âmes qui voient la lumière se fermer parce qu’elles se sont fermées, elles, à la vérité.

Jésus ne lui fit aucune réponse. « Qu’est ce que la vérité ? » Depuis vingt siècles la formule n’a pas changé.

 

« Qu’est ce que la vérité ? » cela signifie qu’il y a encore quelqu’un, un illuminé, un pauvre fou qui y croit ! Tout à l’heure, en effet, c’est la robe blanche des fous qu’Hérode fera jeter sur Jésus. Et Hérode et Pilate se réconcilieront là-dessus… Ils se rencontrent en cet endroit : tous deux sont libéraux : Hérode, c’est le libéralisme crapulard de la débauche ; Pilate, c’est le libéralisme des gens corrects qui aiment à se laver les mains. C’est affreux cela, les « gens corrects » : « Moi, je respecte les formes, je m’en tire toujours ! » Pilate, c’est le libéralisme des gens réputés honnêtes. Pilate c’est le chrétien libéral qui, au fond, cherche à sauver Jésus, oui, mais qui commence par le faire flageller avant de l’envoyer à la mort ; pourquoi ? parce qu’il y a le tumulte croissant que sa démagogie autant que son manque de caractère n’auront pas su arrêter. En fait, et jusqu’à la fin des temps, Jésus continue à être torturé, ridiculisé, mis à mort de Pilate en Hérode et d’Hérode en Pilate.

« Qu’est ce que la vérité ? » encore un illuminé ! Encore un de ces maniaques du rappel de la « thèse », de la doctrine, au moments les plus inopportuns[6] !

« Et, ce disant, Pilate sortit de nouveau vers les Juifs. On le voit, Pilate est ce que l’on appellerait  à l’heure actuelle un homme engagé, en plein dans l’action, et qui a toute autre chose à faire que d’écouter un doctrinaire !

 

Il sortit « de nouveau », de nouveau il sortit vers les Juifs, c'est-à-dire vers le problème concret du moment. « Ad Judeos »,  vers ces Juifs qui sont là sous le balcon et qui crient… Voilà ce qui est autrement important que les propos de Jésus ! Voilà qui prime tout ! les cris de la foule, des grévistes qui défilent devant l’Assemblée.

« Pilate s’en revint vers les Juifs. » Mais - et c’est là son péché - : il n’a pas pris la peine d’attendre et d’entendre la réponse et les directives du Seigneur.

Il lui a posé cette question : « qu’est ce que la vérité ? » et il est sorti, c’est à ce moment là qu’il est sorti. Si seulement il avait attendu la réponse, si Jésus avait d’ailleurs voulu lui donner  ses directives.

 

Autrement dit, Pilate se replonge dans « l’hypothèse », seule chose qui l’intéresse. Mais cela sans avoir attendu la réponse de la doctrine, les lumières de la « thèse » et de la vérité.

Eh bien, cette vérité, cependant, Dieu fera en sorte qu’elle soit dite jusqu’à son terme dernier. Et un peu plus tard lorsque, dans son délire, la foule réclamera la mort de Jésus, le dernier argument, qui est aussi l’explication suprême, sera lancé à Pilate  « quia Filium Dei se fecit »… Parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. »

Fils de Dieu ! voilà la clef de toutes ces énigmes sur lesquelles Pilate bute depuis un bon moment. Fils de Dieu, voilà ce qui explique tout et ce que, dans sa miséricorde, Notre-Seigneur a voulu que Pilate entende au moins une fois.

On conçoit l’affolement du romain. Depuis qu’il a ce « roi des Juifs » devant lui, il va d’étonnement en étonnement. Toutes ses conceptions de pragmatique libéral, retors sont bousculées, renversées.

 

Jésus frappe désespérément à sa porte, à la porte de cette âme, par tous les moyens qui peuvent être mis en œuvre… jusqu’au rêve de sa femme[7], sa femme qui intervient : « N’aie aucun rapport avec cet homme ». Ce libéral comprendra-t-il enfin ? Non, il est seulement effrayé… pris de panique… « magis timuit ». Il craint de plus en plus : « Lorsque Pilate entendit cette parole, il eut encore plus peur. »

Cette fois il veut savoir : « D’où es-tu ? » Autrement dit : « Qui es-tu ? » D’où viens-tu donc, homme extraordinaire que j’ai devant moi ? Dis moi quel est ton mystère, afin que je comprenne enfin.

 

Et Jésus garde le silence. Après tout ce qu’il a dit, après cette flagellation que Pilate vient d’ordonner, la Vérité avec un grand V n’a pas à répondre à de telles injonctions. Devant le silence de ce prisonnier inouï, la crainte de Pilate décuple. Il a peur, comme tous les faibles. Et, comme tous les faibles qui ont peur, il va non, certes, faire sentir sa puissance à cette foule hurlante en donnant l’ordre aux soldats de la disperser. Non ! il va crâner devant cet homme enchaîné et apparemment impuissant. Il va menacer le Juste au nom de ce qu’il croit être « son autorité ».

 

Et cette fois, notons-le, Jésus va répondre et, précisément, par respect pour cette « autorité » que Pilate représente, qui est l’autorité même du pouvoir civil.

Toute autorité doit être respectée car elle vient de Dieu. Jésus va répondre comme il a répondu au Grand Prêtre, invoquant le « nom du Dieu vivant ». Pouvoir spirituel et pouvoir temporel : Notre-Seigneur a voulu nous laisser cet exemple de parfaite soumission aux deux pouvoirs institués par Dieu.

Donc, lui dit Pilate, « tu ne me parles pas ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te crucifier et le pouvoir de te relâcher ?».

Et Jésus de répondre :  « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en-Haut » - « Tu n’aurais », toi, toi Pilate, c'est-à-dire toi, homme politique quelconque, investi d’une parcelle d’autorité, qui que tu sois : simple fonctionnaire, juge, député, ministre, prince ou roi… tu n’aurais aucun pouvoir si tu ne l’avais reçu d’en-Haut, c'est-à-dire de Dieu, c'est-à-dire de Moi.

Et puisque ton pouvoir est un pouvoir politique, juridique, social, le seul fait que je vienne affirmer que ce pouvoir vient de Moi prouve, sans contestation possible, que la royauté que je revendique, bien que n’étant pas de ce monde, s’exerce quand même sur lui, sur les individus comme sur les nations. Et cela parce que je me dis « Fils de Dieu ».

Cette fois la leçon est complète. Cette leçon que, à travers Pilate, Jésus a voulu adresser aux politiques de tous les temps. Explication suprême qui couronne et confirme tout ce qui a été dit.

Il faut prendre soin d’observer l’admirable progression de cette leçon divine.

C’est pourquoi devant ce tribunal, durant tout ce jugement, toute cette Passion, chaque mot des évangélistes est à prendre au pied de la lettre.

D’abord, et par charité, Jésus s’applique à dissiper l’équivoque fondamentale qui pourrait effrayer et, par là même, fermer le cœur, et donc enténébrer l’esprit : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Ne t’en fais pas, si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu … » C’est comme un préambule un peu négatif. Et l’explication positive vient en second lieu : « Tu le dis, je suis Roi. Je suis né pour cela, pour rétablir la vérité ».

Et par cette seconde réponse Jésus explique la nature de cette royauté.

Royauté non comme les autres, mais règne spirituel, règne doctrinal, règne de la vérité dans tous les ordres.

            D’où la troisième partie qui donne la clef de l’énigme : c’est parce qu’il est Fils de Dieu, Principe de l’ordre universel, que son règne peut être cette chose humainement inouïe : un règne de la vérité ! le rétablissement de l’ordre fondamental !

            En quatrième lieu, la dernière réponse de Jésus apporte la confirmation concrète : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir si tu ne l’avais reçu d’en-Haut ». Désormais, le doute n’est plus possible : la royauté du Fils de Dieu n’est pas seulement une royauté sur les âmes : elle est aussi une royauté sociale, puisqu’elle est au principe même du pouvoir de Pilate, preuve certaine que le pouvoir civil n’échappe aucunement à son empire.

De son propre aveu Jésus est donc roi dans ce domaine comme dans tous les autres. Son royaume ne connaît pas de limites, il remplit l’univers.

 

Je termine par l’entretien célèbre du 15 mars 1858, entre Monseigneur Pie et Napoléon III. L’Evêque de Poitiers avait expliqué à l’Empereur sa pensée sur la Royauté sociale de Jésus-Christ, quand Napoléon III lui fait remarquer que la Restauration n’avait pas fait pour la religion plus que lui. « Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous, répond l’Evêque. Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration, ni vous, n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez renié les principes de la Révolution, dont vous combattez cependant les conséquences politiques.

 

« Parce que l’Evangile social dont s’inspire l’Etat est encore la Déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu. Or, c’est le droit de Dieu de commande aux Etats comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur Jésus-Christ est venu sur la terre. Il doit y régner, en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernants comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ ne règne pas, il y a désordre et décadence.

 

Or, j’ai le devoir de vous dire qu’Il ne règne pas parmi nous. (…) Notre droit public protège équivalemment la vérité et l’erreur. (…) Eh bien, Sire ! : Jésus-Christ, Roi du Ciel et de la terre vous répond : Et moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns après les autres, moi aussi je vous accorde une égale protection. J’ai accordé une pareille protection à l’Empereur votre oncle ; j’ai accordé la même protection aux Bourbons ; la même protection à la République ; et à vous aussi la même protection vous sera accordée. »

L’Empereur arrêta l’Evêque : « Croyez-vous que le moment soit venu d’établir le règne exclusivement religieux que vous me demandez ?  Ne pensez-vous pas que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? » - « Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner, parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis Evêque, et, comme Evêque, je leur réponds : Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner ? Eh bien ! alors, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer. »

 

Comme pour confirmer les propos du Cardinal Pie, le Cardinal Guibert, archevêque de Paris, écrivait au Président Grévy, le 30 Mars 1886 : « Permettez à un vieil évêque qui a vu dans sa vie changer sept fois le régime politique de son pays, de vous dire une dernière fois ce que lui suggère sa longue expérience. En poursuivant dans la voie où elle s’est engagée, la République peut faire beaucoup de mal à la religion ; elle ne parviendra pas à la tuer. L’Eglise a connu d’autres périls et traversé d’autres tempêtes ; elle vit dans le cœur de la France. Elle assistera aux funérailles de ceux qui se flattent de l’anéantir. (…) Car la République n’a reçu ni de Dieu ni de l’Histoire aucune promesse d’immortalité. »

 

 

[1] Il se trouve conservé, vous le savez peut être, en partie au moins, dans l’Église de Santa Croce, à Rome, avec beaucoup d’autres reliques du Seigneur : un clou, une partie de la couronne d’épine, d’autres choses encore. Si vous allez à Rome, ne manquez pas de faire le pèlerinage à Santa Croce. Je pense que plusieurs parmi vous l’ont déjà fait.

[2] Je ne sais pas si quelques-uns ont lu le livre romancé d’Anne Bernet : Les mémoires de Ponce Pilate, paru il y a une dizaine d’années, où elle étudie très bien la psychologie de Ponce Pilate.

[3] Relisez, si vous le pouvez, tout le premier chapitre de l’épître aux hébreux. J’ai posé, à propos de l’auteur, la question au Cardinal Vanoy qui est un spécialiste de l’épître aux Hébreux. Je ne sais pas si vous connaissez le Cardinal Vanoy qui a été longtemps le Directeur de l’Ecole Biblique de Rome, du Biblicum ; il est venu nous prêcher la retraite l’année dernière ou il y a deux ans, et je lui ai posé la question : « Qui est l’auteur de l’Epître aux Hébreux, d’après vous ? » - Dom Delatte, ancien Père Abbé de Solesmes, pensait vraiment que c’était Saint Paul ; c’était très contesté ; à l’heure actuelle, la plupart des exégètes le conteste fortement. Le Cardinal Vanoy m’a répondu textuellement : « Ce n’est peut être pas Saint Paul lui-même qui l’a écrit de sa main, mais ce sont des paroles de Saint Paul qui ont été retranscrites, ce sont des sermons de Saint Paul, que Saint Paul faisait en différents endroits, qui ont été transcrits aussitôt par ses disciples et qui ont formé cet Epître aux Hébreux ». C’est lui qui vient de prêcher, je crois, les exercices spirituels au Vatican devant le Pape et le Collège cardinalice. Cet épître aux Hébreux, c’est une merveille !

[4] Qu’est ce qu’il dirait à l’heure actuelle, d’ailleurs ! Le cardinal Pie, c’était au milieu du dix-neuvième siècle.

[5] Voyez que cela ne date pas du cardinal Pie.

[6] « Oui, la doctrine de l’église… Oui, on en assez entendu, la doctrine de l’Eglise !… » (remarque courante)

[7] Et c’est très bien vu aussi dans le film. (La Passion de Mel Gibson)